samedi 30 avril 2022

THOR #24/750, de Donny Cates et Nic Klein, avec Walter Simonson, Dan Jurgens, J. Michael Straczynski et Olivier Coipel, Al Ewing et Lee Garbett, Jason Aaron et Das Pastoras


Je ne suis plus Thor depuis un bail, et le run de Donny Cates m'a vite découragé. Mais c'est un épisode spécial que celui-ci : ce numéro 24 est aussi le 750ème de Thor, si on prend en compte tous les volumes de ses séries. Donny Cates y fait équipe avec Nic Klein, mais partage l'affiche avec de prestigieux invités qui ont marqué l'histoire du dieu du tonnerre chez Marvel pour ses soixante ans de parution.
 

Thor prononce l'éloge funêbre de son père, Odin, récemment mort. L'ancien Père-de-tout et roi d'Asgard a droit à des funérailles de viking. Même si Thor partage sa peine avec son demi-frère, Loki...


- Prologue (Ecrit et dessiné par Walter Simonson.) - Comment Beta Ray Bill est devenu le guerrier légendaire qu'on connaît, après avoir été capturé et fait l'objet d'expériences...


- The Seduction (Ecrit et dessiné par Dan Jurgens.) - Muni d'armes qui corrompent son âme, Thor ne devra son salut qu'à l'intervention d'Odin et de son demi-frère, Balder le brave...


- Benedictions (Ecrit par J. Michael Straczynski et dessiné par Olivier Coipel.) - Thor convoque en Asgard un notaire humain pour qu'il rédige ses dernières volontés...
 

- What Comes Next (Ecrit par Al Ewing et dessiné par Lee Garbett.) - Loki surgit 14 milliards d'années dans le passé et prévient Taaia, la mère de Galactus, d'un grave danger imminent pour le Multivers...

- Who Wields Who ? (Ecrit par Jason Aaron et dessiné par Das Pastoras.) - Il y a un million d'années sur Midgard, Odin doit affronter des géants de glace sans l'aide de Mjolnir qui refuse de lui obéir...

Il est loin le temps où j'ai aimé lire Thor. Je doute, à l'allure où vont les choses, renouer un jour avec ce plaisir. Le long run de Jason Aaron ne m'a séduit que lorsque Jane Foster a été jugée digne de soulever Mjolnir, avec les dessins magnifiques du (depuis) trop rare Russell Dauterman. Lorsque Donny Cates a succédé à Aaron, j'espérai quelque chose qui ne s'est pas produit, assistant affligé à une reprise survendu, malgré là encore un artiste doué (Nic Klein). En vérité, il faut remonter au run, trop court, de J. Michael Straczynski et Olivier Coipel (en 2007 !) pour que je me rappelle d'une proposition intéressante pour le dieu du tonnerre...

Alors JMS avait accepté d'écrire la série initialement offerte à Neil Gaiman, en s'inspirant de thèmes et motifs chers à ce dernier (l'existence des dieux validée par la foi des humains). Avec Coipel, le scénariste fit de Thor un personnage revenu d'entre les morts et confronté aussi bien à sa mortalité qu'à la responsabilité de restaurer Asgard, de trouver une raison d'être au panthéon nordique, le tout dans le décor bien décalé d'une bourgade américaine.

Malheureusement, Marvel gâcha tout en précipitant Thor dans un event par ailleurs raté, Siege, écrit par Brian Michael Bendis et dessiné par... Coipel, qui venait de quitter la série. JMS, déçu qu'on interfère avec ses plans, claqua la porte de Marvel pour s'exiler chez DC. Matt Fraction tenta, encore avec Coipel, de relancer la machine, sans convaincre. Puis Jason Aaron s'installa sur le titre, avec Esad Ribic...

Aujourd'hui, Cates vient d'achever un arc dans lequel il a sacrifié, au terme d'une intrigue d'une rare bêtise, Odin. Marvel a fait ses calculs et compté que ce 24ème épisode coïncidait avec la 750ème aventure du dieu du tonnerre, tous volumes et titres solos confondus. Je n'ai pas vérifié l'exactitude de cette comptabilité, mais l'éditeur a mis les petits plats dans les grands en publiant une giant-size issue de plus de 60 pages.

L'épisode s'ouvre et se ferme avec les funérailles grandioses d'Odin. Enfin.. Supposément grandioses, car, mise à part une double-page au début effectivement impressionnante, le reste est plutôt cadré serré, intimiste, et n'impressionne guère. L'émotion fait cruellement défaut tant le discours prononcé par Thor manque de personnalité, parasité par une voix off envahissante et inutile. Cates est décidément incapable de produire autre chose que de l'épate-couillon, ce qui lui réussit dans ses creator-owned abîmant immanquablement ce qu'il produit pour Marvel. Quant au dessin de Nic Klein, je lui reconnais une technique certaine, mais par contre je n'aime pas du tout la manière dont il représente Thor, si loin de ce qu'un Kirby, un Buscema, un Romita Jr ou un Coipel en ont fait.

Plus là pour célébrer les soixante ans du dieu du tonnerre que pour accompagner le cortège désolant de Cates, les invités sont plus inspirés, c'est un comble. Que Walter Simonson, cette légende vivante qui a révolutionné le personnage, nous conte les origines de Beta Ray Bill et c'est une leçon humiliante pour Cates et Klein tant, en quelques pages, il donne un souffle plus épique que dans les 23 épisodes du run actuel.

Dan Jurgens se charge lui aussi du texte et des dessins de sa partie. On peut regretter que Marvel n'ait pas laissé John Romita Jr l'accompagner - ou pas si on se fie au dramatique niveau affiché par l'artiste sur le relaunch de The Amazing Spider-Man paru cette semaine. Ce segment, censé mettre en avant Balder le brave, loupe un peu le coche, et l'encrage de Klaus Janson est affreux.

Et puis, ô joie ! J. Michael Straczynski et Olivier Coipel entrent en scène et c'est le retour des enfants prodigues. C'est magnifique, subtil, et ça rappelle à quel point en une douzaine d'épisodes, ces deux-là ont redéfini Thor, mieux que tout ceux qui leur ont succédé. Ah si seulement Joe Quesada n'avait pas fourré son nez là-dedans il y 14 ans...

Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, voilà que Al Ewing et Lee Garbett se joignent à la fête. Le scénariste estimait, lui aussi, avoir été empêché d'écrire Loki, Agent of Asgard, comme bon lui semblait (son run ayant quand même été traversé par trois events !). Mais il a, de son propre aveu, accepté de rempiler, avec à la clé sa prochaine mini-série Defenders Beyond, où il renouera avec le Dieu de la Malice. Lee Garbett nous régale avec des planches à tomber.

Evidemment, Jason Aaron, le fossoyeur de Thor, se pointe pour une énième variation sur son obsession débile (Mjolnir et qui mérite de le brandir). C'est donc répétitif et assommant, mais les dessins de Das Pastoras ont un certain cachet.   

Je vous fais grâce du cliffhanger qui annonce le crossover Banner of War, avec le concours de qui a la plus grosse entre Thor et Hulk, concocté par Cates, et qui ne semble être là que pour confirmer pourquoi j'ai arrêté de croire que Marvel voulait que le dieu du tonnerre soit au coeur de bonnes histoires.

Un n° anniversaire peu digeste donc, mais avec quelques pépites qui raviront les fans d'une époque bien révolue.

ROGUES #2, de Joshua Williamson et Leomacs

2 600ème entrée !


Après un premier chapitre jubilatoire, le nouveau numéro de Rogues ne déçoit pas. Joshua Williamson s'écalte visiblement avec cette histoire sur le retour aux affaires des Lascars, embarqués dans un projet de casse insensé. De son côté, Leomacs nous gratifie de planches fabuleuses, qui élèvent cette production vers des sommets.
 

Les Lascars arrivent au Buredunia où ils se font passer pour une équipe en tournage. Pour atteindre Gorilla City, ils descendent le fleuve en continuant à se fier au plan de Captain Cold.


Mais lorsque ce dernier leur montre, dans la jungle, ce qu'il croit être le repaire de Gorilla Grodd, l'équipe déchante. Le Charlatan, toutefois, trouve un passage secret souterrain qui remotive les troupes.


Cependant, à Gorilla City, situé sous terre, et devenue une opulente city, Grodd mène ses partenaires à la baguette, rechignant à de nouveaux échanges économiques avec les humains.


Parmi les fidèles de Grodd, Grimm se charge, enc roisant Strakk, un dissident, de le raisonner, même quand celui-ci pointe les inégalités sociales de la ville.


De leur côté, les Lascars ont repéré la banque centrale de la ville en remarquant un défilé de fourgons blindés. Cold et ses acolytes se séparent pour tenter d'en savoir plus sur leur cible...

Rogues est vraiment une mini-série réjouissante, qui mixe polar et super-pouvoirs avec sa bande de fripouilles sur le retour. Joshua Williamson avait fait très fort avec le premier épisode, il renouvelle l'exploit avec ce deuxième.

Ce numéro est divisé en deux parties bien distinctes. Dans la première, on retrouve les Lascars qui débarquent en Afrique, dans un pays fictif en proie à des tensions politiques. Des militaires s'affichent, armes en main, la population civile vit dans un désoeuvrement complet - ce qui émeut évidemment Lisa Snart.Golden Glider. Mais Leonard Snart/Captain Cold a d'autres préoccupations. Ce n'est pas son genre de verser dans le sentimental et l'humanitaire, lui est venu piller le trésor de Gorilla Grodd. En passant, il se moque bien de l'argent que l'expédition coûte au Charlatan, même si le bâteau qu'a loué ce dernier est quasiment une épave.

On est donc dans un pur récit d'aventures, dans un cadre exotique, mais qui ne ferme pas les yeux sur la réalité des pays du tiers-monde. Les Lascars s'engagent dans la descente d'un fleuve digne d'African Queen (John Huston, 1951) avec son équipage peu recommandable. Pourtant la traversée est l'occasion pour quelques-uns de nos anti-héros de se rapprocher - et Snart remarque bien que sa soeur et Bronze Tiger deviennent intimes. Le Maître des Miroirs est, lui, toujours dans le cirage depuis que le gang l'a retiré de sa clinique de désintox, et Magenta est aussi bien à côté de ses pompes (réutiliser ses pouvoirs après si longtemps lui cause des migraines carabinées).

La caractérisation est soignée, et Williamson s'amuse beaucoup mais sans ridiculiser ses personnages pour lesquels il a une évidente tendresse. Le groupe s'enfonce bientôt dans une jungle touffue qui met les organismes et les sentiments à l'épreuve. Tel Achab obsédé par Moby Dick, Snart refuse d'entendre les découragements de ses compères, qui doutent de l'existence du trésor dont il parle et ont peur d'affronter Gorilla Grodd. Leur réaction quand ils arrivent, croient-ils, à bon port est éloquente, à la fois désopilante et pathétique.

En effet, les voilà qui se trouvent devant quelques gorilles perchés dans des arbres. Rien de semblable avec la cité promise. La cosnternation est aussi grande chez les personnages que pour le lecteur. Mais bien entendu, cela n'est qu'un simulacre, vite mis à jour par le Charlatan - quoi de plus logique de la part de quelqu'un habitué à dissimuler au public le secret de ses tours. Fin de la première partie.

Williamson enchaîne aussi sec sur le second acte. Il aurait pu différer encore longtemps l'apparition de Gorilla Grodd mais au contraire il l'introduit via une splash-page, en majesté, révélant du même coup la réalité de la situation. Gorilla City a bien changé et son maître, dont on pensait qu'il était assis sur un tas d'or dont il ne faisait aucun usage, préférant la conquête du pouvoir au plaisir de la fortune, s'est mué en un édile affairiste, qui mène son monde d'une main de fer.

Entouré d'autres gorilles qui aimeraient bien encore plus faire fructifier leur business, Grodd fait vite la démonstration que personne d'autre que lui ne décide avec qui transiger. Williamson réussit, après avoir dressé un portrait des Lascars à la ramasse, à croquer son méchant de manière terrifiante. Le contraste fonctionne à fond et annonce clairement que Captain Cold et ses complices n'auront pas la tâche facile.

Mais le scénariste ne s'arrête pas là et introduit une dimension supplémentaire via un personnage secondaire, Grimm, le bras-droit indéfectible de Grodd. Cette éminence grise croise un de ses amis qui déplore les injustices sociales frappant d'autres singes en ville. Ce Strakk s'impose en un éclair comme un protagoniste intéressant qui renvoie aux premières pages de l'épisode, quand Lisa Snart constatait dépitée l'état dans lequel la population civile du Buredunia vivait. Il y a donc un discours social qui se dessine dans cette histoire, assez inattendue, mais accrocheuse.

Leomacs est un dessinateur extraordinaire qui, comme je l'avais dit le mois dernier, donne une sensibilité européenne à ce comic-book. En effet, son travail témoigne d'une exigence graphique qui dépasse les standards habituels de ce type de production.

Le fait qu'on suive des personnages qui n'évoluent pas à l'image dans des costumes bariolés qu'on leur connaît d'habitude trouble déjà. Qu'ils soient montrés plus âgés joue aussi beaucoup. Mais il n'y a pas que ça. C'est l'ensemble du récit qui baigne dans une ambiance plus expressive et sensible qu'à l'accoutumée et que le dessin souligne en insistant davantage sur les échanges entre les personnages que sur l'action.

Le trait de Leomacs emprunte naturellement à des artistes de notre côté de l'Atlantique : on pense évidemment à Jean "Moebius" Giraud, mais aussi à François Boucq parfois. Le plaisir évident qu'a l'artiste à représenter une jungle bien épaisse, ou la ville dans toute son opulence témoignent d'une volonté de ne pas s'économiser sur des images que les comics mensuels ont tendance à négliger, faute de temps pour le dessinateur.

Ensuite, quand, dans la deuxième partie de l'épisode, nous sommes en compagnie des gorilles intelligents, Leomacs s'échine, brillamment, à les croquer avec une méticulosité incroyable, réussissant à les distinguer sans estomper leur nature animale. Il porte une attention particulière à leurs habits, qui trahissent leur rang dans la cour de Grodd, vêtu lui d'un costume trois-pièces impeccable, tel un caïd dont seule la cicatrice à un oeil trahit le passé criminel.

Rogues #2 s'achève sur un cliffhanger plus percutant que le #1, signifiant qu'on va entrer dans le dur de l'affaire. C'est trés engageant, surtout si cela se poursuit avec le même mélange d'humour et d'intensité.

vendredi 29 avril 2022

KNIGHTS OF X #1, de Tini Howard et Bob Quinn


Et voici la dernière série de l'ère Destiny of X. Soyons clairs d'entrée de jeu : si vous n'avez pas lu Excalibur par Tini Howard et Marcus To, rattrapez votre retard (vous ne serez pas déçus !) ou passez votre chemin car Knights of X en est la suite directe. La scénariste investit le champ du récit chevaleresque encore plus franchement dans cette production entièrement située dans l'Outremonde. Pour l'accompagner, Bob Quinn succède bravement à Marcus To. Et le résultat est exaltant.


L'Outremonde est désormais régi par Merlin, qui y traque tous les mutants. Saturnyne a trouvé refuge chez Roma, fille de Merlin, à qui Betsy Braddock demande de l'aide en la renvoyant à Krakoa.


Sur l'île, elle recrute des renforts et leur explique que Roma les aidera à sauver des mutants s'ils partent quête d'un mystérieux artefact. Jubilé voit son retour dans l'Outremonde refusé in extremis.


Betsy tient à avoir dix compagnons d'armes. Il lui en manque encore deux mais Meggan la guide jusqu'à son ami Kylun aux prises avec Arthur et son armée.


La bataille bascule avec l'arrivée d'un combattant inconnu qui force Arthur à battre à retraite. Il se présente devant les neuf héros... Et son identité rend fou de rage Merlin depuis sa Citadelle Lunatique.

Excalibur s'achevait sur la décision unilatérale de Betsy Braddock/Captain Britain Prime de repartir dans l'Outremonde, dont l'accès avec Krakoa était coupé, pour y défendre Saturnyne et les mutants contre l'armée du roi Arthur sous la coupe de Merlin. Celui-ci, par le passé détrôné par la Majestrix Omniverselle, a repris sa place de régent et imposé un règne de terreur avec des complices de plusieurs royaumes.

Knights of X reprend les choses là où Excalibur les avait laissées. Donc il est impératif pour apprécier cette nouvelle série d'avoir lu la précédente, sans quoi vous risquez d'être perdus, ou du moins privés d'élements de compréhension déterminants. De ce strict point de vue, c'est le titre de l'ère Destiny of X le plus organiquement lié à celui écrit par sa scénariste auparavant durant Reign of X (ttout comme X-Men : Red est issu de S.W.O.R.D., quoique moins fortement).

Tini Howard s'impose donc comme l'auteur d'une seule vraie saga entamée depuis 2019, un run très conséquent donc. Complice privilégiée de Hickman durant X of Swords (dont elle avait eu l'idée avec lui), elle occupe une place à part dans la franchise X par son goût prononcé pour le récit fantastique, après avoir exploré le versant magique de cet univers. Cette fois, elle investit le registre de la geste arthurienne.

D'ailleurs le titre ne ment pas : on est bien présence de chevaliers et ils sont dix à l'issue de ce premier chapitre. Betsy négocie avec Roma, fille dissidente de Merlin, un retour express à Krakoa pour enrôler des renforts qui lui permettront de sauver des mutants dans l'Outremonde et de restaurer Saturnyne sur son trône. En échange, Roma exige de Betsy qu'elle s'engage avec ses futurs compagnons d'armes dans une quête dont elle ne lui révèle pas tout de suite l'objet. Ce qui fera craindre à un des personnages la perspective d'un nouveau tournoi (comme celui de X of Swords).

Pour l'essentiel, le casting reprend des héros ayant déjà participé aux efforts d'Excalibur : Gambit, Bei Lune Rouge, Rictor, Shatterstar, Meggan Braddock, Shogo. Mais Howard y ajoute Rachel Summers (sans série fixe depuis l'arrêt de X-Factor), et avec laquelle Howard avait suggéré un début de romance avec Betsy lors du Hellfire Gala, et elle incorpore ensuite Kylun, personnage créé par Alan Davis quand il écrivait et dessinait Excalibur au début des années 90 - ça fait vraiment plaisir de revoir ces deux-là. En revanche, elle laisse sur Krakoa Jubilé, pourtant partante pour une nouvelle aventure, sans l'expliquer (mais peut-être sera-ce pour plus tard). Et le dixième chevalier est assez facile à deviner (mais je vous laisse y réfléchir jusqu'au prochain numéro)...

Ce qui frappe, ce sont plusieurs choses : d'abord, le rythme est vif. Tout au long de la trentaine de pages de ce premier épisode, on ne voit pas le temps passer, l'action est ininterrompue, la tension constante. C'est un changement notable après le tempo parfois plus irrégulier d'Excalibur. Ensuite, le mélange mutants-chevaliers, super-héroïsme-quête mystique fonctionne à merveille. C'est assez troublant de voir une série pareille éclore en même temps que, chez DC, paraît l'excellent Dark Knights of Steel, où Tom Taylor revisite le DCU dans un cadre médiéval. Perso, ça m'enchante parce que j'ai toujours adoré ces histoires de chevaliers, de table ronde, qui précédent le genre super-héroïque (et qui avait également beaucoup inspiré Fables sur la fin).

Howard est très à l'aise avec tout ça, et elle a été habile car en situant sa série dans l'Outremonde et avec les codes du genre chevaleresque, elle ne dépend plus du reste de l'univers mutant, de Krakoa, d'Arakko. Elle a patiemment préparé son terrain de jeu et gagné le droit d'y déplacer ses intrigues et ses personnages, dont certains sont confrontés à des états d'âme alléchants (Gambit semble contrarié que Malicia soit trop occupée chez les X-Men et part avec Betsy sans prévenir sa femme, Bei s'inquiète de laisser derrière elle Cypher, Meggan abandonne sa fille à Brian Braddock toute excitée par le frisson de l'inconnu, Shogo se trouve séparé de sa mère - Jubilé...).

Quant à l'objet de la quête, allez, vous ne m'en voudrez pas de vous le révéler car ça ne vous gâchera pas le plaisir : il s'agir du Siège Périlleux. Dans la légende arthurienne, il s'agissait du siège à la droite d'Arthur, destiné au plus pur des chevaliers de la table ronde - malheur à qui n'était pas digne de s'y asseoir. Dans l'univers Marvel, c'est un peu différent mais tout aussi terrible puisque le Siège Périlleux, apparu initialement dans Thor, désigne un artefact ouvrant un portail qu'on franchit pour une nouvelle vie dans une nouvelle réalité, pour le meilleur ou le pire.

Au dessin, Knights of X ne profite pas du talent de Marcus To, qui a porté Excalibur avec une impressionnante régularité. C'est dire si Bob Quinn, choisi pour lui succéder, avait la pression, d'autant que sa prestation sur l'éphémère Way of X ne m'avait guère épaté.

Heureusement, le coloriste Erick Arcienega reste fidèle au poste, ce qui assure à Knights of X une homogénité avec Excalibur. Mais surtout Bob Quinn prouve qu'il est digne de la promotion qu'on lui a accordée. Certes son style diffère de celui de To mais à l'arrivée, la copie est plus que concluante.

Le trait de Quinn flirte parfois avec celui d'un Humberto Ramos mais plus contenu. Les personnages sont expressifs et les compositions pleines d'énergie. Il gratifie le lecteur de planches superbes, souvent des splash-pages percutantes, où il place le casting fourni de la série sans que les personnages soient serrés comme des sardines dans leur boîte. Un exploit.

Comme le script n'est pas avare en actions spectaculaires, Quinn s'éclate visiblement à lui rendre justice, en ne se ménageant pas. Lorsque les chevaliers affrontent l'armée d'Arthur, on a droit à une séquence intense, très bien mise en scène. L'irruption du dixième chevalier montre bien que ce n'est pas un élément juste là pour faire le compte rond, Quinn s'évertuant à le représenter dans toute sa puissance, juste après une charge à dos de dragon par Betsy (jubilatoire).

Ma seule réserve concerne sa manière de dessiner Kylun, que Alan Davis avait doté d'une tête léonine, alors que Quinn l'humanise trop. On verra s'il corrige le tir ou s'il faut s'habituer à cette modification. Mais sinon, c'est impeccable, avec en prime de très beaux designs pour les habits des héros dans l'Outremonde. Bestsy voit son armure subtilement modifiée et je la préfère ainsi. Meggan renoue avec son justaucorps vert et noir (celui créé par Davis), Gambit a enfin un vrai bon look. Rictor n'a pas été modifié, ni Shatterstar, pas plus que Bei : ils n'en avaient pas besoin. Vraiment, ça a de la gueule.

J'ai été conquis par ce premier numéro et je ne regrette pas d'avoir lu, même avec du retard, Excalibur auparavant. Finalement, Destiny of X, à propos duquel j'étais circonspect, s'avère séduisant avec X-Men qui est sur une bonne lancée, X-Men : Red qui en impose, et ces Knights of X très emballants. En attendant le retour, imminent, des New Mutants de Ayala et Reis.

jeudi 28 avril 2022

DARK KNIGHTS OF STEEL #6, de Tom Taylor et Yasmine Putri


Avec ce sixième épisode, Dark Knights of Steel arrive à mi-parcours de l'histoire alternative racontée par Tom Taylor. Le scénariste est toujours très inspiré (plus que sur Nightwing) et réserve encore bien des surprises au lecteur. Au dessin, Yasmine Putri produit encore une prestation de haut niveau avec le colriste Arif Prianto. C'est un sans-faute.


Dénoncé par John Constantine, Timothy Drake est expulsé du royaume de Pierce. De retour à la Maison des El, il rapporte que Zala Jor-El est accusée du meurtre du roi et de son fils.


Elle dément bien etntendu. Mais le pire est à venir, prévient Diana, qui affirme que sa mère, Hippolyte, a scellé une alliance avec King pour attaquer les El.


Cependant, désespéré, Constantine invoque le démon Etrigan puis s'adresse à son hôte dans l'espoir qu'il ressucite le roi King. Impossible, mais le fils peut être sauvé, en échange d'un lourd tribut.


Kal-El se rend sur Temyscera pour négocier la paix avec Hippolyte. Poignardé et enfermé, il se confie à Lois qui soupçonne que quelqu'un manoeuvre pour provoquer la guerre...

C'est un plaisir chaque mois renouvelé de se plonger dans le monde de Dark Knights of Steel, cette relecture chevaleresque et fantastique du DCU. Il faut dire que Tom Taylor a construit une histoire captivante et très divertissante.

On est positivement surpris par l'inspiration de l'auteur, qui se montre ici plus régulier que sur Nightwing. Ce n'est pas étonnant dans la mesure où il ne dépend de personne, n'a à composer avec rien d'autre. Mais surtout, on sent Taylor plus à son aise avec ce récit choral que lorsqu'il anime un héros solo (quoique bien entouré) et avec la possibilité de surprendre le lecteur à tout moment.

Dans ce sixième numéro sur les douze que comprendra la mini-série, logiquement on assiste à un basculement, c'est en quelque sorte la fin du premier acte et il faut donc pour Taylor embarquer le lecteur vers la suite et fin en lui promettant que ce sera aussi spectaculaire et inventif. La guerre entre le royaume de Pierce, les amazones et la maison El est donc sur le point d'éclater.

Habilement, Taylor brouille les pistes et nous fait douter de ce à quoi on a assisté depuis six mois. Et si Zala Jor-El n'avait pas tué Jefferson King et son fils ? C'est ce que pense Lois Lane et comme elle incarne la voix de la raison, la plus modérée en tout cas de cette saga, son interrogation nous trouble. Mais n'est-ce pas déjà trop tard ?

Par ailleurs, Taylor aime les twists and turns, ces retournements de situation et ces choses inattendues. Il en use avec parcimonie mais toujours de façon très efficace, comme quand il nous révèle qui est, dans ce contexte, l'hôte du démon Etrigan (mais je ne vous spoilerai pas). C'est en tout cas étonnant et très malin. Il en profite dans cette séquence pour évoquer les Titans, et donc nous devrions bientôt faire connaissance avec les versions médiévales de Nightwing et quelques autres, ce qui est alléchant.

Taylor joue aussi avec ce qui est hors-champ puisqu'on ne voit pas dans cet épisode ce qu'il advenu du Batman, et qu'on ne revoit pas Poison Ivy, encore moins où est l'Homme Vert. En les dissimulant ainsi, le scénariste ménage ses effets et suggère bien sûr que leurs retours, certainement progressifs, vont avoir un impact déterminant sur la suite de l'intrigue. Bien joué.

Yasmine Putri  s'est révélée comme une artiste exceptionnelle depuis le début de cette aventure et ce nouveau chapitre ne décevra pas ceux qui ont découvert le travail de cette cover artist depuis six mois. Ce qu'elle produit est simplement superbe.

La maturité dont elle fait preuve dans la narration graphique indique qu'on a affaire soit à une dessinatrice qui s'est sacrément préparée, soit à une surdouée qui cachait bien son jeu derrière des couvertures déjà très abouties mais dont on ne soupçonnait pas le potentiel pour des pages intérieures.

Il y a dans ses compositions une expérience assez hallucinate, elle trouve toujours le bon angle de vue, la bonne disposition pour ses personnages, la bonne valeur de plan. L'histoire est illustrée avec un dosage parfait des effets. L'expressivité des personnages est un autre de ses atouts. Sans oublier le brio avec lequel elle gère les décors (ah, cette dernière page, avec le vaisseau qui emporte les amazones !). La manifestation et la représentation des éléments fantastiques sont également remarquables, soutenues par la colorisation impeccable d'Arif Prianto.

J'adore cette mini-série, qui a un vrai souffle épique, trouve toujours le moyen de nous cueillir plusieurs fois à chaque numéro, et conserve ntact un potentiel formidable pour la suite. Si vous le suivez pas mensuellement pour mieux la savourer en recueils, en vo ou en vf, notez bien quand ce sera disponible car c'est une grande réussite dont on voit mal comment elle pourrait décevoir dans ses six prochains épisodes.

mercredi 27 avril 2022

CATWOMAN : LONELY CITY #3, de Cliff Chiang


Avec un retard conséquent, le pénultième épisode de Catwoman : Lonely City est enfin sorti - et il faudra encore patienter jusqu'en Août pour découvrir la fin de cette histoire. Mais on pardonnera volontiers à Cliff Chiang parce qu'il faut se rappeler qu'il fait absolument tout sur cette série (scénarion dessin, couleurs, lettrage, couverture et variant cover !) mais surtout parce que le résultat est excellent. Et ce numéro le prouve amplement une nouvelle fois !


Catwoman et son gang infiltrent l'asile d'Arkham pour y prélever un échantillon de Gueule d'argile. Mais l'opération ne passe pas incognito et en fuyant, Killer Croc se sacrifie pour sauver ses amis.


Dévastée par la mort de son ami, Selina trouve du réconfort dans les bras d'Edward Nygma à qui elle demande de l'aider à résoudre ce que signifie "Orphée". Et il lui vient une idée...


Pour épargner des vies, Catwoman décide d'oeuvrer seulement avec le Sphinx et Poison Ivy quand elle entreprend de voler un buste dans le musée de Gotham. Elle le porte ensuite à Jason Blood.


En ville, la tension monte encore d'un cran quand Harvey Dent veut déloger des manifestants soutenus par Barbara Gordon. L'irruption de Catwoman au milieu de la scène provoque une émeute.


Catwoman réduit encore ses effectifs par crainte de nouvelles pertes. Avec Poison Ivy et Jason Blood, elle trouve l'entrée de la Batcave. Jason Blood invoque alors le démon Etrigan...

Prévue pour être bimestrielle, la mini-série écrite, dessinée, colorisée et lettrée par Cliff Chiang a éprouvé la patience de ses fans puisque ce troisième épisode sort quatre mois après le deuxième. Comme je le disais en préambule, il sera beaucoup pardonné à l'auteur considérant la masse de travail qu'il assume mais aussi, surtout, parce qu'il ne déçoit pas pour son retour. Au contraire !

La première satisfaction vient en vérité du fait que l'histoire reste fraîche : je n'ai pas eu besoin de me replonger dans le précédent numéro pour me souvenir de là où Chiang en était resté. C'est bien la preuve de l'efficacité de son récit dont l'intrigue est mémorable et dont la narration est fluide.

Ensuite, Chiang enchaîne avec la même inspiration : le début de cet épisode est imparable et culmine avec une scène dramatique et poignante qui voit la mort d'un des protagonistes. Killer Croc, auquel on s'était attaché pour sa caractérisation touchante de partenaire à la ramasse, se sacrifie héroïquement lors d'une cavale dans les souterrains de l'asile d'Arkham et Chiang réussit admirablement à traduire tout le désarroi de Catwoman au moment d'achever son ami (comme il le lui demande).

Ce moment fort fonctionne comme une bascule pour Selina Kyle qui assiste à une veillée funèbre en hommage à Waylon Jones. Elle ne peut supporter le poids de sa culpabilité et fuit la salle. Edward Nygman la rattrape. Ils s'embrassent et finissent au lit. La scène n'a rien de gratuit, elle est traitée avec pudeur, de façon très élégante. Et ça ne tombe pas comme un cheveu dans la soupe. On peut même y voir comme un étonnant écho à Batman : Killing Time de Tom King, qui paraît actuellement, et dans lequel on voit Catwoman et le Sphinx former une sorte de couple déjà (puisque l'histoire de King se situe avant les débuts de la romance entre Cat et Batman). C'est le zeitgest en quelque sorte.

Mais par ailleurs, donc, la mort de Croc va iprofondément affecter l'attitude de Catwoman car elle prend douloureusement conscience que l'affaire dans laquelle elle a embarqué ses complices peut leur coûter la vie. La sienne lui importe peu, c'est une femme qui veut résoudre un dernier mystère comme on espère tourner une page d'un passé tragique. Mais c'est une autre chose que d'envisager la perte de proches qui n'ont pas à payer pour ses erreurs.

En quête d'un allié solide, Selina et le Sphinx jettent leur dévolu sur le plus inattendu d'entre eux : Jason Blood alias Etrigan le démon. Ils achètent son aide avec une statue volée cachant une relique non moin surprenante : le casque du Dr. Fate ! Ces éléments surnaturels - Blood/Etrigan, Fate - entraînent la série dans une nouvelle dimension tout à fait excitante car imprévisible. ils induisent un danger peut-être encore plus grand car Blood précise qu'il n'a plus laissé son alter ego resurgir depuis très longtemps et qu'il en conçoit certainement une forte rancoeur. Au moment de l'invoquer, ce sera donc risqué.

Chiang n'oublie pas cependant l'autre versant de l'intrigue qui met en scène l'élection municipale de Gotham et la rivalité entre Harvey Dent (qu'on voit en difficulté tant sur le plan des sondages que dans sa volonté de ne pas céder à nouveau à ses pulsions homicides) et Barbara Gordon. Ce duel culmine dans un face-à-face très intense entre la police surarmée du maire sortant et des manifestants qu'est venue soutenir Babs. Une étincelle suffirait à provoquer le chaos et bien entendu, il va éclater quand Catwoman surgit au milieu de tout ça, après avoir dérobé la statue précédemment mentionnée. La scène est spectaculaire et parfaitement mise en scène, restituant tout le désordre, la confusion qui peut se produire en pareille occasion.

Tout cet ensemble de séquences mises bout à bout soulignent aussi la sensation que l'histoire file vers un dénouement épineux. Catwoman fait encore davantage le vide autour d'elle, au point d'écarter le Sphinx (et sa fille), qu'elle soupçonne de la trahir pour l'empêcher d'aller au bout de sa quête obsessionnelle. En fait, on voit surtout Selina perdre pied, tenter de se raccrocher à ce qu'elle peut, et pour cela, elle préfère couper les ponts. Au fond, ses années de détention, le deuil de Batman, le souvenir de la "Nuit des Fous", tout remonte à la surface et la submerge. Elle ne tient plus debout que mue par son objectif : percer le secret que représente "Orphée" en explorant la Batcave. En dehors de ça, rien n'est certain, tout est précaire, et elle ne peut se permettre d'être fragilisée, donc elle fait le vide autour d'elle - à l'exception d'Ivy (que Chiang écrit merveilleusement, dans cette incarnation exceptionnelle).

Visuellement, les efforts de Chiang sont phénoménaux. Qu'il occupe tous les postes montrent bien à quel point ce projet lui tient à coeur et on peut faire un parallèle évident entre l'artiste et sa muse, tous deux littéralement portés apr ce qu'ils ont à faire.

Mais on apprécie surtout, avant tout, l'expérience de Chiang. C'est un artiste aguerri, au style mûri, accompli. Et un narrateur fabuleux. On ne pense pas immédiatement à Chiang quand il s'agit de pointer les dessinateurs les plus costauds, et pourtant ce qu'il réalise avec Catwoman : Lonely City prouve à quel point il maîtrise son art.

Le découpage, en particulier, est une leçon dans ce domaine. Chaque épisode se lit avec une facilité déconcertante, le flux de lecture est limpide, évident. Rien n'est en trop, ce qui est un petit exploit quand on s'astreint à des épisodes de 40 pages, où il faut doser différemment qu'avec le format traditionnel de 20 pages. Et pourtant, on ne voit pas la différence tant le rythme est impeccable, tant les scènes sont bien montées, avec des variétés dans la manière d'enchaîner les plans tout à fait remarquables (je pense en particulier, j'y reviens, à la scène de la mort de Croc, où pas un plan n'est redondant, trop appuyé...).

La gestion des couleurs est également superbe car Chiang opte pour la sobriété. Souvent, la scène baigne dans des tons très simples, en rapport avec l'ambiance ou l'heure. Ainsi, la nuit, tout est bleu. C'esr tout bête, mais ça fonctionne car l'essentiel est ailleurs, dans la vérité des sentiments exprimés, dans la justesse des expressions, des postures. On n'est pas distrait pas les couleurs, mais les couleurs valorisent la scène.

Enfin, Chiang soigne les décors. Il le peut, il prend son temps pour le faire. N'empêche, c'est appréciable, et ça prouve là aussi qu'il ne se fiche pas de nous. Quand on suit le cambriolage dans le musée, quand on entre chez Jason Blood, quand on assiste au duel entre Dent et les manifestants, tout ça est intense parce que puissamment situé. Que ceux qui croient qu'un comic-book peut faire l'économie de bons décors lisent Catwoman : Lonely City, et ils verront que ce "détail" fait la différence entre une histoire pouvant se passer n'importe où et une autre où le cadre de l'action est essentiel à sa qualité.

Le cliffhanger qui clôt l'épisode rend l'attente qui s'annonce insoutenable. Mais parti comme c'est, peu de risque que Chiang foire la fin de sa mini-série, d'ores et déjà bien placée pour figurer dans le top des comics du Black Label de DC cette année.

lundi 25 avril 2022

BLACK HAMMER : REBORN #11, de Jeff Lemire et Caitlin Yarsky


Black Hammer : Reborn, c'esst bientôt fini, et comme Jeff Lemire ne fait rien comme les autres, pour le pénultième épisode de cette série, il n'écrit pas la suite directe du dernier épisode paru, mais nous ramène au quatrième. Ce twist n'est pas innocent et appuie le thème qui court dans toute l'oeuvre du scénariste. Caitlin Yarsky, en toute complicité, s'aligne sur cette situation avec un dessin simple et sobre.

 


Le colonel Weird n'a pas désintégré Elliot, Rosie et Joe, le mari et les deux enfants de Lucy Weber. Ils resurgissent aux alentours de Rockwood, recréée Mme Dragonfly. Mais Joe manque à l'appel.


En ville, ils sont remarqués par Abraham Slam quand ils évoquent Spiral City. Il explique à Elliot et Rosie qu'ici se trouve le monde réel, dans lequel tout ce qui se passe à Spiral City n'est qu'une fiction.


Tammy les rejoint et promet que son ex-mari, Earl, shérif de Rockwood, va se mettre à la recherche de Joe. Abe conduit Elliot et Rosie à la ferme où ils élèvent Gail et Sherlock Frankenstein.


L'arrivée de ces deux étrangers intriguent les deux enfants, mais Abe les rassure. Jusqu'à ce qu'un craquement retentisse au loin. Abe y conduit Elliot et Rosie. Une surprise les y attend...

Le mois dernier, on quittait Black Hammer : Reborn en plein chaos multiversel... Et nous renouons avec l'histoire en revenant à Rockwood. Le contraste est total et renvoie à la fin de Black Hammer : Age of Doom, quand Mme Dragonfly recréait cette bourgade pour que ses amis puissent y refaire leur vie paisiblement, à l'instar du couple formé par Abraham Slam et Tammy, Gail et Sherlock Frankenstein (redevenus des enfants, ignorant tout de leurs vies héroïque ou maléfique, Barbalien et son amant).

Il faut donc être initié à l'oeuvre de Jeff Lemire pour comprendre où on se trouve. Black Hammer : Reborn ne s'adresse vraiment qu'aux connaisseurs de cet univers. Mais pour qui est familier avec ses héros et leurs aventures, la pirouette est savoureuse.

L'épisode démarre également par un renvoi au quatrième épisode de Reborn, quand nous avions assisté à l'assassinat par le colonel Weird du mari et des deux enfants de Lucy Weber devant les yeux de celle-ci. Pour un peu, on se croirait dans un "What if ...?". Et si les victimes de Weird n'étaient pas mortes ? 

Effectivement, elles ne le sont pas : Weird ne les a pas désintégrées mais envoyées dans une autre dimension, aux abords de Rockwood donc. Elliot atterrit aux abords d'un pré avec sa fille Rosie, mais Joe (son fils, son frère) n'est pas avec eux. Le père et la fille gagnent la bourgade voisine et entrent dans l'établissement tenu par Tammy. Ils font le point à voix haute sur leur situation et évoquent Spiral City, ce qui attire l'attention d'un client. Celui-ci les suit dans la rue : il s'agit d'Abraham Slam et il leur explique où ils sont vraiment.

Jeff Lemire joue à fond la carte du méta-texte en prétendant que Rockwood est le monde réel tandis que Spiral City est devenu le cadre de fictions. Elliot vacille en essayant d'assimiler tout ça et on peut facilement s'identifier à lui : imaginez si on vous racontez que l'endroit d'où vous venez n'existe que dans des comics... Et que vous venez de débarquer dans une dimension recréé par une sorcière !

La suite appuie sur ce running-gag peu commun où des personnages censés être morts et venant d'une ville fictive doivent faire profil bas, devant des enfants, et in fine devant le shérif de Rockwood. Abe se souvient de sa vie d'avant, à Spiral City, et détaille aux arrivants que cela soit rester un secret, comme si l'imaginaire devenait une source de chaos. C'est très habile comme métaphore : la normalité de vraie vie face au désordre du récit inventé, de la fantaisie. C'est aussi très troublant car Lemire suggère que ce qui est romanesque est destructeur, anarchique : prétendre que la fiction peut être réelle, c'est s'exposer à paraître fou aux yeux du monde, mais c'est aussi faire entrevoir au monde un autre possible, dangereux, car fantasmatique.

Tous ces motifs s'inscrivent parfaitement dans le discours de Lemire, un auteur qui s'amuse de la porosité entre réel et imaginaire (comme il l'a encore prouvé récemment avec The Unbelievables Unteens). Mais aussi de la fragilité de la cellule familiale. C'est brillamment illustré ici avec d'un côté les Weber surgissant dans un environnement invraisemblable et Abe qui veut préserver sa propre tranquillité mais aussi celle de Gail, Sherlock. Et on peut aussi ajouter à cela Lucy qu'on a quittée aux prises avec un Joseph Weber issu d'une autre dimension dans laquelle sa famille a péri et qui cherche à la recomposer avec des variants du multivers en pagaille. Vous avez le tournis ? C'est normal !

Pour dessiner cet épisode faussement calme, après la tempête des précédents numéros, Caitlin Yarsky est parfaite. Son style s'accorde à merveille à cette ambiance absurde à laquelle il ne faut surtout pas chercher en rajouter graphiquement. En effet, pour que cela fonctionne, il faut une mise en images la plus banale, détachée possible.

Parce que Yarsky n'est pas du genre à dessiner de manière spectaculaire (on peut même dire, sans méchanceté, que ce n'est pas à son avantage), il se dégage de chaque planche un mélange accrocheur d'anxiété, d'angoisse et d'humour. C'est anxiogène pour des raisons évidentes, c'est angoissant parce qu'on ignore comment les personnages vont se sortir de là (et par extension, comment, avec l'épisode qui leur reste pour boucler la série, Lemire et  sa dessinatrice vont pouvoir conclure toute cette intrigue), et c'est drôle parce que Yarsky valorise chaque moment décalé avec subtilité (ils sont foison comme les mentions répétées au surnom de super-vilain d'Elliot, The Lightning Rod, et commentées honteusement par Rosie ou Abe).

Par ailleurs, on saluera, comme toujours, l'excellent travail aux couleurs de Dave Stewart, qui applique des teintes volontairement ternes à tout l'épisode, pour bien insister sur la banalité du décor, de la vie d'Abe et Tammy. Et en même temps, ce faisant, met en avant la fausse simplicité du propos, le mensonge dans lequel aussi bien Elliot que Abe se complaisent au nom de leurs familles.

Black Hammer : Reborn n'a plus qu'un épisode avant de clore. C'est peu au regard de tout ce que Jeff Lemire a mis en branle, mais on peut faire confiance à ce diable de scénariste pour encore nous épater sans nous frustrer.

samedi 23 avril 2022

THE NICE HOUSE ON THE LAKE #8, de James Tynion IV et Alvaro Martinez


The Nice House on the Lake entre dans son dernier quart avec ce huitième épisode. Le récit de James Tynion IV évolue tranquillement, sur un rythme de sénateur, et on lit tout ça avec parfois un ennui poli, comme si la machine était grippée après le hiatus de la série. Néanmoins, grâce notamment au dessin extraordinaire d'Alvaro Martinez, on se laisse porter jusqu'à un cliffhanger qui nous réveille opportunément.


Sarah Radnitz se souvient qu'au début, lorsqu'elle a rencontré Walter, elle ne l'a pas aimé. Il semblait tester tous ceux dont il faisait la connaissance. Aujourd'hui, elle mesure à quel point c'était vrai...


Tandis que le groupe est encouragé à bâtir de nouvelles installations complémentaires à la maison, les objectifs de chacun différent. Walter est encouragé par Sarah à être moins dirigiste et plus à l'écoute.


Contrarié, Walter, à la nuit tombée, quand tout le monde dort, gagne la seconde maison où il retient Norah. Elle lui explique que ce qu'il a fait sera découvert et les autres ne lui pardonneront pas.


43 jours après son arrivée dans la maison, Ryan confie à Reg avoir remarqué que Walter l'évite désormais. Elle sort se promener et rejoint la seconde maison où elle fait une découverte choquante...

Et cette découverte, bien entendu, je vais m'abstenir de vous la révéler mais, soyez-en sûr, elle va avoir des conséquences sur la suite et fin de la série. James Tynion IV sait soigner ses sorties et rien que pour cela on sera indulgent avec ce qui a précédé dans cet épisode.

Car, avouons-le, on s'ennuie un peu. Cette impression diffuse depuis la reprise de la série, après son break éditorial, se confirme ici : la machine semble grippée, comme si le scénariste cherchait un deuxième souffle pour accrocher à nouveau le lecteur. C'est le piège, inévitable, d'une série qui mise beaucoup sur l'ambiance. Et où le lecteur en sait (un peu) plus que les protagonistes.

La narration choisie par Tynion est casse-gueule car quand on décide de donner au lecteur des éléments qu'ignorent les héros de l'histoire, le risque réside dans le fait qu'on a le sentiment que lesdits héros ne comprennent pas assez vite la situation. Ou que le scénariste gagne du temps.

Puisqu'on sait que The Nice House on the Lake comptera douze numéros, forcément on s'interroge sur la capacité de l'auteur à tenir sur la durée. Que prépare-t-il dans la dernière ligne droite ? Il est acquis, vu les premières pages de chaque épisode, se déroulant après le coeur du récit, que ça ne s'est pas bien terminé. On voit à chaque fois un membre du groupe des amis de Walter évoluer dans un cadre flou mais apocalyptique, vêtu de haillons, parfois armé, et monologuant sur sa rencontre avec Walter, l'impression première qu'il lui a fait, et le bilant de tout ce qui s'est passé ensuite.

Si à chaque fois l'épisode s'ouvre sur un personnage isolé, ça signifie que l'histoire a vu le groupe éclater et que le projet de Walter a échoué. Dans cet épisode, on suit Sarah Radnitz, qui, dans la vie d'avant, officiait en qualité de consultante - un terme assez vague mais qui l'identifie comme quelqu'un dont l'avis compte pour des décisionnaires. C'est aussi un poste qui engage l'individu qui l'exerce puisqu'il est payé pour sonder, avoir une opinion, qualifier qualités et défauts.

A cet égard, Sarah témoigne avec une acuité intéressante puisqu'elle explique n'avoir pas apprécié Walter de prime abord. Elle le trouvait condescendant, comme s'il jugeait, jaugeait, toisait les autres. Puis elle a baissé la garde, comme les autres. Au coeur de l'épisode, les deux personnages ont un échange instructif : Walter évoque son envie de satisfaire ses amis même dans la situation extraordinaire et tragique dans laquelle ils sont désormais, et pour cela il les encourage dans divers projets (constructions d'un hangar, d'un spa, d'un observatoire - même si ce dernier semble embarrasser Walter -, d'une ferme). Mais Sarah le reprend, en douceur, car, estime-t-elle, en voulant trop bien faire, l'attitude de Walter peut paraître plus dirigiste qu'encourageante. Or, un leader se doit de rester à l'écoute de chacun, quitte à laisser faire.

Plus tard, Walter rejoint Norah dans la seconde maison où il la retient et elle complète le discours de Sarah en pointant l'hypocrisie de son hôte. Forcément qu'un jour, et peut-être arrivera-t-il plus vite qu'il ne le pense, le groupe découvrira ce qu'il a fait. Toutes ses bonnes intentions ne péseront pas lourd face à l'incompréhension et à la colère que cela suscitera alors. Walter s'emporte, perdant, comme c'est l'usage, son apparence humaine, persuadé de ne manipuler les autres que pour leur bien. Mais c'est justement là son hypocrisie (son aveuglement même) : il ne fait rien pour le bien des autres, il fait tout pour son bien à lui, depuis le début de cette aventure où il a piégé ses amis en détruisant le monde et en les cloitrant dans cette villa paradisiaque.

Un troisième grain de sable va encore plus enrayer la machine de Walter et c'est Ryan qui l'incarne. Ella a remarqué, sans comprendre pourquoi, que Walter l'évitait désormais. En voyant cela, elle s'est rendu compte de manière blessante de sa position dans le groupe dont elle est la benjamine et la dernière recrue. Elle se confie à Reg qui ne trouve pas les mots pour la rassurer, aussi sort-elle prendre l'air. Ses pas la conduisent, inconsciemment, jusqu'à la seconde maison où, donc, elle va découvrir quelque chose de bouleversant.

Tout cela mériterait d'être plus dynamique, et même si l'épisode est ponctué de splash-pages avec les plans des futures installations, on a l'impression que Tynion avance avec le frein à main, comme s'il se retenait pour ne pas aller trop vite. C'est dommage, et peut-être (mais, pour le savoir, il faudra attendre le dernier épisode) en vérité sa série est-elle un peu trop longue ou manque-t-elle de matière pour douze épisodes. Mais bon, ça devrait quand même bouger davantage le mois prochain.

En revanche, si le déroulement de l'action pêche un peu par manque de tonus, la série reste incontournable par sa qualité graphique. Alvaro Martinez éblouit à chaque fois et ce numéro ne fait pas exception à la règle.

Il y a une forme d'expressionnisme fascinant dans le traitement du dessin, quelque chose de brut, mais aussi de finement ouvragé. L'image est souvent sombre, avec des à-plats noirs profonds, et les sources lumineuses dans chaque plan sont précieuses. Mais ça ne signifie pas que c'est pénible à lire car c'est toujours étonnamment clair. Tout ce qui ressort est comme dégagé à l'acide, ainsi qu'on procède en verrerie.

Par ailleurs, le soin apporté aux expressions des visages, aux attitudes, à tout le body language est épatant. On sent que Martinez a eu à coeur de donner à chacun des protagonistes une véritable identité à ce niveau-là, sans doute pour compenser le fait que ce casting fourni pouvait parfois égarer le lecteur qui a plus l'habitude d'identifier les héros sur des bases plus simples comme les visages ou les costumes. Moi-même, parfois, je ne sais plus trop qui est qui, et en fait, c'est le groupe tout entier qui devient une entité, avec un narrateur différent à chaque épisode, comme une balise pour se repérer.

Ajoutez à cela que la colorisation de Jordie Bellaire épouse cette exigence graphique, avec des jeux de teintes anti-naturalistes, qui brouillent les cartes encore davantage. Il est certain qu'une fois qu'on pourra (re)lire The Nice House on the Lake d'un trait, ce sera certainement plus facile (et pour ma part, j'attends la vf, en un seul volume, chez Urban Comics, même si ça risque de ne paraître qu'en 2023 à ce rythme - car la série va faire un nouveau break après le #9... Et on ne sait toujours pas quand sortira le #10 !).

Bref, pour résumer, un épisode un peu cahin-caha. Si le titre mérite qu'on persévère, il faut tout de même reconnaître que c'est un cran en dessous du premier acte.

vendredi 22 avril 2022

BATMAN - SUPERMAN : WORLD'S FINEST #2, de Mark Waid et Dan Mora

 

Tout pareil ! Le mois dernier débutait la nouvelle série écrite par Mark Waid et inaugurant son retour chez DC : Batman-Superman : Wolrd's Finest #1 était un pur régal. Ce deuxième numéro est aussi enthousiasmant, avec une nouvelle fois des dessins époustouflants de Dan Mora. Franchement, comment ne pas adorer cette série ?


Opéré avec succès par Niles Caulder, Superman écoute avec Batman le chef de la Doom Patrol et les membres de cette équipe leur parler d'une épée issue d'une ancienne dynastie chinoise.


Cette arme ayant appartenu à un seigneur a été ensuite dans les mains de son fils, le cruel, puissant et riche Nheza. Un groupe de guerriers le maîtrisa et l'enferma mais il semble s'être échappé.

S'en prenant, via des intermédiaires, à plusieurs super-héros, Supergirl et Robin partent à la recherche des guerriers ayant vaincu Nheza. Mais ils sont attendus par ce dernier.

Menacé par Felix Faust, Billy Batson (Shazam) reçoit l'aide de Superman et Batman. Mais le sorcier leur tend un piège...

C'est avec une intense jubilation que j'ai lu ce deuxième épisode de World's Finest, une série qui résume un état d'esprit trop rare dans les comics actuels, quelque chose de l'ordre de plaisir pur et du partage, une sorte de feel-good comic.

Il n'est pas étonnant que Mark Waid ait situé son histoire dans le passé (sans préciser exactement l'époque, mais en tenant malgré tout à préciser ce point) : c'est une manière simple et efficace de se démarquer de la production actuelle et de fuir une forme de dramaturgie contemporaine. Comme un retour aux sources, un âge de l'innocence.

Il se dégage en effet de World's Finest un parfum légèrement rétro, vintage comme on dit, mais sans que cela soit trop prononcé. Ce n'est pas un exercice de style passéiste ni nostalgique, mais plutôt une note d'intention de la part du scénariste pour avertir le lecteur qu'il se fiche d'être moderne et préfère être divertissant, intemporel.

Après le cliffhanger dramatique du précédent épisode, Waid ne perd pas de temps et expédie l'opération de Superman par le Chef de la Doom Patrol, une séquence spectaculaire qui met en valeur les méthodes hors du commun de cette équipe de freaks, en relation avec la nature extraordinaire de leur patient. La consigne est de ne pas perdre de temps, ni pour sauver le man of steel, ni pour faire avancer l'intrigue.

On apprend donc ensuite que la Doom Patrol a récemment récupéré une épée légendaire ayant appartenu à un cruel seigneur chinois revenu d'entre les morts et ayant acquis à la fois un pouvoir et une fortune immense avant d'être contenu par un groupe de guerriers. Mais ce Nezha s'est écahppé et s''attaque, avec la complicité de super-vilains, à des justiciers comme il l'a fait avec Superman.

Waid a une nouvelle fois recours à des invités, ce qui va sûrement devenir un gimmick de la série : cette fois c'est au tour de Supergirl d'apporter du renfort à Superman et Batman. Le scénariste, avec un art de la suggestion consommée, nous régale en montrant que la relation entre Supergirl et Robin est glaciale. Il ne nous l'explique pas autrement qu'en faisant allusion à une aventure partagée entre les deux personnages : c'est très drôle tout en invitant le lecteur à imaginer ce qui s'est vraiment passé. En tout cas, les voilà partis à la recherche des guerriers qui neutralisèrent ent incarcérèrent Nezha.

En passant, on voit aussi que Flash, Wonder Woman sont assaillis, et on nous dit que Green Lantern a également des problèmes. Mais un autre membre de la Jusrice League est dans une mauvaise passe : Billy Batson essuie les attaques de Felix Faust qui l'a réduit au silence, l'empêchant ainsi de se transformer en Shazam. Le piège tendu aux trois héros aboutit une fois encore à un cliffhanger plus que parfait (c'est-à-dire qui donne hâte de lire le prochain n°).

On ne s'ennuie donc pas une seconde et tout est bien dosé dans cet épisode, dense sans être indigeste, rythmé sans être précipité. Waid réussit à exprimer un nombre importan d'informations sans perdre le lecteur, et ménage temps calmes et mouvementés avec une maîtrise insolente. C'est l'oeuvre d'un auteur expérimenté qui sait raconter une histoire, simplement, mais avec brio. C'est aussi la différence entre les rockstars des comics actuels qu'on porte peut-être parfois trop vite aux nues et quelqu'un qui n'a plus rien à prouver et qui du coup ne prend pas la pose pour montrer à quel point il est fort.

C'est le même sentiment qu'on ressent en s'extasiant devant les planches de Dan Mora. Il est de ces artistes qui dessinent en donnant l'impression que tout est facile - mieux : que tout ça est follement amusant. Et ce plaisir pris par Mora est contagieux.

Alors que cette semaine on a assisté à un débat présidentiel et que des commentateurs ont reproché au candidat sortant d'être arrogant parce qu'il était simplement compétent (plus que sa concurrente), on pourrait alors pareillement dire que Mora est à la limite de la suffisance. Sauf que c'est tout bonnement un artiste doué, exceptionnellement inspiré et heureux de faire son job. Une sorte de privilège de surdoué, peut-être agaçant je vous l'accorde quand on dessine soi-même en ramant souvent, mais qu'on serait bien ingrat de pointer.

Il y a dans ce dessin une formidable énergie, galvanisante. C'est celle qu'on trouve chez les grands comme Immonen ou Samnee par exemple, des artistes qui ont travaillé pour atteindre le niveau qu'ils ont aujourd'hui et qui l'utilisent non pas pour briller mais pour améliorer l'histoire sur laquelle ils oeuvrent. Mora trouve toujours la bonne façon de raconter une scène par l'image, sa complicité avec Waid est totale, sa maîtrise des personnages, la composition de ses plans, l'expressivité, tout y est. Et la colorisation de Tamra Bonvillain est au diapason, avec un sens de la nuance très appréciable, et un respect absolu du trait.

Par ailleurs, j'ai été soulagé d'apprendre que Mora réalisera tout le premier arc (qui comptera 5 n°) - et j'espère qu'il ne s'arrêtera pas là !

Non, honnêtement, ne pas aimer Batman-Superman : World's Finest me semble aberrant. C'est un grand cru, chaque planche est un kif, l'histoire est jouissive. What else ?