mardi 31 décembre 2019

BONNE ANNEE !



Avec un peu d'avance,
je vous souhaite une bonne année 2020 !

On se retrouve ici-même en Janvier.
Merci pour votre soutien.


samedi 28 décembre 2019

DAREDEVIL, VOLUME 2 : NO DEVILS, ONLY GOD ; de Chip Zdarsky, Lalit Kumar Sharma et Jorge Fornes


Ce nouvel arc du Daredevil de Chip Zdarsky compte cinq épisodes comme le précédent. Cinq épisodes sans... Daredevil ! Le parti-pris est audacieux mais logique puisque Matt Murdock a choisi de cesser son activité de justicier. La série se concentre sur cette situation et ses répercussions pour les trois personnages principaux (Matt, le Caïd et Cole North), privilégiant donc la psychologie à l'action. En revanche, visuellement, le titre souffre énormément de l'absence de Marco Checchetto, remplacé par le médiocre Lalit Kumar Sharma puis Jorge Fornes.


Voici deux mois que Daredevil a disparu de la scène. La rumeur le dit mort, ce qui ne convainc ni Wilson Fisk ni le détective Cole North, à qui on confie la mission d'appréhender désormais Spider-Man. Mais le policier doit surtout affronter ses collègues qui le détestent, soit parce qu'il est opposé aux justiciers (qui suppléent les forces de l'ordre), soit parce qu'il refuse d'être corrompu. On lui tend un traquenard dans Central Park dont il échappe de justesse grâce à l'intervention des tueurs du Hibou, heureux que North l'ait débarrassé de Daredevil.


Du côté de Wilson Fisk, les choses bougent également. Le Caïd a décidé de renoncer à son statut de chef de la pègre pour assouvir de plus vastes ambitions politiques. Il partage ses affaires entre les différents lieutenants du milieu, dont le Hibou. Cole North dépose contre les collègues qui ont voulu l'intimider et ont survécu. Matt Murdock, en voulant offrir un cadeau d'anniversaire à Foggy Nelson, fait la connaissance de Mindy, une libraire.


Cette jeune femme l'invite à un dîner en compagnie de son époux et de sa belle-famille. A cette occasion, Matt découvre qu'elle fait partie des Libris, un clan criminel dirigé désormais par Izzy. Celle-ci est dans le viseur du Hibou qui aimerait mettre la main sur la pègre de Hell's Kitchen et, lors du repas, un tueur manque de l'abattre. Mais le Hibou joue de cet échec en habillant le tireur qu'il abat d'un masque de Daredevil, relançant l'enquête de Cole North et inquiétant Matt.


Wilson Fisk se rapproche du gouverneur Kettle pour devenir son associé dans un juteux trafic de marijuana. Avant de conclure leur alliance, l'ex-Caïd devra être admis par une organisation de notables véreux. Cole North est de nouveau menacé par ses collègues qui s'en prennent cette fois à Higgins, son partenaire, et lui impose de démissionner au risque de voir ses autres proches en danger de mort. Matt revoit Mindy, qui s'excuse de l'avoir mêlé aux affaires de sa belle-famille. Ils finissent la nuit ensemble.


Ayant abandonné son métier d'avocat pour devenir contrôleur judiciaire, Matt est amené à s'occuper de Joe Cassaro, le frère de Leo, le cambrioleur qu'il a tué, quand il est conduit au poste pour possession de drogue et d'une arme. Au même moment, dans le même commissariat, un flic apprend que Higgins, le partenaire de North, vient de succomber à une crise cardiaque à l'hôpital et, avec ses collègues, décide d'éliminer North. Matt entend ce qui se prépare et décide d'intervenir en se masquant. Il aide North contre ses collègues puis fuit. Trouvant refuge sur un toit voisin, Matt y est rejoint par Elektra qui lui offre son aide.

Expédions tout de suite le mauvais point de cet arc, sa partie visuelle, qui et catastrophique (à l'exception du dixième épisode). Est-ce pour cette raison que Marvel a publié ces chapitres à toute allure (bimensuellement) ? En tout cas, l'absence de Marco Checchetto (qu'on a laissé souffler en vue du troisième arc) se fait durement sentir.

Il est toujours compliqué pour un editor, qui a misé sur un artiste à la fois très doué mais incapable d'enchaîner dix épisodes, de lui trouver un remplaçant de niveau équivalent. La solution consiste alors soit à confier la tâche à un dessinateur moyen mais compétent, soit à donner sa chance à un inconnu qui voudra prouver sa valeur.

Je ne connais pas les précédents efforts de Lalit Kumar Sharma, mais ce que je sais, c'est que je n'espère pas le revoir sur Daredevil de sitôt (ni ailleurs). Il est assez incroyable qu'un type pareil ait sa chance avec le piètre niveau qu'il affiche, qui plus est à la suite d'un cador comme Checchetto. La comparaison est cruelle mais imparable. Rien ne fonctionne chez Sharma : c'est tout simplement d'une laideur pénible, bourré de fautes techniques. Le découpage est d'une maladresse confondante, l'expressivité des personnages, leur manière d'être dans le plan, la composition des plans elle-même, relèvent de l'amateurisme.

Par ailleurs, il est flanqué d'un encreur très limité en la personne de Jay Leistein (qui a encré à peu tout le monde sans éclat) et d'un coloriste tout aussi piteux (Javier Tartaglia - Sunny Gho a quitté le navire et ne reviendra pas). 

Lorsqu'au dixième épisode (le dernier de cet arc), Jorge Fornes joue les jokers, on est soulagé. Certes, il copie toujours autant David Mazzucchelli, sans avoir le génie de son modèle (notamment dans la composition de certains plans et l'usage de détails inutiles sur des gros plans), mais au moins, son trait est mieux dosé, les personnages mieux représentés (on notera d'ailleurs qu'il fait de Mindy Libris une jeune femme plus attirante) et des décors mieux traités. Fornes est soutenu par les couleurs impeccables de la géniale Jordie Bellaire, ce qui ne gâche rien.

On peut aussi se consoler avec les splendides couvertures de Julian Totino Tedesco.

C'est bien dommage d'avoir négligé la partie graphique car ce que Chip Zdarsky raconte ne manque pas d'intérêt. Il a le culot de se priver totalement de Daredevil pendant cinq épisodes, prouvant que la retraite du héros est réelle (et ça va continuer). Pour compenser en quelque sorte, il va concentrer notre attention sur Matt Murdock, Cole North et Wilson Fisk afin d'examiner, de manière intense et acérée, les conséquences de la disparition de DD.

Chacun des trois hommes se voit donc attribuer une ligne narrative distincte - même si les routes de Murdock et North finiront par se croiser in fine et de fort belle façon. Wilson Fisk choisit de se ranger en confiant son empire criminel à d'autres malfrats : Zdarsky impose à l'ogre de la série une reconversion osée mais pas complète car les nouveaux objectifs du Caïd ne sont pas d'une grande honnêteté. Le scénariste aborde un volet politique, un peu naïf, où dirigeants et notables sont aussi pourris que la pègre, mais c'est assez intrigant pour qu'on ait envie de savoir à quoi cela va aboutir.

En attendant ce développement, on devine que ce qui motive Zdarsky, ce sont bien entendu Matt Murdock et Cole North, et l'envie de les réunir. C'est évident que le scénariste veut faire quelque chose avec ces deux-là, qui incarnent les deux faces d'une même médaille, la justice et l'ordre, le masque et l'insigne. Ils évoluent dans une zone grise, obsédés par leur mission, hantés par leur passé, et surtout gravitant dans la même sphère.

North est haï par ses pairs : on lui reproche sa détestation des justiciers masqués tout autant que son refus d'être acheté. Forcément, cette attitude lui attire rapidement des ennuis, qui forment une sorte de fil rouge tout au long de ces cinq épisodes : il commence cet arc en se faisant tabasser dans Central Park et le termine dans une bagarre épique à l'intérieur même d'une salle du commissariat où on veut le tuer. Entretemps, il est à deux doigts d'abdiquer en démissionnant lorsque son partenaire est pris pour cible : comme Daredevil, il expérimente le fait que lorsqu'on ne peut être brisé directement, on l'est indirectement, via ses proches menacés.

Murdock, lui, est engagé sur une pente glissante, à la fois retorse et bizarrement un peu artificiel. Zdarsky imagine une romance contrariée entre lui et une jeune libraire mariée... Au fils d'une patronne de la pègre de Hell's Kitchen. La situation ne manque pas de piquant, bien qu'elle relève d'un concours de circonstances invraisemblable (Matt aurait au moins pu se renseigner sur Mindy).

Cela renvoie à un élément du run de Mark Waid complètement sacrifié par Charles Soule et maintenant Zdarsky : où est passée Kristen McDuffie, la dernière girlfriend de Matt ? Celle-ci était un personnage formidable, avec un tempérament irrésistible, et une dynamique de couple avec Murdock sensationnelle. Pourtant tout le monde semble l'avoir oublié. C'est pratique pour pousser Matt dans les bras d'une nouvelle conquête à problèmes, mais dommage pour cette relation si accrocheuse.

Malgré tout, Zdarsky fait preuve de ressources car, pris entre deux feux (celui des Libris et celui du Hibou), Murdock doit composer avec une péripétie inattendue et prometteuse puisque le Hibou a l'idée, diabolique, d'affubler un de ses tueurs du masque de Daredevil alors même que, dans le quartier, des anonymes entreprennent, eux aussi masqués comme l'homme sans peur, de le remplacer. Ce subplot à base de copycats est alléchante.

Surtout le scénariste conclut son arc en beauté avec la réunion de Daredevil et North. Les adversaires s'entraident lors d'un combat mémorable, qui relance leur relation tendue et annonce une suite savoureuse. Surtout que Elektra resurgit. 

Zdarsky va heureusement retrouver Checchetto pour ces prochains chapitres. Jusqu'à quand la série Daredevil continuera-t-elle, avec son auteur actuel, à exister sans son héros ? Quelle peut-être l'alternative ? La force de ce run est aussi sa limite, mais son imprévisibilité est séduisante.    

jeudi 26 décembre 2019

DAREDEVIL, VOLUME 1 : KNOW FEAR, de Chip Zdardky et Marco Checchetto


Quand la relance de Daredevil par Chip Zdarsky (scénario) et Marco Checchetto a conclu son premier arc au début de cette année, sa lecture m'avait irrité car je n'étais pas satisfait de la direction adoptée (alors que le début de ce premier arc était encourageante). J'avais arrêté les frais aussi sec, puis tenté de m'y remettre au #11, sans être convaincu. Mais je n'ai pas cessé de lire la série et j'ai constaté son évolution accrocheuse. Une raison pour tout reprendre et proposer des critiques par arcs. De quoi apprécier la perspective du projet.


Après avoir survécu à un accident et plusieurs semaines dans le coma, Matt Murdock est de retour dans son quartier de Hell's Kitchen. Il est hanté par son rapport à la religion et se souvient de ses échanges avec le père Simmons, avant et après avoir perdu la vue, après le meurtre de son père, estimant que Dieu le punissait plus qu'il ne l'éprouvait. Dans un contexte hostile (le maire, Wilson Fisk, poursuit sa chasse aux justiciers masqués), Daredevil interrompt un cambriolage mais, à court de forme, se fait corriger par les voleurs. Il doit fuir, mais ignore qu'il a tué un des malfrats...


Daredevil jure à Foggy Nelson qu'il n'a assassiné personne mais refuse d'abandonner sa double vie. Le détective Cole North, muté de Chicago, est chargé de l'affaire et reçoit carte blanche de Fisk pour appréhender Daredevil. Celui-ci épie leur dialogue et comprend que le Caïd ne l'a pas piégé. Désorienté, il se passe les nerfs sur quelques voyous mais observe que ceux-ci, leurs victimes et les autres héros se méfient désormais de lui. Daredevil revient sur les lieux du drame mais North le surprend...


Blessé par balles, Daredevil tente de fuir mais la police boucle le quartier. Coincé, il est défié en combat singulier par Cole North, sous le regard de Fisk. Dominé, il est arrêté mais un agent empêche North de le démasquer publiquement. Alors qu'il va être conduit au poste, des coups de feu sont tirés depuis un toit et des fumigènes obscurcissent la rue. Daredevil est évacué par un mystérieux allié...


Malheureusement, Daredevil doit la vie sauve au Punisher, convaincu qu'il s'est enfin résolu à adopter les mêmes méthodes expéditives que lui contre la pègre. Il détient un homme de main du Hibou et teste Daredevil pour lui laisser ou non la vie sauve. Quand il accepte de le laisser filer, le Punisher l'abat alors que le malfrat tente de le tuer avec une arme qui traînait. Daredevil se révolte et neutralise le Punisher puis détruit sa planque. Il le dépose devant un commissariat.


Parce que le Punisher avait évoqué un important deal de drogue du Hibou dans un entrepôt, Daredevil s'emploie à l'empêcher. Mais les sbires de son ennemi ripostent en bloc. Il ne doit la vie sauve qu'à l'intervention de ses amis, les Defenders. Il revient à lui chez Iron Fist et craque nerveusement, pensant qu'ils vont le livrer à la police et qu'il le mérite. Mais Luke Cage et Jessica Jones démentent. Daredevil s'éclipse, accablé par leur indulgence. De retour chez lui, il est attendu par Spider-Man qui le convainc de cesser ses activités de justicier avant que d'autres l'y obligent.

Il est fréquent qu'on fasse le reproche à des scénaristes de comics modernes d'écrire en fonction de la parution de leurs histoires en albums. Cette construction narrative en arcs de cinq-six épisodes en moyenne correspond en effet au format des recueils et sert de maître-étalon aux auteurs (même s'il arrive que des intrigues soient résolues en moins de chapitres ou se prolongent au-delà).

Lorsque la relance de Daredevil sous l'égide de Chip Zdarsky a débuté sa parution au début de cette année, il s'agissait d'une suite directe au run de Charles Soule, au terme duquel l'homme sans peur finissait dans le coma à l'hôpital, alors qu'il était dans les cordes à cause du Caïd devenu le nouveau maire de New York. Il est fait clairement référence à cette période dès la scène d'ouverture du premier épisode de ce nouveau volume quand Matt Murdock évoque son séjour à l'hôpital et prend des cachets.

Plus loi, on le voit, en tenue de Daredevil, exécuter des acrobaties sur les toits de la ville et manquer de peu une corniche. C'est un héros fatigué, à court de forme, en perte de repères, convalescent, et tout cet arc va le confirmer puisqu'il se fait rosser par des voyous minables, blessé par balle, sauver par les Defenders, s'effondrer psychiquement.

Zdarsky aime visiblement écrire Daredevil dans une ambiance noire - un signe supplémentaire que le run de Mark Waid a été une parenthèse dans la série. Il s'inscrit aussi dans un courant actuel où les scénaristes apprécient visiblement de malmener leurs héros sans forcément qu'ils surmontent cette mauvaise passe (Jason Aaron a mutilé Thor, puis a donné son marteau à Jane Foster ; Al Ewing développe Hulk comme une série horrifique épousant le côté monstrueux du géant vert, Ta-Nehisi Coates a replongé Captain America dans les affres de la saga Secret Empire, Dan Slott a versé dans le cauchemar transhumaniste avec Iron Man, etc.). Au cinquième épisode, Matt Murdock s'incline devant les arguments de Spider-Man et lui remet symboliquement son masque pour signifier qu'il cesse d'être Daredevil.

Ce qui m'avait le plus déplu à la première lecture relève non pas du détail mais finalement d'un élément qui sera vraiment embarrassant plus tard. En effet, les Defenders - Iron Fist, Jessica Jones, Luke Cage - excusent de manière incompréhensible Daredevil quand il craque parce qu'il est certain d'avoir tué le cambrioleur Leo Cassaro. Pour eux, il s'agit d'un dommage collatéral, d'un incident, qui peut arriver à n'importe quel justicier, c'est un risque du métier - qui, tant qu'il ne devient pas une habitude, peut être admis.

Sur ce point il me semble encore que Zdarsky commet une erreur totale car Iron Fist ne pourrait jamais dire cela (étant donné les principes qu'on lui a inculqués à K'un L'un), encore moins Luke Cage (qui a fait de la prison pour un crime dont il était innocent) ni Jessica Jones (qui a appris la difficulté de cohabiter avec ses démons). L'attitude de Spider-Man, après cette scène absurde, et ses mots sont bien plus justes - et DD/Murdock le reconnait implicitement en mesurant l'opportunité qu'il lui donne (le retrait volontaire ou l'arrestation future par ses pairs). De plus, Spider-Man ayant lui aussi été accusé de meurtre (à tort et à raison) s'exprime avec la légitimité de l'homme d'expérience et la sagesse d'un vieil ami.

Bien entendu, on peut estimer immoral que personne ne livre Daredevil à la justice, sachant ce qu'il a fait, et parce qu'il l'avoue lui-même. Mais, en même temps, le lecteur n'a pas la conviction absolue  que DD ait tué Leo Cassaro. Il semble bien qu'on l'ait piégé, même si le Caïd n'y est pour rien. C'est, disons, un homicide involontaire, un coup ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Cela n'exonère pas Daredevil d'un procès et donc d'être confié à la police. Mais cela n'en fait pas un tueur dans la nature comme le Punisher. Cette zone de gris confère une belle ambiguïté au propos de Zdarsky qui interroge la notion de justice et la fonction de justicier. En envoyant DD en prison, Zdarsky aurait répété le premier arc de Ed Brubaker en son temps. En le laissant libre mais en sacrifiant sa double vie, il laisse la porte ouverte à des développements intrigants et accrocheurs. 

C'est à la lumière de cela que j'ai réévalué cette histoire et voulu lui donner une nouvelle chance. Et puis aussi pour Marco Checchetto car je suis un grand fan de l'italien. Il avait laissé son ami Franceso Mobili (qui l'assiste sur le troisième arc, en cours actuellement de parution) le soin de terminer Old Man Hawkeye pour disposer de temps sur la reprise de Daredevil, un de ses personnages favoris.

Car ce n'est pas la première fois que Checchetto l'anime : il suppléa Roberto de la Torre lors du bref run écrit par Andy Diggle, puis signa l'intégralité d'un crossover co-écrit par Mark Waid et Greg Rucka mettant en scène DD, Spider-Man et le Punisher. Cette fois, il a l'occasion de s'attarder sur le personnage et son univers.

Ses planches sont formidables, on apprécie qu'il ait pu s'y consacrer minutieusement comme en témoignent la richesse des détails des décors aussi bien intérieurs qu'extérieurs. Plusieurs fois, on remarque l'abondance des plans pour situer l'action, qu'il s'agisse du bar mal famé dans lequel Matt séduit une jeune femme, du bureau de Wilson Fisk à la mairie, de la planque du Punisher, ou alors du réalisme épatant des rues de Hell's Kitchen, des toits de New York, du quartier des entrepôts investi par le Hibou et son gang.

Grâce aussi aux couleurs de Sunny Gho (partenaire fréquent de Leinil Yu), on est immergé dans une atmosphère oppressante, majoritairement nocturne, parfaitement rendu. Certes, cela renvoie encore à la période Frank Miller-Klaus Janson, qui a profondément et durablement marqué la série, mais c'est si bien fait qu'on aurait mauvaise grâce de s'en plaindre.

Checchetto excelle aussi dans la représentation des personnages. Son Caïd en impose par son gabarit impressionnant et son élégance, il est le maître de New York et le lecteur le déteste pour cette domination désormais officielle qu'il exerce, le plaisir sadique manifeste qu'il a à assister à la chute de son ennemi. Cole North, un personnage inédit, est incarné puissamment et n'a aucun mal à être crédible comme flic acharné, à la fois répugné par Wilson Fisk et Daredevil, auquel il tient tête physiquement sans que jamais cela ne soit ridicule. Les apparitions des Defenders ou de Spider-Man sont admirablement illustrées.

Quant à Daredevil lui-même, Checchetto se permet quelques retouches subtiles : à la place de ses gants, il lui dessine des bandages rouges (un clin d'oeil au boxeur), son pantalon ne le moule plus et ses bottes sont lacées. Les coutures du costumes et du masque sont apparentes. Surtout, Matt Murdock a les cheveux plus fournis, ébouriffés, et porte une barbe de trois jours, qui renseignent sur sa condition mentale et physique. Il se néglige, arbore une mine fatiguée, ce qui colle avec l'aspect d'un homme fraîchement sorti de l'hôpital, sous traitement médical, mais qui ne se ménage pas (à ses risques et périls). Tout cela forme un tout cohérent et très poignant. On sent d'entrée que le héros ne va pas bien, que ça ne va pas s'arranger, et sa chute avérée vient confirmer ce que son look suggérait.

Il apparaît en fait que Chip Zdarsky et Marco Checchetto présentent dans leur reprise de la série un point commun évident avec ce qu'avait fait Charles Soule et Ron Garney : un (re)démarrage déroutant et intense, avec une vraie force visuelle, et un appel tacite à la patience du lecteur. Les récents développements de ce run soulignent tout cela en entraînant Daredevil hors des sentiers battus, avec quelques notes étranges au niveau de la caractérisation, mais une volonté réelle de ne pas laisser le héros et ses fans au repos.  

mardi 24 décembre 2019

JOYEUX NOËL !

Pour fêter ça, une pépite
signée David Lopez :









Joyeux Noël à tous !

samedi 21 décembre 2019

SKULLDIGGER + SKELETON BOY #1, de Jeff Lemire et Tonci Zonjic


Avec le premier épisode de la nouvelle série dérivée du Black Hammer-verse, j'ai gardé le meilleur pour la fin des critiques des nouveautés de cette semaine car la nouvelle production de Jeff Lemire est sans conteste un instant-classic. Cette fois, le prolifique scénariste rend un hommage avoué aux comics de Frank Miller dans les années 80. Et il s'est adjoint les services du surdoué (mais trop discret) Tonci Zonjic pour la peine. Le résultat est extraordinaire.


Spiral City. Un jeune garçon assiste au meurtre de ses parents par un malfrat récidiviste, William Bowers. Il ne veut pas laisser de témoin et s'apprête à exécuter l'orphelin qui est pétrifié. Mais un bruit détourne l'attention de l'assassin.


Skulldigger, un vigilante, intervient et fracasse le crâne de Bowers, après avoir demandé, en vain, au garçon de ne pas regarder. Le justicier ne s'attarde pas, la police va arriver et s'occuper de l'orphelin, mais il s'excuse quand même de ne pas avoir pu agir à temps pour éviter le drame.


Au commissariat, l'enquête est confiée à la detective Reyes, qui a l'interdiction par son supérieur de chercher à relier l'affaire à Skulldigger. Elle doit boucler le dossier, point barre. Pourtant elle montre une photo du justicier au garçon, mais il garde le silence.


Cependant, à l'asile de Spiral City, le super-criminel GrimJim croupit dans une cellule et se moque de son gardien, également surhumain. Lorsqu'il remarque la "une" du journal, annonçant que Tex Reed alias Crimson Fist, se présente à la mairie, il organise son évasion.


Une nouvelle nuit tombe sur la ville. Reyes retrouve sa compagne. Skulldigger esst obsédé par l'orphelin qui a été remis à l'hôpital psychiatrique. Le justicier va l'y chercher et le garçon accepte de le suivre tout en sachant que c'est un aller sans retour.

Les familiers des séries écrites par Jeff Lemire pour Dark Horse ont peut-être le souvenir d'avoir entendu parler de Skulldigger dans Sherlock Frankenstein, un des spin-off de Black Hammer. Il fallait être attentif pour le retenir, mais si cela vous a échappé, pas de souci, cette série est accessible sans cela.

De même qu'auparavant, dans cet univers, le scénariste creuse ce qu'on pourrait qualifier de filon puisqu'il réinterprète à sa façon des comics et leurs personnages fondateurs. Cette fois-ci, il rend un hommage déclaré à Frank Miller qui l'a, dans les années 80, comme beaucoup de lecteurs (dont moi), marqué au fer rouge. C'était l'époque où Miller aligna des classiques comme Daredevil : Born Again, Batman : Year One, The Dark Knight returns, bien avant que son aura ne se dissipe et ne s'abîme dans des polémiques désastreuses et des productions bien moins mémorables.

Skulldigger & Skeleton Boy est donc une relecture de Batman et Robin mais ici l'homme chauve-souris serait plutôt un avatar du Punisher et son sidekick annonce à la fin de l'épisode que son mentor sera l'homme qu'il finira par tuer.

Narré par la voix off du garçon (qui n'a pas de nom, tout comme Skulldigger dont on ignore la véritable identité - on découvre juste, subrepticement, qu'il travaille dans le civil comme boucher), le récit emprunte le même procédé que celui de Miller dans ses classiques suscités. Mais Lemire n'est pas un bavard impénitent et l'usage qu'il fait de cet instrument est mesuré, éclairant sur l'état d'esprit de l'orphelin sans jamais céder au sentimentalisme.

La caractérisation est admirable, précise, concise. Lemire n'a pas besoin de souligner ses effets pour présenter une flic désobéissante et homosexuelle, qui souhaite coincer Skulldigger, ni un candidat à la mairie qui est un ancien justicier masqué - ce qui conduit à introduire le méchant de l'histoire, GrimJim, au faciès ravagé comme l'esprit. Et quand on va de Skulldigger au garçon (qui n'est pas encore le Skeleton Boy du titre), l'effet miroir fonctionne pleinement sans qu'on ait besoin de nous coller le nez sur cette évidence (il est suggéré que le vigilant est lui-même l'ancien partenaire d'un super-héros, peut-être également victime d'un drame familial ou de mauvais traitements). De même que le parallèle entre GrimJim et l'orphelin ne manque pas de piquant (l'un est enfermé dans un asile semblable à celui d'Arkham et l'autre est confié à l'hôpital psychiatrique car il ne prononce plus un mot depuis l'assassinat de ses parents).

Initialement, Lemire avait prévu de dessiner cette série - un signe qu'il y est spécialement attaché - mais son emploi du temps ne le lui a pas permis. Cela m'arrange car si je suis fan de son écriture, je le suis beaucoup moins de son graphisme. Et c'est ainsi que, sur la proposition de son editor, il a confié cette tâche à Tonci Zonjic.

Depuis sa révélation grâce à Who is Jake Ellis ? (écrit par Nathan Edmondson), Zonjic s'est fait discret alors que la voie semblait toute tracée pour lui vers la gloire. Au lieu de ça, il a servi de suppléant sur des titres côtés (comme Immotal Iron Fist), ou s'est perdu dans des projets sans avenir (Heralds, toujours chez Marvel). Puis il a intégré le "Mignola-verse" en dessinant la série Lobster Johnson, dérivée de Hellboy et du BPRD, dont les ambiances rétro et délirantes lui ont permis de mûrir tranquillement.

N'empêche, ce disciple surdoué de Alex Toth méritait mieux que de jouer les utilités. Et Lemire lui offre l'occasion de briller pleinement avec Skulldigger & Skeleton Boy. Zonjic semble l'avoir compris qui s'est emparé du projet en assurant le character's design, au-delà des espérances du scénariste. Il suffit de voir les deux protagonistes en couverture pour avoir la certitude qu'on ne les oubliera plus.

Le reste est à l'avenant : Zonjic produit des planches magnifiques, de son trait épuré mais impeccablement expressif. C'est un sommet de "less is more", avec une science remarquable des effets d'ombre et lumière, un découpage d'une fluidité et d'une intelligence rares (voyez comme il aligne les cases verticales sur la fin pour montrer Reyes, Skulldigger, GrimJim et le garçon, chacun dans leur intimité).

C'est très beau, c'est efficace, c'est un vrai régal. Quand on lit cela, on lit ce que les comics offrent de mieux, cette narration limpide et efficace, au service des mythes d'une culture qui assume sa marginalité, ses auto-citations mais filtrées par un auteur inspiré et un artiste au top.

Alors oui, si je ne devais que vous encourager à démarrer une série ce mois-ci, ce serait ce Skulldigger & Skeleton Boy qui m'a fait une impression très forte, ce sentiment d'avoir affaire à un classique instantané, une pépite. C'est le cadeau de cette fin 2019.     
La variant cover de Mike Deodato Jr.

FOLKLORDS #2, de Matt Kindt et Matt Smith


Le premier épisode de Folklords a été un de mes coups de coeur du mois dernier et j'étais curieux de savoir si cette bonne impression se confirmerait avec ce nouveau numéro. Matt Kindt ne déçoit pas tout en livrant un récit de facture classique, une histoire initiatique dont la simplicité dissimule un mystère très intriguant. De son côté, Matt Smith opère de manière semblable, avec un dessin qui réussit à captiver sans verser dans le spectaculaire.


Ansel et Archer ont pris la route après avoir fui malgré l'interdiction des Bibliothécaires. Archer raconte ses origines : unique elfe du village, il n'a jamais connu ses vrais parents, recueilli par un couple très pauvre au destin cruel.


Les deux garçons doivent choisir entre poursuivre leur quête via une route toute tracée ou à travers une forêt enchantée. Ils empruntent cette seconde voie à l'initiative d'Ansel, qui ne se doute pas comme Archer que quelqu'un les surveille.


Ils ne mettent pas longtemps à croiser un obstacle en la personne d'une femme aussi forte que très laide, à l'air menaçant. Archer la blesse avec son lance-pierre puis prend la fuite. Elle attrape Ansel qu'elle embrasse avant de le relâcher, la mine dépitée.


Les deux garçons approchent ensuite d'une rivière où une jeune fille, Greta, pleure la disparition de son frère dans les bois. Devant un feu, à la nuit tombée, elle raconte qu'il aurait été enlevé par un tueur qui drogue les enfants puis les enterre de sorte que la forêt est peuplée d'arbres maudits.


Ansel fait un cauchemar et se réveille en sursaut au petit matin. Mais Archer et Greta ont disparu. Il part à leur recherche et aboutit à une maisonnette devant laquelle il perd connaissance. Lorsqu'il revient à lui, il est prisonnier et ligoté à la merci de ce qu'il croit être le tueur de la forêt...

Tout dans Folklords repose sur un subtil art du décalage, rien n'y est ce qu'il paraît être. Soit on accepte ce parti-pris et on se régale. Soit on y n'adhère pas et on s'ennuie. Mais pour qui suit les pas de Ansel et Archer, l'aventure vaut, à mon avis, le coup car Matt Kind intrigue efficacement.

Tout commence par la tenue de Ansel, vêtu comme un collégien d'un établissement privé normal, avec son pantalon, sa veste et sa cravate noirs et sa chemise blanche, alors que l'histoire se situe dans un monde de fantasy. Cela suffit à troubler constamment le lecteur qui voit cela comme un indice sur la nature réel du conte. Il est évident que Ansel ne vient pas d'ici, et le secret de ses origines est la clé de tout. Mais cela, évidemment, Kindt se garde bien de l'éventer.

Ensuite, au début de ce nouvel épisode, on apprend le passé de Archer et d'une manière semblable, on a droit à un écart entre ce que l'elfe dévoile et ce que les images de Matt Smith révèlent. D'un côté, il y a une sorte de fable triste mais commune sur un enfant perdu, recueilli ; de l'autre, une malédiction sinistre (même si la responsabilité de l'elfe reste sujette à caution). 

Ainsi, chaque étape du scénario joue avec le vrai et le faux, la réalité et les apparences, et c'est au lecteur d'apprécier, parfois sans que l'auteur tranche. Lorsque Ansel est embrassé de force par la femme des bois, sa réaction est d'abord dégoûtée (sans doute parce qu'il n'a jamais été embrassé de cette manière et qui plus est par une femme aussi laide) puis très vite il soupçonne qu'elle est peut-être une princesse qui désirait ce baiser pour récupérer une apparence plus flatteuse, mais ça n'a pas fonctionné - et cela justifie le dépit manifeste qu'elle exprime en libérant le garçon sans violence.

Juste après, Archer et son partenaire découvrent la jeune Greta et l'elfe craint un piège (comme nous). Pourtant, Kindt ne nous donne pas ce qu'on attendait et livre une nouvelle histoire dans son histoire, avec un tueur dans la forêt, un enlèvement, des bonbons drogués... Le duo se fait trio, et la quête initiale dévie pour se donner l'objectif de retrouver le frère de Greta. D'où vient alors ce malaise que la jeune fille a mené en bateau les deux amis ?

Cela se confirme quand au matin, Archer et Greta se sont volatilisés et que Ansel remonte rapidement leur piste avant de tomber dans un piège redoutable. Entretemps, il a fait un rêve très étrange, parcellaire, morcelé, qui suggère encore une fois qu'il ne vient pas de ce monde : il a repêché en songe un smartphone, a entendu des voix évoquant une autre réalité, remettant en question la logique même des contes...

Parce que tout cela est raconté de manière très fluide, on se laisse facilement hameçonner. Les éléments perturbants disséminés ici et là contribuent à nous accrocher. On veut savoir en même temps que le récit, ses péripéties nous emmènent ailleurs. C'est une route à deux voies, apparemment parallèles mais vouées à se rejoindre. Et l'attachement qu'on a pour Ansel, la curiosité que suscite Archer, la méfiance qu'engendre Greta, tout cela alpague.

Le dessin de Matt Smith est excellent. Il sait parfaitement représenter des enfants sans niaiserie, en les rendant expressifs malgré un trait économe. Le décor principal de la forêt est inquiétant sans sombrer dans dans quelque chose de trop convenu. La colorisation de Chris O'Halloran contribue à cela car il privilégie des tons agréable, rassurants, nuancés. Notre vigilance est en quelque sorte endormi de la même façon que le tueur des bois piège ses victimes avec des bonbons. Cette correspondance entre l'image et les motifs narratifs est très habile.

L'aventure ne fait que commencer mais elle est bigrement addictive et dépaysante. Bien qu'elle s'en distingue, cette série rappelle le plaisir qu'on avait à lire les Fables de Bill Willingham autrefois. 

vendredi 20 décembre 2019

X-FORCE #4, de Benjamin Percy et Joshua Cassara


A l'exception de X-Men qui fait une pause jusqu'en Janvier (à cause de retards pris par ses dessinateurs, semble-t-il), les autres séries mutantes enchaînent à toute allure et donc X-Force rempile une semaine après son #3. Ce qui tombe bien puisque Benjamin Percy et Joshua Cassara sont en pleine bourre.


Un commando marin attaque une plateforme de Xavier Pharmaxeuticals, où sont conditionnés des remèdes produits par Krakoa. Les doubles de Madrox, l'homme multiple, qui gardent l'endroit sont tués et des pétales sont volées. C'est ce que découvrent le Fauve, Sage et Marvel Girl.


Cette agression provoque une session extraordinaire du Conseil de Krakoa au cours de laquelle Xavier veut déterminer le champ d'action de la nouvelle X-Force. Certains, comme Sebastian Shaw ou Mr. Sinister, prônent une riposte létale. Diablo préfère encadrer ce genre de décisions.


Instruits sur le fait qu'ils ont affaire à des malfrats agissant pour la même organisation anti-mutante, Xeno, qui avait ordonné l'attentat sur l'île, la branche armée de X-Force va s'approvisionner en armes chez Forge. Il a conçu un nouvel arsenal hybride avec la végétation de Krakoa et sa technologie. 


Les tacticiens de l'équipe, eux, remarquent une nouvelle attaque contre un laboratoire tenu par des humains pro-mutants. L'alerte est transmise à Wolverine, Kid Omega et Domino qui se dirigent vers le portail reliant Krakoa à ce labo.


Mais le commando armé les attend et piège le portail à l'autre bout. Des explosifs se déclenchent et cassent le transfert du trio de mutants. Conséquence immédiate et dramatique : Wolverine et Kid Omega sont tués et Domino atterrit autre part.

Si Excalibur m'a terriblement déçu et Marauders me laisse songeur, X-Force s'impose comme la série à suivre en priorité (avec bien entendu X-Men - pour New Mutants, on attendra un peu pour se faire un avis définitif car le titre est actuellement en stand-by, coupé par des épisodes écrits par Ed Brisson, sans lien avec l'aventure spatiale des Nouveaux Mutants). 

Benjamin Percy est visiblement venu chez Marvel pour ça : il rêvait de cette série, il avait un plan pour elle, ses personnages, qui s'inscrivait dans celui de Jonathan Hickman, et ça roule tout seul. L'efficacité redoutable du projet rend sa lecture jubilatoire, même si le contenu est terriblement noir.

La grande force de tout cela, c'est le rythme, intense, haletant. Les scènes s'enchaînent à une allure folle, et même quand ça discute, une tension remarquable plane sur les échanges. X-Force appuie où ça fait mal, où ça gratte en traitant de la défense de la Nation X, des moyens qu'elle se donne pour se protéger, des limites qu'elle se fixe face à un ennemi puissant, structuré, finalement très semblable à elle.

Percy ne montre guère Xeno, cette organisation anti-mutante, qui paraît cependant vouloir utiliser les moyens de ceux qu'elle veut éliminer. Mais l'ombre de ce groupe plane en permanence sur le récit. A nouveau une petite bande armée fait de gros dégâts et met la pression sur le Conseil de Krakoa. Et quand le Pr. X évoque la création d'une nouvelle X-Force, un débat s'engage sur les prérogatives à donner à celle-ci.

On voit bien alors que le Conseil en question est sujet à des forces contraires, des rapports viciés. Apocalypse juge l'ennemi indigne (comme tous les humains d'ailleurs) et le méprise, tandis que Sebastian Shaw, Mr. Sinister et Exodus sont prêts à le passer par les armes, en appliquant la loi du talion (même si cela contrevient à un des principes de la communauté qui est de ne plus tuer d'humains). La voix de Diablo retentit, rappelant à l'éthique.

De l'autre côté, la structure de la X-Force est désormais clairement établie, avec d'un côté sa tête (le trio Marvel Girl-Sage-le Fauve) et de l'autre ses poings (le trio Wolverine-Kid Omega-Domino). Il y a un côté Les Experts dans le premier groupe, qui se rend sur les lieux de l'agression, collecte des indices, et Percy exploite habilement les pouvoirs de chacun pour cela. Tandis que le bras armé de l'équipe fonctionne avec des références explicites et savoureuses à James Bond, avec Forge dans le rôle de Q.

Joshua Cassara retrouve avec bonheur le coloriste Dean White pour cet épisode et tous deux donnent une vraie matière, une texture incomparable à la série. Remarquez le détail de la fourrure du Fauve, ou l'aspect marécageux du labo de Forge, ou encore l'ambiance sinistre lors de l'assaut contre la plateforme.

Tout est là pour traduire visuellement ce look "sale" voulu par Percy. Cassara est vraiment le dessinateur idéal pour ça et je redoute déjà les épisodes où il sera absent pour le laisser souffler. Mais en attendant, il est dans son élément : j'aime particulièrement sa manière d'animer Wolverine, comme une véritable machine à tuer, qui ne prend pas de gants, mais qui n'est pas non plus seulement un type ombrageux et brutal avec des griffes (voir sa réaction quand il découvre le bain d'admantium dont dispose Forge).

Surtout, Cassara imprime au script un découpage imparable : pas de fioritures, mais une approche directe, frontale. Chaque image raconte quelque chose, un plan = une idée. Il n'est pas là pour épater la galerie mais pour raconter au plus près. On a cette impression de lire quelque chose en live, embedded. D'ailleurs l'épisode est coupé en deux (à la manière du feuilleton New York Police Judiciaire, avec une partie enquête, et une autre procès), mais sans que cela dérange, grâce à la vigueur visuelle.

Plus puissante que ses consoeurs de "Dawn of X", X-Force est le système nerveux de la franchise. Une série palpitante.

jeudi 19 décembre 2019

MARAUDERS #4, de Gerry Duggan et Lucas Werneck


Marauders est décidément une drôle de série : après le précédent épisode, Gerry Duggan devait se rattraper. Il le fait en partie, tout en restant trop allusif sur la chronologie des événements. Mais d'un autre côté le scénariste déborde d'idées, bonnes, sur la caractérisation et la dynamique relationnel des personnages. Graphiquement, c'est au tour de Lucas Werneck de suppléer Matteo Lolli.


Sur les côtes brésiliennes, trois jeunes mutants cherchent à fuir, mais la marine militaire du pays et le héros Parangon leur bloquent le passage. Tornade les neutralise et évacue les enfants avec le concours de Pyro, Lockheed et Iceberg.


Pendant ce temps, à Taipei, Kitty Pryde et Lucas Bishop sont en mission pour résoudre l'affaire de la disparition de ce milliardaire près d'un portail krakoan. Ils déjouent la sécurité de l'immeuble où ils habitent avec sa femme, une fanatique anti-mutants.


Grâce au pouvoir de Kitty, ils parviennent à pénétrer dans une panic room au coeur de laquelle a été installé un cube. C'est là qu'est retenu contre son gré Lim Zhao, le milliardaire. Sa femme a mis en scène sa disparition pour servir ses intérêts politiques alors que lui est pro-mutant.


Deux gardiennes mutantes interviennent alors et engagent le combat avec Kitty et Bishop. Ils arrivent à s'en débarrasser prestement et libèrent Zhao. Kitty interrompt un meeting de sa femme pour révéler son stratagème, ce qui vaut à cette dernière les sifflets du public.


Alors que Bishop, sur les conseils du Fauve à qui il a signalé les gardiennes mutantes, accepte finalement de devenir l'évêque rouge de la Hellfire trading company, la femme déchue de Zhao scelle une alliance avec l'organisation Homine Verendi, formée par les anciens du Hellfire club...

Ce qui sauve (mais jusqu'à quand ?) Marauders, c'est la sympathie qu'on éprouve pour ses héros et uniquement cela. Gerry Duggan dispose avec cette curieuse équipe, au casting improbable, d'un matelas indéniable, à commencer par Kitty Pryde, une des mutantes les plus attachantes - et auprès de qui beaucoup de fans ont grandi.

Mais cela suffit-il à tout pardonner ? Non. Car Duggan par ailleurs rend confuse une série qui n'en a pas besoin, en particulier sur le plan de la chronologie des faits. Ainsi, on découvre, un peu médusé, que le précédent épisode était en fait situé en amont des autres (celui-ci compris). Il mettait en scène le Pr. X avant son assassinat dans X-Force #1 et sa résurrection dans le #2. Il dévoilait le retour de Shinobi Shaw au même moment, mais alors que les Maraudeurs étaient déjà formés par Emma Frost.

Pourquoi avoir déconstruit ainsi la narration et consacré un numéro entier aux père et fils Shaw alors que la série était déjà sur les rails et filait droit, quand quelques pages auraient suffi ? C'est pour le moins maladroit.

Duggan montre aussi qu'à force de courir plusieurs lièvres à la fois, il est obligé de les attraper de manière précipitée. Dans le premier épisode, on comprenait que Lucas Bishop enquêtait sur la disparition d'un milliardaire coréen. Cette sous-intrigue, prétexte à introduire dans la série une énième figure de fanatique anti-mutant en la personne de l'épouse du disparu, est résolue ici de façon distrayante mais tardive et accessoire.

Le scénariste y déploie à la fois le meilleur et le pire de ce qu'il sait faire. Le meilleur quand il anime le binôme Kitty Pryde (oui, je persiste à l'appeler Kitty car je trouve que l'appeler "Kate" est vraiment un gadget inutile) - Lucas Bishop : il se sert de leurs compétences, de leurs pouvoirs, de leurs personnalités pour le coeur du récit et c'est jubilatoire, au point qu'on se demande pourquoi personne avant n'a eu l'idée d'associer ces deux mutants. Le pire aussi, il faut bien le dire, parce que tout ça aboutit à un cliffhanger agaçant où Duggan ressort de leur boîte les gamins insupportables du Club des Damnés qu'avait employé Jason Aaron dans Wolverine et les X-Men.

Ce qui manque en vérité ici, c'est une direction. Le pitch de Marauders est élémentaire et efficace (une équipe au secours de mutants persécutés qui assure le rapatriement à Krakoa tout en distribuant les remèdes de l'île aux nations amies), mais c'est comme si Duggan voulait le compliquer de façon absurde, en racontant l'histoire de manière désordonnée, en multipliant les pistes, en séparant les personnages, en ne sachant visiblement pas écrire à la fois les aventures des Maraudeurs et les manigances politiques au sein de la HTC.

Pour ne rien aider, la série souffre de ne pas avoir de dessinateur fixe, stable. Déjà trois artistes en quatre numéros, et sans qu'aucun ne convainque vraiment. Lucas Werneck est bon, j'ai suivi son travail sur Tumblr où réalise de belles pin-ups (il avait même redesigné à sa manière les X-Men très élégamment, mais cela n'a pas été retenu par Marvel). Mais c'est un narrateur moyen, qui alterne des planches efficaces et d'autres plus brouillonnes (reconnaissables par des cadrages inutilement biscornus et un abus de traits de vitesse, tous deux empruntés au manga).

Quand Werneck se contente de suivre le script, tout est fluide, à défaut d'être bluffant. Il tient bien ses personnages, représente solidement les décors. Puis, peut-être faute d'indications dans le scénario, il enchaîne avec des pages maladroites, approximatives, qu'il ne sait pas comment remplir, avec des cases mal taillées.

On a envie d'être, de rester indulgent avec cette série, mais elle joue avec nos nerfs. Attention, donc. 

mercredi 18 décembre 2019

CHRIS SAMNEE REVIENT !

Chris Samnee

Chris Samnee était absent des bacs depuis Juin 2018, date de sortie de Captain America #600, son dernier boulot chez Marvel. L'éditeur avait choisi de ne pas renouveler son contrat et l'artiste semblait avoir fait le tour de la "maison des idées".

Depuis, Samnee s'est essayé à l'animation (sans qu'on sache sur quel projet), a signé quelques couvertures pour DC Comics (Shazam !, Batman Beyond), accepté un paquet de commissions (des dessins orignaux commandés par des fans fortunés), participé à Inktober deux nouvelles fois. C'est déjà bien, mais frustrant.

Car la question que se posaient tous ses fans, c'était : à quand allait-il revenir à son vrai job en dessinant un nouveau comic-book ? Ce n'est pas la planche qu'il a produite pour Marvel Comics #1000 qui allait nous rassasier. Dans sa newsletter, Samnee se montrait très vague sur un projet prévu pour 2020.

Depuis la semaine dernière, le suspense est terminé...   

Robert Kirkman


Chris Samnee sera bien de retour l'an prochain avec une série en creator-owned, co-créée et écrite par Robert Kirkman, publiée chez Image Comics sous le label Skybound du scénariste. Fire Power racontera l'histoire d'un jeune homme capable de générer du feu avec ses mains dans un récit impliquant des arts martiaux.


"Avoir la possibilité de créer un tout nouveau monde avec sa propre mythologie et ses propres règles a toujours été l'objectif de ma vie. Le faite avec Chris Samnee est définitivement un des sommets de ma longue carrière", déclare Kirkman.

Robert Kirkman est le golden boy d'Image Comics depuis le triomphe de The Walking Dead, qu'il a conclu cette année au bout de 193 épisodes, mais aussi d'Invincible ou Outcast. Son association avec Samnee peut surprendre, mais elle est tout compte fait assez évidente car le scénariste a l'habitude de travailler avec des artistes réguliers et ponctuels sur des projets au long cours. On pouvait (comme moi) attendre Samnee chez DC, mais l'éditeur ne lui a visiblement rien offert de sérieux (alors que le dessinateur a montré fréquemment son amour pour Batman ou Superman dans ses commissions). En même temps, Samnee était attiré par l'expérience du creator-owned, et j'avais misé sur un projet qu'il aurait écrit et illustré. 

"Avec un casting massif de personnages peuplant cette histoire épique autour du monde, Chris a plus que prouvé qu'il pouvait assumer une telle série tout en l'élaborant en secret ces derniers mois. Kung fu, boules de feu, Chris Samnee, action folle, Chris Samnee, Chris Samnee. Que puis-je dire de plus pour que vous soyez excité à propos de ce livre ?" ajoute Kirkman. "Je suis un de ses fans depuis qu'il a fait Capote in Kansas avec Ande Parks. Il était au courant que j'avais envie de travailler avec lui depuis un moment et il terminait son séjour chez Marvel où il avait fait tout ce qu'il souhaitait y faire alors je l'ai abordé pour savoir s'il était disposé pour tenter une aventure en creator-owned avec moi. Il a sauté sur l'occasion."

Fire Power n'est pas un comic-book super-héroïque mais contient des éléments fantastiques. On sait déjà que le premier numéro sera "extra-sized" (comptez donc sur une trentaine-quarantaine de pages) et c'est une ongoing. Une preview de dix pages a été distribuée (et la série aura les honneurs du Free Comic Book Day), qui prouve que Samnee n'a vraiment rien perdu de son art du mouvement et que Kirkman paraît proposer un récit d'aventures initiatique prometteur (le héros est à la recherche de ses origines et sa quête aboutit à un temple shaolin où on enseigne l'art de produire du feu par les mains, sans qu'aucun élève n'y soit parvenu et alors qu'une menace d'ampleur plane).  



Fire Power #1 sortira en Mai 2020 et l'équipe artistique comprend aussi le coloriste Matt Wilson et le lettreur Rus Wooton.