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lundi 1 janvier 2018

RED ONE, BOOK 2 : UNDERCOVER, de Xavier Dorison et Terry Dodson


Après un an d'attente, la suite des aventures de Red One sortit en 2016 chez Image Comics, qui, pour justifier ce délai, expliqua en postface que le titre était en fait conçu comme une série télé avec une nouvelle saison chaque année... Ruse qui a fait long feu depuis puisqu'en 2017, point de nouveaux épisodes. Mais j'y reviendrai, après vous avoir dit ce que je pense de ces deux nouveaux épisodes collectés dans ce recueil intitulé Undercover.


Alors qu'elle veut conduire la compagne de Jessie Maryn à l'hôpital pour son accouchement, Red One est poursuivie en voiture par le Charpentier. Leur course folle à travers Los Angeles s'achève par une embardée du tueur au bout d'une jetée. Lew récupère Vera à l'hôpital après qu'elle ait découvert, attristée, que sa protégée a perdu son bébé.


Le corps du Charpentier reste introuvable et Jacky Core tresse des louanges en le décrivant aux médias comme un martyr à sa cause. Mais lorsqu'elle remonte dans sa voiture avec chauffeur, le tueur l'y attend, sain et sauf - confirmant qu'ils sont complices depuis le début.


Lew, lui, se demande quelle suite donner aux récents événements, craignant des représailles de la ligue de vertu de la pasteur. Vera préférerait lui régler son compte définitivement mais il le lui défend et préfère accepter l'offre de Joe Jones de réaliser le remake pornographique de La Ferme en guise de réponse à tous les censeurs.


Jacky Core intervient pour interdire à la compagne de Jessie Maryn de faire enterrer cette dernière dans un cimetière catholique à cause de sa vie dissolue. Red One, qui assiste aux obsèques, est à deux doigts de molester la pasteur mais Russlan, à distance, lui ordonne de se calmer.


Pour tromper les autorités, Jacky Core trouve un clochard qu'elle fait tuer par le Charpentier afin qu'on le prenne pour le cadavre de l'assassin. Puis elle repart en campagne pour être élu gouverneur de l'Etat de Californie avec un objectif plus ambitieux que la simple conquête du poste...


Tandis que Joe Jones met en route la production de La Ferme du sexe dans laquelle il a convaincu Vera de tenir un rôle, celle-ci est tiraillée moralement : envoyée aux Etats-Unis pour y servir la propagande communiste en devenant une super-héroïne populaire, elle veut aussi affronter la menace que représente l'ascension morale et politique de Jacky Core.


Russlan lui rappelle que si elle faillit à sa mission première, ses proches seront déportés par le Kremlin. Pour calmer sa hiérarchie, Red One accomplit quelques nouveaux actes de bravoure qui lui valent la reconnaissance du public, bien que celui-ci ignore qu'elle est russe. Vera prouve aussi ainsi à Russlan qu'elle sera plus efficace s'il la laisse agir à sa guise à l'avenir.


Malheureusement, les choses se gâtent à nouveau quand la police interdit le tournage de La Ferme du sexe pour exhibitionnisme. Toute l'équipe est incarcérée dans l'attente d'une comparution devant un juge, ce qui tombe terriblement mal car l'élection du nouveau gouverneur de Californie a lieu dans deux jours, juste avant la signature d'un traité de paix entre américains et russes. Et Jacky Core est donnée favorite pour le poste, disposant d'un nouvel allié en la personne de Russlan !

Globalement, ce deuxième acte de Red One s'inscrit dans la droite ligne du premier avec une intrigue qui se densifie néanmoins sensiblement - quitte à donner le sentiment que le scénariste Xavier Dorison court un peu trop de lièvres à la fois et manque parfois sa cible...

Pour être franc, tout le subplot impliquant le tournage du remake de La Ferme fait glisser malheureusement l'histoire dans une critique qui se veut subversive mais n'est que grivoise et lourde. En imaginant que Lew Garner et Joe Jones conçoivent ce projet comme leur réplique à la vague puritaine du mouvement de Jacky Core, l'argument paraît plus gratuit que réellement efficace, un prétexte pour créer des scènes aguicheuses et drôles qui s'avèrent surtout vulgaires et navrantes. Depuis le début de la série, Dorison insiste d'ailleurs beaucoup (trop) sur l'appétit sexuel de Vera, qui couche volontiers pour le plaisir et aussi pour se remonter le moral, mais cela contredit la volonté affichée de l'auteur d'animer le personnage comme une femme de tête et d'action qui dépasse sa sensualité (et ses appétits) pour la justice.

C'est dommage car, par ailleurs, on découvre dans le troisième épisode l'inspiration du Charpentier via justement le film La Ferme et son funeste sort : la production fut endeuillée par la mort accidentelle de ses deux acteurs principaux et le long métrage fut un échec commercial, mais l'aspect du héros inspira celui du tueur en série. On espère alors, mais en vain, que Dorison développe cet aspect en révélant par exemple que les comédiens morts étaient les parents du Charpentier, justifiant à la fois son apparence et sa folie : c'eut été plus intéressant que d'aligner des blagues vaseuses sur Vera motivant des figurants intimidés pour le remake...

L'ambition de ce deuxième Livre de Red One est plus accomplie quand elle se déplace sur le plan politique : Dorison incarne bien mieux Jacky Core en en faisant plus qu'une puritaine exaltée mais la complice du Charpentier et une redoutable politicienne dont l'agenda est alignée sur la signature d'un traité de paix entre Jimmy Carter et Léonid Brejnev. L'histoire prend tout de suite un relief plus passionnant et la mission de Vera une toute autre ampleur.

Terry Dodson ne ménage pas ses efforts pour faire vivre ce récit généreux en péripéties et signe une excellente prestation. Ses scènes d'action ont une belle fluidité, comme en témoigne le duel spectaculaire entre le Charpentier et Red One commencé dans le tome précédent et qui se poursuit au début de celui-ci. Lorsque l'héroïne fait le coup de poing, le découpage est vif, entraînant, et le métier du dessinateur est effectif.

Mais Dodson sait aussi animer les moments alternatifs quand il s'agit d'animer des scènes dialoguées ou de situer des transitions dans des décors soignés, abondants en détails (le restaurant où se réunissent Lew et Jones) ou suffisamment bien campés pour les rendre vraisemblables (le site du tournage). Que l'artiste soit encrée par sa propre épouse et qu'il assure en plus sa colorisation lui permet d'avoir un contrôle artistiques total sur la bande dessinée, et la qualité du résultat s'en ressent par rapport au travail qu'il produit d'habitude pour les mensuels Marvel ou DC quand il doit, contraint par les délais, sacrifier certains éléments.

Reste que le lecteur achève la lecture de ces deux nouveaux chapitres avec frustration : la suite (et fin ?) était annoncée pour 2017, avec un nouvel arc intitulé Jacky (de trois ou quatre numéros) et ça n'a donc pas été le cas. Entre temps Dorison a été accaparé par la reprise de Thorgal alors que Dodson se tenait disponible. Espérons quand même que le dénouement ne se fera pas (plus) trop attendre car l'énergie sympathique du projet en serait affectée et diminuerait le plaisir des retrouvailles avec la pétulante Red One.   

dimanche 31 décembre 2017

RED ONE, BOOK 1 : WELCOME TO AMERICA, de Xavier Dorison et Terry Dodson


Comme je l'avais questionné en critiquant Les Captainz de Yoann et Olivier Texier, le traitement des super-héros par les auteurs français suscite toujours une certaine méfiance chez les fans du genre car ils craignent que ce ne soit abordé que sous l'angle parodique. Mais qu'en est-il quand un scénariste français écrit sur ce sujet pour un dessinateur américain rompu à ces personnages, leur univers, leurs codes ? C'est un des intérêts du projet Red One de Xavier Dorison et Terry Dodson, publié aux Etats-Unis chez Image Comics à partir de 2015.


1977. Los Angeles. La "première" d'un film est contrariée par une manifestation conduite par la pasteur Jacky Core, une puritaine qui prétend vouloir sauver l'âme de l'actrice Lyn parce qu'elle interprète à l'écran une lesbienne. Vexée, cette dernière, prête à en venir aux mains, est convaincue de s'éclipser discrètement par son compagnon tandis que la police se charge de ces bondieusards. Malheureusement, peu après, le couple est tué par un tueur en série, le Charpentier.


Russie. Vera Yelnikov s'entraîne dans un camp militaire et impressionne tous les troufions, aussi émus par ses performances athlétiques que par sa sculpturale beauté. Après une visite express à sa famille, son supérieur direct, Georg, la convoque pour une mission sur ordre de Brejnev. 

Elle est envoyée aux Etats-Unis pour y neutraliser le Charpentier et devenir ainsi une super-héroïne aussi populaire que Batman, Superman ou Spider-Man - un pied-de-nez contre l'impérialisme américain qui ne saura pas qu'il adore une bolchévique. Georg confie à Vera un walkman et une cassette audio avec ses instructions avant qu'elle ne s'envole pour le Nouveau-Monde.


Sur place, Vera, sous le faux nom de Jane Alabama, a deux contacts : le premier, Lew Garner, est un réalisateur de cinéma, qui l'héberge et doit lui fournir un travail comme couvertures, et le second est Russlan, réparateur d'électro-ménager dont la boutique servira de base à la jeune femme et où l'attend son costume de super-héroïne...


Sous le pseudonyme de Red One, Vera intervient de manière de plus en plus spectaculaire : d'abord en neutralisant des disciples du Charpentier vandalisant un vidéo-club, puis des garçons harcelant deux jeunes filles dans un collège, et en s'attaquant aux fidèles du pasteur Jacky Core retranchés dans un bâtiment.


Ses coups d'éclats font rapidement la "une" des médias qui s'interrogent sur la véritable identité, l'origine et les motivations de cette justicière. Mais Vera est occupée par ailleurs, découvrant l'abondance des super-marchés américains et servant de bonne à tout faire pour Lew Garner chez qui elle loge.

Invitée une fête par le producteur Joe Jones, elle y entraîne Lew et elle se voit offrir de passer une audition pour leur nouveau projet, un remake pornographique d'un ancien film oublié, La Ferme. Mais la party est interrompue par une horde de fanatiques religieux à la solde de Jacky Core. Alors qu'elle veut s'interposer, Vera est appelée par Russlan qui a localisé le Charpentier.


L'assassin vient de tuer en la brûlant vive Jessie Maryn, une écrivain de Gauche, lesbienne et militante pour la paix, et il s'en prend alors à sa compagne. Red One intervient sans réussir à maîtriser son adversaire tandis que l'autre cible du Charpentier est sur le point d'accoucher !

La première arche narrative de Red One s'intitule simplement Welcome to America et compte quatre épisodes de presque cinquante pages, un format imposé pour sa diffusion européenne et adapté à un recueil de presque cent pages aux USA.

L'épisode inaugural se distingue par son rythme soutenu : Xavier Dorison installe rapidement la situation avec les manifestations des intégristes religieux soutenant la pasteur Jacky Core contre la libération des moeurs dans les Etats-Unis de 1977 et la présence inquiétante d'un serial killer, le Charpentier, qui s'en prend à de jeunes femmes trop affranchies à son goût. Le scénariste ne fait pas mystère du soutien des fanatiques pour l'assassin sans établir une complicité explicite entre les deux, mais en deux scènes spectaculaires, la menace est posée.

Puis, changement de décor : nous voici en Russie, sous la présidence de Léonid Brejnev, et nous faisons connaissance avec l'héroïne, Vera Yelnikov. Initialement, Red One devait s'appeler Red Window mais l'éditeur américain a craint un procès de la part de Marvel, publiant les aventures de Black Widow. Dorison pensait-il à Natasha Romanov en créant sa belle espionne soviétique ? C'est probable, mais on sait à quel point le tempérament procédurier des uns invite à manoeuvrer avec prudence dans ce genre de cas.

L'auteur prend le parti de la légèreté pour rebondir sur le prologue : il n'est pas mentionné que Vera est une surhumaine mais elle affiche pourtant des capacités physiques exceptionnelles, avec une force, une endurance et une agilité supérieures à la moyenne. On apprend qu'elle est intervenue dans des régions dangereuses (comme l'Afghanistan), ce qui résume facilement son expérience, suggère un passé de guerrière aguerrie. Mais élevée dans un environnement stricte et pauvre, dans une Russie représentée comme un régime répressif, sa fantaisie offre un contraste saisissant et réjouissant.

Dorison n'a plus qu'à suivre cette caractérisation pour ironiser sur le décalage du personnage lors de son arrivée en Amérique, où tout la surprend, depuis le climat californien jusqu'à l'abondance des super-marchés en passant par le choc culturel qui tiraille la société, entre puritanisme et hédonisme.

Ces lignes narratives sont soutenues, soulignées par le dessin de Terry Dodson : cet artiste fait partie des adeptes du "good babe art", émule d'Adam Hughes avec Frank Cho, tous héritiers de peintres de pin-ups (comme Varga ou Gil Elgren). Dodson a travaillé pour DC et Marvel sur des titres phares, de Wonder Woman à Spider-Man, et fait équipe avec sa femme, qui réalise ses encrages ; il est donc en terrain connu.  

Et il prend un plaisir communicatif à illustrer cette histoire plus ludique que les récits au premier degré que lui offrent les "Big Two". Il peut à la fois prouver une fois encore son talent pour représenter les très belles filles, girondes, pulpeuses, à l'air faussement ingénu, sans avoir à se retenir sur l'érotisme (coquin, mais pas grivois). Curieusement, on pense aux incendiaires italiennes des années 50-60, de Sophia Loren à Claudia Cardinale, terriblement sensuelles sans être vulgaires, jouant de leur charme ravageur sans avoir l'air d'y toucher : Vera Yelnikov alias Jane Alabama est une pure créature de cartoon à la fois déterminée, maladroite et ensorceleuse. 

Le découpage de Dodson gagne en densité avec le script de Dorison et il se permet un plus grand nombre de plans par page, des détails plus soignés pour les décors, grâce à un temps plus long consacré à la réalisation de l'épisode. Son trait rond et expressif et les couleurs tour à tour nuancées et vives rendent l'ensemble très agréable.

Cette variation moderne de Ninotchka est un plaisir, un peu coupable, de lecture : tout ça n'est pas très subtil, je vous l'accorde, mais c'est indéniablement divertissant, respectueux sans être trop révérencieux, dynamique et aguicheur. Je vous garde au chaud la suite pour l'an prochain... Stay tuned !