lundi 29 février 2016

Critique 827 : SUNSET PARK, de Paul Auster


SUNSET PARK est un roman écrit par Paul Auster, traduit en français par Pierre Furlan, publié en 2011 par les éditions Actes Sud.

Parce qu'il s'estime coupable de la mort accidentelle de son demi-frère Bobby Nordstrom, Miles Heller quitte son père et sa belle-mère pendant huit ans. Il a accumulé les petits boulots avant de se poser en Floride où il travaille pour le compte de banques à vider des maisons et appartements désertés par des familles n'ayant plus les moyens de payer leurs loyers.
Il a une liaison avec Pilar Sanchez, brillante lycéenne mais mineure, dont une des trois soeurs, Angela, finit par faire chanter Miles, le menaçant de le dénoncer à la police s'il ne lui offre pas des biens qu'il récupère dans les domiciles qu'il vide.
Miles préfère fuir en attendant que Pilar soit majeure et regagne New York où son meilleur ami, Bing Nathan, lui a offert un toit dans une maison abandonnée de Sunset Park dans le quartier de Brooklyn, où il squatte avec deux jeunes femmes - Alice Bergstrom, qui écrit une thèse sur les rapports hommes-femmes dans les romans et les films d'après-guerre (se concentrant sur le film de William Wyler, Les plus belles années de notre vie), et Ellen Brice, qui bosse dans une agence immobilière alors que sa passion est le dessin.
Ce qu'ignore Miles, c'est que Bing, avec lequel il n'a cessé de correspondre depuis sept ans, est resté en contact durant tout ce temps avec Morris Heller, son père, patron d'une petite maison d'édition, qui survit tant bien que mal à la crise financière de cette année 2008. Miles est cependant résolu à renouer avec sa famille, à leur expliquer pourquoi il s'en est éloigné, à obtenir leur pardon, en attendant que Pilar le rejoigne pour poursuivre des études universitaires à New York et qu'ils se marient.
Mais Miles réussira-t-il ce retour et si oui, avant que les quatre de Sunset Park, ne soit expulsé de leur maison ?

Il faut, pour que je commence cette critique, préciser deux points. D'abord, il s'agit du dernier roman en date de Paul Auster : cela fait donc cinq ans qu'il n'a plus produit d'oeuvre de fiction, publiant depuis deux ouvrages introspectifs (Chronique d'hiver et Excursion dans la zone intérieure) - un délai étonnamment long pour cet auteur jusque-là très régulier. Ensuite, la première fois que j'ai lu Sunset Park, l'année de sa sortie, j'avais cessé de suivre le travail du romancier depuis longtemps : ma mère m'a fait cadeau de ce livre et j'avais été doublement ému (par ce présent et le contenu de cette histoire).

Découpé en quatre actes - 1/ Miles Heller (70 pages) ; 2/  Bing Nathan et compagnie (68 pages) ; 3/ Morris Heller (66 pages) ; 4/ Tous (90 pages) - , il s'agit donc d'un texte à la structure bien nette, un roman choral, à la tonalité crépusculaire. 

Thème récurrent dans l'oeuvre de Auster, le deuil est ici central : on n'y trouve pas la fantaisie de certains opus majeurs, et la densité du récit (un peu plus de 300 pages) immerge le lecteur dans une ambiance triste, poignante. Narrativement, c'est toujours une écriture très fluide qui domine, nullement impactée par la diversité des protagonistes (puisque tout est rédigé à la troisième personne du singulier, d'un point de vue omniscient permettant à la fois de décrire les actions et les états d'âme), et l'action est volontiers minimaliste. Pas de grands périples ici, mais la représentation de voyages intérieurs, intimistes. On ne peut pas être plus loin des sagas comme Moon Palace ou Mr Vertigo.

Ce qui est plus surprenant réside dans certains éléments de langage et de comportement : si on retrouve des citations au base-ball et des joueurs emblématiques (le plus souvent pour évoquer leur destin tragique), le style est plus brut, le vocabulaire plus sommaire, plus dépouillé. On peut interpréter cela comme le prolongement des motifs qui parcourt l'histoire elle-même, montrant une Amérique ravagée par la crise économique, où les personnages vident ou occupent des maisons abandonnées : Sunset Park est un roman sur le dénuement, qui procède là aussi souvent d'une forme d'initiation chez les héros d'Auster, mais qui, ici, hante tout son propos.

Cette précarité conduit à une urgence et des choix limites pour les protagonistes, dépassant les risques qu'ils encourent : ainsi Miles vit-il une romance avec une mineure, Bing squatte une bâtisse illégalement, Ellen Brice a eu une liaison avec un adolescent dont elle était la baby-sitter... Cela conduit à l'autre surprise du roman : Auster y aborde les relations sexuelles avec plus de franchise - non pas qu'il ait jamais été un écrivain pudibond et que ses héros aient été asexués, mais le sexe occupe une place importante dans la vie des personnages - Alice vit la fin de son couple avec Jake Baum, lequel aura un rôle déterminant dans les préoccupations intimes de Bing, Ellen retrouve l'amour de manière aussi soudaine que passionnée et avant cela produira abondamment de dessins de nus (d'après des photos dans des magazines porno puis d'après nature, avec Bing comme modèle, lors de séances qui dérapent vite), Morris Heller a trompé sa deuxième épouse et cette infidélité aura de lourdes conséquences sur eux deux...

Tout ce que Auster dit est, pour ceux qui sont familiers de son oeuvre, fortement impacté par la manière dont il le dit : ce n'est pas un auteur au langage précieux, il a cette espèce d' "écriture blanche" comme l'appelle Robert Silverberg, d'abord au service du récit. Son style est plus modelé par la forme de ses histoires que par la recherche de formulations particulières, avec un vocabulaire atypique, une conjugaison remarquable. Néanmoins, il a cette singularité, une "voix" unique, qui, pour ses lecteurs français, est aussi celle de sa traductrice fidèle, Christine Le Boeuf : or, celle-ci était déjà occupée à traduire un roman de Siri Hustvedt, la propre épouse d'Auster, quand le manuscrit parvint aux éditions Actes Sud, qui le confia donc à Pierre Furlan. Et le romancier a ensuite dit que le résultat ne lui avait pas plu : à quel point son texte a été traduit/trahi ? Je l'ignore, mais il est quand même évident que certaines tournures de phrases, certains choix de mots, n'ont pas la même musicalité que d'habitude.  

Reste que cette fiction frissonnante, avec ses décors désolés (maisons perdues, quartiers désoeuvrés) et ses acteurs traumatisés (par la peur d'être à la rue, d'être arrêtés, de ne pas/plus être aimés), est souvent saisissante. Paul Auster y évoque son pays en plein marasme et par extension le monde à la dérive : la culture elle-même semble impuissante à sauver la situation (alors qu'elle a été si souvent une porte ouverte sur l'espoir auparavant), comme en témoigne les faillites multiples du cinéma indépendant, de l'édition littéraire, des droits de l'homme (via le cas du dissident chinois Lio Xiaobo, dont s'occupe l'association PEN, au sein de laquelle travaille Alice). Le constat est terrible, et l'écrivain le dresse comme un reliquat des attentats du 11-Septembre 2001 et de l'administration de George W. Bush (déjà dénoncée dans Seul dans le noir).

Cette Amérique, avec ses grands espaces, sa carte d'histoires infinies et fantastiques, qui a si longtemps et avec bonheur irrigué l'oeuvre d'Auster, est désormais un territoire qu'il ausculte avec désenchantement, où il semble se sentier aussi déphasé que les soldats revenus de la guerre et qui n'arrivent plus à se réintégrer à une communauté désireuse d'oublier, de tourner la page, de renouveau, comme les héros du film de William Wyler, Les plus belles années de notre vie
Affiche originale de
Les plus belles années de notre vie,
réalisé par William Wyler (1946).

Cette Amérique de Sunset Park est un monde d'après-guerre, et ses héros meurent les uns après les autres - en l'occurrence, les grands héros américains chez Auster sont les joueurs de base-ball d'antan, dont Miles et Morris Heller lisent les notices nécrologiques avec mélancolie et résignation. 

Dans La vie de Gallilée, Bertolt Brecht écrivait ce dialogue entre Andrea et Gallilée qui résume parfaitement la pensée de Auster ici : "Malheureux le pays qui n'a pas de héros. - Non, malheureux le pays qui a besoin de héros." 

En disparaissant les unes après les autres, les idoles du romancier et de ses héros, sportifs, intellectuels, entraînent leur pays dans un déclin, font de ses habitants (leurs admirateurs en premier) des orphelins. De la même manière, les quartiers les plus durement touchés par la crise économique, les milieux sociaux les plus atteints, enfoncent un peu plus l'Amérique dans la fin de sa légende (ce pays où tout est possible). L'autre métaphore de cette fin d'une époque se lit dans la situation du squatt, voisin du cimetière de Green-Wood, lieu de fantômes, d'ombres, sur lequel plane souvent une brume pareille à celle qui nous accompagne après un mauvais sommeil, semblable à celle qui symbolise un avenir incertain.

Sunset Park est donc ce roman de la nouvelle errance : ici, il s'agit moins d'un récit dont les héros vagabondent géographiquement que de personnages errants, dans leur propre pays, leur propre vie, sans toujours s'en sortir d'ailleurs. Lucides, Miles Heller et ses compagnons traversent cet espace-temps avec la conviction que leurs épreuves les formeront, les endurciront, mais le fatalisme n'est jamais loin : "Tant qu'on n'est pas blessé, on ne peut pas devenir un homme", lit-on page 193, et c'est assurément un Paul Auster touché, en proie en une profonde interrogation sur son époque, ce qui l'entoure, son art qui signe cet ouvrage. Souhaitons que, comme Morris Heller le demande à son fils, qu'il n'abdique pas et nous revienne bientôt avec un livre sinon moins sombre, en tout cas revigoré.  
*
Je m'étais, lors de ma première lecture, une fois encore amusé à "caster" le roman, sans toutefois réussir à trouver un interprète pour chaque personnage. Mais voilà ceux que j'avais imaginé :
 Andrew Garfield : Miles Heller 
 Selena Gomez : Pilar Sanchez
Seth Rogen : Bing Nathan
 Michelle Williams : Alice Bergstrom
 Rose Byrne : Ellen Bryce
Michael Douglas : Morris Heller

dimanche 28 février 2016

Critique 826 : SPIROU N° 4063 (24 Février 2016)


Comme la semaine dernière, mieux ne vaut pas juger ce numéro à sa couverture puisque Agent 212 est vraiment une des pires productions Dupuis. Les Minions figurent sur le bandeau, c'est un peu plus sympa, même si la série ne vole pas bien plus haut en vérité. Heureusement, le programme reste plein de bonnes choses.

J'ai aimé :

- Jérôme K. Jérôme Bloche : Aïna (6/8). Quel jeu joue vraiment Pacifico ? On peut se le demander puisqu'il revient avec son patron, un diplomate africain, chez le Père Arthur qui est accusé de cacher Aïna. Jérôme demande à Babette de vérifier qui a embarqué dans un avion de ligne en direction de Maputo, au Mozambique, où devait être renvoyée la jeune fille...
L'épisode compte seulement quatre pages encore cette semaine et rend donc délicat la critique. Par ailleurs, après 45 pages déjà publiées, il faut bien admettre que cette aventure de JKJB manque un peu de nerf, même si Dodier sait retenir l'attention du lecteur et animer son récit avec des dessins impeccables. Un opus mineur mais néanmoins plaisant, dont le dénouement approche (plus que deux chapitres).

- Choc : Les fantômes de Knightgrave II (9/12). Choc s'en remet aux mains d'une étrange masseuse aveugle avec l'espoir d'échapper aux démons de son passé...
Les deux tiers de ce long récit, tortueux, sont atteints et me confirment qu'il faudra relire tout ça, à tête reposée et d'une traite quand ce sera terminé. L'histoire de Colman est envoûtante et les dessins de Maltaite toujours aussi superbes, mais le journal de "Spirou" devraient reconsidérer sa manière de pré-publier un récit pareil.

- Antarctique Nord. Olivier Goka revient dans les pages de la revue et livre quatre strips à l'humour absurde savoureux.

- Autour d'Odile. Madaule confirme semaine après semaine son aisance dans ce nouveau projet : le comique joue sur les anachronismes et le détournement romantique, c'est vraiment drôle.

- Rob. La série de James et Boris Mirroir s'arrête donc cette semaine : son dessinateur part pour de nouvelles aventures mais promet, avec son scénariste, que Clunch, Clémisse et le robot reviendront. J'aimai bien ce titre et il me manquera.

- Capitaine Anchois. Floris est doublement à l'honneur cette semaine puisque, en plus de ce gag en une page toujours très marrant et idiot, c'est lui qui signe la double page du jeu (pages 48-49).

- Vermisseaux : L'Atelier du père Bouzard. Marc Pichelin et Guillaume Gerse sont aussi de retour avec ce récit complet dont le titre peut faire penser à un clin d'oeil à Guillaume Bouzard (Ma grand-mère est une sorcière) avec un humour similaire.

- Game Over. Midam est lui aussi mis à contribution doublement dans ce numéro avec un gag en deux pages très efficaces (où il faut faire attention quand on compte les moutons...) et un autre aussi inspiré (avec cette fois un oeuf dangereux).

- L'homme qui tua Lucky Luke (3/10). Le comité des citoyens de Froggy Town convainc Lucky Luke d'enquêter sur l'attaque de la diligence convoyant la paie des mineurs de Silver Canyon, malgré les réticences des frères Bone. Doc Wednesday, malgré sa santé chancelante, accompagne le cowboy...
Si avec Choc, la rédaction a été maladroite en sur-découpant la pré-publication, le choix de proposer chaque semaine 6 pages du Lucky Luke de Matthieu Bonhomme est plus judicieux : c'est juste assez pour combler le lecteur, qui sera épaté par la maestria de l'auteur (intrigue accrocheuse, mise en scène virtuose, graphisme renversant, et même colorisation conforme aux codes de Morris), et assez frustrant pour attendre la suite avec impatience.

- L'Atelier Mastodonte. Fabien Toulmé et Jérôme Jouvray se rabibochent grâce à Lewis Trondheim, qui va causer un malentendu chez le nouveau venu. Deux doubles strips impeccables. Comme d'hab' quoi !

- Tash & Trash. Dino ose tout... Et réussit tout, même un gag bien décalé sur les SDF. Epatant.

- Dad. Papa réussit à attendrir Pandora avec une berceuse. Ou presque... Nob toujours au top. Impressionnant après 114 pages ! (Voir ci-dessous :) 

En direct de la rédak permet à James et Boris Mirroir d'expliquer pourquoi ils suspendent la parution de Rob. La semaine prochaine : Lady S revient pour une nouvelle aventure à Guantanamo (en 6 épisodes).
Les aventures d'un journal évoque l'ancêtre de L'Oncle Paul, quand Georges Troisfontaines créa L'Oncle Ted en 1947.

Les abonnés sont gâtés cette semaine avec un mini-récit écrit et dessiné par l'excellent David De Thuin, Scopitone et la rhubarbe des neiges, un hommage tonique à Chlorophylle de Raymond Macherot (dont Hausman et Cornette proposent le 4 Mars prochain un nouvel album).

vendredi 26 février 2016

Critique 825 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 55 - LA COLERE DU MARSUPILAMI, de Fabien Vehlmann et Yoann


SPIROU ET FANTASIO : LA COLERE DU MARSUPILAMI est le 55ème tome de la série, écrit par Fabien Vehlmann et dessiné par Yoann, publié en 2016 par Dupuis.
*
 
 

A la fin de leur précédente aventure, Spirou et Fantasio ont reçu de Don Cotralto des photos les montrant où ils capturaient le Marsupilami. Mais ils n'ont aucun souvenir d'avoir fait cela.
En se rendant au carnaval de Champignac-en-cambrousse, Spirou remarque que la simple évocation du Marsupilami déplaît au Comte. Des images du passé refont surface et il aboutit à une déduction simple mais extraordinaire : on leur a volé leurs souvenirs !
Grâce à une amie hacker en Aswana (voir tome 54, Le Groom de Sniper Alley), Spirou et Fantasio localisent Zantafio qui, traqué par la mafia rouge, avoue avoir utilisé la Zorglonde pour manipuler les deux amis.
Direction : la Palombie. En interrogeant des braconniers, Spirou apprend que le Marsupilami, ayant échappé à ses geôliers, se cache à nouveau dans la jungle. Avec Fantasio, Spip et Zantafio, ils s'y enfoncent, rencontrent les terribles indiens Awaks, affrontent le tsunami local (le Pororoca), et perdent la trace de Zantafio.
Le Marsupilami, lui, a senti que ses amis approchaient et part à leur rencontre. Mais l'animal est partagé entre deux sentiments : la joie des retrouvailles et une rancune tenace envers eux qui l'ont piégé. Va-t-il leur pardonner ? Et que prépare Zantafio, déterminé à le capturer pour le vendre à des laboratoires pharmaceutiques ?

Lorsque Franquin avait arrêté de produire la série, il avait conservé les droits d'auteur du Marsupilami, sa créature fétiche, avant d'en confier l'exploitation à un homme d'affaires, Jean-Claude Moyersoen. Pour des raisons qui n'avaient donc rien d'artistique, un des compagnons emblématiques de Spirou et Fantasio ne pouvait plus être utilisé par les équipes artistiques du titre depuis, tandis que l'animal a eu droit à sa propre (et souvent médiocre) série !

Finalement, en 2013, les éditions Dupuis ont à nouveau la permission d'intégrer le Marsupilami au sein des aventures de Spirou et Fantasio, et Fabien Vehlmann ne perd pas de temps pour annoncer qu'il va s'en servir pour le 55ème tome de la série. Néanmoins, pour ne pas doublonner avec la production de Colman et Batem, il précise qu'il ne s'agit pas de la même bestiole (on sait de toute façon qu'il existe plusieurs Marsupilamis depuis Le Nid des Marsupilamis, où Seccotine projetait le documentaire qu'elle avait réalisé sur ces animaux), et comme l'arrangement entre Marsu Productions et Dupuis est un contrat complexe, le lecteur est prévenu que la créature ne reviendra que ponctuellement dans les aventures de Spirou et Fantasio...  

Comme il le fait depuis qu'il écrit la série, Vehlmann avait donc glissé un cliffhanger à la fin du tome 54, suggérant que Spirou et Fantasio avaient, sans en avoir le moindre souvenir, ramené le Marsupilami en Palombie dans une cage. Il fallait pour le scénariste justifier l'absence de l'animal depuis 1970 et l'album de Fournier, Le Faiseur d'or (bien que Tome et Janry ont joué avec sa présence dans La Vallée des bannis en 1989, où on entendait dans la jungle le cri "Houba"... Mais en vérité exprimé par un animal au physique répugnant).

L'explication ne tarde pas dans cette histoire au rythme effrenée, qui marque, selon la volonté de Vehlmann, un retour au récit d'aventures au premier degré. Zantafio est passé par là et l'emploi de la Zorglonde a été son instrument (même si Zorglub ne figure pas dans l'intrigue). Le cadre de l'action se situe très majoritairement en Palombie, dans la jungle, après quelques pages à Bruxelles, Champignac-en-cambrousse et au Canada.

Dans le journal de "Spirou", Vehlmann a défini les contraintes de son projet : évoquer l'âge d'or de la série tout en restant accessible pour des lecteurs qui n'ont pas lu les albums de Franquin (et dans une moindre mesure de Fournier). De ce point de vue, le défi n'est pas complètement respecté car l'histoire abonde en références à des épisodes mémorables du passé, parfois de manière très précise (Spirou et les héritiers, Le Dictateur et le champignon, Le Nid du Marsupilami), parfois plus rapide (Le Faiseur d'or).

De même, il fait intervenir des personnages secondaires emblématiques comme Prunelle, le rédacteur en chef du journal de "Spirou", le dessinateur Lebrac, et De Mesmaeker (l'hommes d'affaires qui ne réussit jamais à finaliser la signature de contrats avec Fantasio). Il ne manque guère que Gaston et Mam'zelle Jeanne pour que la galerie soit complète ! Leur présence reste cependant souvent anecdotique et n'aboutit pas à des gags aussi drôles qu'espérés (même s'il y a une scène savoureuse dans la jungle où Spirou et Fantasio sont empêtrés dans leur hamac et parlent sans savoir que De Mesmaeker les entend, via une connexion vidéo internet, et croit qu'ils s'adressent à lui en le comparant au Marsupilami en colère).

En revanche, le coeur du récit avec la recherche du Marsupilami, les interactions entre Spirou (enthousiaste et entêté), Fantasio (fataliste et distrait) et Zantafio (déchu mais toujours en train de réfléchir à un mauvais coup), le subplot avec Spip (dont les réflexions sont toujours jubilatoires), est plus réussi et très entraînant. Le suspense a été habilement déplacé (l'enjeu n'est pas de savoir si on va revoir le Marsupilami mais quel accueil il réserve à Spirou et Fantasio) et aboutit même à un dénouement émouvant (mais que je ne vous dévoilerai pas) - un joli moment, à la fois logique et sensible, qui éclipse le cliffhanger glissé comme d'habitude dans la toute dernière case.

Yoann, critiqué par les fans qui lui ont reproché notamment son encrage un peu bâclé précédemment, a voulu soigné les finitions de ce nouvel album. Le résultat demeure pourtant inégal car son trait, nerveux, influencé par le Franquin des années 70, s'accommode mal du découpage plus rigoureux auquel il s'est astreint.

En effet, la quasi-totalité des planches est disposée sur quatre bandes et plus d'une dizaine de plans par page : cette densité empêche quelquefois à des scènes spectaculaires de bénéficier de l'espace qu'elles nécessitaient (notamment dans la dernière partie de l'histoire où l'action s'accélère au moment où le Marsupilami fait feu de tout bois, livrant une bataille épique contre une foule d'animaux de la jungle palombienne). C'est une petite régression après la narration graphique maîtrisée du tome 54, et alors que Yoann renouait avec des décors naturels qu'il apprécie pour les avoir appréhendés à l'époque où il illustrait Toto l'ornithorynque.

La colorisation de Laurence Croix est excellente, mis à part quelques erreurs bénignes parfois (la scène dans l'avion où, visiblement, des erreurs ont été commises pour distinguer les bras de Spirou et Zantafio).

Le bilan est donc un peu mitigé : La Colère du Marsupilami est un divertissement très satisfaisant et le script jongle avec adresse entre les contraintes du sujet (le retour de l'animal, sa situation entre le début et la fin et pour la suite de la série) et une vraie sensibilité (le traitement de Zantafio est une vraie réussite par exemple), mais graphiquement inégal. Compte tenu de la pression pesant sur les auteurs (en charge d'un titre important, dont c'est le 55ème tome, avec la réapparition du Marsu), c'est honorable, mais l'entreprise était en quelque sorte condamné à ne combler qu'à moitié pour un album aussi attendu. 

jeudi 25 février 2016

Critique 824 : (500) JOURS ENSEMBLE, de Marc Webb


(500) JOURS ENSEMBLE (en version originale : (500) Days of Summer) est un film réalisé par Marc Webb, sorti en salles en 2009.
Le scénario est écrit par Scott Neustader et Michael H. Weber. La photographie est signée Eric Steelberg. Le montage est effectué par Alan Edward Bell.
Dans les rôles principaux, on trouve : Joseph Gordon-Levitt (Tom Hansen), Zooey Deschanel (Summer Finn), Chloé Grace Moretz (Rachel Hansen)...
*
"C'est l'histoire d'un garçon qui rencontre une fille ; ce n'est pas une histoire d'amour". Cet avertissement précède la début d'une valse-hésitation amoureuse entre un garçon et une fille qui ont chacun une vision différente de leur relation et de la notion d'engagement : lui s'appelle Tom Hansen, elle Summer Finn.
Tom Hansen et Summer Finn
(Joseph Gordon-Levitt et Zooey Deschanel)

Tom Hansen est architecte de formation mais travaille, en attendant de trouver une place conforme à ses qualifications, dans une société qui confectionne des cartes de voeux. Ce job ne l'enthousiasme pas mais lui permet de rencontrer une collègue, assistante du patron, Summer Finn, dont il tombe amoureux. 
7 raisons (entre autres) de tomber amoureux de Summer Finn...

Le caractère romantique du jeune homme, qui apprécie la pop anglaise et en particulier les ballades mélancoliques, contraste avec le tempérament plus cynique de la jeune femme qui ne croit pas au grand amour et rechigne à s'engager dans une relation sur le long terme, tenant d'abord à son indépendance. 

Après des débuts timides, le couple vit quand même une belle idylle puis le doute s'installe et met à jour leurs différences jusqu'à la rupture inévitable et définitive. 
Espérances et réalités ("Expectations", "Reality") :
quand le romantisme ne résiste pas à la vérité... 

Tom sombre alors dans la déprime jusqu'à ce qu'il admette, en se confiant à sa soeur cadette, Rachel, que leur histoire était vouée à l'échec.
Tom et Rachel Hansen
(Joseph Gordon-Levitt et Chloé Grace Moretz)

Il trouve alors la volonté de postuler dans une agence d'architectes et fait connaissance avec une autre candidate à ce boulot, à qui il semble plaire et qui lui plait - assez pour qu'ils conviennent, quel que soit celui qui sera recruté, de se revoir...

Le premier film de Marc Webb s'ouvre avec trois intertitres successifs qui donnent le ton : "Ceci est une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait totalement fortuite." "Surtout avec toi, Jenny Beckman.""Salope."

A ce sujet, le cinéaste, interrogé souvent, n'a jamais nié que Jenny Beckman existait vraiment (elle a un compte sur Facebook) et que, donc, le film était d'inspiration autobiographique.

L'autre singularité du film est que son titre indique que l'histoire se solde sur un échec, d'ailleurs la romance entre Tom et Summer ne dure en réalité que 200 jours (le reste du temps étant consacré la rupture, la déprime de Tom, les éphémères retrouvailles avec Summer - d'abord lors d'une fête au dénouement cruel pour le jeune homme, ensuite dans un jardin public, par hasard - , et enfin l'entretien d'embauche que passe Tom avant lequel il fait la connaissance d'une autre jeune femme).

Cette absence de suspense est à la fois frustrante et pose le défi même du film : comment réussir à captiver avec un récit dont on connait l'issue (une issue qui plus est négative) ? La réponse proposée par Marc Webb et ses deux scénaristes tient dans la mise en forme.

(500) Jours Ensemble est un petit film indépendant, avec les clichés inhérents à ce qui est devenu un genre en soi : le budget modeste induit de raconter une histoire qui ne nécessitera pas de gros investissements pour le choix des interprètes et les éléments techniques (décors, costumes...) mais, dans le meilleur des cas, pousse aussi les auteurs à inventer des narrations et des mises en scène originales.

C'est la double influence du vidéo-clip (dont Webb est issu) et du chapitrage des DVD qui a inspiré cet opus dont la chronologie est bousculée : on passe, au gré d'un montage très rythmé (signé Alan Edward Bell), d'une scène se déroulant au début de la relation entre Tom et Summer à une autre se passant à la fin puis une autre au coeur de leur romance. A l'écran, le chiffrage apparaît pour permettre au spectateur de se repérer ("Jour 100", "Jour 50", "Jour 250", etc).

Au gré d'une bande musicale agencée par Mychael Danna et Rob Simonsen (dans laquelle on entend The Smiths, Simon and Garfunkel, Feist, Regina Spektor, mais aussi Carla Bruni et She & Him, le duo formé par Zooey Deschanel et Matt Ward), l'impression d'assister parfois à une sorte de compilation un peu bourgeois-bohème est parfois un peu trop présente. De ce point de vue, (500) Days of Summer échoue à susciter une authentique émotion restant à la surface du bonheur puis de la douleur éprouvés par son héros-narrateur.

Mais, heureusement, Marc Webb a été bien inspiré, par ailleurs, pour choisir ses deux acteurs, qui avaient déjà joué ensemble dans Manic en 2001. Joseph Gordon-Levitt campe avec beaucoup de sensibilité ce jeune architecte qui s'échine d'abord à construire une relation avec une fille qui ne l'aime pas autant que lui l'aime. Son jeu sobre rend son personnage attachant, jamais mièvre.

Zooey Deschanel est aussi excellente dans un rôle particulièrement ingrat puisque finalement antipathique. Au début, on a pour elle le regard attendri puis épris de Tom, et les magnifiques yeux bleus, la fantaisie, la classe naturelle de la comédienne font merveille, sans effort. Elle fait passer avec la même efficacité dénuée de manières l'évolution de Summer d'adorable girlfriend à détestable indifférente. Jamais elle ne cherche à sauver son rôle, à lui donner de circonstances atténuantes et on admet parfaitement que lorsqu'elle retrouve par hasard Tom dans un jardin public, il n'éprouve plus rien pour elle.

On remarquera aussi, dans le second rôle de la petite soeur de Tom, la déjà prodigieuse Chloé Grace Moretz, révélée par Kick Ass et qui est depuis un talent les plus prometteurs de sa génération. Les amateurs de la (médiocre) série policière Esprits Criminels (diffusée sur TF1 en France) reconnaîtront aussi Matthew Gray Gubler dans le rôle de Paul, le meilleur ami de Tom.

Ce n'est pas un grand film, mais il était plein de promesses pour son réalisateur : hélas ! Marc Webb a ensuite cédé aux sirènes hollywoodiennes et s'est égaré en acceptant de tourner deux Amazing Spider-Man, où il n'a pas pu imposer son style. Souhaitons que, comme Tom Hansen, il sache rebondir en revenant à un projet personnel, ce qui confirmerait encore plus la dimension autobiographique de (500) Jours Ensemble.

mercredi 24 février 2016

Critique 823 : ESTEBAN, TOMES 4 & 5 - PRISONNIERS DU BOUT DU MONDE & LE SANG ET LA GLACE, de Matthieu Bonhomme


ESTEBAN : PRISONNIERS DU BOUT DU MONDE est le quatrième tome de la série, écrit et dessiné par Matthieu Bonhomme, publié en 2012 par Dupuis.
*

1901, à Ushuaïa. Depuis six mois, l'équipage du "Léviathan" est détenu dans le pénitencier de la Terre de Feu. Les conditions de vie y sont épouvantables, le général qui dirige l'établissement est intraitable et le sergent La Paz, chef des gardiens, est une brute.
Esteban infiltre la prison et réussit à s'y faire engager comme gardien. A l'extérieur, son oncle Tonto, qui a accepté à contrecoeur cette manoeuvre, est cependant prêt à l'aider à organiser l'évasion des marins du baleinier.
Mais, pour cela, Esteban devra surmonter plusieurs obstacles : tromper la vigilance de La Paz, veiller à faire sortir le capitaine du mitard (où il est retenu après avoir tenté plusieurs fois de se s'échapper), supporter la femme du général qui noie son chagrin dans l'éther... Tandis que Tonto doit trouver un pilote pour le bateau à vapeur qui transportera les prisonniers et qui doit arriver dans quatre jours, date à laquelle Esteban devra partir à La Plata pour y suivre ses classes comme soldat.
*

ESTEBAN : LE SANG ET LA GLACE est le cinquième tome de la série, écrit et dessiné par Matthieu Bonhomme, publié en 2013 par Dupuis.
Il s'agit du dernier épisode du premier cycle de la série.
*

L'évasion, spectaculaire, a réussi mais les hommes du "Léviathan" ne sont pas encore sortis d'affaire. Ils doivent affronter une mer déchaînée et se résoudre à s'abriter dans une baie isolée. C'est alors que les indiens de la tribu du chef rebelle Aigle Rouge, farouche adversaires des évangélisateurs, les assiègent. Et il ne faut pas oublier, parmi les fugitifs, ce jeune garçon rouquin, véritable psychopathe, prêt à tuer à tout instant ses compagnons...
Au terme d'une âpre négociation, Aigle Rouge accepte de guider les prisonniers contre des armes dans les glaciers. Le général et ses hommes traquent les détenus dans ce décor hostile. Plusieurs, dans chaque camp, vont trouver la mort lorsque la banquise se brise, parmi lesquels Le Goff, le fidèle second du capitaine.
Finalement, la situation va se dénouer sur le bateau à vapeur du général qui a tendu un piège aux fugitifs et qui est prêt à les fusiller sur le champ. C'est alors qu'interviendra la femme de l'officier, Clara, de manière dramatique, pour protéger Esteban et aussi venger son enfant mort prématurément quelques années plus tôt...

Avec ces deux tomes s'achève donc le premier cycle de la série : depuis, Matthieu Bonhomme a dessiné le deuxième épisode de Texas Cowboys (écrit par Lewis Trondheim) et le journal de "Spirou" prépublie actuellement son one-shot L'homme qui tua Lucky Luke (qui sortira en librairie le 1er Avril prochain). Il a déjà annoncé réfléchir au cycle suivant d'Esteban en expliquant que l'action se déroulerait certainement quelque années après les événements du tome 5, donc avec le héros devenu adolescent, et sans doute dans un cadre différent.

En attendant cette suite, Prisonniers du bout du monde et Le sang et la glace permettent d'admirer le meilleur de cet auteur complet dans deux histoires aux contraintes bien distinctes. Dans un premier temps, on assiste à un huis clos dans l'enceinte du pénitencier d'Ushuaïa, qui tranche radicalement avec les périples en mer des trois précédents albums.

Bonhomme exprime de manière saisissante l'atmosphère oppressante et violente qui règne dans le murs de cette prison : l'endroit est aux mains d'un général implacable et de son sergent (le mal nommé La Paz) et les détenus sont soumis à des traitements cruels, travaillant dans le froid et punis par des brutalités abusives.

L'action se situe six mois après l'arrestation des hommes du "Léviathan", qu'a pu éviter Esteban grâce à l'intervention providentielle de son oncle Tonto. Dans un flash-back, le garçon a l'occasion d'expliquer où il est passé durant cette période : de retour auprès de sa famille, il est redevenu berger puis est tombé gravement et subitement malade. Ses proches le croyant victime d'abord victime de la rougeole puis d'un mauvais sort, il est visité par "la Guapa", une sorcière, qui comprend que c'est la culpabilité qui le ronge.

Esteban court bien des dangers en infiltrant la prison, en en devenant un des gardiens, en échafaudant un plan d'évasion, et le lecteur frémit pour lui. Même sa relation avec l'épouse du général, en charge de la direction de l'endroit, une femme malade, délaissée, est équivoque : elle reporte sur lui une affection toute maternelle tout en exigeant qu'il l'approvisionne en éther, qu'il doit voler chez le médecin.

L'épisode se conclut sur une longue et spectaculaire séquence que Bonhomme développe avec maestria, mais en sachant ménager un suspense intact pour le dernier acte. De l'aveu même de l'auteur, le cinquième tome a été conçu en réaction au quatrième et renoue donc avec l'aventure pure, mettant en scène la cavale périlleuse de prisonniers. 

Le casting, qui est devenu garni avec les hommes du "Léviathan", les détenus en fuite, les hommes du général, et les indiens qui vont s'en mêler, est remarquablement géré. La tension que produit la présence de Aigle Rouge, à la fois chef redoutable et fou de guerre (qui ne consent à aider les fugitifs qu'après une négociation délicate avec Esteban et Tonto), aboutit à un clash inévitable avec le capitaine, qui le défie cependant moins par orgueil que par chagrin après la mort de Le Goff.

La fin de l'épisode est aussi intense : jusqu'au bout, le sort des héros est incertain et le personnage de Clara, l'épouse du général (qu'une longue confession, fort bien orchestrée au début de l'album, a permis de mieux cerner, de façon poignante), trouve toute sa place lors d'une résolution tragique et libératrice à la fois.

Visuellement, Bonhomme continue d'enchaîner les prodiges : son découpage est très dense, avec parfois jusqu'à une quinzaine de vignettes par pages, mais il alterne avec des scènes plus aérées, avec des plans plus grands, somptueusement composés, où sa représentation des décors de la Terre de Feu est éblouissante. Il n'y a pas de hasard à cela : l'artiste s'appuie sur des repérages effectués sur place, et aussi sur la colorisation de Delphine Chedru, dont la palette est à la fois sobre et nuancée.

Les personnages, nombreux donc, avec une figuration abondante, sont également soignés : tous dotés de physionomies immédiatement mémorables, Bonhomme les rend aussi très expressifs, d'un trait économe, réaliste sans être classique. L'encrage est toujours rehaussé par des dégradés au crayon, qui donne une texture élégante et sensible à l'image : une vraie signature.

Grâce au succès critique et commercial de la série, Esteban est désormais entièrement disponible chez Dupuis, avec des couvertures re-maquettées, une pagination complète, et a même bénéficié d'une magnifique Intégrale, sous-titrée Aventures Polaires, en noir et blanc (voir ci-dessous).

Ne passez donc pas à côté de cette production, une des meilleures fournies par son éditeur, réalisée par un des meilleurs scénariste-dessinateur actuel.   

lundi 22 février 2016

Critique 822 : MOON PALACE, de Paul Auster


MOON PALACE est un roman écrit par Paul Auster, traduit par Christine Le Boeuf, publié en 1990 en France par les Editions Actes Sud.

Marco Stanley Goff s'installe à New York en 1965 pour y suivre des études universitaires. Né de père inconnu, il a perdu sa mère lorsqu'il était encore enfant, quand elle a été renversé par un bus. Elevé par son oncle Victor, un clarinettiste qui joue dans divers orchestres, il découvre grâce à lui l'amour des livres, mais aussi de la musique et du base-ball.
Adolescent, Marco voit son oncle s'éloigner quand il s'engage dans un groupe en tournée tandis que le jeune homme rejoint donc New York. Peu sûr de lui, il n'a pas de grandes ambitions et et peu de foi en l'avenir, mais son oncle lui lègue tous ses biens, avant qu'ils ne séparent - soit sa collection de 1492 livres, un costume en tweed et sa clarinette.
Quand son oncle meurt, Marco a 20 ans et débute alors pour lui une lente et inexorable descente aux enfers : incapable de surmonter ce deuil, il délaisse et abandonne ses études, sombre dans la misère jusqu'à vendre tous ses livres, quitter son modeste appartement et se réfugier dans Central Park. Cette progressive clochardisation a valeur de test pour le jeune homme qui, pourtant, une nuit d'orage, croit sa dernière heure venue.
C'est dans ce triste état que le retrouvent son meilleur ami, David Zimmer, et Kitty Wu, une jeune femme rencontrée lors d'une méprise (dans l'ancien appartement de Zimmer, reloué à un autre étudiant, entouré ce jour-là d'amis parmi lesquels elle se trouvait). Il se rétablit et accepte l'amour que lui donne Kitty.
Pourtant, le destin de Marco bascule en 1969 : il perd de vue Zimmer après lui avoir rendu service pour le remercier de son amitié et entre au service d'un vieil excentrique fortuné, paraplégique et aveugle, Tom Effing, à qui il fait la lecture et la promenade. Cet employeur atypique, lunatique, est aussi servi par son infirmière et gouvernante, Rita Hume.
Durant cette période d'un an, Marco vit une idylle passionnée et harmonieuse avec Kitty avec laquelle il retrouve la joie de vivre, et sa relation avec Effing lui permet d'exploiter au mieux sa culture. Le vieil homme, sentant sa fin proche (bien qu'il se porte encore bien) décide de lui confier la rédaction de sa notice nécrologique et, pour cela, lui raconte son incroyable passé : né Julian Barber, il a été peintre et marié avant de partir pour l'Utah pour exercer son art. Là-bas, l'expédition tourne mal : son ami Edward Byrne meurt atrocement et lui-même survit en ermite dans une grotte. Convaincu que tout le monde le croit décédé, il saisit cette opportunité pour refaire sa vie à San Francisco où, victime d'une agression, il perd l'usage de ses jambes, et craignant d'être reconnu, part pour la France.
Avant de mourir, Effing a une idée farfelue pour dilapider une partie de sa fortune, léguant quand même la plus grosse part à Salomon Barber, son fils qu'il n'a jamais connu, et deux autres parts à Rita Hume et Marco. Le jeune homme s'installe avec Kitty mais leur couple implosera quand elle tombe enceinte : elle ne veut pas d'un enfant si tôt, il est accablé qu'elle veuille avorter.
Marco rencontre entretemps Salomon Barber : cette ultime découverte aura des conséquences bouleversantes pour eux deux quand le lien qui les unit sera mis à jour par le fils de Effing. Marco entreprendra, finalement seul, de retrouver la grotte où périt Julian Barber et naquit Tom Effing - un périple qui aboutira en Californie, face à l'océan Pacifique et la renaissance du jeune homme, le début de nouvelle vie, pour lui aussi...

La première fois que j'ai eu ce roman entre les mains remonte à une vingtaine d'années, quand j'ai, donc, découvert l'oeuvre de Paul Auster : je m'en souviens très bien, je venais de lire La Musique du Hasard, Mr Vertigo et La Trilogie New Yorkaise. J'entamais donc, plein d'enthousiasme, Moon Palace... Et pourtant je n'en vins jamais à bout !

M'étais-je précipité en enchaînant tous ces romans d'un même auteur ? Ou l'histoire ne prit-elle pas sur moi ? Cela, par contre, je ne m'en rappelle plus, mais je me promis qu'un jour je reprendrai ce livre avec la ferme intention de le terminer. Ce que j'ai donc fini par faire récemment.
Bien que son héros porte un nom chargé de références, Paul Auster ne propose pas tant un roman d'aventures classique qu'une aventure initiatique où le voyage est plus intérieure que géographique. Marco Stanley Fogg : voilà une identité peu commune, qui renvoie donc au marchand italien Marco Polo (1254-1324), auteur du Livre des Merveilles ayant rencontré l'empereur mongol Kubilai Khan ; au journaliste anglais Henry Morton Stanley (1841-1904), qui retrouva le missionnaire écossais David Livingstone parti à la recherche de la source du Nil ; et à Phileas Fogg, le héros du Tour du monde en 80 jours écrit en 1872 par Jules Verne. Peut-être pas l'idée la plus inspirée de Auster, mais une manière comme une autre de promettre au lecteur un récit effectivement dépaysant, même s'il l'est de façon inattendue.
 Marco Polo
 Henry Morton Stanley
Phileas Fogg

Ce qui rattache pourtant le héros de Moon Palace à ces personnages réels ou fictifs qui composent son nom, c'est que son existence est définie et transformée par les rencontres qu'il fait, dans le cadre de l’Amérique des années 60. Toutes ces expériences - avec d'autres personages, des livres, des lieux, des sentiments - vont forger son identité et lui révéler le secret de ses origines et le possible de son futur.

Auster inscrit ces étapes dans des motifs, qui deviendront récurrents dans son oeuvre :

- le dueil : Marco apprend davantage par ce/ceux qu'il perd. Ainsi, fils sans père, ayant à peine connu sa mère, élevé par un oncle qui mourra loin de lui, se détachant des livres dont il a hérité, perdant la femme qu'il aime, il assiste aussi aux décès de Tom Effing et Salomon Barber, dont il apprendra à quel point ils lui étaient proches après leur disparition. Son meilleur ami, David Zimmer, quitte aussi la scène et il ne le reverra que fugacement des années après.

- les éléments naturels : le titre du roman trouve son explication avec la découverte d'un néon de restaurant, mais la lune (moon) revient régulièrement dans son parcours (citation du voyage de Cyrano de Bergerac sur la lune, contemplation du satellite sur une plage californienne, et l'oncle Victor se produit avec un orchestre, les "Moon Men"). La nature sauvage des canyons est le cadre du passé de Tom Effing et sera celui du périple final de Marco. Central Park devient à la fois un refuge et un décor lugubre dans le premier chapitre.

- le destin : M.S. Fogg est un rêveur, il se laisse porter par les événements jusqu'à les subir, espérant qu'en les traversant, en leur survivant, il accédera à plus de maturité, aspirant à une sorte d'illumination, de miracle. Il est chanceux à plusieurs reprises (quand Zimmer et Kitty le récupèrent à Central Park, quand il échappe au service militaire, quand il trouve le job chez Effing), mais fataliste, souvent passif, presque auto-destructeur. En vérité, il met sa lucidité et sa capacité de rebond à l'épreuve, en misant sur le hasard pour lui indiquer la route à suivre.
Auster joue d'ailleurs, sans subtilité, sur le mot "fog" (et celui de "zimmer" qui signifie chambre en allemand, lieu où Marco se rétablit chez son ami David), le brouillard, pour signifier la démarche de son héros, avançant à tâtons dans sa propre vie, sans but préétabli.
Cette destinée se fait répétitive, comme si elle rattrapait Marco et ceux qu'ils rencontrent : fils sans père, il servira un homme qui n'a pas connu son fils (Effing et Salomon), ce dernier découvrant lui-même sa descendance providentiellement. Marco connaîtra lui aussi un rapport à la paternité dramatique quand Kitty avortera.
Enfin, il faut mentionner le rôle fantomatique que joue Nikola Tesla (1856-1943), cet ingénieur génial, idole de Effing, qui a peut-être fait se croiser à leur insu Salomon Barber, son père et l'oncle Victor, et dont un des aphorismes ("Le Soleil est le passé, la Terre est le présent, la Lune est le futur") poursuivra Marco.
Nikola Tesla

- Le fantastique : l'histoire abonde en situations incroyables mais qui se révèlent des transitions, des traits d'union possibles entre les protagonistes. Ecrit à la première personnage du singulier et au passé, tout laisse penser que le roman est comme l'autobiographie de M.S. Fogg (procédé repris dans Mr Vertigo), et Auster intègre à l'intrigue principale des récits connexes (la notice nécrologique de Effing, les essais de Salomon Barber), tous plus extraordinaires les uns que les autres, en particulier pour ce qu'ils disent sur ce qu'ont vécu/vont vivre les protagonistes. Mais tout cela est-il toujours à prendre pour argent comptant ? Fréquemment, le lecteur doute et s'interroge sur la limite entre vérité et fabulation : la caverne de Effing, l'obésité de Salomon, la clochardisation de Marco, tout cela est tellement extravagant, extrême, que, à l'instar de Fogg qui avoue ne pas toujours se souvenir de certains détails, on a le sentiment d'être baladé par Auster (selon qu'on y soit disposé, le plaisir de la lecture est intense ou pas - c'est sans doute cela qui m'a découragé la première fois que j'ai voulu lire Moon Palace). 

- L'Histoire : le roman évoque, de manière étonnamment détachée souvent, de hauts faits de la mythologie américaine, pour situer temporellement les événements. Ainsi entend-on parler, en arrière-plan, des premiers pas de l'homme sur la Lune, de la guerre au Vietnam, du festival de Woodstock...

Tout le livre passe ainsi de l'extérieur évoqué (les grands espaces, les grandes conquêtes, la grande ville...) à l'intérieur détaillé (les expériences de Marco, les secrets de famille, les tourments amoureux...), soulignant que pour chaque personnage son monde interne est aussi (sinon plus) grand que celui qui l'entoure.

Roman foisonnant, n'ayant pas encore la maîtrise d'oeuvres postérieures de son auteur, Moon Palace mérite qu'on s'y plonge, qu'on s'y abandonne : le mouvement de son héros correspond en quelque sorte à celui que doit réaliser le lecteur - se laisser emporter par cette histoire extravagante, à la fois dramatique et trépidante, profonde et épique, sensible et palpitante.
Tout comme son héros dont le nom emprunte à des aventuriers, c'est un texte explorateur et initiatique, caractéristique de l'oeuvre de Paul Auster, et souvent grisant malgré quelques faiblesses (le manque de développement du personnage de Kitty, des parallèles un peu trop appuyés).
*
Bien que, à ma connaissance, il n'est jamais été question d'une adaptation pour le petit ou grand écran de Moon Palace, malgré la matière qu'offre son contenu, il est tentant d'imaginer un "fan-cast", et je m'y suis amusé, tout en reconnaissant que la démesure de certains rôles est difficile à distribuer.
 Hugo Becker : Marco Stanley Fogg
 Pom Klementieff : Kitty Wu
 Marius Colucci : David Zimmer
 Michel Bouquet : Tom Effing
 François Damiens : Salomon Barber
Josiane Balasko : Rita Hume

dimanche 21 février 2016

Critique 821 : BULLITT, de Peter Yates


BULLITT est un film réalisé par Peter Yates, sorti en salles en 1968.
Le scénario est adapté par Alan Trustman et Harry Kleiner de Mute Witness de Robert Pike. La photographie est signée William Fraker. La musique est composée par Lalo Schiffrin.
Dans les rôles principaux, on trouve : Steve McQueen (Frank Bullitt), Jacqueline Bisset (Cathy), Robert Vaughn (Walter Chalmers), Don Gordon (Delgetti).
*
Le lieutenant de police Frank Bullitt reçoit d'un ambitieux procureur, prétendant à une carrière politique, la mission de protéger le mafieux repenti Johnny Ross jusqu'à son témoignage à un procès.
Frank Bullitt
(Steve McQueen)

Bien qu'il ait veillé à sécuriser l'homme, deux tueurs professionnels parviennent à le localiser et à l'abattre ainsi qu'à blesser gravement le policier qui le surveiller. 
Frank Bullitt et Walter Chalmers
(Steve McQueen et Robert Vaughn)

Pourtant, pour identifier les coupables et comprendre le fin mot de cette intrigue, Bullitt décide de subtiliser le cadavre et refuse de dire à Chalmers et ses propres supérieurs où il le cache.
Cathy et Frank Bullitt
(Jacqueline Bisset et Steve McQueen)

Cette stratégie ne met pas seulement en danger sa carrière de flic mais impacte aussi le couple qu'il forme avec Cathy, une jeune femme qu'il fréquente depuis peu et qu'il essaie de préserver de la violence de son métier et du monde en général.
La Ford Mustang Fastback 68 de Bullitt

En reconstituant le passé de Ross et ses derniers jours avant qu'il ne se livre, Bullitt comprend que le gangster a mystifié tout le monde : il est toujours en vie, en fuite, et l'homme mort à sa place était un prête-nom...

Revoir Bullitt, c'est faire l'expérience de comparer le souvenir flatteur d'un film découvert dans sa jeunesse, plusieurs fois diffusé à la télé, constitutif du mythe de son acteur-vedette, et la réalité d'un polar en vérité mineur mais diablement efficace.

Aujourd'hui, Steve McQueen, tel l'icone qui nous toise sur l'affiche rétro de ce long métrage sorti en 1968, année ô combien chargée de symboles sociétaux, est lui-même devenu une star décalée, dont le nom ne dit sûrement plus grand-chose, voire rien, aux générations suivant la mienne : tout au plus s'agit-il pour de nombreux jeunes que le mec qui figure sur les publicités pour une marque de montres de luxe.

Pourtant, même accompagné de cette nostalgie, le film demeure magique parce qu'il est justement devenu un objet mythologique, une oeuvre de mémoire, le témoignage d'une époque, d'un certain style. McQueen incarne tout cela et Bullitt en est l'écrin.

Même si on n'est pas un macho, ce film déborde d'une virilité étonnante, qui est presque comique. C'est un film de mecs, un film pour les garçons, avec de grosses bagnoles, des fusillades, des jolies filles, d'affreux malfrats, des politiciens magouilleurs.

Bullitt est un un lieutenant de police, mais son grade n'a finalement que peu d'importance : c'est d'abord, surtout un flic. Il est taciturne, incorruptible, entêté. Il sort avec une superbe fille, moins âgée que lui, et qui est l'archétype de la fiancée du héros, une potiche aussi sexy que fragile : on se dit qu'il a de la chance d'avoir une girlfriend aussi jolie, aussi éprise, et on sourit ironiquement en pensant qu'il avait un bien dur métier, McQueen, en tournant la même année avec Faye Dunaway (dans L'Affaire Thomas Crown) et Jacqueline Bisset (tout juste âgée de 25 ans alors).

Le romantisme avec lequel Peter Yates, jeune cinéaste anglais imposé par McQueen après qu'il ait vu son précédent opus (Trois milliards d'un coup, sorti en 1967), met en scène le couple a quelque chose de ridicule tellement il est cliché, avec des filtres, dans l'appartement de Bullitt ou lors d'un dîner au restaurant avec des amis snobs de la jeune femme. Quand la cruauté brutale du monde du héros atteint celui de sa compagne, lorsqu'elle voit le cadavre d'une femme dans une chambre d'hôtel, la suite est rapidement expédiée à cause du peu de consistance du personnage féminin (elle pique une crise mais retombe dans les bras de son amoureux).

Ce traitement est symptomatique : tout, dans Bullitt, est en fait survolé, effleuré, peu exploité. L'intrigue traîne souvent puis accélère brutalement pour aboutir à un dénouement frustrant. Mais tous ces défauts ont un charme pourtant irrésistible.   
Cathy
(Jacqueline Bisset)

Car Yates a su imposer des choix esthétiques très forts pour l'époque, qui conservent à son film une vraie modernité. Les personnages ont tous une allure fantastique et sobre à la fois, comme Bullitt et imperméable beige, son col roulé et son pantalon cigarette ; Cathy avec sa mini-jupe et ses bottes de cuir droites ; Chalmers et ses complets sur mesure. Tout a une classe folle dans la fin de ces années 60, où le lustre des 50's n'a pas encore cédé au naturalisme des 70's.

Même constat pour le scénario : ce qui compte n'est pas tellement donc ce qui nous est raconté, mais la manière dont c'est fait, avec un indéniable style. L'ambiance prime sur l'intrigue, dont les points forts résident plus dans l'opposition entre l'intègre Bullitt et l'ambitieux Chalmers que dans la révélation du dossier Johnny Ross. Revoir ainsi deux des anciens Sept Mercenaires, Steve McQueen et Robert Vaughn, face à face est un régal, chacun plus que parfaits dans leurs interprétations.

Il y a un climat cotonneux, quasi-contemplatif dans ce film, où les motifs esthétiques prévalent sur les figures narratives. La fameuse course-poursuite, le "morceau de bravoure", résume cela : tourné, comme toute l'histoire en décors naturels, se déroulant sur presque onze minutes, elle valut un Oscar du meilleur montage à Frank Keller et inspira une multitudes de scènes par la suite. Le spectacle de la Ford Mustang Fastback 68 est encore un sommet du genre, traquant, percutant, la Dodge Charger des tueurs dans les rues de San Francisco et hors de la ville est aussi saisissant au niveau sonore avec le vrombissement des moteurs, les crissements des pneus, les changements des boîtes de vitesse, le fracas des tôles, qui composent à la fois une symphonie baroque et un film dans le film.
"VRRAAAOOUMM !"

Il y a, en définitive, quelque chose de sommaire, de basique, de primaire dans ce polar. Regardez McQueen : il a rarement aussi peu paru jouer. Il est pratiquement muet pendant la majeure partie du film, mais quelle présence ! Ce superbe fauve vous fixe d'un regard perçant, l'économie de ses gestes, l'intensité de son charisme naturel suffit à meubler son personnage grossièrement taillé. Robert Vaughn incarne lui aussi l'arriviste absolu, odieux et onctueux à la fois, sans avoir besoin d'en faire trop : sa gueule même définit le district attorney parvenu qu'il campe. Et Jacqueline Bisset, bien que dirigée avec toute la misogynie typique de l'époque, est d'une telle beauté qu'elle magnétiserait n'importe qui. On remarquera même Robert Duvall, avec encore quelques cheveux sur le crâne, dans la peau d'un chauffeur de taxi dans une séquence cruciale (juste avant la course-poursuite, et déterminante dans la reconstitution du passé récent de Johnny Ross).

La nonchalance de la production aboutit donc à ce sentiment étrange que, malgré d'évidentes lacunes, le film est tout de même fascinant. Porté par une musique extraordinaire composée par Lalo Schiffrin (dont le thème est une vraie "scie", latino-jazz), Bullitt possède une aura paradoxale : franchement moyen et pourtant inusable, paresseux mais brut, il est pareil à une relique au charme improbable mais délicieux.

Souhaitons juste que jamais, comme il en est question depuis des années, un remake (prévu pour Brad Pitt) ne voit le jour...