jeudi 4 février 2016

Critique 809 : FENNEC, de Lewis Trondheim et Yoann


FENNEC est un récit complet en soixante doubles strips, écrit par Lewis Trondheim et illustré par Yoann, publié en 2007 par les Editions Delcourt (dans la collection "Shampooing").
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Un petit fennec fuit dans le désert un groupe de serpents et réussit à lui échapper en grimpant sur un rocher. Il réfléchit au moyen de s'en débarrasser définitivement quand il se souvient que sa mère lui avait parlé du collier d'un shaman capable de provoquer la pluie, qui noierait les reptiles.
C'est le début d'un périple plein de rebondissements :  il est enlevé par un aigle dont il dévore les petits, court dans la savane, y rencontre un oiseau friand de serpents mais peu enclin à l'aider, croise la route d'un pangolin stupide, puis d'un gibbon très myope.
Le singe sait où est le collier magique et l'accompagne : en chemin, ils aideront un hippopotame qui souffre des dents, épuiseront un lion prêt à les dévorer et à qui ils livreront une hyène à leurs trousses puis un phacochère qui a le malheur de passer par là…
Les serpents ne sont jamais loin et, quand le fennec découvre que le shaman est un puissant gorille, il se demande si, puisqu'il ne peut lui subtiliser son collier, un arrangement est possible...

Cet album d'une trentaine de pages témoigne encore une fois de la prolixité du scénariste Lewis Trondheim et de sa capacité à s'adapter à tous les formats. Pour l'occasion, il s'associe à Yoann (l'actuel dessinateur de la série Spirou et Fantasio, à l'époque plus connu pour le titre Toto l’ornithorynque), membre fondateur avec lui de L'Atelier Mastodonte (lisible chaque semaine dans la revue "Spirou").

Le récit, qui se déroule linéairement, a pour cadre d'abord le désert africain puis la savane, et on suit avec jubilation les déplacements de ce petit renard qui cherche à échapper à une bande de serpents tout en cherchant le moyen de s'en débarrasser. Trondheim introduit un élément discrètement fantastique quand il évoque que la solution au problème du fennec est un collier magique, mais le scénario n'exploite finalement pas cette astuce.

En revanche, les animaux sont doués de parole et on la langue bien pendue, une caractéristique récurrente dans l'oeuvre de l'auteur : le mauvais esprit mais aussi l'ingéniosité et le persévérance dont fait preuve le petit renard sont réjouissants, donnant lieu à des dialogues cyniques et enlevés, jouant sur le contraste avec d'autres rôles qui n'évoluent pas dans le même registre - le gibbon dont la myopie engendre bien des méprises, le pangolin abruti mais attachant.

Trondheim aime les contraintes narratives et le comic-strip exige une rigueur terrible. Il enchaîne les doubles strips avec une énergie imparable, qui leur permet d'être efficaces séparément et pris dans l'ensemble de l'intrigue : la virtuosité du scénariste est impressionnante. En quatre à six cases, tout est dit et bien dit, c'est drôle, palpitant, insolite, dense. 

Yoann illustre cette histoire en couleurs directes, employant magnifiquement la technique de l'aquarelle. La forme des "personnages" est volontairement sommaire mais très expressive, et le découpage tire pleinement parti du format strict des doubles strips. La palette chromatique privilégie bien entendu les teintes chaudes, solaires, lumineuses, puisque nous sommes en Afrique, et quoique les décors sont eux aussi réduits à l'essentiel, on s'y croirait de façon troublante.

Véritable merveille de concision et de malice, Fennec dépasse la simple suite de gags pour se transformer en un récit initiatique irrévérencieux et malin. Surtout, c'est un livre qui séduit aussi bien les (très) jeunes lecteurs que les plus âgés car les premiers apprécieront son efficace simplicité et les seconds sa dynamique singularité. 

On ne peut que regretter que cette aventure soit restée sans lendemain (même si, par ailleurs, Trondheim et Yoann ont été bien occupés depuis, chacun de leur côté).

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