jeudi 18 février 2016

Critique 819 : LE ROYAUME, TOME 1 - ANNE, de Benoît Feroumont


LE ROYAUME : ANNE est le premier tome de la série, écrit et dessiné par Benoît Feroumont, publié en 2008 par Dupuis.
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Au menu de ce premier album, on trouve cinq récits complets composant un tout au final :

- Chapitre I (6 pages). Ce matin-là, dans le royaume où la vie est paisible, le Roi et ses deux fils, Adrien et Alain, veulent aller aux toilettes, mais celles-ci sont déjà occupées par la Reine et sa fille, Cécile. Le Roi finit par sortir uriner depuis le balcon de sa chambre quand un oiseau vient le sermonner. Un autre piaf a dénoncé Anne, la jolie bonne, à la Reine car elle couche chaque nuit avec le Roi car elle a peur des chouettes. La sanction ne tarde pas à tomber : Anne est renvoyée du château !

- Chapitre II (8 pages). Le Roi, désolé, offre à Anne la "maison du bon pain" et une bourse remplie d'écus pour qu'elle y ouvre une taverne. Dépitée, Anne surprend les deux oiseaux qui ont provoqué son renvoi et, en cherchant à les tuer, tombe dans l'atelier où travaille le forgeron François. Il a le coup de foudre. Les oiseaux, amusés, offrent, pour s'excuser, leur aide à Anne pour nettoyer sa future taverne.

- Chapitre III (6 pages). La chouette continue de hululer en face de la taverne de Anne. Terrifiée, elle surprend deux intrus dans son logis au rez-de-chaussée. Mais elle découvre qu'il s'agit du Roi et de son valet, Thibault, venus lui montrer l'existence d'une trappe par laquelle on peut aller jusqu'au château. Folle de rage, Anne congédie ses visiteurs nocturnes et puis menace la chouette, qui s'enfuit.

- Chapitre IV (8 pages). Les oiseaux vont venger Anne des ragots que font courir les femmes du royaume au sujet de sa future taverne, décrite comme un lieu de débauche où elles jurent qu'elles ne mettront jamais les pieds. Cependant, Anne est à nouveau abordée par le forgeron François qui la demande en mariage pour lui rendre son honneur. Elle refuse mais il est résolu à ne pas en rester là.

- Chapitre V (18 pages). Anne ouvre enfin sa taverne mais la Reine interdit à ses sujets de s'y rendre. Le patron de la forge exige de Anne qu'elle lui rembourse la toiture qu'elle a défoncée (voir Chapitre II) mais, faute d'argent, elle devra lui céder sa taverne le lendemain. Heureusement, la désobéissance de Cécile, Alain et Adrien (qui accompagne la Garde royale), et la décision du Roi de ne plus se soumettre aux choix de son épouse permettent à Anne d'avoir une abondante clientèle dans la soirée. Mais François le forgeron veille à ce que les soldats n'aient pas de gestes déplacées envers sa bien-aimée...

J'espère que ma filleule ne passera pas par là puisque je vais lui offrir cet album pour son prochain anniversaire dans une quinzaine de jours. Je suis le tonton qui offre des livres, des bandes dessinées avec l'ambition de garnir la bibliothèque de sa nièce et l'espoir de lui donner goût au 9ème Art. Et pour cela, je tente aussi de lui faire partager des titres que j'aime bien.

Quand j'ai découvert Le Royaume dans les pages du journal de "Spirou", la série était déjà entamée depuis un bon moment mais c'est devenu une de mes séries favorites. Benoît Feroumont ne produit plus de pages depuis un bon moment car il finalise actuellement un one-shot mettant en scène Spirou et Fantasio qui s'intitulera Fantasio se marie (qui sera pré-publié à partir de la fin Mars dans la revue et disponible en librairie en Juin prochain). Mais j'ai bon espoir qu'il reprenne le chemin du Royaume.

Publié irrégulièrement et alternativement sous forme de gags en une page et de courts récits complets (six à dix-huit pages), cette série a pour cadre un décor médiéval qui rappelle à la fois le village d'Astérix et le fief où vivent Johan et Pirlouit. La différence avec ces illustres références, c'est que nul ennemi extérieur ne menace la tranquillité de l'endroit, c'est, comme il est écrit dès la première vignette, "un royaume paisible où il fait bon vivre (...) un petit pays oublié par ses puissants voisins et leurs guerres incessantes. Un charmant petit bout de terre sur lequel vivaient tout un tas de gens qui, chaque jour, jouissaient de ce que leur offraient la terre et le ciel".

Quand le premier chapitre débute, pourtant, cette quiétude va être bouleversée par la faute de charmants petits oiseaux doués de parole et exprimant tout haut ce que les humains disent tout bas. Le renvoi de Anne, la bonne du Roi, qui partage son lit en tout bien tout honneur parce qu'elle a peur du hululement des chouettes, déclenche alors une cascades de rebondissements très drôles.

Feroumont met en scène un casting déjà abondant (pas moins de neuf personnages principaux), qu'il ne cessera d'enrichir par la suite, mais qui gravite autour de Anne, obligée de se reconvertir en tavernière, tour à tour aidée et accablée par ces fameux piafs, qui l'aiment bien parce qu'elle les amuse mais dont la langue bien pendue sème la zizanie.

Venu de l'animation, le projet du Royaume a été inspiré à son auteur par un court métrage qu'il a réalisé en 2006 : Dji jeu volti . Les designs qu'il avait accumulé pour ce dessin animé lui ont fourni la base de sa série, après l'échec (injuste) de Wondertown (écrit par Fabien Vehlmann, arrêté au bout de deux tomes). On retrouve ici son savoir-faire pour des récits dynamiques, des personnages attachants et amusants, un humour à la fois léger et impertinent. Les interactions entre les protagonistes (l'amour de François pour Anne, la bonhomie du Roi face à la rigidité de la Reine, la bêtise inoffensive des dauphins contre la malice de leur soeur, la pingrerie du patron de la forge...) sont exprimées avec beaucoup d'énergie, une bonne humeur imparable.

Visuellement aussi, le titre séduit par son tonus, qui compense quelques faiblesses - les décors sont parfois peu détaillés (Feroumont dresse un décor rapidement puis y installe ses personnages en "oubliant" ensuite ce qui les entoure), les protagonistes n'ont pas encore leur physionomie définitive (Anne notamment embellira progressivement).

En revanche, son trait simple, épuré, est une merveille d'expressivité et ses découpages sont d'une superbe fluidité : son emploi du "gaufrier" est toujours intelligente, et les scènes s'enchaînent avec une vigueur épatantes, qu'il s'agisse de dialogues souvent menés crescendo ou de péripéties acrobatiques (comme lorsque Anne effectue une spectaculaire chute après avoir cherché à tuer les oiseaux). Et les piafs jaunes volent (au propre comme au figuré) souvent la vedette aux humains dans des moments irrésistibles.

La fin de ce premier album est un hommage élégant à l'épilogue fameux des tomes d'Astérix, et confirme que Le Royaume, c'est de la vraie "feel-good" BD !  

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