samedi 31 août 2019

SUPERMAN #14, de Brian Michael Bendis et Ivan Reis


C'est un curieux épisode que voilà : sa sortie a été différé pour modifier la couverture (jugée sans rapport avec l'histoire - ce n'avait pas gêné DC auparavant), et le contenu semble n'être qu'un prétexte pour le cliffhanger. Il est clair que Superman patine depuis quelques mois et que Brian Michael Bendis a perdu son mojo. Ce qui n'est pas le cas d'Ivan Reis, toujours aussi en forme. 


Superman comprend enfin pourquoi Jor-El l'a emmené jusqu'aux ruines de Krypton lorsque le vaisseau de Rogol Zaar et sa bande y arrive à son tour. Le général Zod reconnait la zone et, fou de rage, s'en prend à Zaar.


Le vaisseau du tueur ne résiste pas à la colère de Zod. Superman veut porter secours aux passagers mais Jor-El le lui déconseille car les radiations émises par Krypton vont les tuer. Ce qui débarrassera la galaxie de ces fripouilles.


Mais Superman ne peut se résoudre à cette solution. Au même moment Supergirl, Superboy et Krypto resurgissent pour neutraliser Rogol Zaar une fois pour toutes. Zod et Superman s'aperçoivent que leur ennemi est aussi affecté par la kryptonite ambiante - il est donc kryptonien !
  

Ce désordre est réglé par l'intervention de la garde noire de Thanagar qui arrête tout ce monde. Rogol Zaar mais aussi Jor-El sont emprisonnés. Superman apprend que le complot du Cercle mis à jour par Supergirl pour détruire Krypton a semé le trouble dans la galaxie, au bord d'une nouvelle guerre.
   

Sur l'idée de Superboy, le Conseil galactique se réunit et se voit proposer une nouvelle organisation sur le modèle des Nations Unies. C'est alors que la Légion des Super-Héros apparaît et invite Superboy à grossir ses rangs, comme celui qui aura été l'inspirateur de leur équipe...

Comme on peut donc le voir, tout l'épisode tend vers le retour de la Légion des super-héros, absente du "DC Rebirth" (et qui donc connaît une incarnation nouvelle). La série régulière consacrée au groupe va suivre, d'abord sous la forme d'un diptyque (Millenium) puis avec un mensuel à partir de Novembre, écrit par Brian Michael Bendis et dessiné par Ryan Sook.

Il n'est pas absurde de réintroduire ces personnages dans les pages de Superman puisque la Légion a toujours été attachée au héros. En vérité, c'est plutôt la manière ou le timing qui surprennent car on a le sentiment que Bendis utilise la Légion pour dénouer une solution devenue trop complexe, après plus d'un an de la même histoire avec l'homme d'acier.

En effet, il apparaît aussi clairement que les dossiers Rogol Zaar et Jor-El sont devenus des boulets qui alourdissent la belle dynamique des débuts du run de Bendis : ça n'en finit plus - un peu comme quand les New Avengers traînaient the Hood ou Norman Osborn (même si Bendis avait su bien conclure leur cas). Je l'ai déjà dit, et je vais donc me répéter, mais Rogol Zaar s'est avéré un méchant trop unidimensionnel (avec son mantra "je vais tueur les kryptoniens jusqu'au dernier"... Sans qu'on sache vraiment pourquoi il leur voue une telle haine) pour passionner aussi longtemps. Les vraies révélations se trouvaient dans les épisodes de Supergirl (avec le complot du Cercle), mais réduisaient Zaar à un exécuteur.

Quant à Jor-El, Bendis n'a fait que souligner son caractère de magouilleur et de (grand) père indigne, au point que son idée initiale de lui confier Jon est passée pour une énorme incongruité (quel père responsable accepterait de confier sa progéniture à un homme pareil ? A la décharge de l'homme d'acier, Lois Lane a été tout aussi inconséquente).

A l'heure de s'en débarrasser, Bendis précipite leur sortie de scène de manière cavalière (la garde noire de Thanagar embarque les deux margoulins), même si on imagine que Superman va essayer d'éviter la prison à Jor-El.

Le sort de Jon va diviser les fans, qui déjà ont reproché au scénariste d'en avoir fait un ado de dix-sept ans par un tour de passe-passe un peu grossier. Le voilà enrôlé par la Légion, dont il devient l'inspirateur historique. Supergirl aurait pu être choisie mais visiblement Bendis voulait à la fois écarter Jon de son père et en même temps l'intégrer à une sorte de nouvelle famille plus en phase avec son âge (difficile en effet d'imaginer que son duo avec Damian Wayne allait durer vu leur différence d'âge - et ceux qui accusent Bendis de saborder les Super-Sons devraient savoir que DC a annulé leur série parce qu'elle ne se vendait tout simplement pas assez !).

Ce qui ne devrait pas être discuté en revanche, c'est la prestation d'Ivan Reis, qui produit une nouvelle fois des planches remarquables. Le brésilien ne ménage pas ses efforts avec une figuration importante, des compositions très fournies, un découpage tonique, et des finitions qui requièrent deux encreurs (Joe Prado et Oclair Albert).

Il faut saluer la gestion éditoriale de la série qui a su ménager des pauses à Reis, lui laisser le temps de souffler pour revenir ensuite, rechargé, pour des épisodes importants, où son dessin puissant et exigeant fait merveille.

Cet épisode a donc les défauts de ses qualités : il est agréable mais un peu artificiel, comme une sorte de gros teaser qui ne dit pas son nom pour Legion of Super Heroes, et imposant à Superman un arrêt presque forcé dans une intrigue déjà bien longuette.   

vendredi 30 août 2019

JUSTICE LEAGUE DARK #14, de James Tynion IV et Alvaro Martinez


Ce quatorzième épisode inaugure un nouvel arc qui s'annonce très ambitieux : la Justice League Dark va y affronter Circé et sa propre équipe. James Tynion IV a longuement préparé cette "guerre des sorciers", mais heureusement il peut compter sur Alvaro Martinez pour l'illustrer avec sa puissance coutumière. Alléchant.


Wonder Woman fait un rêve aux allures de cauchemar : la voici qui rencontre Giovanni Zatara dans le manoir où il a trouvé la mort et qui la prévient d'une guerre imminente à laquelle la Justice League Dark doit se préparer. Surtout que l'Homme Inversé rôde toujours...


Wonder Woman appelle immédiatement Zatanna mais celle-ci est déjà bien occupée. Avec Bobo, Swamp Thing, Man-Bat, Kent Nelson et Kalid Nassour, elle affronte une horde de vampires dans une église profanée.


Wonder Woman donne rendez-vous à ses acolytes, une fois leur victoire scellée, au bar Oblivion. John Constantine y traîne son spleen mais dispense un conseil précieux à l'amazone quand elle évoque un ennemi qui conspire contre elle depuis longtemps.


A l'église, le reste de la JLD fait le ménage. Un chat erre dans le bâtiment et rejoint son maître près du grand orgue. Man-Bat surprend Klarion mais le jeune sorcier brouille les souvenirs de Kirk Langstrom et lui suggère son attitude à venir.


Klarion se téléporte ensuite à Montego Bay, en Jamaïque, où il retrouve Salomon Grundy, Woodrue et Papa Mid-Nite. Ils rejoignent sur la plage Circé, dont les pouvoirs ont été augmentés par Lex Luthor, et qui s'apprête à recruter un nouvel allié : Eclipso.

L'épisode 13 concluait ce qu'on pouvait appeler la "saison 1" de Justice League Dark, avec la menace incarné par Dr. Fate et les seigneurs de l'Ordre. Dans le #14, James Tynion IV faisait une sorte de pause, une transition, avant les grandes manoeuvres de ce qui sera vraisemblablement l'essentiel de la "saison 2". 

En effet, après avoir réglé son compte à Fate (sans toutefois avoir trouvé un nouvel hôte à son heaume), la JLD n'a pas résolu tous les problèmes inhérents à la magie. La menace de l'Homme Inversé demeure, et Lex Luthor a procuré à Circé un surcroît de puissance en prévision d'une guerre décisive pour le règne du monde occulte.

On découvre dans le dernier tiers de cet épisode que la magicienne n'a pas tardé à manoeuvrer puisqu'elle a assemblé son propre groupe en vue d'affronter Wonder Woman et compagnie. Avant cela, Tynion IV gagne un peu de temps au moyen d'artifices narratifs un peu convenus.

Qu'il s'agisse du rêve dans lequel Wonder Woman est appelée par Giovanni Zatara (décidément le véritable marionnettiste de la série, qui manipule tout le monde depuis l'au-delà) et surprise par l'Homme Inversé, ou bien du combat, bref mais intense, de Zatanna et ses partenaires contre une bande de vampires dans une église, il faut admettre que le scénariste ne fait pas preuve d'une grande originalité. C'est efficace certes, mais un peu facile.

On retiendra surtout, pour le spectacle, la bagarre contre les vampires, parce que Tynion IV y exploite enfin Man-Bat comme un membre de la JLD vraiment utile et effrayant. Le traitement de cet ennemi/allié de Batman par le scénariste ne cesse de m'étonner depuis le début de la série, comme s'il s'obstinait à le minorer, à le cantonner à un rôle peu consistant - à l'évidence le membre le moins indispensable et productif de l'équipe. Pourtant Man-Bat a un vrai potentiel, graphique déjà, mais aussi narratif (du fait des effets secondaires de sa transformation, qui peut le rendre enragé). 

L'addition (éphémère ?) de Kent Nelson et Khalid Nassour ajoute un bonus réel de puissance à la JLD, il semble évident que ces deux personnages vont continuer de graviter autour des héros (jusqu'à ce qu'un nouvel hôte pour endosser le rôle de Dr. Fate soit trouvé ?), ne serait-ce que pour leur expérience en matière d'arts occultes.

La scène entre Constantine et Wonder Woman est habile mais un peu téléphonée : en effet, le premier permet à la seconde de déduire qui conspire contre son équipe, or le lecteur l'a deviné bien avant l'amazone, ce qui produit un décalage fâcheux (il est toujours délicat que le lecteur en sache vraiment plus que les personnages, lesquels passent alors pour des idiots). Par ailleurs, déjà en délicatesse avec Zatanna (depuis qu'elle sait qu'il a été l'élève et l'agent de Giovanni Zatara), promettre à Constantine une prochaine explication "musclée" avec l'amazone revient un peu à lui donner le rôle de la tête à claques, du souffre-douleur. Il me semble qu'il est pourtant déjà bien puni depuis que Fate l'a privé de ses pouvoirs.

Malgré ces réserves, tout ça se lit très agréablement. Et c'est une fois encore grâce à la contribution décisive d'Alvaro Martinez, qui produit des planches magnifiques. Avec son encreur Raul Fernandez, il en donne pour son argent au lecteur : le trait est superbe, les finitions incroyables, les ombres enveloppantes, tout cela au service de compositions riches et fluides.

Comme tous les grands dessinateurs, Martinez sait donner à ses personnages une allure qui résume leur personnalité, une attitude appropriée à leurs actions, des expressions subtiles. Souvent, ce sont dans les détails que le meilleur se loge, comme lorsque Constantine tient sa cigarette entre ses doigts, tend son paquet de clopes à Wonder Woman ou souffle la fumée en renversant la tête : il y a beaucoup de naturel dans ses mouvements, comme quand WW enlève sa capuche ou se débat dans son lit. Idem lorsque les personnages se battent (voir l'accablement de Swamp Thing blessé par plusieurs pics).

Il est normal que cet épisode frustre un peu, voire déçoive : c'est une entrée en matière, le scénariste prend son temps. Mais ce qu'il met en place est très alléchant et ambitieux. La série tient un potentiel grand arc narratif, peut-être même un futur classique.

HOUSE OF X #3, de Jonathan Hickman et Pepe Larraz


Avec ce troisième épisode de House of X, et en comptant les trois de Powers of X, nous arrivons donc à mi-parcours du projet de Jonathan Hickman. Et ce qui est troublant, c'est qu'en avançant dans cette double histoire, le scénariste simplifie. Quoiqu'il réserve encore des surprises et invite à se questionner... Avec l'aide, puissante, de Pepe Larraz au dessin, cela aboutit à ce qui ressemble le plus à un chapitre classique des X-Men.


Cyclope a rassemblé une équipe de sept X-Men pour remplir la mission que lui ont assigné Charles Xavier et Magneto : détruire la Sentinelle-Mère fabriqué sur la station Orchis en orbite solaire. Chacun connaît les risques, d'autant que Cyclope a décidé de se priver de la végétation de Krakoa - au cas où l'ennemi les vaincrait et entrerait en sa possession.



Le Projet Achille est un complexe pénitentiaire de haute sécurité assorti d'une cour de justice : c'est là qu'a été conduit Dents-de-sabre après son arrestation par les Quatre Fantastiques. Il plaide coupable tout en assurant qu'il ne sera pas retenu ici, malgré un piètre avocat et des charges accablantes.


Sur ces entrefaites, Emma Frost et les Stepford Cuckoos font leur entrée dans le tribunal et réclament le prisonnier en faisant valoir que, comme tout citoyen de Krakoa, il bénéficie d'une immunité diplomatique. Malgré la tension générée par cette demande, on les laisse partir avec Dents-de-sabre.


Station Orchis. Alors que le Dr. Alia McGregor et Karima Shapandar inspectent les installations, l'alarme se déclenche. Le vaisseau des X-Men est en approche. Nightcrawler se téléporte dans le bâtiment et se présente devant McGregor et Karima.


La sécurité se déploie et les issues sont condamnées. Erasmus, l'ex-mari de McGregor et à la tête d'un commando, ordonne que le projet soit protégé à tout prix tandis qu'il se prépare à accueillir les mutants. Il se fait sauter à proximité de la piste d'atterrissage et l'explosion détruit le vaisseau des X-Men.

C'est un épisode très linéaire encore une fois qu'a écrit Jonathan Hickman, tout comme pour Powers of X #3 la semaine dernière. D'ailleurs ce qui tient lieu d'intrigue semble répondre en écho à ce précédent chapitre puisqu'on suit essentiellement une équipe de X-Men dans une mission risquée, dont l'objectif est d'empêcher la finalisation de la construction d'une Sentinelle-Mère (capable de générer d'autres Sentinelles), à l'origine de la conception de Nimrod.

Mais avec Hickman, il faut se méfier de ce qui semble simple comme de l'eau qui dort. L'issue de l'épisode pose de nombreuses questions parce que, justement, elle emploie un procédé narratif tellement éculé qu'on est obligé de douter de ses conséquences. Les X-Men peuvent-ils vraiment avoir été tués dans l'explosion provoquée par Erasmus ?

Avant cela, Hickman dispose ses pions de manière très élémentaire : un dernier échange entre Cyclope, Xavier et Magneto d'abord. Déjà un trouble s'installe car Xavier s'adresse à Cyclope comme s'il lisait sans se gêner dans ses pensées et même davantage, comme s'il influait sur celles-ci. Cyclope va-t-il au feu volontairement ou forcé ? Il est indéniable qu'en temps que chef d'équipe, il répond à son devoir (protéger les siens) mais Xavier sent de la peur chez lui malgré tout, et alors Cyclope part sans plus d'hésitation. L'attitude de Xavier, depuis le début, interroge (il ne quitte jamais son casque Cerebro, se comporte comme un guide, une éminence grise, laissant à Magneto la lumière) : se pourrait-il qu'il manipule tout son monde (excepté Magneto) ?

Ensuite, nous faisons connaissance avec les X-Men qui ont accepté la mission. La composition de cette équipe est variée : on y trouve des membres attendus (Wolverine), d'autres invisibles jusqu'à présent (Nightcrawler, Archangel), et des surprises (Monet, Husk, voire Mystique et Jean Grey). 'est une formation intéressante par ses éléments les plus inattendus : Cyclope aurait pu choisir des X-Men très puissants (style Havok, son propre frère), au lieu de ça on a Mystique (une métamorphe), Nightcrawler (un téléporteur)... Mais on imagine bien que ceux-ci ne sont pas là par hasard (même Mystique, qui semble toujours aussi revêche).

Cette séquence d'ouverture se termine par le décollage du vaisseau de l'équipe depuis... La lune ! Et on se rappelle en effet qu'une fleur de Krakoa y avait été plantée (voir HOX #1). Il n'empêche, l'effet est efficace et rappelle que Krakoa, donc les X-Men sont désormais un peu partout  sur Terre et dans l'espace (il y a aussi un poste sur Mars).

Hickman emploie ensuite une narration parallèle, très sobre. Qu'est devenu Dents-de-sabre depuis que Cyclope l'a laissé aux Fantastic Four (dans le premier épisode), après le cambriolage de Damage Control ? Il a été convoyé dans un complexe de haute sécurité, une installation du nom de "Projet Achille", avec un tribunal, et des détenus très dangereux. Alors qu'il plaide coupable, en fanfaronnant qu'il ne restera pas ici, Emma Frost intervient et le fait libérer en deux temps, trois mouvements (la fameuse immunité diplomatique obtenue par les Krakoans).

Dans cette scène jubilatoire et ambiguë, on sent tout le plaisir qu'a Hickman d'écrire les X-Men, et en particulier Dents-de-sabre mais surtout Emma Frost, dont il a déclaré qu'elle était un de ses personnages favoris depuis toujours. Il faut associer à cette réussite dans la caractérisation Pepe Larraz qui, comme dans la première séquence, fait des merveilles avec presque rien : en une image, il saisit à la perfection, mieux qu'une présentation, les personnages que lui donne à animer son scénariste. Dents-de-sabre est imposant, insolent, frustre ; Emma Frost est élégante, froide, précise. Le dessinateur capte la substantifique moelle des personnages par leurs gestuelles, leurs expressions, leurs tenues, leurs positions dans l'espace. C'est remarquable.

Puis nous nous dirigeons vers la dernière ligne droite : les X-Men arrivent à la station Orchis, la sécurité de celle-ci s'active... Le déroulement de l'action s'accélère subitement, on sent que les deux parties en présence n'ont pas de temps à perdre. Les X-Men doivent agir prestement tout comme le personnel d'Orchis. Hickman orchestre tout cela magistralement, on sent la tension à l'oeuvre. La façon dont Nightcrawler est employé est jubilatoire : un éclaireur, sûr de lui (et muni d'une épée - un clin d'oeil à un fameux épisode d'Excalibur, ou à sa passion pour les films de cape et d'épée ? En tout cas, c'est bien vu).

Larraz encore une fois fait des prodiges. Ses planches sont spectaculaires, le flux de lecture d'une fluidité imparable, la valeur de chaque plan ajustée (là-aussi, le découpage qui accompagne Nightcrawler dans la station est superbe). L'artiste compose merveilleusement ses cadres pour que le lecteur ressente pleinement que, malgré la petitesse du vaisseau des X-Men, il y a un danger réel pour Orchis, malgré son arsenal de défense. Les couleurs de Marte Gracia participent aussi de cela, avec les teintes chaudes (soleil proche oblige) environnant la station et les lumières à l'intérieur du bâtiment quand l'alarme se déclenche.

Il faut alors en revenir au cliffhanger de l'épisode. Si tout s'enchaîne avec beaucoup de souplesse, l'explosion finale relève d'un artifice dramatique vu et revu. Mais il me semble que Hickman en joue justement pour titiller le lecteur. Deux options s'offrent à nous : soit les X-Men meurent, soit ils survivent (on peut imaginer plusieurs moyens allant dans ce sens : Nightcrawler téléporte plusieurs de ses partenaires, Jean Grey les enveloppe dans une bulle télékinésique...).

S'ils meurent, alors on ne peut guère s'empêcher de penser à la toute première scène du premier épisode de HOX dans laquelle on voyait Xavier dans les entrailles de Krakoa au moment où sortait de cocons plusieurs mutants - dont l'un avait les yeux rougeoyants comme Cyclope. Cette scène était-elle un flash-forward, révélant que l'équipe envoyée sur Orchis renaissait grâce à Krakoa après avoir été tué en mission sur Orchis ? C'est une théorie, la semaine prochaine permettra sûrement de vérifier sa pertinence.

Mais, au fond, c'est en cela, peut-être autant (voire plus) que la relance réussie dans POX-HOX des X-Men, que le projet de Hickman est si jouissif à lire et suivre (en plus de sa structure narrative, où les deux titres se répondent, se complètent) : le lecteur est invité et motivé pour tenter d'anticiper le prochain mouvement de l'histoire. Lorsque le scénariste, comme cette semaine, complète son propos par des "data pages" (cette fois sur l'échelle évolutive des Sentinelles jusqu'à Nimrod, sur le Projet Achille, sur les vies antérieures de Moira...), ce ne sont jamais des indications sur la narration elle-même, sur les rebondissements à venir. On lit tout cela, accroché, mais toujours suspendu à la suite.

Chapeau bas !

samedi 24 août 2019

MINDHUNTER (Saison 2) (Netflix)


Il aura fallu attendre vingt-deux mois pour enfin découvrir la saison 2 de Mindhunter, mise en ligne par Netflix le 16 Août dernier. Mais le jeu en valait la chandelle car la série demeure un modèle d'excellence. Avec ces neuf nouveaux épisodes, très denses, on va découvrir le développement du BSU et explorer une affaire retentissante sur quatre années.

Holden Ford (Jonathan Groff)

1977. Après sa dernière rencontre avec Ed Kemper, Holden Ford, succombant à une crise de panique, est interné en clinique psychiatrique. Absent de la Behavioral Science Unit, il manque le remplacement de Shepard par Ted Gunn à la tête du département du FBI : ce dernier est un supporter des méthodes de profilage et veut développer leur usage. Mais il charge aussi Wendy Carr et Bill Tench de canaliser Holden Ford. Pendant ce temps au Kansas, le tueur BTK est surpris par sa femme en lingerie féminine... 

 David Berkowitz alias "Son of Sam" (Oliver Cooper)

Tench se rend au Kansas pour aider la police locale à dresser le profil de BTK, actif depuis trois ans : il rencontre l'unique rescapé du tueur, Kevin. De retour au Bureau, avec Ford, il part interroger David Berkowitz alias "Son of Sam". Celui-ci avoue avoir menti durant son procès en prétendant avoir agi sous l'emprise de voix démoniaques. Nancy, la femme de Bill, apprend qu'un meurtre a été commis dans une maison qu'elle a vendue. 

 Holden Ford et Jim Barney (Jonathan Groff et Albert Jones)

Bill indisponible car il veut apaiser Nancy et parler à l'inspecteur chargé de l'enquête, Holden collabore avec l'agent Jim Barney à Atlanta pour interviewer deux nouveaux tueurs en série - qui s'avèrent de parfaits idiots. A son hôtel, Holden est abordé par Tanya, la réceptionniste, qui le présente à un groupe de femmes noires sont les fils ont disparu ou ont été tués, mais que la police ignore. Wendy rencontre Kay, une barmaid. Au Kansas, BTK est désormais obligé de coucher dans son salon et passe son temps à la bibliothèque à dessiner des femmes ligotées... 

 Wendy Carr et Kay (Anna Torv et Lauren Glazier)

A la demande de Ford, Gunn les envoie, lui et Tench, à Atlanta pour aider la police locale sur ces meurtres d'enfants noirs. Wendy est contrariée par la dispersion de l'unité et décide de mener les interrogatoires de tueurs avec l'agent Smith, pourtant inexpérimenté. Ils rencontrent Elmer Wayne Henley, victime puis complice de Dean Corll alias "Candy Man". Les autorités d'Atlanta désapprouvent les méthodes de Tench et Ford et le juge local refuse de se fier aux profileurs pour délivrer des mandats : l'expérience tourne court. De retour auprès de Nancy, Bill apprend que leur fils adoptif, Brian, a participé au meurtre dans la maison qu'elle a vendue. 

 Charles Manson et Bill Tench (Charles Manson et Holt McCallany)

Tench et Ford reprennent les interrogatoires de tueurs et obtiennent grâce à Gunn de rencontrer Charles Manson - même si Wendy souligne qu'il n'a jamais tué. Ils découvrent un fanfaron illuminé, rejettant la responsabilité sur la société, mais très influent sur les membres de sa "famille", comme le confirme Tex Watson. Brian n'est pas poursuivi par la justice mais doit suivre une thérapie avec un psy, supervisée par les services sociaux. Gunn invite Wendy, Bill et Holden à une réception en présence du directeur du FBI pour le convaincre de financer leur unité. Au Kansas, BTK enterre une boîte dans son jardin... 

 Barney, Ford et Tench

Rappelés à Atlanta en raison de nouveaux meurtres d'enfants noirs, Ford et Tench laissent à Wendy et l'agent Smith le soin d'interroger Paul Bateson. Le profil que Holden fait du tueur d'Atlanta (jeune, noir, se déplaçant dans une voiture de police) provoque un courroux général. La communauté noire accuse le Ku Klux Klan. Un suspect est arrêté et relâché. Au Kansas, BTK dessine un logo pour signer ses meurtres... 

 Ford, Tench, Barney et le chef Redding (Jonathan Groff, 
Holt McCallany, Albert Jones et Gareth Williams)

La liste des victimes s'allonge encore à Atlanta, ce qui force les autorités à reconsidérer l'approche de Ford. Tench, lui, est obligé de faire des allers-retours réguliers chez lui et constate, impuissant, à la dégradation de son couple, car Nancy refuse d'admettre la reponsabilité de Brian, qui se mure dans le silence. Wendy propose à Kay de vivre avec elle sans conviction, ce qui provoque leur première dispute.


 Tench et Ford

1981 : Frank Sinatra et Sammy Davis Jr. donnent un concert de charité à Atlanta en faveur des familles des victimes. Holden mise sur le fait que le tueur ne pourra s'empêcher de se mêler de l'enquête. Avec Tench et Barney, il établit des liens entre plusieurs enfants assassinés puis les investigations se concentrent sur les ponts de la ville après que plusieurs corps aient trouvé sur les rives du fleuve. Pendant quatre semaines, la police surveille les sites jour et nuit. Jusqu'à ce qu'un homme soit arrêté...

La fin de l'affaire des meurtres d'Atlanta

Wayne Williams est, après plusieurs arrestations et interrogatoires, ainsi que des analyses sur son véhicule, mis en examen. Mais l'accusation ne retient que deux meurtres d'adultes, les seuls rattachés à des preuves matérielles. Cette issue frustre les mères des enfants et Ford, même s'il doute que Williams ait tué les vingt-neuf victimes. En revanche, Gunn et Tench sont satisfaits car le BSU est crédité pour la résolution de l'affaire. Wendy rompt finalement avec Kay après l'avoir surpris avec son ex-mari à qui elle a affirmé avoir une relation sans importance. Bill rentre chez lui et découvre sa maison vidée, Nancy partie sans donner d'adresse avec Brian.

Comme ce résume (non exhaustif) l'indique, c'est avec une sévère impression de gueule de bois que s'achève la saison 2 de Mindhunter. Ce sentiment ne provient pas seulement de la "conclusion" de l'affaire des meurtres d'Atlanta (pour laquelle personne ne fut jamais arrêté et poursuivi pour l'assassinat des enfants noirs), mais plus généralement de la construction de la série elle-même, comme si elle payait elle aussi les frais de sa réussite.

Je m'explique : loin de moi l'idée de dire que cette saison 2 est inférieure à la première, au contraire en un sens elle est même meilleure parfois car elle assume dans son récit de développer son concept même. Joe Penhall, le showrunner, et les réalisateurs David Fincher (qui signe les trois premiers épisodes), Andrew Dominik (les deux suivants) et Carl Franklin (les quatre derniers), ne se sont pas reposés sur leurs lauriers en continuant à écrire et mettre en scène des interviews de tueurs en série charismatiques. Non, on assiste franchement à l'évolution du BSU, son envol même, sa confrontation avec le réel (via l'affaire d'Atlanta), et donc les retours d'expérience.

Et c'est sur ce dernier point que le constat est amer. On voit les héros (le trio Ford-Tench-Carr) dépassés par leur chantier et son expansion, cela créé une crise feutrée, des frustrations diverses, profondes. Les agents ont de plus de plus de difficultés à mener de front une vie sociale, et leur métier. Leur métier devient lui-même bicéphale puisque, initialement, il s'agissait de recherches scientifiques sur le comportement des criminels récidivistes et violents, mais voilà qu'on leur demande désormais de tester leurs théories sur des affaires en cours (l'insaisissable BTK et Atlanta). 

Comme dans l'unité, la série compte les points et il y a des perdants. Le personnage qui souffre le plus est incontestablement celui de Wendy Carr : c'est regrettable car elle apporte une perspective originale au récit et aussi parce que, simplement, on voit du coup moins Anna Torv. L'actrice est tellement fabuleuse dans son rôle qu'on est forcément frustré, tout comme son personnage l'est de voir le BSU subissant des pressions politiques, internes. C'est toute la problématique de la narration qui se révèle alors : Mindhunter doit grandir et cela passe par un changement de sa construction, on ne peut plus suivre seulement un passionnant travail scientifique sur les origines du profilage, il faut aussi désormais compter avec l'application des enseignements tirés des interviews de serial killers.

En revanche, le grand gagnant de cette saison 2 est le personnage de Bill Tench, génialement campé par un Holt McCallany minéral. La bascule s'opère rapidement puisque dès le premier épisode il "couvre" l'absence de Ford (qu'il retrouvera en clinique psy) puis surtout quand, ensuite, son fils adoptif est impliqué dans un meurtre terrifiant, qui questionne sur les racines du mal. Ce subplot agit comme une bombe à fragmentation dans la série car on assiste à la lente mais inéluctable désintégration du couple Tench - Nancy refusant d'admettre la responsabilité de Brian, puis oeuvrant pour fuir avec lui, Bill s'épuisant à aller et venir et convenant de son impuissance.

Au centre de la saison, on a aussi droit à une sorte de faux climax, de pic décevant avec l'entretien tant attendu avec Charles Manson (interprété de manière confondante par Damon Herriman). Holden Ford rêvait de l'interroger depuis la saison 1, bien qu'il ne soit pas un tueur en série. Le résultat est un échec et la série l'assume : Manson est un manipulateur grandiloquent mais qui n'a effectivement rien à faire au tableau de chasse des profileurs. Les crimes commis par sa "famille", leurs mobiles, restent horribles, sordides, indubitablement, mais Mindhunter justement s'en tient à sa ligne qui est de ne jamais chercher à mythifier ces monstres. Des monstres d'ailleurs de plus en plus pathétiques (le menteur "Son of Sam", Bateson, Henley).    

Puis la seconde moitié de la saison est littéralement vampirisée par l'affaire d'Atlanta. Sa narration est formidable, dévoilant les jeux de pouvoir locaux, l'aspect laborieux de l'enquête, le temps long des investigations (même si, selon moi, tout ça aurait gagné à avoir quelques panneaux indiquant le défilement des années car l'affaire a tout de même duré de 1977 à 1981). Tout ça est mis en vis-à-vis avec la conviction inébranalable de Ford sur le profil du tueur (ou du moins du tueur principal, car il finit par admettre qu'il y a certainement eu plus d'un auteur pour ces vingt-neuf morts).

Le plus fort peut-être est d'avoir réussi à traiter la question raciale sans en avoir l'air puisque lorsque Wayne Williams est finalement mis en examen et nommé dans les médias, Tanya, la réceptionniste qui avait sollicité l'aide de Ford, l'accuse d'avoir accablé un noir, "peut-être la trentième victime de cette affaire". C'est ce comble, cette absurdité qui renforce aussi l'impression de gueule de bois, au même titre que, comme le relève Tench, le FBI et le BSU ont fait leur travail (et ont gagné du crédit). Bien entendu, cela ne satisfait pas Ford, ni le téléspectateur qui ont bien conscience que la résolution n'en est pas une (un panneau rappelle que l'affaire a été bouclée sans jamais que quelqu'un soit désigné coupable des meurtres des enfants). L'impassibilité de Jonathan Groff masque alors difficilement une forme de lassitude, voire d'écoeurement ou de résignation : son "oeuvre" (le profilage moderne) est devenu un outil du système, sa "création" lui échappe.

Il est des victoires au goût de défaite : c'est ce que démontre magistralement cette saison 2. Souhaitons tout de même qu'on n'ait pas à attendre encore près de deux ans avant de voir de nouveaux épisodes, surtout avec le teasing anxiogène en diable concernant BTK, le tueur du Kansas.

vendredi 23 août 2019

PUNK MAMBO #5, de Cullen Bunn et Adam Gorham


C'est la fin de la mini-série consacrée à Punk Mambo... Mais pas la fin des aventures de cette héroïne issue de la série Shadowman. En effet, à la dernière page de cet épisode, on nous annonce son retour prochain. Souhaitons juste que Cullen Bunn et Adam Gorham resteront aux commandes.

Bon, allez, on va zapper le traditionnel résumé car, vous l'aurez facilement deviné, Punk Mambo réussit à vaincre Azaire Aguilliard, ses tontons macoutes et l'oncle Gunnysack, avec le soutien de Josef.


C'est le lot de toute mini-série et des comics en général : à la fin, les gentils gagnent, les méchants perdent. L'intérêt est ailleurs, dans la manière dont les héros remportent la victoire, ce qu'ils laissent dans l'affrontement. Et de ce point de vue, Punk Mambo est spectaculaire à souhait, à défaut d'être original ou palpitant.


J'aurai apprécié que Cullen Bunn rende tout ça moins facile, moins expéditif, car, tout de même, Azaire Aguilliard est investi d'une force divine (ayant absorbé les pouvoirs des dieux vaudous). Or, Punk Mambo le corrige sans trop forcer, certes régénèrée après son passage à tabac, mais trop peu impressionnée par la tâche qui l'attend.


Ce n'est pas un défaut de construction narrative car Bunn a bien dosé ses effets durant les cinq épisodes. Simplement, il conclue de façon trop décontractée, et échoue à faire vibrer le lecteur en mettant en scène une Punk Mambo trop sûre d'elle.


Les vraies stars de cette conclusion sont Adam Gorham et surtout le coloriste José Villarubia. Le découpage du premier est très efficace, il se permet des doubles pages superbes et audacieusement composées (en particulier celle se situant dans le plan astral). L'expressivité des personnages compte pour beaucoup dans le plaisir de la lecture.

Quant à Villarubia, il sublime le dessin de Gorham et dope sérieusement le script de Bunn. Lorsque le combat s'engage, il déploie une palette à la fois vive et subtile, qui renvoie aux meilleurs épisodes, très psychédéliques, de Doctor Strange par Steve Ditko (comme quoi, les vrais classiques ne se démodent jamais). C'est surtout la preuve qu'il n'existe pas de BD "pure" en noir et blanc car, lorsqu'un comic-book est entre les mains d'un véritable artiste de la couleur, et que le récit l'exige, le média accède à une autre dimension, que le noir et blanc n'autoriserait pas. Punk Mambo perdait beaucoup sans ses couleurs fantastiques.

Valiant ne dit cependant pas quand son iconoclaste anglaise reviendra, mais assurément, je vais surveiller ça.

BLACK HAMMER / JUSTICE LEAGUE : HAMMER OF JUSTICE ! #2, de Jeff Lemire et Michael Walsh


Le crossover entre Black Hammer et Justice League se poursuit et il est toujours aussi divertissant. Jeff Lemire a l'art et la manière pour conter une histoire à la fois simple et nébuleuse, que le dessin de Michael Walsh sert parfaitement. Si les deux équipes interagissent peu, les situations s'enchaînent et captivent.


Rockwood. Bruce Wayne se fait arrêter par le shérif Trueheart, las qu'il patrouille à sa place. Lorsqu'il rentre à la ferme, Clark Kent l'attend. Mais, contrairement à ce que lui reproche son ami, il ne s'est pas résigné à son sort.


Metropolis. Le gang Back Hammer affronte Starro le conquérant de manière désordonnée. Gail s'énerve après Mme Dragonfly et Abe après Barbalien. Visiblement, les héros manquent d'exercice.


Mais des renforts arrivent en la personne du Martian Manhunter, Hawkgirl et Aquaman. La crise s'apaise mais les membres restants de la Justice League exigent au gang du Black Hammer des explications sur la disparition de leurs partenaires.


Le seul qui pourrait les éclairer est loin de là : le colonel Weird est appréhendé par le Green Lantern Corps. Mais il convainc John Stewart de le suivre dans la Para-Zone  et de remonter le temps à la recherche du mystérieux individu qui a déplacé leurs équipes.


Retour à Rockwood. Diana Prince trouve Vic Stone/Cyborg seul dans une pièce plongée dans le noir de la ferme. Il refuse de sortir pour ne pas effrayer les locaux. Diana lui répond qu'il doit réagir, en hommage au sacrifice de Flash...

Jeff Lemire ne fait rien comme les autres et logiquement son crossover ne ressemble pas à une de ces sagas spectaculaires comme en produisent les "Big Two". Il a su ne pas se troubler en animant la Justice League et imposer l'esprit qui domine dans la série Black Hammer.

La preuve la plus flagrante se situe dans le dernier quart de l'épisode, à l'écart de ce qui se joue avec les membres du Black Hammer gang et de la Justice League. La clé de l'intrigue passe par le colonel Weird, ce qui garantit un développement et un dénouement échappant à toutes les conventions - vu le désordre mental du personnage.

Appréhendé par le Green Lantern John Stewart, il lui fausse facilement compagnie, le temps d'un détour très drôle dans le monde de Bizarro (où il découvre des répliques dégénèrés de ses amis). Puis il convainc ensuite Stewart de le suivre dans la Para-Zone, ce nexus familier aux fans de Black Hammer. Dans cette dimension parallèle, on voit le passé, le présent, le futur, et donc comment toute cette étrange histoire a débuté.

Dans ces scènes, tout l'art du décalage, du démarquage de Lemire fait merveille : Stewart dépend de ce cinglé de Weird qui, pourtant, détient la solution de l'énigme. C'est drôle, curieux, exquis. Parce que ça ne ressemble à rien de ce qu'on pourrait attendre d'une telle production.

Avant et après cette espèce de parenthèse, le scénariste réussit à saisir de façon rapide et précise la frustration des membres de la Ligue coincés à Rockwood (Bruce Wayne qui patrouille, Clark Kent qui ne se résigne pas, Diana Prince qui bouillonne, Cyborg qui se cache), avec en prime une dernière page glaçante concernant le sort de Flash (un clin d'oeil évident au fait que le speedster est souvent sacrifié dans les Crisis). Plus convenu, ce qui arrive aux membres du Black Hammer gang compense par la tonicité des échanges entre les personnages (impayables répliques de Gail et Barbalien - notamment quand il indique au Martian Manhunter que tout le monde sait que les vrais martiens sont rouges).

Si on s'emballait, on pourrait dire que Michael Walsh n'a pas grand-chose à faire car le script est brillant et n'a guère besoin d'un dessin flamboyant. Mais justement l'humilité de l'artiste est ce qui donne sa valeur à sa contribution.

Effectivement, les situations s'enchaînent, dynamiques, pleines de relief, mais Walsh tient le rythme et les met en valeur sans se mettre en avant. Dans ce switch imposé par l'intrigue, lui aussi a choisi de privilégier l'ambiance de Black Hammer - qu'on pourrait appeler fantastique tranquille. Pas question de défigurer le propos avec des doubles pages qui claquent (même si celle qui voit John Stewart et Weird dans la Para-Zone est superbe). Walsh reste la plupart du temps au niveau des personnages, de leurs réactions, de leurs expressions.

L'intimisme prévaut, les interactions entre les héros dominent. Mais ce n'est pas austère, juste sobre.

Peut-être manque-t-il encore un peu plus de folie à tout cela pour réellement transcender l'exercice de style. Mais ses fans le savent, Lemire avance sans se presser pour mieux les cueillir. Hammer of Justice ! a encore bien des surprises en réserve. 

jeudi 22 août 2019

POWERS OF X #3, de Jonathan Hickman et R. B. Silva


Ce troisième chapitre de Powers of X surprend encore une fois, à commencer par sa propre parution puisqu'elle intervient directement après celle du #2 (par conséquent, la semaine prochaine et dans quinze jours, nous aurons droit à deux épisodes d'affilée de House of X). Mais la mécanique élaborée par Jonathan Hickman suit une logique implacable et les événements narrés continuent d'éclairer le fil des deux récits. RB Silva lâche les chevaux dans ce volet spectaculaire et désespéré.


X-Men, An 100. Les mutants survivants de l'Astéroïde K lance leur mission-suicide sur Terre et se divise en deux groupes. Le premier, composé de North, Xorn, Rasputin IV et Cardinal attaquent une assemblée de l'Eglise de l'Ascendant.


La manoeuvre attire immédiatement l'attention de Nimrod et Karima Shapandar, qui part intervenir avec des Sentinelles. Elles tuent North et Cardinal. Xorn est blessé et Rasputin IV lui ôte son masque, créant un trou noir qui les emporte avec leurs adversaires.
   

Le deuxième groupe, composé de Wolverine, Apocalypse et Cypher/Krakoa, s'introduit dans les archives de Nimrod grâce à la diversion offerte par le premier groupe. Cypher/Krakoa y trouve vite ce qu'ils sont venus chercher.


Mais Nimrod intervient. Apocalypse ordonne à Wolverine de se retirer via un portail ouvert par Cypher/Krakoa pendant qu'il occupe le robot. Wolverine accède à une pièce où Moira McTaggert est en animation suspendue.


Elle se réveille et assimile les données dérobées par Cypher/Krakoa : les fichiers originaux de la conception de Nimrod. Pour ne pas risquer que ce dernier les récupère, Wolverine tue Moira comme convenu. Ainsi s'achève sa neuvième vie.

Tout d'abord, ce troisième épisode est le plus linéaire, directe de la mini-série (et de la saga entière). Jonathan Hickman avait annoncé le programme dans le chapitre précédent : les X-Men du futur allaient partir en mission-suicide pour piller les archives de Nimrod et c'est ce à quoi on a droit - un récit intense, rapide, spectaculaire, désespéré, où pratiquement tout le monde meurt.

Mais l'apparente simplicité de cette construction, inhabituelle de la part d'un scénariste qui adore jouer avec la spatio-temporalité, se révèle une fois encore génialement ludique et complexe à la fois car elle relance la partie de manière très profonde.

Pour bien saisir l'enjeu, il faut se rappeler de House of X #2, en particulier de la neuvième vie de Moira McTaggert - dans laquelle elle devenait une disciple d'Apocalypse et se lancait à ses côtés dans une guerre sans fin contre Nimrod - et ensuite que, à chaque réincarnation, Moira se souvient de toutes les expériences de ses vies passées - donc, que dans sa dixième existence, elle a la connaissance de celle avec Apocalypse comme maître et partenaire dans un contexte dominé par Nimrod.

Une fois ceci rappelé, on peut ensuite situer l'action de l'An 100 des X-Men dans la neuvième vie de Moira McTaggert. Il s'agit d'une ligne temporelle différente de celle qu'on voit lors des scènes estampillées "X-Men, Year Ten", lorsque Cyclope accepte de partir en mission contre la station Orchis (voir Powers of X #2).

Vous commencez à voir où je veux en venir ? Si, comme c'est le plus probable, quand Cyclope accepte de mener l'assaut contre Orchis, nous sommes dans la dixième (et supposément dernière) vie de Moira McTaggert. Il y a donc fort à partier que c'est elle, en se souvenant de ce qui lui arrive dans sa neuvième vie, donc dans ce qu'on découvre dans ce Power of X #3, indique à Charles Xavier qu'il faut cambrioler Damage Control car c'est là que se trouve le plan d'Orchis (construction d'une Super-Sentinelle, capable de générer d'autres Sentinelles, ce qui conduira à la naissance de Nimrod).

Les mutants de l'Astéroïde K (les fameux "Dix" restants - même si Cylobel et Parcival sont morts) se lancent donc dans une mission-suicide pour récupérer le premier fichier de construction de Nimrod. Une équipe fait diversion pour occuper Karima Shapandar pendant que l'autre pille les archives du robot. Ils se sacrifient tous pour que Wolverine rejoignent une chambre où Apocalypse a placé Moira en animation suspendue. Wolverine la réveille, Moira intrègre les données relatives à la conception de Nimrod, Wolverine la tue. Fin de la neuvième vie de Moira. Dixième renaissance de Moira, qui informe Xavier sur Orchis, etc.

Deux choses : la première, c'est que, du coup, même si l'assaut programmé contre Orchis reste dangereux, il n'est pas condamné à être une mission-suicide, car il est mieux préparé, disposant d'un stratège comme Cyclops pour le mener (et certainement d'une équipe de choc pour l'accompagner : la couverture de House of X #3 montre Jean Grey, Wolverine...). Si l'opération est un succès, c'est l'existence de Nimrod qui est sérieusement compromise, voire annulée, et donc un futur différent de celui de la neuvième vie de Moira (sans compter la probable neutralisation de Karima Shapandar).

La seconde... C'est que Jonathan Hickman n'a quand même pas abattu toutes ses cartes. En effet, la sixième vie de Moira demeure un mystère total : que s'y est-il passé ? Quelle direction a-t-elle prise ? Quel impact a-t-elle eu sur les suivantes (et sur la dixième surtout) ? On devine bien que l'auteur n'est pas pressé de lever le voile - peut-être même ne le lévera-t-il pas dans HOX-POX, pour en faire une sorte de subplot de la série X-Men qui prendra le relais en Octobre (un peu à la manière des Bâtisseurs dans ses Avengers qui ont irrigué toute la série jusqu'à Infinity).

Quoiqu'il en soit, cet épisode est explosif et très efficace. Sa couverture évoque le western avec Rapustin IV et Cardinal défiant la Sentinelle Oméga (tandis que d'autres Sentinelles sont postées derrière eux). La narration poursuit dans ce sens : avec sept héros en action, on pense aux Sept Mercenaires, également engagés dans une missio-suicide. Hickman ne fait pas de cadeau au lecteur : seul Wolverine (mais d'une manière logique, et pas seulement parce que c'est le plus populaire des mutants encore en activité) s'en sort.

RB Silva donne tout dans cet épisode. J'ai pu sembler un peu réservé sur sa prestation ou son style parce que, pour ce dernier, la ressemblance avec Immonen est tellement visible qu'elle en devient parasite. Mais il accomplit là un effort tout à fait admirable.

L'artiste doit en effet produire suffisamment d'images iconiques pour que le lecteur mesure le sacrifice de ces rebelles mutants, prêts à tout pour sauver non pas le futur mais une nouvelle ligne de vie. L'entrée en scène de la première unité (avec Xorn dans un rôle de fataliste, Cardinal qui enfreint toutes ses propres règles et Rasputin IV qui effectue un baroud d'honneur) est vraiment puissante. Lorsque les Sentinelles arrivent, on sent immédiatement que ça ne finira effectivement pas bien, soudain ces grands robots font à nouveau vraiment peur.

Le mouvement de la seconde unité est presque plus feutré. Silva (qui s'encre lui-même pour la première fois, avec succès) exploite parfaitement le non-décor éthéré des archives de Nimrod pour en faire ensuite un champ de bataille presque dématérialisé par la riposte du robot. Le dessinateur croque Wolverine comme il doit l'être : petit, rablé, trappu - le contraste avec Cypher/Krakoa (qui ont donc fini par fusionner - une idée là encore logique) et Apocalypse, aux silhouettes plus imposantes et baroques, fonctionne à plein, tout comme l'attitude de Nimrod que Silva anime comme une entité imbattable, profitant de sa supériorité pour jouer avec ses adversaires.

Le découpage est toujours basique, il sert le récit, maximise les effets. C'est ce qu'il faut. C'est juste, approprié. Intelligent.

Le numéro bénéficie encore une fois d'une mise en forme exemplaire : Tom Muller présente les pages non dessinées avec élégance et originalité - comme quand il s'agit de visualiser les quatre derniers cavaliers d'Apocalypse, et les enfants d'Akkaba. Ou le graphique des vies de Moira McTaggert (voir ci-dessus), qui nous enseigne qu'elle meurt à 123 ans dans sa neuvième vie.

C'est vraiment jouissif à lire. Ah, les amis, quel pied de relire du X-Men aussi épatant et inventif !  

samedi 17 août 2019

EVENT LEVIATHAN #3, de Brian Michael Bendis et Alex Maleev


Nous sommes déjà à mi-course de Event Leviathan et bien malin qui pourra deviner qui se cache sous la capuche rouge (comme le demande la couverture en accroche). Brian Michael Bendis a eu beau promettre que le mystère n'était pas insoluble, on est quand même bien en difficulté. Et les héros aussi. Contrairement à Alex Maleev, qui donne à tout cela une ambiance entre chien et loup envoûtante.


La Forteresse de Solitude, Triangle des Bermudes. Le groupe de détectives assemblé par Lois Lane fait le point sur sa rencontre avec Red Hood. Elle s'est mal passée, mais ils peuvent en tirer des enseignements.


Quelques heures auparavant : Red Hood tente d'échapper à la curée. Il se débarrasse de Plastic Man en premier, en lui tirant dessus à bout portant. Puis entraîne dans sa chute Damian et Batman, qui passent à travers une verrière.


La bataille dégénère franchement, personne ne se fait de cadeau. A ce jeu, Red Hood a un avantage car il ne retient jamais ses coups. Il réussit à s'éloigner de Batman avant d'être pris à parti par Manhunter.


Mais elle ne profite guère de son assaut surprise. Lois Lane s'interpose en interrogeant Red Hood à chaud. S'il n'est pas Leviathan, il admet approuver ses manoeuvres, car comme lui il voit que les super-héros échouent à maintenir l'ordre et la paix.


A la Forteresse, Lois Lane cite Amanda Waller comme une suspecte pour Red Hood. Où est-elle d'ailleurs ? Abordée apr Leviathan, elle voit leur échange interrompu par Superman.

La dernière page, avec le retour dans la partie de Superman (absent de la saga, mais présent via la série Action Comics), relance complètement l'intrigue et promet beaucoup pour la suite. Mais avant cela, ce numéro d'Event Leviathan est un petit bijou d'action.

Ceux qui reprochent volontiers à Alex Maleev de ne pas être à son avantage dans ce genre d'exercice devront réviser leur jugement car le dessinateur a à faire avec ce que Brian Michael Bendis lui a réservé.

La narration joue sur un faux suspense : on devine d'entrée que les détectives recrutés par Lois Lane ont échoué à coincer Red Hood, mais en montrant comment a eu lieu ce fiasco, il faut convaincre le lecteur que Jason Todd a pu se débarrasser de six justiciers aguerris.

Bendis tire habilement parti du fait que 1/ Red Hood n'a plus rien à perdre, il est le suspect idéal et ne va as retenir ses coups pour s'en sortir ; et 2/ parce qu'il est le plus violent des anciens sidekicks de Batman, il va transformer la bataille en un match désordonné, avec des ruses et des mauvais coups.

On devine en effet que Batman veut tout de même attraper Red Hood sans jouer à sa manière. Et Maleev parvient à merveille à saisir ce contraste : les adversaires se gênent, leur assaut est brouillon, leurs interventions mal coordonnées. C'est ce qui cause leur perte.

En fait, l'artiste lui-même joue sur le manque de dynamisme de son dessin pour restituer le cafouillage de cette arrestation manquée. On y finit en passant à travers une verrière, dans une benne à ordures, rien de gracieux. Et c'est ce qu'il fallait pour cette lutte-là.

Le climax de cette séquence a lieu dans un face-à-face très tendu entre Red Hood et Lois Lane qui l'interroge après qu'il se soit défait de Manhunter. Il pointe d'abord son flingue sur la reporter puis baisse son arme et s'éloigne tout en répondant à ses questions. Plus important encore : les réponses qu'il donne collent avec le personnage et légitiment de façon troublante l'action de Leviathan. On en revient au fait que ce dernier fait ce que les super-héros n'osent pas.

On est captivé par cette histoire, même si on peut être frustré par son mystère et craindre que la réponse à la question de l'identité de Leviathan déçoive. C'est le gros risque de ce projet, mais Bendis semble avoir un sérieux as dans sa manche. Du coup, on relance. La partie n'est pas finie.