samedi 24 août 2019

MINDHUNTER (Saison 2) (Netflix)


Il aura fallu attendre vingt-deux mois pour enfin découvrir la saison 2 de Mindhunter, mise en ligne par Netflix le 16 Août dernier. Mais le jeu en valait la chandelle car la série demeure un modèle d'excellence. Avec ces neuf nouveaux épisodes, très denses, on va découvrir le développement du BSU et explorer une affaire retentissante sur quatre années.

Holden Ford (Jonathan Groff)

1977. Après sa dernière rencontre avec Ed Kemper, Holden Ford, succombant à une crise de panique, est interné en clinique psychiatrique. Absent de la Behavioral Science Unit, il manque le remplacement de Shepard par Ted Gunn à la tête du département du FBI : ce dernier est un supporter des méthodes de profilage et veut développer leur usage. Mais il charge aussi Wendy Carr et Bill Tench de canaliser Holden Ford. Pendant ce temps au Kansas, le tueur BTK est surpris par sa femme en lingerie féminine... 

 David Berkowitz alias "Son of Sam" (Oliver Cooper)

Tench se rend au Kansas pour aider la police locale à dresser le profil de BTK, actif depuis trois ans : il rencontre l'unique rescapé du tueur, Kevin. De retour au Bureau, avec Ford, il part interroger David Berkowitz alias "Son of Sam". Celui-ci avoue avoir menti durant son procès en prétendant avoir agi sous l'emprise de voix démoniaques. Nancy, la femme de Bill, apprend qu'un meurtre a été commis dans une maison qu'elle a vendue. 

 Holden Ford et Jim Barney (Jonathan Groff et Albert Jones)

Bill indisponible car il veut apaiser Nancy et parler à l'inspecteur chargé de l'enquête, Holden collabore avec l'agent Jim Barney à Atlanta pour interviewer deux nouveaux tueurs en série - qui s'avèrent de parfaits idiots. A son hôtel, Holden est abordé par Tanya, la réceptionniste, qui le présente à un groupe de femmes noires sont les fils ont disparu ou ont été tués, mais que la police ignore. Wendy rencontre Kay, une barmaid. Au Kansas, BTK est désormais obligé de coucher dans son salon et passe son temps à la bibliothèque à dessiner des femmes ligotées... 

 Wendy Carr et Kay (Anna Torv et Lauren Glazier)

A la demande de Ford, Gunn les envoie, lui et Tench, à Atlanta pour aider la police locale sur ces meurtres d'enfants noirs. Wendy est contrariée par la dispersion de l'unité et décide de mener les interrogatoires de tueurs avec l'agent Smith, pourtant inexpérimenté. Ils rencontrent Elmer Wayne Henley, victime puis complice de Dean Corll alias "Candy Man". Les autorités d'Atlanta désapprouvent les méthodes de Tench et Ford et le juge local refuse de se fier aux profileurs pour délivrer des mandats : l'expérience tourne court. De retour auprès de Nancy, Bill apprend que leur fils adoptif, Brian, a participé au meurtre dans la maison qu'elle a vendue. 

 Charles Manson et Bill Tench (Charles Manson et Holt McCallany)

Tench et Ford reprennent les interrogatoires de tueurs et obtiennent grâce à Gunn de rencontrer Charles Manson - même si Wendy souligne qu'il n'a jamais tué. Ils découvrent un fanfaron illuminé, rejettant la responsabilité sur la société, mais très influent sur les membres de sa "famille", comme le confirme Tex Watson. Brian n'est pas poursuivi par la justice mais doit suivre une thérapie avec un psy, supervisée par les services sociaux. Gunn invite Wendy, Bill et Holden à une réception en présence du directeur du FBI pour le convaincre de financer leur unité. Au Kansas, BTK enterre une boîte dans son jardin... 

 Barney, Ford et Tench

Rappelés à Atlanta en raison de nouveaux meurtres d'enfants noirs, Ford et Tench laissent à Wendy et l'agent Smith le soin d'interroger Paul Bateson. Le profil que Holden fait du tueur d'Atlanta (jeune, noir, se déplaçant dans une voiture de police) provoque un courroux général. La communauté noire accuse le Ku Klux Klan. Un suspect est arrêté et relâché. Au Kansas, BTK dessine un logo pour signer ses meurtres... 

 Ford, Tench, Barney et le chef Redding (Jonathan Groff, 
Holt McCallany, Albert Jones et Gareth Williams)

La liste des victimes s'allonge encore à Atlanta, ce qui force les autorités à reconsidérer l'approche de Ford. Tench, lui, est obligé de faire des allers-retours réguliers chez lui et constate, impuissant, à la dégradation de son couple, car Nancy refuse d'admettre la reponsabilité de Brian, qui se mure dans le silence. Wendy propose à Kay de vivre avec elle sans conviction, ce qui provoque leur première dispute.


 Tench et Ford

1981 : Frank Sinatra et Sammy Davis Jr. donnent un concert de charité à Atlanta en faveur des familles des victimes. Holden mise sur le fait que le tueur ne pourra s'empêcher de se mêler de l'enquête. Avec Tench et Barney, il établit des liens entre plusieurs enfants assassinés puis les investigations se concentrent sur les ponts de la ville après que plusieurs corps aient trouvé sur les rives du fleuve. Pendant quatre semaines, la police surveille les sites jour et nuit. Jusqu'à ce qu'un homme soit arrêté...

La fin de l'affaire des meurtres d'Atlanta

Wayne Williams est, après plusieurs arrestations et interrogatoires, ainsi que des analyses sur son véhicule, mis en examen. Mais l'accusation ne retient que deux meurtres d'adultes, les seuls rattachés à des preuves matérielles. Cette issue frustre les mères des enfants et Ford, même s'il doute que Williams ait tué les vingt-neuf victimes. En revanche, Gunn et Tench sont satisfaits car le BSU est crédité pour la résolution de l'affaire. Wendy rompt finalement avec Kay après l'avoir surpris avec son ex-mari à qui elle a affirmé avoir une relation sans importance. Bill rentre chez lui et découvre sa maison vidée, Nancy partie sans donner d'adresse avec Brian.

Comme ce résume (non exhaustif) l'indique, c'est avec une sévère impression de gueule de bois que s'achève la saison 2 de Mindhunter. Ce sentiment ne provient pas seulement de la "conclusion" de l'affaire des meurtres d'Atlanta (pour laquelle personne ne fut jamais arrêté et poursuivi pour l'assassinat des enfants noirs), mais plus généralement de la construction de la série elle-même, comme si elle payait elle aussi les frais de sa réussite.

Je m'explique : loin de moi l'idée de dire que cette saison 2 est inférieure à la première, au contraire en un sens elle est même meilleure parfois car elle assume dans son récit de développer son concept même. Joe Penhall, le showrunner, et les réalisateurs David Fincher (qui signe les trois premiers épisodes), Andrew Dominik (les deux suivants) et Carl Franklin (les quatre derniers), ne se sont pas reposés sur leurs lauriers en continuant à écrire et mettre en scène des interviews de tueurs en série charismatiques. Non, on assiste franchement à l'évolution du BSU, son envol même, sa confrontation avec le réel (via l'affaire d'Atlanta), et donc les retours d'expérience.

Et c'est sur ce dernier point que le constat est amer. On voit les héros (le trio Ford-Tench-Carr) dépassés par leur chantier et son expansion, cela créé une crise feutrée, des frustrations diverses, profondes. Les agents ont de plus de plus de difficultés à mener de front une vie sociale, et leur métier. Leur métier devient lui-même bicéphale puisque, initialement, il s'agissait de recherches scientifiques sur le comportement des criminels récidivistes et violents, mais voilà qu'on leur demande désormais de tester leurs théories sur des affaires en cours (l'insaisissable BTK et Atlanta). 

Comme dans l'unité, la série compte les points et il y a des perdants. Le personnage qui souffre le plus est incontestablement celui de Wendy Carr : c'est regrettable car elle apporte une perspective originale au récit et aussi parce que, simplement, on voit du coup moins Anna Torv. L'actrice est tellement fabuleuse dans son rôle qu'on est forcément frustré, tout comme son personnage l'est de voir le BSU subissant des pressions politiques, internes. C'est toute la problématique de la narration qui se révèle alors : Mindhunter doit grandir et cela passe par un changement de sa construction, on ne peut plus suivre seulement un passionnant travail scientifique sur les origines du profilage, il faut aussi désormais compter avec l'application des enseignements tirés des interviews de serial killers.

En revanche, le grand gagnant de cette saison 2 est le personnage de Bill Tench, génialement campé par un Holt McCallany minéral. La bascule s'opère rapidement puisque dès le premier épisode il "couvre" l'absence de Ford (qu'il retrouvera en clinique psy) puis surtout quand, ensuite, son fils adoptif est impliqué dans un meurtre terrifiant, qui questionne sur les racines du mal. Ce subplot agit comme une bombe à fragmentation dans la série car on assiste à la lente mais inéluctable désintégration du couple Tench - Nancy refusant d'admettre la responsabilité de Brian, puis oeuvrant pour fuir avec lui, Bill s'épuisant à aller et venir et convenant de son impuissance.

Au centre de la saison, on a aussi droit à une sorte de faux climax, de pic décevant avec l'entretien tant attendu avec Charles Manson (interprété de manière confondante par Damon Herriman). Holden Ford rêvait de l'interroger depuis la saison 1, bien qu'il ne soit pas un tueur en série. Le résultat est un échec et la série l'assume : Manson est un manipulateur grandiloquent mais qui n'a effectivement rien à faire au tableau de chasse des profileurs. Les crimes commis par sa "famille", leurs mobiles, restent horribles, sordides, indubitablement, mais Mindhunter justement s'en tient à sa ligne qui est de ne jamais chercher à mythifier ces monstres. Des monstres d'ailleurs de plus en plus pathétiques (le menteur "Son of Sam", Bateson, Henley).    

Puis la seconde moitié de la saison est littéralement vampirisée par l'affaire d'Atlanta. Sa narration est formidable, dévoilant les jeux de pouvoir locaux, l'aspect laborieux de l'enquête, le temps long des investigations (même si, selon moi, tout ça aurait gagné à avoir quelques panneaux indiquant le défilement des années car l'affaire a tout de même duré de 1977 à 1981). Tout ça est mis en vis-à-vis avec la conviction inébranalable de Ford sur le profil du tueur (ou du moins du tueur principal, car il finit par admettre qu'il y a certainement eu plus d'un auteur pour ces vingt-neuf morts).

Le plus fort peut-être est d'avoir réussi à traiter la question raciale sans en avoir l'air puisque lorsque Wayne Williams est finalement mis en examen et nommé dans les médias, Tanya, la réceptionniste qui avait sollicité l'aide de Ford, l'accuse d'avoir accablé un noir, "peut-être la trentième victime de cette affaire". C'est ce comble, cette absurdité qui renforce aussi l'impression de gueule de bois, au même titre que, comme le relève Tench, le FBI et le BSU ont fait leur travail (et ont gagné du crédit). Bien entendu, cela ne satisfait pas Ford, ni le téléspectateur qui ont bien conscience que la résolution n'en est pas une (un panneau rappelle que l'affaire a été bouclée sans jamais que quelqu'un soit désigné coupable des meurtres des enfants). L'impassibilité de Jonathan Groff masque alors difficilement une forme de lassitude, voire d'écoeurement ou de résignation : son "oeuvre" (le profilage moderne) est devenu un outil du système, sa "création" lui échappe.

Il est des victoires au goût de défaite : c'est ce que démontre magistralement cette saison 2. Souhaitons tout de même qu'on n'ait pas à attendre encore près de deux ans avant de voir de nouveaux épisodes, surtout avec le teasing anxiogène en diable concernant BTK, le tueur du Kansas.

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