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jeudi 1 juillet 2021

JONNA AND THE UNPOSSIBLE MONSTERS #4, de Laura et Chris Samnee


C'est le quatrième épisode de Jonna and the Unpossible Monsters et déjà la fin du premier arc narratif. Laura et Chris Samnee vont vite, et du coup ils n'évitent pas une certaine frustration chez les lecteur, qui espérait un peu plus pour cette série. 


La grotte où se cachent les rescapés s'effondre sous l'attaque d'un monstre. Gor et Normi commandent axu réfugiés de se protéger en se dirigeant au fond pendant qu'ils affrontent la bête gigantesque. Seule Jonna, impassible, trop occupée à finir son repas, ne bouge pas.


Mais Gor prend des risques insensés pour éviter à Nomi d'être blessée alors qu'elle se montre aussi bonne combattante que lui. Ce qui devait arriver arrive : le monstre coince sous une de ses pattes Gor et s'apprête à le tuer.


C'est sans compter sur Jonna qui, son assiette vidée, s'avance tranquillement vers le monstre. Tous les réfugiés la suivent du regard, terrifiés. Mais la fillette décoche alors un fantastique uppercut contre la créature et l'expulse très loin de la grotte.


Applaudie par les réfugiés, Jonna savoure ce moment tandis que Nomi houspille Gor pour sa témérité. Un des réfugiés, Sora, plie bagages pour rejoindre un camp proche. Rainbow veut le suivre avec l'espoir d'y trouver son père, même si Jonna observe cet étranger avec méfiance...

D'abord, pour ceux que mes critiques auront mis en appétit, Jonna and the Unpossible Monsters connaîtra bien une version française puisque la série sera publiée chez nous par l'éditeur 404 comics (une vidéo retweetée par Chris Samnee a récemment montré que le recueil des premiers épisodes était déjà en cours de fabrication).

Mais il faut aussi savoir que ce premier album ne comptera donc que quatre petits épisodes. C'est peu, c'est maigre. Et c'est frustrant. En vérité, même si je défends le projet de Chris et Laura Samnee, j'en arrive là avec un sentiment partagé. Car il faut admettre qu'on n'a pas eu grand-chose à se mettre sous la dent.

Jonna... est une curiosité : comme l'ont annoncé les époux Samnee, l'inspiration leur est venue en observant deux de leurs filles. Ils ont conçu leur projet en visant à l'évidence un public aussi jeune qu'elles et c'est louable à l'heure où la grande majorité des comics s'adresse à un lectorat adulte. C'est rafraîchissant.

En même temps, l'histoire telle qu'on la connait à ce stade de la série tient vraiment sur un timbre-poste. Il s'agit du parcours de deux soeurs dans un monde post-apocalyptique et séparées après un mystérieux événement. La plus âgée cherche et trouve la plus jeune, dont on apprend qu'en fait elle est sa soeur adoptive. Leur père a également disparu. Quant à la mère, on ignore ce qu'elle est devenue. Le monde est peuplée de monstres gigantesques et effrayants qui forcent les humains à se cacher dans des grottes ou des camps, sous la menace constante de leurs attaques. Mais Jonna semble être en mesure de vaincre ces créatures cauchemardesques...

Et c'est tout. Il y a, comme je l'ai dit dans une précédente critique, une forme de radicalité séduisante dans cette histoire. Elle m'a fait penser à celle qui était déjà au coeur de Isola de Brenden Fletcher et Karl Kerschl (dont on est sans nouvelles, même si Kerschl m'a juré que la suite arrivait - ça fait bien un an qu'il me l'a affirmé...). Dans les deux cas, on a un postulat simple mais avec beaucoup de zones d'ombre, une progression lente avec quelques fulgurances, des créatures surréalistes. Mais dans Isola comme dans Jonna..., finalement il n'y a pas beaucoup de substance, pas beaucoup de matière, tout repose (trop) sur l'ambiance, le non-dit, la confiance que placent les auteurs dans le lecteur pour combler les blancs ou en tout cas patienter en attendant qu'ils soient comblés.

Selon votre degré de patience, vous vous engagerez ou non dans une telle série. Pour ma part, j'hésite à poursuivre car j'attendais un premier arc un peu plus long ou du moins avec un cliffhanger accrocheur, une révélation alléchante. Mais rien de tout cela dans ce quatrième épisode. On n'est pas loin d'une BD que ses auteurs semblent avoir faite sans assez se soucier de la tolérance de leurs lecteurs. Il y a là une forme d'entre-soi qui perturbe, comme si les Samnee échouaient à partager ce qu'ils veulent raconter.

Je n'irai pas jusqu'à dire qu'ils auraient pu/dû faire cette série uniquement pour leurs filles, mais à part les fans inconditionnels de Chris Samnee, je ne sais pas à qui s'adresse vraiment Jonna... Et encore, faut-il être indulgent. C'est certes très beau, et je reste admiratif de la force de travail de Chris Samnee, qui produit à la fois cette histoire et assure les dessins de Fire Power. Mais si je suis honnête, je ne suis pas davantage convaincu par la direction qu'il imprime à sa carrière car aussi bien Jonna... que Fire Power ne proposent pas d'histoires qui me paraissent à la hauteur de son talent, susceptibles de captiver le fan. En tout cas le fan que je suis.

C'est quand même la déception qui domine. Je reste un grand fan de Samnee mais actuellement, et sans doute pour un long moment, ses comics ne me plaisent pas. C'est la douche froide après des années d'émerveillement à lire ses épisodes de Daredevil, Black Widow, Captain AmericaThe Rocketeer. Quand il a quitté Marvel, j'ai plaint Mark Waid qui perdait un partenaire comme il n'en avait plus eu depuis Mike Wieringo. Mais aujourd'hui, je plains aussi Samnee d'avoir abandonné Waid, un scénariste d'un tout autre niveau que Robertt Kirkman ou sa femme Laura.

S'il faut tirer une morale de tout cela, ce serait de ne pas trop s'attacher à un artiste. Comme on dit que rencontrer ses idoles aboutit souvent à de cruelles déceptions, trop compter sur un auteur lorsqu'il prend son indépendance peut s'avérer également déroutant. C'est la grande leçon éternelle de la BD : elle se fait toujours à deux - un scénariste + un desssinateur. Ôtez un élément à cette équation et vous n'aurez jamais le même plaisir ni la même réussite.

jeudi 20 mai 2021

JONNA AND THE UNPOSSIBLE MONSTERS #3, de Laura Samnee et Chris Samnee


Jusqu'à présent, le potentiel de Jonna and the Unpossible Monsters pouvait susciter des doutes et d'ailleurs la série divise les lecteurs. Mais avec ce troisième épisode, Laura et Chris Samnee ont, semble-t-il, voulu donner un coup d'accélérateur à leur histoire. Si tout reste simple, l'apparition de nouveaux personnages et plus de détails sur la situation qu'ils partagent donnent au titre une nouvelle profondeur.


Rainbow a suvi Jonna, qui a une attitude distante avec sa demi-soeur après une longue période sans l'avoir vue, jusqu'à une plaine aride. Jonna repère un cour d'eau où elle et Rainbow s'abreuvent. Jusqu'à ce qu'un monstre passe devant elle à toute allure en asséchant la rivière.


Jonna reprend sa course, Rainbow a du mal à suivre son rythme effrénée mais elle a beau demander à sa soeur de ralentir, rien n'y fait. Elles atteignent une cabane construite dans un arbre et qui semble à l'abandon. Elles y passent la nuit.


Mais au matin, quand Rainbow se réveille, elle voit Jonna en compagnie de la propriétaire, Nomi. Celle-ci entraîne les deux jeunes filles dans une grotte gardée par son mari, Gor, et où se sont réfugiées plusieurs autres persones, contraintes à l'exil après avoir tout perdu à cause des monstres.


Interrogée, Rainbow explique qu'elle vient de retrouver Jonna et compte à présent faire de même pour son père. Mais Gor prévient : les monstres sont partout, redoutables, comme il en a fait l'expérience. C'est alors que le plafond de la grotte s'effondre...

Depuis deux mois, j'ai défendu Jonna and the Unpossible Monsters en expliquant que cette série se destinait à un jeune public (de l'aveur même de ses auteurs, qui l'ont imaginée en s'inspirant de deux de leurs trois filles) mais qu'elle présentait une certaine forme de radicalité par son inspiration directe avec les contes, des récits a priori inoffensifs et divertissants mais dissimulant une grande noirceur.

Par ailleurs, Laura et Chris Samnee ont pris le parti d'une narration très dépouillée, sans voix-off explicatif, en projettant le lecteur comme ses héroïnes dans un monde dont ils ne livrent aucun code. Le genre s'apparente à celui d'un récit initiatique, mais emprunte au fantastique, à la fantasy, voire au post-apocalyptique. Et la naïveté du dessin brouille encore les pistes, laissant croire à un projet conçu pour que Chris Samnee se fasse plaisir.

J'entends les réserves qu'on peut avoir devant un tel objet. C'est un vrai pari. Surtout que je constate souvent, en me baladant sur des forums (mais sans plus y intervenir - je crois désormais fermement que ces endroits sont tout le contraire de ce qu'ils prétendent être, donc non pas des lieux d'échange entre fans, mais plutôt un mélange de bureau des plaintes permanent et de discours peu aimables envers le média qui rassemble leurs participants), que l'époque n'est plus à la patience, à la découverte. On veut tout, tout de suite, et même quand c'est le cas, alors d'aucuns trouvent encore à redire en pointant, avec une mauvaise foi terrible, que le scénariste va trop vite !

Dans ces conditions, et en ayant présenté Jonna and the Unpossible Monsters le plus lucidement possible, il est évident que cette série apparaît comme une curiosité sur laquelle on n'a pas le temps de s'étendre. Et c'est dommage.

Dommage parce que, finalement, il n'aura fallu que patienter deux épisodes pour découvrir que cette histoire révèle une profondeur réelle. Mais qui veut bien attendre deux mois aujourd'hui ? Apparemment, c'est au-delà des forces de beaucoup.

Il est certain en tout cas, pour moi, que Jonna... est une oeuvre plus intéressante que Fire Power pour laquelle Chris Samnee dépense son talent sans compter. Pourquoi ? Tout simplement, parce qu'à l'inverse de la série écrite par Robert Kirkman, on ne sait absolument pas ce qui va s'y produire. Ici, tout est inattendu, tout est imprévisible, à la fois beau, étrange et inquiétant, mais aussi drôle, farfelu. Comme Rainbow, on court après l'insaisissable Jonna dans un monde peuplée de créatures bizarres, grotesques et dangereuses, sans savoir si on va leur survivre, et de tout cela découle une histoire pleine d'humanité finalement.

Dans le premier tiers de l'épisode, on reste dans ce que la série a proposé jusque-là, une sorte de déambulation amusante et colorée (encore une fois Matt Wilson fait des prodiges), en compagnie des deux soeurs qui viennent de se retrouver. Cette diablesse de Jonna est un vrai Zébulon, sans peur dans cet environnement hostile, et Rainbow, c'est nous, qui évoluons dans ce cadre majestueux et improbable, à la poursuite de cet enfant sauvage.

Puis dans les deux derniers tiers de l'épisode, le scénario de Laura Samnee introduit d'un coup d'un seul plusieurs nouveaux personnages, cassant la routine qui était en train de s'installer. Nous pénétrons dans une grotte où ont trouvé refuge plusieurs personnes, dont la vie a été détruite par les monstres. De ces fameux monstres, on apprend qu'ils sont apparus progressivement, se répandant comme une mauvaise vigne, et détruisant tout sur leur passage. Des villages (des villes ?) entières ont été rayés de la carte, des milliers (millions ?) de victimes en ont fait les frais. Sous terre semble être devenu le seul endroit où s'en prémunir, mais c'est un pis-aller plus qu'une consolation, car les survivants sont impuissants face au fléau et pleurent encore leurs proches.

Dans ces circonstances, deux éléments apparaissent : d'abord le fait que certains résistent, se battent, apprennent à affronter les montres, comme Gor, le mari de Nomi (également visiblement une guerrière), qui porte les stigmates de ces batailles (une impressionnante cicatrice lui barre le visage) ; et ensuite la question de savoir ce que faisaient Rainbow et Jonna dehors et comment elles ont pu subsister. Jonna fanfaronne en affirmant pouvoir tuer des monstres mais personne ne prend au sérieux cette gamine. Pourtant, le lecteur s'interroge toujours sur la scène inaugurale de la série quand elle s'est jetée dans la gueule d'une de ces créatures pour la frapper et qu'une lumière aveuglante et un bruit assourdissant ont fait perdre connaissance à Rainbow. Jonna dirait-elle la vérité ? Serait-elle une sorte de combattante exceptionnelle, capable de terrasser les monstres, et donc de sauver les réfugiés ?

A ce titre, il sera intéressant de découvrir comment la série va rebondir après le cliffhanger de cet épisode, mais il paraît évident que les Samnee ont orienté le lecteur sur une piste concernant Jonna et qui expliquerait le titre. Tout comme il semble clair désormais que cette histoire se déroule dans un futur post-apocalyptique, dans lequel la découverte de nouveaux décors au cours d'un périple va structurer le scénario. Le potentiel dont je parlais plus haut, le voici. Et il est séduisant.

Les planches sont une nouvelle fois époustouflantes, Chris Samnee utilisant à plusieurs reprises des doubles pages à montrer dans les écoles pour la manière dont il déploie l'action à l'intérieur d'une seule image, en décomposant les mouvements, en exploitant la perspective, en nivelant l'image sur la largeur et la hauteur. Ce procédé que j'appelle la "continuité séquentielle" est inspiré par les retables moyenâgeux mais, à part Will Eisner qui en avait adapté le principe à l'art séquentiel, peu d'artistes s'en emparent encore, et c'est regrettable car cela donne une fluidité folle à la narration graphique. Moi qui ne suis pas toujours tendre avec les dessinateurs qui (ab)usent de splash et doubles pages, voilà un moyen de les alimenter qui est très efficace et inventif.

Je me doute bien que Jonna and the Unpossible Monsters aura perdu beaucoup des curieux qui avaient acheté les deux premiers épisodes, mais c'est pourtant une expérience que je recommande car les auteurs ne se moquent pas du monde et la lecture réserve de très jolies surprises.

mardi 27 avril 2021

JONNA AND THE UNPOSSIBLE MONSTERS #2, de Laura Samnee et Chris Samnee


C'est une bien étonnante série que Jonna and the Unpossible Monsters. A l'évidence, Laura et Chris Samnee l'ont conçue pour les enfants, mais sa narration (écrite et graphique) surprend par sa radicalité. Il est certain que les lecteurs seront divisés. Mais il faut reconnaître l'audace de l'entreprise, qui ne manque pas de charme.


Rainbow a quitté le village où elle s'était arrêtée pour reprendre ses recherches. Elle s'arrête devant un cour d'eau pour se désaltérer et remplir sa gourde car il fait chaud. Elle sort de sa poche une portrait dessiné de sa jeune soeur, Jonna, et les souvenirs remontent à la surface.


Jonna est en vérité sa demi-soeur. Le père de Rainbow l'avait recueillie et élevée. C'était une fillette déjà très alerte, au caractère bien trempé, contrastant avec celui plus calme de Rainbow. Celle-ci sort de sa rêverie quand deux monstres se battent tout près de là où elle se trouve.


Les deux créatures de disputent une même proie mais leur bagarre est interrompue. Rainbow se cache et entend des bruits de lutte. Quand elle rouvre les yeux, elle aperçoit une forme dans les arbres, tandis que les deux monstres gisent au sol.


Surprise : c'est Jonna qui a assommé les deux monstres. Mais elle ne reconnaît pas Rainbow. Celle-ci tente de l'amadouer mais ne réussit qu'à la faire fuir. Elle lui court après jusqu'à la rejoindre à l'entrée d'une plaine aride...

En lisant ça et là des réactions suite à la sortie du précédent numéro de Jonna and the Unpossible Monsters, j'ai pu constater que le projet de Laura et Chris Samnee avait profondément divisé. Certains leur reprochaient une histoire vide, sans rythme, au dessin simpliste. D'autres, au contraire, étaient positivement étonnés par la sobriété de la série et intrigués par ce qu'elle pouvait encore proposer.

Il esst acquis que ce nouvel épisode achèvera de trancher les opinions de chaque camp. En effet, on a là un numéro quasiment muet et dont le propos laissera soit sur sa faim, soit convaincra de poursuivre l'aventure. Pour ma part, j'ai été séduit, même si j'admets que c'est, disons, spécial.

Je crois, en fait, qu'il faut accepter Jonna and the Unpossible Monsters sans se poser trop de questions, lire la série avec un esprit très ouvert. Si on attend un récit dense, riche en informations, en péripéties, avec une caractérisation forte, alors, effectivement, c'est très frustrant et même décourageant. En revanche, si on consent à laisser sa chance au produit, à accepter sa singularité, alors l'ensemble possède une identité réelle.

Ce qu'il faut garder à l'esprit, c'est que les Samnee ont vraiment construit cette histoire pour qu'elle soit lue par des enfants, donc tout ce qui est trop complexe et choquant pour de très jeunes lecteurs en est bannie. La violence reste hors champ (comme lors de la scène de combat entre les deux monstres que surprend Rainbow), et d'ailleurs les monstres ont des aspects grotesques faits exprès pour ne pas effrayer outre mesure.

Le rythme est posé, pour ne pas dire contemplatif, lent. Rainbow est montrée à travers des actions élémentaires : elle s'arrête devant un cour d'eau, boit, remplit sa gourde, regarde un portrait de sa soeur, se rappelle leur enfance, etc. Tout est très fluide, de telle manière qu'un enfant, justement, ne soit jamais perdu. Le flashback sur la jeunesse des deux soeurs (demi-soeurs en fait, comme on le découvre alors) est compréhensible sans souci et découpé en saynètes aux couleurs douces, rassurantes, montrant des moments heureux, cocasses, mais suscitant une mélancolie touchante.

Effrayée par le combat des monstres, Rainbow réagit de manière très expressive et comique, on partage sans effort sa peur tout en pouvant en sourire, grâce à l'usage d'onomatopées et de motifs très cartoon. Lorsqu'elle rouvre les yeux, les deux monstres ont été neutralisés et Rainbow découvre qui les a assommés. Surprise : il s'agit de Jonna.

La bonne idée, accrocheuse même pour un lecteur plus adulte, c'est que Jonna est devenue une enfant sauvage, farouche. Son abondante tignasse cache son visage mais on peut lire dans son regard qu'elle ne reconnaît pas Rainbow et même qu'elle s'en méfie. Rainbow, elle, est trop heureuse de retrouver Jonna pour ne pas tenter de l'amadouer. La narration se fait très subtile et en peu de mots, en peu de gestes, les Samnee suggèrent habilement le lien entre les deux soeurs, quand Rainbow évoque leur père - une évocation qui résonne chez Jonna.

S'ensuit une course-poursuite entre les deux soeurs car Jonna s'enfuit avant de s'arrêter à l'orée d'une plaine aride. L'épisode se termine sur une pleine page qui ne résout rien mais invite à revenir le mois prochain. Toute la proposition de la série est contenue dans cet instant : honnêtement, on ne nous a pas racontés grand-chose, mais les auteurs parient quand même, audacieusement, sur le fait que cela nous donne envie de les suivre comme Rainbow suit Jonna.

Il y a une forme de radicalité inattendue dans cette façon de faire, de dire, de montrer car alors que la majorité des séries accrochent leurs lecteurs sur une abondance d'informations narratives et gtraphiques, Jonna and the Umpossible Monsters mise sur l'inverse : moins on en a, et plus on doit avoir envie de continuer. C'est très culotté.

Le dessin est au diapason car Chris Samnee a vraiment beaucoup simplifié son trait. Là encore, il est évident que cette stylisation très poussée est pensée pour capter l'attention de jeunes lecteurs, qui n'ont pas envie de déchiffrer des images trop détaillées, préférant se concentrer sur des enchaînements de plans et une efficacité immédiate. Tout est là pour faire tourner les pages.

Même les contours de vignettes sont tracès à la main, un peu tremblants. Les décors sont précis mais pas foisonnants, on évolue dans un cadre naturel mais aussi fantaisiste avec la présence des monstres, une forêt à la fois colorée et une plaine asséchée ensuite. Les vêtements sont aussi chamarrés, la couleur des cheveux étrange (Rainbow et son père ont une chevelure mauve-violette, Jonna orange). Matt Wilson fait encore une fois des merveilles, prouvant la diversité de sa palette (il suffit de comparer ce qu'il produit là avec ce qu'il créé sur Eternals).

Samnee épate toujours par la manière dont il croque les personnages, sans cacher la tendresse évidente qu'il leur porte. Rainbow est jolie, Jonna hirsute, et cette opposition entre douceur et sauvagerie est admirablement traduite avec une économie de traits bluffante. Le découpage, lui, rend fabuleusement compte du mouvement, avec des scènes rapides, soulignant la réactivité des personnages dans leur environnement.

Par rapport à Fire Power, Jonna and the Unpossible Monsters a l'avantage d'avoir des héroïnes attachantes et une intrigue vraiment imprévisible, auxquels on ne trouve pas d'équivalent. J'ai aimé, mais il est indéniable que c'est un projet qui n'est pas voué à faire l'unanimité.

vendredi 12 mars 2021

JONNA AND THE UNPOSSIBLE MONSTERS #1, de Laura Samnee et Chris Samnee


Le premier épisode de Jonna and the Unpossible Monsters est sorti la semaine dernière mais j'ai préféré attendre avant d'en rédiger la critique pour ne pas vous imposer trop de Chris Samnee d'un coup. Je suis un fan inconditionnel de cet artiste, mais je comprends tout à fait que tout le monde ne partage pas cette passion et a envie de lire autre chose sur ce blog. Ecrit avec sa femme Laura, dont ce sont les débuts dans les comics, cette série est publiée par Oni Press et se présente comme une BD pour les plus jeunes. Mais cela ne veut pas dire qu'on doit s'interdire de la lire et de l'apprécier si on est adulte car c'est une merveille.


Rainbow cherche sa soeur cadette dans la forêt. Mais Jonna comme à son habitude préfère crapahuter dans les arbres, sautant d'arbre en arbre. Que cherche-t-elle ? Observer les monstres gigantesques qui rôde dans la région et son souhait est exaucé ce jour-là.


La bête rugit en voyant la fillette et Rainbow suit ce terrible bruit. Elle assiste alors à une scène terrifiante lorsqu'elle voit Jonna se jeter dans la gueule du monstre. Puis une lumière vive l'aveugle et la fait tomber à la renverse. Rainbow perd connaissance.


Un an passe. Rainbow n'a plus revu sa soeur mais garde l'espoir. Elle refuse de la croire morte et a été recueillie par des villageois qui surveillent les environs. Grandma Pat invite Rainbow à goûter. La vieille a perdu ses ennfants à cause des monstres et soutient la jeune fille.


Leur repas est interrompu par un visiteur qui prévient Rainbow qu'un étranger aurait vu Jonna. Il l'attend à la sortie du village pour lui parler. Rainbow boucle ses bagages et se retire avec les encouragements de Grandma Pat...

Si vous n'êtes pas abonné à la newsletter de Declan Shalvey, alors faîtes-le car vous pourrez lire un entretient antre ce dernier et Laura Samnee qui raconte la genèse de Jonna and the Umpossible Monsters. C'est toujours instructif de connaître les origines d'un projet, notamment les circonstances dans lesquelles il a été conçu.

L'idée originale est de Chris Samnee et elle ne date pas d'hier. Au commencement, il partage avec sa femme des characters designs pour une vague histoire qu'il en a tête. A cette époque, Samnee sort de l'anonymat après avoir été repéré grâce au site participatif Comic Twart (où se sont aussi faits connaître Evan Shaner, Tow Fowler, Dan Panosian, Mitch Gerads... Et que Laura Samnee a grandement aidé à mettre en place).

La carrière de Chris ne tarde pas à décoller et il enchaîne les projets, négligeant son idée. La reconnaissance culmine avec son run sur Daredevil, où il débute une fructueuse colaboration avec Mark Waid (avec qui il co-signera une histoire de The Rocketeer, puis 12 n° de Black Widow, et 6 de Captain America). Son contrat expire chez Marvel mais Samnee ne le prolonge pas, il décide de prendre son indépendance. Pendant plusieurs mois, son activité se résume à des commissions arts, quelques couvertures. Jusqu'à l'annonce de son retour chez Skybound pour Fire Power, écrit par Robert Kirkman.

On sait maintenant qu'en vérité Samnee n'est pas resté inactif après son départ de chez Marvel puisqu'il en a profité pour aligner des numéros d'avance de Fire Power. Mais pas que. Il est aussi revenu à son histoire et a embarqué sa femme dans l'aventure. La crise sanitaire va cependant changer la donne. Confinés chez eux avec leurs trois filles, les Samnee concrétisent Jonna and the Umpossible Monsters et en font un récit plus personnel et artisinal, inspiré de leurs deux filles les plus âgés. Une fois le projet mieux défini, ils le soumettent à Oni Press, un éditeur indépendant avec quelques succès à leur actif (notamment le western The Sixth Gun, qui révèla Cullen Bunn).

Ironie du sort : alors que Chris pensait travailler avec moins de pression sur Fire Power grâce à l'avance qu'il avait prise, Oni Press préfère décaler la publication de Jonna... pour lui assurer une meilleure visibilité. Ce qui fait que l'artiste dessine désormains deux séries mensuelles simultanément !

Le plus épatant dans tout ça, c'est que Jonna... ne souffre pas l'emploi du temps bien chargé de Chris. La lecture de ce premier épisode rassure même sur la capacité de ce dernier à assurer cette charge de travail, sans bâcler son ouvrage. Les fans pourront même admirer le soin apporté à la production avec la création d'un univers entier, dont on peine à identifier la temporalité, mais qui propose des personnages aux looks variés, dans des décors superbes. Le style de Samnee est plus dépouillé, plus simple, il a une sorte de fraîcheur, voire de naïveté qui collent à la perfection à l'histoire, et effectivement, comme Laura l'a expliqué à Shalvey, on peut y déceler l'influence des dessins animés Hanna-Barbera, notamment dans la représentation des monstres.

Visuellement donc, c'est magnifique, d'autant que le fidèle Matt Wilson est aux couleurs et livre une prestation irréprochable, d'une intelligence et d'une finesse incomparables. Mais Jonna and the Unpossible Monsters, c'est quoi au juste ?

L'épisode s'inscrit dans une fantasy familière. Si le scénario ne donne pas d'indication sur l'endroit où se déroule l'action ou l'époque, on peut imaginer qu'il s'agit de la Terre et sans doute d'un futur lointain, où des monstres évoquant des bêtes préhistoriques seraient réapparues. Mais ce n'est qu'une hypothèse, et ce flou n'est pas dérangeant. Personne ne se soucie de savoir si la Terre du Milieu dans Le Seigneur des Anneaux ou les royaumes de Game of Thrones se trouvent sur notre planète, dans une dimension parallèle ou sont juste un cadre et un temps de pure fiction. Il s'agit ici, comme ailleurs, de situer une histoire dans un lieu et une période propices à la rêverie, l'évasion, le fantastique, avec des éléments graphiques évocateurs.

Jonna s'inspire de la cadette des Samnee, selon sa mère, c'est une fonceuse, une téméraire, une curieuse aussi. Elle est attirée par les monstres, qui ne lui font pas peur, et joue dans une forêt luxuriante. Elle est très agile et rieuse. Rainbow doit davantage à l'aînée des Samnee, plus mûre, plus sage, une sorte de grande soeur protectrice et inquiète mais déterminée. Quand Jonna disparaît, un an plus tard Rainbow n'a toujours pas renoncé à la retrouver, c'est même devenu sa quête, son objectif, et donc la série appartient au genre initiatique, avec un voyage et probablement une narration parallèle avec d'un côté ce qu'est devenue Jonna et de l'autre ce que va traverser Rainbow jusqu'à leurs retrouvailles.

Laura Samnee a expliqué à Declan Shalvey que l'écriture était vraiment collaborative avec son mari. Ils construisent ensemble l'intrigue, phase durant laquelle Chris griffonne un découpage, puis une fois la trame établie, Laura se charge des dialogues. Elle a toujours écrit, avoue-t-elle, de la poésie dans sa jeunesse, puis a étudié l'écriture cinématographique, avant de se consacrer à la carrière de son époux, prenant en charge toute la partie administrative et légale. Elle a donc aussi activement pris part à l'élaboration du site (désormais inactif) Comic Twart en servant de relais entre les artistes qui y prenaient part puis en nouant des contacts avec des éditeurs, des agents artistiques. Comme elle le dit elle-même, elle connaît bien le business des comics et cela lui a servi durant le processus créatif de Jonna... pour que le projet soit solide et permettre à Chris de pouvoir cumuler deux séries simultanées.

Là encore, on peut constater à quel point le couple a produit une histoire très fluide, rythmée, avec des personnages attachants, un enjeu simple. C'est effectivement une BD qui s'adresse prioritairement à un public jeune, mais qui est aussi accrocheur pour des adultes car le storytelling est abouti, efficace.

On peut être admiratif de la performance de Chris Samnee, mais Jonna and the Umpossible Monsters est réellement une série qui doit autant à Laura. Et sa qualité, narrative et graphique, la rend attractive et captivante. Ne passez pas à côté, si la vo ne vous fait pas peur (mais le niveau d'anglais est vraiment très abordable), car j'ignore quel éditeur traduira la série en France (on peut quand même espérer que cela se fasse car Samnee est suffisamment connu).