dimanche 29 novembre 2020

AN UNKINDNESS OF RAVENS #3, de Dan Panosian et Marianna Ignazzi


En deux numéros, la série créée par Dan Panosian a diffusé un charme certain. Ténu certes, convenu aussi, mais tout de même accrocheur. An Unkindness of Ravens ressemble à un mélange entre la teen-story et le fantastique, ce dernier élement étant traité de manière élusive. Dessiné avec charme aussi, par Marianna Ignazzi. Tout ce charme est fragile et cette fragilité montre ses premiers signes dans ce troisième épisode.


Accompagnée par son ami Ansel, Wilma répond à l'invitation de Scarlett Dansforth. Elle les reçoit dans la luxueuse demeure familiale pour faire connaissance et Wilma découvre que, comme elle, Scarlett est à Crab's Eye depuis peu, ayant été éloignée comme le vilain petit canard.


Au collège, la principale Andrews apprend où se trouve Wilma grâce aux Ravens et elle leur commande de partir pour veiller sur elle, même si la jeune fille a plus de ressources que ce qu'elle pense.


Après avoir interrogé Wilma sur son passé, ses attaches, Scarlett l'entraîne avec Ansel dans le parc où le personnel de maison dresse des tables pour une réception donnée en fin de semaine. Excédé par les corbeaux qui volent dans les parages, Donald, s'empare d'un fusil pour les abattre.


Il ignore qu'en en touchant un, il a blessé l'une des Ravens. Wilma et Ansel prennent congé. De son côté, Scarlett gagne la maison Abigail, un club où elle retrouve le détective Patterson, qui lui confie que l'enquête sur la disparition de Weaverly Good est sur le point d'être close...

La télé américaine nous montre régulièrement des teen dramas fantastiques en séries, c'est un genre en soi : ils ont pour titre Vampire Diaries, son spin-off The Originals, Sabrina the teenage witch, j'en passe et j'en oublie. Pendant longtemps, j'ai été un client de ces productions, même sans l'élément fantastique, comme Dawson, Les Frères Scott, etc.

C'est ce qui m'a plu en découvrant An Unkindness of Ravens : Dan Panosian évoluait dans un registre qui m'était familier et qu'il traitait sans mépris, en respectant les codes du genre, associé à une dessinatrice faite pour ça, Marianna Ignazzi.

Toutefois, le teen drama travaille une matière volatile : souvent interprété par des acteurs jeunes et au style de jeu maniéré, réalisé avec plus de compétence que de vrai talent, et rabachant volontiers les mêmes motifs avec des archétypes en guise de héros (l'héroïne ingénue, la peste, la rebelle, le garçon bienveillant, un autre plus mystérieux, des adultes en retrait mais souvent responsables des drames que vont vivre leur progéniture, etc), il est facile de s'en lasser aussi vite qu'on se passionne pour eux, justement à cause de ces effets répétitifs.

Hélas ! appliquées à la BD, les mêmes causes provoquent les mêmes conséquences comme le prouve ce troisième épisode, qui met volontiers les pieds dans le plat. Dès les premières pages, illustrées par Panosian (comme depuis le début), un mystérieux narrateur inscrit l'intrigue dans une longue généalogie, mais sans préciser en quoi elle est reliée aux jeunes héros qu'on suit ensuite. Cette façon de distiller une ambiance peut vite devenir agaçante car on a l'impression que la mythologie de la série est plus dense que l'histoire actuelle.

Et donc nous retrouvons Wilma et Ansel reçus par Scarlett, la gosse de riches de Crab's Eye, l'exemple type de la peste bourgeoise. Panosian manque tellement de nuance dans sa façon de l'écrire et d'enchaîner les scènes dans le manoir des Dansforth qu'on lève souvent les yeux, navré. Ce qui provoque aussi cette incrédulité irritée, c'est le manque de caractère dont fait preuve l'héroïne, Wilma, qui semble constamment tomber des nues et ne jamais avoir de ressort pour remettre quiconque à sa place. On l'a vu quand elle est avec les Ravens, on le revoit ici quand Scarlett l'interroge sans discrétion.

En parlant des Ravens, la principale Andrews n'est pas contente à l'idée que Wilma soit chez les Dansforth et elle envoie les jeunes sorcières roder près de leur propriété. On a vite la confirmation que les Ravens ne sont pas qu'un nom de bande car ces jeunes filles au look goth peuvent littéralement se transformer en corbeaux (en ravens donc). Cette révélation tombe à plat car elle est très mal amenée au terme d'une scène où Donald Dansforth tire sur ces oiseaux dont il craint qu'elle ne gâche la réception qu'il va donner dans son parc. Scène observée par Wilma et Ansel avec une passivité sidérante.

Marianna Ignazzi est une dessinatrice au style séduisant, c'est indéniable. Il y a une forme d'épure dans le trait qui convient à merveille à cette chronique, elle anime les personnages avec maîtrise. Ayant suivi son travail sur Instagram, je retrouve tout ce que j'y aimé. Mais en termes de narration graphique, elle semble bridée par un script qui ne lui permet pas d'exprimer tout son potentiel. A moins qu'elle n'affiche plus simplement ses limites.

Il est en tout cas flagrant qu'elle réussit mieux à représenter Scarlett que Wilma, visiblement plus inspirée par la première que par la seconde. Elle rend Scarlett plus aguicheuse, plus vénéneuse, la dote d'un look plus efficace et la fin de l'épisode, où on suit la jeune fille dans un drôle de club, est nettement plus aboutie que tout ce qui a précédé. La contrepartie de tout ça, c'est que Ignazzi comme Panosian ne parvient jamais à débarrasser Wilma et Ansel de ce côté exaspérant de spectateurs de leur aventure.

Alors que An Unkindness of Ravens semble conçue comme une ongoing, il est de plus en plus probable qu'elle aurait intérêt à n'être qu'une mini, ne serait-ce que pour qu'elle possède l'intensité qui lui manque tant et parce que je suis très dubitatif sur son potentiel sur le long terme. En tout cas, je vais tâcher d'aller jusqu'à la fin de ce premier arc, et j'aviserai ensuite pour savoir si je continue ou pas.  

SABRINA THE TEENAGE WITCH : SOMETHING WICKED #4, de Kelly Thompson et Veronica Fish


Après deux mois d'attente, enfin, le pénultième épisode de Sabrina the teenage witch : Something wicked est disponible. Ce calendrier contrarie tout de même beaucoup le plaisir qu'on peut prendre à sa lecture dans la mesure où chaque nouveau chapitre reprend exactement là où s'est achevé le précédent. Et puis, il faut le reconnaître, cette deuxième "saison" de la série ne convainc pas autant...


Agressée par une force mystérieuse, Sabrina a trouvé dans les bois Ren Ransom qui lui demande de l'aide car il s'est à nouveau transformé en wendigo. la jeune sorcière s'arrange pour congédier poliment son amie Jessa, rassurer ses tantes avant de remonter dans sa chambre.


Ren y est rejoint par sa soeur Radka, elle aussi sous le coup d'une nouvelle transformation. Sabrina leur redonne apparence humaine en invoquant un contre-sort. Puis Ren évoque la vision qu'il a eu d'une maison dans les bois, avec à l'intérieur sa mère et une autre femme.


Sabrina est résolue à aller dans cette maison, la clé de tous leurs problèmes selon elle. mais Harvey débarque à l'improviste. Sabrina tente de le tranquilliser mais il est las de ses cachotteries et tourne les talons.


Guidée par Ren et Radka, Sabrina atteint cette fameuse maison. Mais le trio est attaqué par son habitante dont l'identité est très familier de la jeune sorcière...

Dans sa première mini-série consacrée à Sabrina Spellman, Kelly Thompson avait imposé son écriture fantaisiste et efficace en privilégiant l'étude de caractère, même si la magie était bien présente. Cependant, il s'agissait surtout de redonner au personnage de la jeune sorcière le capital sympathie acquis grâce la série Netflix.

Le succès critique et public de cette première "saison" a donné lieu à cette suite, sous-titrée Something wicked. Très vite, Thompson a posé ses pions de manière entraînante avec un tueur qui sévissait à Greendale et le chantage exercé par Radka Ransom sur Sabrina dont elle connaissait le secret. Mais il faut bien avouer que depuis ces belles promesses se sont évaporées.

En vérité Thompson a échoué à exploiter ces deux pistes narratives. Du tueur, on n'a plus entendu parler et jamais Sabrina n'a été affairée à enquêter à ce sujet. Quant à sa relation avec Radka, elle fait "pschitt", tournant à un crépage de chignon pathétique, d'autant que Sabrina était courtisée par Ren, le frère de Radka, et Harvey, un autre prétendant.

Jamais la scénariste n'a paru maîtriser son histoire, soudain surpeuplée en seconds rôles, comme en témoignent les traitements infligés à Jessa (la meilleure amie de Sabrina, totalement reléguée) ou ses deux tantes (un temps soupçonnées d'être à l'origine des transformations de Radka et Ren sans que cela soit clarifié). Ne parlons même pas du chat Salem dont les interventions ont été réduites à la part congrue.

Cela fait maintenant un moment que je ne suis plus guère convaincu par Thompson pour ses travaux chez Marvel (même son actuelle série Black Widow n'a pas évité le piège d'une menace surgie du passé de l'héroïne, éternelle rengaine). Mais je trouvais qu'avec la première "saison" de Sabrina the teenage witch, elle renouait avec la fraîcheur de ses meilleures productions mainstream (Hawkeye, le premier arc de West Coast Avengers). Il y a chez Thompson un manque de constance, de consistance vraiment décourageant, comme s'il elle ne convertissait jamais les espoirs placés en elle.

Ces défaut sons exacerbés par le rythme de parution de cette série. Archie laisse filer les mois sans explications et contribue ainsi à couler le titre. Alors que tous les éditeurs ont retrouvé, malgré la crise sanitaire, un calendrier régulier de sorties, Archie semble sortir Sabrina... quand il y pense. Du coup, à chaque fois qu'un épisode est disponible, il faut se refamiliariser avec les personnage, l'intrigue, et on se rend alors compte que ça n'imprime pas, que le récit ne tient pas le coup, qu'on éprouve du mal à se passionner.

C'est déplorable car la série est toujours remarquablement dessinée. Veronica et son mari coloriste Andy Fish, eux, ne baissent pas les bras et tiennent le projet à bout de bras, avec un dessin tonique, expressif, tout à fait enchanteur. Le plaisir qu'on garde à la lecture, on le leur doit. Mais c'est un compliment ingrat car il traduit un vrai gâchis : les époux Fish méritent mieux. Voilà qui donne en fait envie de découvrir leur autre série, Blackwood (écrite par Evan Dorkin).

Il faudra encore être patient pour lire la fin de cette aventure, prévue en 2021. Mais je l'attends sans trop d'illusions sur sa capacité à redresser le niveau.

samedi 28 novembre 2020

JUGGERNAUT #3, de Fabian Nicieza et Ron Garney


Parce que j'étais un peu trop le nez dans le guidon (de X of Swords et Rorschach) la semaine dernière, j'avais oublié de critiquer ce troisième épisode de Juggernaut. J'y remèdie donc tout en restant honnête sur la qualité de cette mini-série, tout à fait dispensable mais efficace. Fabian Nicieza et Ron Garney ne forcent pas leurs talents mais ont à coeur de raconter une histoire solide avec ce personnage.


Cain Marko est l'accusé d'une affaire qui le renvoie à un ancien combat contre Spider-Man. A cette occasion, il avait provoqué d'importants dégats matériels à Manhattan, dévastant notamment un chantier de construction et ruinant ainsi un promoteur immobilier.


Quelques mois plus tôt, Cain Marko voyage en Corée du Nord. Epuisé par une longue marche sur un chemin montagneux, il retrouve nénamoins espoir et force quand il aperçoit la forge de Cyttorak. A l'intérieur du bâtiment, il rencontre le forgeron mais celui-ci compte garder l'armure pour lui.


De retour à New York, le procès de Cain est interrompu brutalement par l'intervention de Sable Mouvant qui vient réclamer qu'on lui livre D-Cel, la jeune fille qui accompagne le Fléau. Ces derniers et les employés de Damage Control affrontent la créature sans succès.


Le forgeron et Cain se battent et en tentant de le tuer avec son marteau, le premier cause la chute des bandes de Cyttorak composant l'armure en fusion sur le second. Cain récupère le pouvoir du Fléau et recouvre son aspect colossal.


Après avoir lutté de manière désordonnée contre Sable Mouvant, Damage Control, D-Cel et le Fléau coordonnent leurs actions et en viennent à bout. En analysant les particules de sable, les scientifiques déterminent que leur adversaire était manipulé mentalement...

Dans une interview accordée pour accompagner la parution de cette mini-série, Fabian Niciez a parfaitement cerné la difficulté de son entreprise et a reconnu, humble et quelque peu fataliste, qu'elle risquait très bien d'être annulé par un prochain scénariste.

De quoi parlait-il ? Du fait que le Fléau est un vilain pour la majorité des auteurs et des lecteurs, même si, par le passé, il lui est arrivé d'être aux côtés de héros, comme les X-Men. Cet état de fait a abouti à en faire un personnage unidimensionnel, qui se résume à sa devise, "rien ne peut stopper le Fléau". Pourtant, comme le souligne Nicieza, Cain Marko vaut mieux que ça et en le traitant avec plus de subtilité, tout le monde y gagnerait.

L'ambition de Nicieza n'est donc pas si modeste puisqu'il veut rétablir le Fléau dans une zone grise qui permettrait de l'apprécier aussi bien comme une menace que comme un individu addict à son pouvoir. En trois épisodes, le programme est respecté puisqu'on a pu constater que Cain Marko avait sacrifié ce qui faisait de lui un surhomme pour échapper aux limbes où Magik l'avait banni, qu'il avait trouvé un emploi dans un entreprise spécialisée dans la gestion des conséquences des combats super-héroïques, et qu'il tentait de se racheter une bonne conduite auprès d'une jeune fille, D-Cel, qu'il avait failli tuer accidentellement.

Mais son passé l'a rattrapé et le voici renvoyé devant un tribunal pour une vieille affaire. Nicieza fait allusion à un fameux épisode de Amazing Spider-Man au terme duquel le Fléau avait fini prisonnier d'une gangue de ciment frais, après avoir dévasté un chantier. Cela avait provoqué la ruine de celui qui le poursuit aujourd'hui en justice. Bien entendu, le procès tourne court par la faute d'une intervention extérieure, sans rapport avec ce qui occupe le tribunal.

Nicieza sort de son chapeau une vilaine  de second plan, Sable Mouvant, certainement parce qu'il n'a pas eu le droit d'utiliser l'Homme-Sable, dont elle est inspirée. C'est dommage mais le scénariste exploite avec habileté le fait que le Fléau ne peut pas directement terrasser cette créature. De même le mobile de Sable Mouvant décale l'intérêt en direction de D-Cel et la révélation finale sur l'identité de son commanditaire est maline puisqu'on ne s'attendait pas à trouver ce méchant sur la route du Fléau.

En revanche, les flash-backs qui ponctuent l'épisode et reviennent sur les circonstances dans lesquelles Cain Marko a récupéré ses pouvoirs sont plus paresseux et convenus. On peut légitimement considérer que Nicieza aurait pu raconter cela plus rapidement.

Depuis trois épisodes, Ron Garney a paru ronger son frein car pour ce dessinateur qui excelle dans l'action, l'histoire en manquait singulièrement. Même le duel contre Hulk dans le précédent numéro a manqué de place et d'intensité.

Cette fois, il dispose de plus de lattitude pour se défouler et il est clair qu'il livre une prestation plus convaincante. Certes, ça ne restera pas comme le travail le plus recommandé de Garney qui a visiblement travaillé vite, sans peaufiner ses planches. Mais quand il représente Sable Mouvant ou le Fléau, ça ne manque pas de puissance. Et la colorisation de Matt Milla sert parfaitement le trait énergique, rustre même, de Garney.

Même si cette mini-série est clairement bridée, empêchant son scénariste de lâcher les chevaux et son dessinateur d'être plus investi, c'est tout de même une lecture efficace, sans fioritures.

vendredi 27 novembre 2020

X OF SWORDS, CHAP. 22 : DESTRUCTION, de Jonathan Hickman, Tini Howard et Pepe Larraz


Nous y sommes, c'est l'ultime chapitre de X of Swords, et avec lui, son cortège de promesses, dont la plus importante est sans doute de justement bien conclure cette saga qui m'a captivé pendant deux mois et demi. Pas évident, et pourtant, cette fin, Jonathan Hickman, Tini Howard et Pepe Larraz en font une réussite indéniable, incroyablement épique, mais aussi émotionnelle. Un exploit.


Mais... Vous savez quoi ? Je ne vais pas rédiger le résumé de cet épisode, long de 44 pages, et abondant en rebondissements, en morceaux de bravoure. Je n'ai pas envoie de spoiler, de "divulgâcher", même si, quand je reprendrai les critiques des séries "X" que je suis, je serai certainement forcé de faire référence à ce qui se passe dans ce numéro.


Nous assistons à une bataille gigantesque, dans ses proportions, dans le nombre de ses participants, dans l'intensité psychologique et physique, entre la horde d'Amenth aux ordres d'Annihilation/Genesis, les champions d'Arakko, ceux de Krakoa, et d'autres invités, dont les images choisies pour illustrer cet article vous donnent un aperçu éloquent).


C'est, à ce titre, certainement, le plus grand déchaînement que j'ai lu depuis un bail (depuis le dernier épisode d'Ultimates vol. 2, par Mark Millar et Bryan Hitch ?). Il y a quelque chose de grisant dans tout ça, en quelque sorte l'essence des comics de super-héros quand ils sont bien faîts, une sorte de BD totale (comme il y eût du football total), une partition si bien exécutée qu'on ne peut qu'y succomber.


Ce plaisir, le cinéma peut le procurer quand on voit sur un grand écran un déferlement de figurants, dans des décors somptueux, avec une mise en scène parfaite. C'est David Lean, John Ford, Cecil B. De Mille, Steven Spielberg, toute une tradition d'entertainment. La BD joue avec des moyens encore plus illimités, puisqu'il n'y a pas de budget pour freiner les ambitions des auteurs, mais encore faut-il que les intentions narratives soient converties graphiquement.


Et c'est la leçon que donne X of Swords : Destruction à tous les events, celle d'un alignement des planètes, d'une coordination entre scénaristes et artistes. On voit bien ici que toute l'équipe créative est sur la même longueur d'ondes, animée par la même envie d'en découdre, mais en le faisant intelligemment, pas seulement dans un rapport de force. Le plus fort, c'est qu'elle le fait sur un motif vertical, véritable enseigne de cet épisode.

Qu'entends-je par là, par cette notion de verticalité ? Hé bien, d'abord, parlons de Hickman, écrivain vertical par excellence. On parle souvent de ce scénariste comme d'un grand architecte, échafaudant des plans à très long terme pour les séries qu'il écrit, des machines bien huilées. Moi, j'emploie à son endroit le terme de jardinier car dans la refonte de la franchise "X", il me fait penser à quelqu'un qui sème beaucoup, laisse germer, et récolte le moment venu. En un an, depuis la parution de House of X - Powers of X, Hickman n'a pour ainsi dire fait "que" ça, planter, au risque de frustrer des lecteurs plus avides d'action que de discours, et réticents à l'idée des corrections parfois radicales que l'auteur a appliquées à cet univers mutant.

Tout cela est facilement vérifiable car X of Swords a démarré, on s'en aperçoit désormais, très en amont, avec l'apparition du personnage de l'Invocateur, petit-fils d'Apocalypse. Hickman a ensuite longtemps laissé cet étrange albinos originaire d'Arakko, la moitié de l'île de Krakoa, en retrait, quasiment invisible, comme oublié. On l'a revu vraiment lors des épisodes tie-in à Empyre, cet event malade, chétif en comparaison, comme une piqûre de rappel, pour qu'on se souvienne qu'il était toujours là.

Apocalypse, lui, était un personnage animé plus franchement par Tini Howard dans les pages d'Excalibur, où il manoeuvrait avec l'Outremonde via le royaume d'Avalon, sans qu'on puisse deviner la nature exacte de son agenda (la narration, lente, de Howard ne facilitait guère la résolution de cette énigme). Mais il était évident que, le moment venu, choisi, par Hickman et Howard, l'Invocateur et Apocalypse seraient à l'origine de ce crossover.

La verticalité encore se traduit par l'expansion qu'a connu X of Swords, prévu initialement pour compter neuf chapitres et qui s'est retrouvé à en avoir vingt-deux. Sur ce point, on peut désigner l'influence éditoriale de la franchise "X", jamais en reste pour développer la marque (contre, souvent, toute mesure, toute raison). Dans ce cas de figure, le risque aurait été que l'entreprise échappe à ses architectes, mais Hickman et Howard ont su en maîtriser la conduite et partager la conception avec les autres scénaristes de la franchise (Gerry Duggan, Benjamin Percy, Zeb Wells, Vita Ayala, qui on su se comporter en soldats dociles et inspirés à la fois).

Tout est affaire de haut et de bas dans cette histoire : le ciel tombe sur la tête des insulaires de Krakoa quand ils apprennent qu'Apocalypse a voulu retrouver les siens, les gens d'Arakko, qu'il avait dû laisser aux prises avec une horde démoniaque il y a très longtemps. La situation s'emballe lorsque les retrouvailles dans l'Outremonde tourne au drame car les enfants d'Apocalypse tentent de le tuer et expriment leur projet d'envahir Krakoa et le reste de notre monde. On saisit les sacrifice, la souffrance qu'ils ont endurés. Cela permettra au lecteur de comprendre sinon leurs méthodes en tout cas les raisons de leur comportement.

Dans une configuration plus spatiale, Arakko est le monde d'en bas, une sorte d'enfer pour des mutants d'un autre temps, d'un autre âge, d'une autre mentalité, avec une autre culture, une autre apparence, etc. Krakoa en retour est à la surface, en haut, littéralement, puisque c'est une île. L'esthétique créée par Pepe Larraz est fascinante car le dessinateur espagnol a soigné les designs des Arakki autant que ceux des X-Men, en en faisant des créatures majesteuses, impressionnantes, étranges, et ce qu'on peut voir d'Arakko mérite aussi notre attention car il ne s'agit d'un décor bâclé mais bien du lieu d'une légende aussi évocatrice.

Dans son premier Acte, qui court durant ses onze premiers chapitres, X of Swords impose encore et toujours sa ligne verticale. Les champions de Krakoa doivent trouver les épées qu'ils brandiront durant les duels que Opal-Luna Saturnyne leur a imposés pour désigner qui de Krakoa ou Arakko aura accès au passage entre l'Outremonde et notre dimension. Très souvent, on va assister, de titre en titre, d'épisode en épisode, à des quêtes improbables, où il s'agit de s'enfoncer, de plonger, ou de s'élever pour obtenir son arme. Wolverine ira jusqu'en enfer avec Solem, Tornade dans un temple du Wakanda, Captain Britain dans un cachot de la citadelle de Saturnyne, Cable dans la station le Pic du S.W.O.R.D. (qui est en quelque sorte la dixième épée de Krakoa - une idée jouissive), Cypher ira au plus profond de lui-même pour participer dignement au tournoi, etc.

Dans le second Acte, qui court durant les dix épisodes suivants, on assiste aux joutes des champions des deux nations mutantes. Et là, nous nous confrontons, comme lecteur, à une autre expérience de la verticalité car les duels ne se déroulent pas en respectant la logique traditionnelle. C'est somme toute logique car l'arbitre de ces parties est aussi celui qui les organise (Saturnyne) et elle inflige aux lutteurs des épreuves folles, délirantes, absurdes, ridicules, humiliantes - qui correspondent à des scores tout aussi grotesques. Mais surtout on voit les personnages chahutés dans des espaces défiant toutes les lois de la nature, des dimensions insensées, des décors foutraques, des arènes improbables - de quoi, littéralement, perdre tout repères, être, selon l'expression, cul par dessus tête. Le haut devient le bas et vice-versa.

Et nous voilà à la fin de cette histoire et toujours aux prises avec la verticalité obsessionnelle des auteurs. Vous vous en rendrez compte en regardant les images que j'ai choisies pour illustrer ma critique et plus encore quand vous aurez l'épisode en main (si ce n'est déjà fait), mais le nombre de scènes où tout tombe, au sens le plus littéral, du ciel est incroyable. Le Corps des Captain Britain (mais toujours sans Betsy Braddock), les X-Men, les aliens contenus dans la station du Pic du SWORD, le dragon Shogo chevauché par Saturnyne, et d'autres éléments encore, c'est un véritable déluge, une pluie quasiment ininterrompue qui s'abat sur le champ de bataille.

Et quand ça ne tombe pas, ça monte des entrailles de l'Outremonde, comme les démons d'Amenth, les explosions qui éventrent le terrain du conflit, les flammes qui succèdent aus déflagrations...

Au fond, pourquoi cette verticalité est-elle à ce point étonnante ? Parce que l'art séquentiel de la BD s'appuie plus volontiers sur la bande horizontale qui elle-même est souvent découpée en vignettes. Rarement la narration graphique guide sa lecture par la verticalité car un cadre qui occupe toute la hauteur d'une page est souvent convertie en une case pleine page, comme une ponctuation surlignée. Construire tout un épisode, ou presque, dans le sens vertical, est surprenant, presque contre-nature. Nos yeux n'y sont pas habitués : on lit de gauche à droite, pas de haut en bas. Qui plus parce que le fait même de montrer quelque chose qui tombe produit un double effet perturbant : on a l'impression de subir cette pluie autant que les personnages et ensuite on ignore comment et quand cela va s'arrêter, c'est donc oppressant.

Mais bien pensé et représenté comme ici, ce même effet déstabilisant est aussi imparablement efficace, très spectacualire, et traduit parfaitement l'intention des auteurs. Le titre de l'épisode exige cela : il s'agit de destruction, il faut donc montrer de manière évocatrice cette destruction, et comment le faire ? A la manière d'un bombardement, et on bombarde par les airs, en larguant en permanence des obus, en parachutant des soldats. C'est tout ce qu'on voit ici et que Larraz, sans s'économiser, produit par son dessin : ce sentiment exténuant, terrible, d'un bombardement, au point qu'on ne sait vraiment pas quand ça va cesser et ce qui restera ensuite de l'aire de jeu.

Une fois le sort de la guerre entendue, l'horizontalité reprend ses droits dans les dernières pages, composées de vignettes larges, apaisées. Les épées retournent où elles étaient, les vaincus sont assignés à des postes divers, parfois ingrats. Des relations se renouent, d'autres semblent brisées à jamais, des personnages sont morts, d'autres séparés. Saturnyne observe ce théâtre avec morgue mais aussi une pointe d'insatisfaction (car elle n'a pas obtenu ce qu'elle convoitait).

Tout est bouclé. Rien n'est bouclé. Car tout cela va laisser des traces, profondes, et à cet effet, un teaser a déjà été communiqué pour annoncer le nouveau mouvement de la franchise "X". Fini Dawn of X, place à :



Reign of X ! On sait déjà que des auteurs vont partir (Ed Brisson), d'autres arriver (Vita Ayala qui reprend New Mutants, Si Spurrier). Un titre comme Cable semble être annulé car son héros intègre S.W.O.R.D. de Al Ewing et Valerio Schiti. On peut reconnaître sur cette image des figures familières, dans l'ombre ou au premier plan, et l'editor Jordan White a prévenu qu'il y aurait des mouvements de personnages d'un titre à l'autre, des évolutions à surveiller (Kid Omega, Tornade). Bigre ! Cela voudrait donc dire qu'un event va vraiment avoir des répercussions tangibles... En somme : les mutants continuent de bouger. Ils continuent donc de muter.

jeudi 26 novembre 2020

X OF SWORDS, CHAP. 20-21 : X-MEN #15 - EXCALIBUR #15, de Jonathan Hickman, Tini Howard, Mahmud Asrar et Stefano Caselli


X of Swords arrive (presque) à son terme avec ces chapitres 20 et 21 correspondant à X-Men et Excalibur #15. Jonathan Hickman et Tini Howard préparent le grand final en appuyant sur l'accélérateur, de fait ces épisodes sont intenses et alternent en scènes grandioses et moments plus intimes avec brio. Au dessin, Mahmud Asrar se taille la part du lion, secondé par Stefano Caselli.


Après l'appel au secours de Cable, Jean Grey et Cyclope se présentent devant le conseil de Krakoa pour l'informer qu'ils vont partir sauver les X-Men engagés dans le tournoi. Leur choix interroge les membres du gouvernement qui le contestent.


Deux votes successifs décident qu'en cas d'échec, le portail entre Krakoa et Avalon que veut emprunter le couple sera scellé afin d'éviter une invasion des Arakki. Ensuite, en suivant Cyclope, Jean Grey perd d'office son siège au sein du conseil. Cyclope va réunir une équipe pour mener cette mission.


Dans l'arène de l'Outremonde, Apocalypse affronte Genesis et parvient difficilement à la vaincre mais refuse de l'achever comme elle et Saturnyne l'exigent. Genesis reprend le casque d'Annihilation pour défier la makestrix du Multivers et forcer le sort du tournoi...


Pour ce pénultième épisode de la saga, tout se met en place pour la conclusion. Notons donc que Mahmud Asrar se partage le dessin avec Stefano Caselli, chacun des deux artistes étant assignés à des scènes précises.


Genesis/Annihilation a sonné la charge de la horde d'Amenth contre la citadelle de Saturnyne qui se réfugie dans ses quartiers. Les X-Men tentent de convaincre Apocalypse de quitter l'Outremonde avant qu'il ne soit trop tard mais il résiste, refusant d'abandonner sa femme et son ancien peuple.


Saturnyne récupère dans un coffret des bris de verre multicolores correspondant au corps de Captain Britain après sa défaite contre Isca. Elle se met à composer une mosaïque dont le dessin lui révèlera comment sauver son royaume et l'Outremonde.


Dehors,, malgré le renfort des prêtresses de Saturnyne emmenés par Jubilé, les X-Men sont dépassés par le nombre des guerriers adverses. Bei la lune sanglante s'est rangé du côté de Cypher et des Krakoans encerclés Genesis/Annihilation. Saturnyne termine sa mosaïque...

Le duel entre Apocalypse et Genesis devait, à la fin du chapitre 19, la semaine dernière, décider du gagnant du tournoi. L'affrontement promettait d'être tragique puisque les deux adversaires étaient mari et femme et qu'à son terme Krakoa risquait d'être envahie par ceux d'Arakko.

Pourtant, Jonathan Hickman choisit de concentrer l'essentiel de l'épisode 15 de X-Men à Cyclope, Jean Grey et au conseil de Krakoa. Les deux premiers alertés par leur fils Cable de la déroute des X-Men ont décidé d'aller les secourir avec une équipe. Mais ce choix est contesté par le gouvernement de l'île.

On devine, on sait que ce débat laissera des traces et qu'elles perdureront au-delà de X of Swords. Cela valide la direction narrative de Hickman qui prépare non seulement le grand final du crossover mais aussi l'après. Le scénariste ne déçoit pas avec des échanges dramatiques où Cyclope est admirablement écrit.

On aura noté qu'en vérité depuis la relance de la série pas une seule fois les groupes dirigés par Cyclope pour les diverses missions qu'ils ont accomplies n'ont été appelés "X-Men" et une data page vient l'expliquer en informant qu'avec le nouveau statut des mutants, le terme "X-Men" est désormais devenu obsolète et interdit. Pourtant en le revendiquant à nouveau, Cyclope va pointer sa différence entre le passé et le présent au sein de la nation X.

Du point de vue des leaders que sont Charles Xavier et Magneto, les X-Men représentent une notion dépassée, il ne s'agit plus de s'afficher comme des héros mutants aux yeux du monde, comme des équivalents aux Avengers, aux Fantastic Four. Désormais Krakoa et son peuple sont des mutants, qui vivent entre eux et protègent leurs semblables. Dès lors, il n'y a plus de X-Men au sens d'ue équipe constitué de héros mutants.

Du point de vue de Cyclope, qui est le capitaine en chef de Krakoa, chargé de sa sécurité, les X-Men n'ont jamais cessé d'exister et ne doivent pas être remisés. A l'heure où le destin de Krakoa se joue dans l'Outremonde et que les mutants engagés dans le tournoi sont en déroute, les X-Men sont même plus nécessaires que jamais. C'est avec des X-Men qu'il va sauver son fils, ses amis. Non pas pour jouer les héros, mais pour rappeler que les X-Men ont en fait précédé tout nation X : ils ont toujours protégé les mutants et continueront à le faire. Ils existeront toujours même si le gouvernement de l'île ne désire plus appeler les mutants des X-Men.

L'argument développé par Cyclope, soutenu par Jean Grey, séduit Charles Xavier et Magneto, qui apprécient l'honnêteté de leur capitaine en chef et reconnaissent sa justesse. D'autres sont moins emballés, comme, évidemment, Sebastian Shaw, qui pousse par deux fois au vote pour encadrer l'expédition de Cyclope et qui sanctionne à la fois son possible (probable) échec mais aussi la place de Jean Grey à la table du conseil. Jean en prend acte, avec déception mais aussi lucidité. Et ce faisant elle met les leaders de Krakoa face à leurs contradictions : eux qui se proclament père et mère de la nation X, au moment où leurs enfants (leurs champions dans le tournoi) sont en danger, ils préfèrent les condamner qu'essayer de les sauver. Tandis qu'elle et Cyclope vont sauver leur fils, et leurs amis, en parents aimants, responsables, solidaires.

 Cette dimension familiale, filiale même, se retrouve de manière plus musclé et tragique dans le duel opposant Genesis à Apocalypse, qui se déroule simultanément à la réunion de crise du conseil. Il s'agit d'un mari et de son épouse qui se battent à mort pour la survie de leurs peuples respectifs. Les coups portés ne sont pas retenus, mais la détermination de Genesis tranche avec la tristesse poignante d'Apocalypse, jusqu'à ce qu'il blesse mortellement sa femme. Avant, nénamoins, de refuser de l'achever. Et cela ouvre la porte aux événements relatés dans Excalibur #15.

Tini Howard a depuis le début de sa série fait d'Apocalypse le pivot de ses histoires et on sent fortement à quel point elle s'est attaché au personnage en lui conférant un relief nouveau, plus touchant, émouvant. Elle a défini, précisé, affiné la silhouette esquissée par Hickman depuis House of X, celle d'un géant, hanté par son passé, ayant renoncé à ses rêves de domination pour épouser une cause plus grande, plus noble. Mais cette masse colossale est désormais soumise à une mélancolie étonnante, une mémoire dévorante, En Sabah Nur est fatigué, il mène son dernier combat, embrasse son ultime aventure. Là aussi, on devine, on sait intuitivement que son issue sera tragique. Jamais, pour ma part, je n'avais vu ni considéré le personnage ainsi et ça restera une des grandes réussites de Dawn of X.

L'autre défi auquel est confronté la scénariste, c'est de composer une épisode qui mêle avec équité l'épique et l'intime, le bruit et la fureur et le calme, le grand spectacle et les scènes d'alcôve. Apocalypse n'a pas vraiment vaincu sa femme qui survit en coiffant à nouveau le casque d'Annihilation et joue son va-tout an sonnant la charge de son armée contre la citadelle de Saturnyne et forcer le passage vers Krakoa. 

On passe donc de scènes sur le champ de bataille où la poignée champions krakoans finit encerclée par la horde d'Amenth à celles où Saturnyne s'enferme dans une pièce pour composer une mosaïque avec les bris de verre multicolores correspondant à ce que fut Betsy Braddock/Captain Britain lorsqu'elle fut tuée par Isca l'imbattable dans le premeir duel du tournoi.

Mahmud Asrar produit un travail impressionnant puisque, après avoir assuré l'intégralité de l'épisode de X-Men #15, il est encore à l'oeuvre sur les scènes de bataille de ce numéro d'Excalibur. Et l'artiste turc ne ménage pas sa peine en livrant des planches scotchantes. La figuration abondante, la représentation des pouvoirs, la traduction des sentiments de chaque côté sont superbement restituées. La supériorité des Arakki est écrasante, la bravoure désespérée des Krakoans est pathétique. On ressent vraiment, puissamment ce parfum terrible de déroute, de défaite, et on craint réellement le pire pour nos héros.

Stefano Caselli s'occupe donc des scènes avec Saturnyne. Il ne faut pas croire qu'il a la partie la plus facile car la majestrix apparaît pour la première fois vraiment débordée par la tournure des événements. Son geste de composer une mosaïque avec les restes de celle qu'elle a honnie apparaît d'abord surréaliste, absurde, grotesque. Il faut attendre la dernière page pour mesurer la qualité du cliffhanger concocté par la scénariste et la révélation jubilatoire par son ironie qui s'impose à Saturnyne. Le trait très expressif de Caselli fait merveille autant que celui, tout en énergie d'Asrar.

Tout est en place pour une conclusion mémorable et énorme. Sans en dire encore trop, car j'y consacrerai une critique dédiée, c'est une réussite, à la fois spectaculaire et intelligente, qui redessine vraiment, durablement, profondément, le statu quo mutant. Rendez-vous demain pour cette analyse de X of Swords : Destruction.

vendredi 20 novembre 2020

RORSCHACH #2, de Tom King et Jorge Fornes


Je n'attendais pas grand-chose de Rorschach mais j'ai bien accroché au premier épisode. Peut-être d'ailleurs est-ce justement parce que j'en n'attendais pas grand-chose que la surprise fut aussi bonne. Car la mini-série de Tom King et Jorge Fornes avance humblement, sans tralala, et cette modestie la sert, elle colle au propos. Un propos qui semble, pour l'instant du moins, faire moins référence au personnage de Watchmen et donc à Alan Moore qu'à Steve Ditko.


Le Détective poursuit son enquête sur les deux individus tués lors d'une tentative d'assassinat contre le candidat Turley. Il se rend au domicile de William Myerson, un dessinateur qui avait agi masqué. En fouillant dans son matériel, il trouve le nom d'une femme, Alma Adler.


Celle-ci habite dans le même immeuble. Elle a fréquenté Myerson dans le passé, mais l'avait éconduit quand il souhaita former un couple. Elle épousa à la place Carl Thompson, qui charria ensuite à de multiples reprises Myerson sur son échec sentimental.


Le Détective interroge ensuite le concierge de l'immeuble qui lui raconte qu'il a trouvé une fois Myerson blessé chez lui, visiblement après une violente bagarre. Mais ce dernier refusa qu'on appelle les secours ou la police.


A nouveau, le Détective consulte le matériel de Myerson et en lisant des planches de ses BD trouve un numéro correspondant à celui d'un appartement voisiin. L'actuel locataire révèle que c'est là que résidèrent les Thompson jusqu'à la mort récente de Carl, des suites d'une attaque cardiaque.


Le Détective retourne chez Alma qui lui avoue dans quelles circonstances son mari est mort, après la visite d'un homme masqué comme Rorschach et d'une fille déguisée en cow-girl. Le Détective informe son supérieur des avancées de son enquête avant de se rendre dans le Wyoming sur les traces de Laura Cummings (la cow-girl).

Récemment, entre duex sorties hasardeuses sur les réseaux sociaux (où il s'en est pris à Jae Lee en l'accusant, à tort, de soutenir le Comicsgate - un groupe d'artistes d'extrême-droite - , puis en déplorant le licenciement de Mark Doyle, son ancien editor sur Batman, alors qu'il avait à l'évidence tout fait pour qu'il soit écarté quand ils collaboraient), Tom King s'est défendu de poursuivre la même thématique dans ses nouvelles mini-séries (Strange Adventures, Rorschach et bientôt Batman/Catwoman) que dans ses précédentes oeuvres (Batman, Mister Miracle). Il se présentait comme un citoyen en colère (il a beaucoup milité durant la campagne présidentielle américaine pour inciter au vote) et voulait la communiquer dans ses comics.

Sa colère paraît toutefois étonnamment froide. Dans Strange Adventures, il se sert surtout de Alanna Strange pour l'exprimer. Et ici, dans ce deuxième épisode de Rorschach, c'est dans le portrait qu'il dresse de Wil Myerson qu'elle éclate, mais de manière différée et indirecte puisque l'intéressé est mort. On verra ce qu'il en sera dans Batman/Catwoman.

Ce décalage est d'autant plus troublant qu'en outre la référence à Rorschach (le personnage de Watchmen) est plutôt distancée. Bien entendu, le scénariste va sûrement y revenir, nous n'en sommes qu'au tout début, dix autres épisodes nous attendent pour connaître le fin mot de l'histoire. Mais en même temps Rorschach lui-même, chez Moore, était une figure trouble, à la fois détraquée et mûe par un code moral bien particulier et très rigide.

Faut-il le rappeler mais Moore avait conçu Watchmen au départ avec des personnages issus des Charlton comics et Rorschach, notamment, a été une extrapolation de la Question, le justicier le plus personnel, le plus proche des convictions philosophiques de Steve Ditko. Ditko était un adepte de l'objectivisme théorisé par Ayn Rand et distinguait nettement le Bien du Mal, sans zone grise intermédiaire. La Question résolvait ses combats de manière intransigeante et son alter ego, Vic Sage, était un journaliste aussi pugnace que radical dans ses prises de position.

Moore en inventant Rorschach en avait fait un psychopathe au passé tourmenté, victime d'abus divers, dont la mère se prostituait, et qui, une fois à l'âge adulte, se promenait dans la rue avec une pancarte annonçant la fin du monde avant d'enfiler la nuit son masque pour tuer des proxénètes et des pédophiles ou tabasser des dealers. Il justifiait ses actions brutales à son ami et partenaire le Hibou par sa conviction que la société était trop laxiste avec ces dégénèrés, mais sans lui révéler qu'il avait été un enfant traumatisé par des sévices comparables à ceux que faisaient subir ses accusés victimes à des innocents.

King utilise le masque de Rorschach comme de l'ustensile qu'il est d'abord. Les taches du test qui ont donné son surnom au justicier permettaient, selon certains psychiâtres, de définir les désordres mentaux des patients à travers ce qu'ils pensaient y voir. Avec un masque factice, Wil Myerson, avant de tenter d'assassiner le candidat à la présidentielle Turley, l'a porté pour commettre un meurtre parfait et horrible, mais aussi libérateur. Celui de l'homme qui lui prit la femme qu'il aimait (mais ne l'aimait pas en retour). King suggère que Myerson s'est caché derrière un masque mais le masque d'un monstre pour dissimuler son désir de de se venger. Comme le fit Rorschach lui-même.

Ensuite, le scénariste narre par le menu, au gré d'entretiens menés par le Détective, toujours aussi anonyme et consciencieux, les humiliations qu'a endurées Myerson tout au long de son existence, depuis cet échec amoureux jusqu'à sa vengeance. On le voit d'abord jeune homme expliquant à une Alma Adler indifférente ses ambitions d'auteur qui veut produire des comics susceptibles de changer le monde en atteignant le lecteur plus profondément. Puis il est éconduit par celle qu'il convoîte, la voit avec un autre qu'elle épouse. Et Carl Thompson, plus qu'Alma Adler, devient le "méchant" de son histoire, un homme qui se moque de lui, sans savoir s'arrêter. Myerson vieillit et bouillonne de plus en plus, contenant de plus en plus difficilement son dépit et sa colère. A bout, il enfile le masque de sa vengeance.

King parvient magistralement à traduire le caractère extrème de la situation. Même si Myerson n'a rien de sympathique, on peut facilement admettre qu'il ait été poussé à bout. Cela n'excuse évidemment pas qu'il ait tué Thompson, mais au moins ne l'a-t-il pas tué pour rien. Une scène épatante illustre ce basculement quand Jorge Fornes se charge de dessiner les propres planches d'un comic-book de Myerson.

Comme Ditko avec la Question (mais aussi avec d'autres vigilantes comme le moins connu mais aussi terrible Mr. A), Myerson avait fini par cesser de produire des BD mainstream. Cela se traduit par des publications auto-éditées en noir et blanc, verbeuses et s'appuyant sur un discours très moraliste et manichéen. Ici, tout cela s'incarne avec un personnage, The Citizen (le Citoyen), qui affronte une curieuse créature mi-homme, mi-bête en tenue miliataire inspirée des uniformes nazis, The Unthinker. Leur duel se solde par une violente derouillée du Citizen contre son ennemi, assortie d'une diatribe méta-textuelle.

Car, comme on l'apprend juste avant, Myerson et Thompson en étaient venus aux mains et Thompson avait infligé une raclée abominable à Myerson, retrouvé gisant et sanguinolent dans l'entrée de son appartement par le concierge de son immeuble, mais refusant qu'on prévienne les secours ou la police. A la place, il s'était réinstallé à sa table à dessin pour illustrer justement le duel entre the Citizen et the Unthinker comme un exutoire à ce qu'il venait de subir. Dans la BD, Myerson écrasait Thompson sous les traits des deux personnages de sa fiction. Mais ça ne suffit pas.

Jorge Fornes est quasiment méconnaissable entre ce que j'ai lu jusque-là de lui et ce qu'il produit ici. Non pas qu'il ait changé de style, mais plutôt parce que le script de King semble si cadré, si précis, que l'artiste donne le meilleur de lui pour lui faire honneur. Le résultat, ce sont des pages extraordinaires de rigueur, de densité, de détails, de justesse. Chaque plan est parfait, avec la bonne valeur, la bonne composition, le bon angle. Il y a une austérité qui sied à merveille à Fornes, qui ne dessine plus de cases avec cette impression de maladresse, de vide. Ce réalisme sec, sobre, exigeant, l'oblige à vraiment repousser ses limites et à les dépasser.

Et quand on arrive à ce fameux passage où il parodie Ditko via le comic-book du Citizen de Myerson, c'est à la fois confondant et impeccable. King ne se moque pas de Ditko et de ses héros, et Fornes est également dans le respect de ces créations. Il les copie avec savoir-faire. La question (c'est le cas de le dire) n'est pas de prétendre que Ditko était un homme en colère, victime de brimades sentimentales et se défoulant sur le papier, mais plutôt de montrer comment un artiste équivalent à Ditko, soumis à ce genre de problèmes personnels, aurait pu réagir. Et au-delà de la planche.

Curieusement, c'est grâce à ces pages en noir et blanc, soignées au point d'avoir conservé les traces de crayonnés pour bien montrer qu'il s'agissait de planches inachevées, que la formidable contribution aux couleurs de Dave Stewart est mise en valeur. Car ce dernier magnifie le dessin de Fornes avec un palette renversante. Stewart n'est pas du genre à mettre en couleurs avec des effets tape-à-l'oeil, au point parfois qu'on mésestime son apport. Il utilise des tons simples et en tire le meilleur pour souligner les différentes époques de la narration et unifier en même temps tout le récit. On évolue ici dans des teintes brunes, beiges, douces, chaleureuses, et en même temps ternes, jaunissantes, comme marquées par le passage des ans. On pense là aussi à la photo des films des années 70, auquel le look général de la série renvoie via des détails (le pager du Détective par exemple, outil d'un autre temps que l'époque à laquelle se déroule pourtant l'intrigue).

Ce remarquable duo graphique et l'écriture ciselée font de Rorschach un objet atypique, pour l'heure totalement déconnecté du super-héroïsme, n'entretenant qu'un rapport vague avec la création de Moore. On peut être dérouté par le projet, voire même juger la référence mensongère. Mais le rythme est pénétrant, l'atmosphère captivante, et le mystère loin d'être percé. 

jeudi 19 novembre 2020

X OF SWORDS, CHAP. 17-18-19 : X-FORCE #14 - HELLIONS #6 - CABLE #6, de Benjamin Percy et Joshua Cassara ; Zeb Wells et Carmen Carnero ; Gerry Duggan et Phil Noto


Avec trois numéros au programme de sa pénultième semaine de publication, X of Swords rue plus que jamais dans les brancards. Au risque de complètement larguer une partie de ses lecteurs, qui se plaindront de ne pas avoir eu ce qu'ils attendaient. Mais, en vérité, ce crossover ne joue-t-il pas sur l'absurdité même de l'exercice ? 


Les épreuves du tournoi s'enchaînent sans répit pour les champions de Krakoa et Arakko - qui mènent largement. Saturnyne s'amuse visiblement à les entraîner dans des matchs de plus en plus vides de sens, où parfois deux membres d'une même équipe doivent s'affronter.


Néanmoins, des pertes sont à déplorer : après Captain Britain, c'est l'Invocateur qui a trépassé. En sera-t-il de même pour Tornade qui est une nouvelle fois invitée à danser avec Mort ?


Les Hellions menés par M. Sinistre pour subtiliser les armes des champions d'Arakko traversent le territoire conquis et désolé de Dryador, mal en point. Ils croisent Tarn l'indifférent à qui Sinistre prélèvent des échantillons, provoquant ainsi sa colère.



La bataille qui s'ensuit en laisse beaucoup sur le carreau mais Psylocke réussit à rapatrier Havok, Greycrow et Empath dans le royaume d'Avalon. Empath contraint les prêtresses de Saturnyne de les laisser rejoindre Krakoa.


Revenus chez eux, les Hellions sont pourtant piègés par un des leurs et froidement exécutés par ce traître...


M. Sinistre se présente devant le Conseil de Krakoa avec de mauvaises nouvelles : il prévient ses pairs que les arakki dominent le tournoi et vont envahir leur île sous peu. Cable, défait par Bei la Lune Sanglante, avertit, lui, ses parents de la déroute, confirmant le présage de Sinistre.


Les jeux semblent être faits et Cyclope est accablé. Mais Jean Grey le réconforte et le convainc de réagir en préparant une riposte à l'invasion. L'ultime duel dans l'Outremonde se présente...



Le tableau ci-dessus détaille les matchs et les points gagnés au cours de leur déroulement. Mais plus que ça, il raconte autre chose, qui a à voir avec l'essence même de X of Swords et qui, je crois, en révèle le véritable sens.

Quand il reprend en main la franchise "X", Jonathan Hickman procède à un relaunch radical via les deux mini-séries House of X - Powers of X, au coeur duquel on trouve le personnage de Moira McTaggert dont il fait une mutante capable de ressuciter en conservant la mémoire de ses vies passées. Elle met ses connaissances au profit de la cause mutante pour tenter d'éviter son extinction par les machines (Sentinelles, Nemrod, Phalanx). Cela aboutit à l'établissement d'une nation mutante sur l'île de Krakoa et sa reconnaissance par l'ONU, mais aussi à l'instauration d'une société sur cette île avec des codes spéciaux et des atouts vertigineux (dont celui, crucial, de la résurrection).

Si l'entreprise de Hickman se solde par un succès critique et commercial, elle divise les fans qui reproche à l'architecte le fait d'avoir fait de Moira une mutante et de Krakoa une société proche d'une secte. Ces mêmes fans critiquaient souvent avec la même fougue le fait que depuis des années (des décennies) la franchise "X" manquait de direction, ne brillant que par intermittence, au gré de l'inspiration d'un scénariste qui sortait du lot.

Un an après HoX - PoX, la perspective d'un crossover massif, courant sur 22 épisodes, faisait peur. N'était-ce pas trop tôt ? Et trop gros ? Et pour les plus confiants, cela allait-il bouleverser vraiment le statu quo ? Ou créer de la confusion ?

Dans son premier acte (sur les 11 premiers épisodes), X of Swords a paru jouer la montre en même temps qu'il préparait un second acte convenu, à base de duels entre champions de Krakoa et d'Arakko, sur fond de quêtes d'épées. Et puis tout a basculé - ou dérapé, selon l'humeur.

En guise de duels, on a eu droit à des affrontements souvent expéditifs et au dénouement surprenant, à la logique absurde, dans des cadres chaotiques, avec un comptage des points sidérant. Il devenait clair que ce tournoi ne prenait pas un tour logique, qu'il était manipulé par Saturnyne, à la fois l'instigatrice et l'arbitre de l'événement. Dans quel but ? Mystère. Mais c'était justement cela qui rendait l'ensemble passionnant. Ou rebutant.

La lecture de X-Force #14, qui ouvre les hostilités de cette semaine, renforce cette impression avec une cascade d'épreuves de plus en plus non-sensiques, où parfois des champions de la même équipe sont engagés l'un contre l'autre ou alors où on assiste à des matchs idiots, aberrants, où les participants ne se servent pas de leurs épées mais se trouvent à danser, faire des puzzles, et autres activités incongrues.

Benjamin Percy mène son affaire à toute allure et Joshua Cassara produit des planches déchaînées qui témoignent du maelström dans laquelle sont aspirés les champions. Tout cela les dépasse et ils jouent quand même chaque partie avec abnégation, convaincus qu'ils peuvent sauver Krakoa ou emmener Arakko à la victoire. Ce n'est qu'à la toute fin de l'épisode qu'on a droit à un vrai combat, entre Tornade et Mort, pour une nouvelle danse envoûtante et féroce, dont la déesse mutante sort gagnante grâce à sa pugnacité et son ingéniosité - elle est littéralement plus forte que la Mort.

Le retour des Hellions (pour leur 6ème épisode et leur deuxième apparition dans la saga) augure d'un changement de registre - un de plus. Il y a de la casse et Zeb Wells va lui aussi jusqu'au bout de l'idée en donnant à ses héros leur rôle de commando-suicide. Plusieurs restent sur le carreau dans l'Outremonde, donc il est suggéré qu'ils ne seront pas ressucités et que la composition de l'équipe dans la série une fois la saga terminée pourrait être bouleversée. 

Si le ton reste encore humoristique dans ce titre, la noirceur l'emporte et la violence, sèche, domine. Le final de l'épisode est même glaçant, confirmant que Sinistre a son propre agenda et profite du chaos pour duper tout le monde - même si ensuite il prévient le Conseil de Krakoa que l'issue du tournoi préfigure un danger plus grand. Carmen Carnero livre des planches excellentes, dommage qu'elle ne reste pas sur la série (elle aurait pu me convaincre de continuer à la lire).

X of Swords a transformé les séries en véhicule d'une intrigue globale. Pourtant, Cable #6 est un peu épargné puisque le personnage-titre est bien présent, mais tout de même davantage comme spectateur que comme acteur - il subit une défaite humiliante (et Cypher lui épargne un sort plus funeste encore). En fait les jeux sont faits, depuis longtemps. Gerry Duggan abandonne tout ironie pour mettre en scène la fin de Gorgone de manière cruelle et poignante (alors qu'il s'agissait pourtant d'un personnage cher à Hickman) et si les dessins de Phil Noto manquent un peu d'énergie, le lecteur ressentira bien l'inéluctabilité de l'affaire. Contre toute attente, les X-Men ont été totalement submergés par les Arakki. Ce crossover aura été une longue descente aux enfers pour les héros.

Et finalement, si ça avait été ça, le vrai projet de cette saga ? Dans les events, que nous raconte-t-on d'habitude ? On suit des héros compromis dans une situation explosive puis se ressaisissant in extremis face à l'ennemi pour l'emporter au finish. Tout ça à grand renfort d'explosions, de bagarres et de grand spectacle. Raté ou réussi, un event n'est jamais souvent que ça.

Mais situez l'histoire dans un environnement fou, avec des règles faussées dès le départ, face à des adversaires objectivement supérieurs, et observezle résultat. Il ressemblera à celui de X of Swords, un tournoi des champions parfaitement absurde, où les héros n'ont aucune chance et où le lecteur est confronté à ses envies et ses frustrations par des auteurs qui veulent d'abord démontrer la stupidité de l'ensemble, comme on démonte un mécano patiemment assemblé mais fragile parce qu'usé.

C'est ainsi, en tout cas, pour ma part, que je considère ce crossover obèse et délirant : comme une leçon de narration, certes parfois pas très subtile ni assez concise, sur les codes mêmes des events, ces blockbusters gavés par les editors pour conquérir un maximum de fans avides de sensations fortes. Comme Arakko rêve de conquérir Krakoa - plus par avidité et rancune que par nécessité. Et au terme de duels idiots mais avec des personnages qui ne connaissent au fond que le plaisir abrutissant de se battre, même selon des règles ineptes.

Ce que Hickman, Duggan Howard, Percy, Wells ont fait avec X of Swords, c'est une déconstruction des events. Ils en montrent les rouages, pour mieux en pointer les mécanismes usés, périmés. Ils l'étirent jusqu'à le déchirer pour prouver que cela a trop duré. Ils animent ses acteurs comme des marionnettes dans un théâtre artificiel. Ils déjouent nos attentes pour en souligner la vacuité.

Il se pourrait bien que tout cela ne laisse pas que des traces parmi les rangs des X-Men. Sans doute des fans vont en vouloir aux auteurs de leur avoir mis le nez sur la grossiéreté de ce genre d'entreprises et donc de leur avoir prouvé qu'ils réclament des histoires insensées. Les lecteurs de comics ont peu d'humour et encore moins le sens de la dérision (il suffit pour s'en convaincre de lire les réactions outrées des fans de Zack Snyder quand on ose critiquer le futur nouveau montage de Justice League, pour lequel il a dépensé une fortune alors que dans le même temps Warner licencie à tout-va).

Mais on peut aussi choisir d'être lucides et adultes en considérant que toute déconstruction n'aboutit pas une destruction : elle peut aussi redonner un élan salvateur à un genre, à un exercice, comme HoX - PoX a su redonner une colonne vertébrale aux mutants il y a un an. C'est un remède de cheval, je vous l'accorde, mais c'est mieux qu'un pansement sur une jambe de bois. Ou des lamentations sans écho.

Suite et fin la semaine prochaine. Tenez-vous prêts : tout est vraiment possible !