dimanche 29 mars 2009

Critique 7 : WATCHMEN - LE FILM, de Zack Snyder

(Ci-dessus : le projet d'affiche, non retenu, réalisé par Alex Ross.)


Hier (mercredi 25 mars), j'ai donc été voir la "bête" - un peu à reculons, je l'avoue, car je tiens les Watchmen comme la BD la plus impressionnante que j'ai lue, ce genre de bouquin où plus rien n'est comme avant.
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Il n'y a pas si longtemps, on parlait de tendance "bling-bling". On peut aussi affirrmer que Zack Snyder aime ce qui brille et surtout on devine qu'il veut briller lui-même : quoi de mieux alors que de s'attaquer à l'everest de la bd moderne pour se faire remarquer ? Même s'il échouait, au moins resterait-il comme celui qui avait osé... Défi impossible?
Dans ce film de 2h40, les moyens sont là, et l’esprit comme la structure du livre sont conservés. Mais il y a quand même un petit quelque chose qui cloche.
Soyons justes : Alan Moore, le scénariste de la BD originale, n’a jamais été si bien adapté. En effet, la transposition à l’écran de son œuvre a subi des sorts divers, pour ne pas dire des outrages successifs. Si le subversif V pour Vendetta, chapeauté par les frères Wachowski, ne s’en sortait pas si mal - malgré des tics pénibles à la Matrix -, le puissant From Hell (immense roman graphique autour de l’enquête sur les crimes de Jack l’éventreur) a subi une diluation redoutable. Et que dire de La Ligue des gentlemen extraordinaires, indigne de porter le même nom qu’une des créations les plus délirantes d’Alan Moore…
Pour les Watchmen, Zack Snyder reprend la structure narrative globale du volumineux ouvrage , avec son enquête, ses flash-backs et son compte à rebours. On découvre ainsi les différents personnages à tour de rôle, avec grosso modo les mêmes séquences-clés que dans la BD, souvent retranscrites au dialogue près. A côté de ça, des coupes franches et des compressions ont été effectuées pour ne pas aboutir à un film trop long. Ce mélange de respect et de remontage est déstabilisant et ôte une bonne partie de la richesse au propos, sacrifiant ici pour se complaire ailleurs...
Le changement de nature de la catastrophe finale est assez ingénieux et même cohérent. Les décors sont également respectueux.
Mais pourtant ça grince un petit peu, voire beaucoup.

Le film séduira-t-il ceux qui n'ont pas lu la bd, et les comics en général? Ce problème se pose davantage que pour les Spider-Man ou les X-Men, transpositions inégalement efficaces mais plutôt divertissantes. Mais le récent succès de The Dark Knight, qui projetait Batman dans un environnement réaliste et sombre, a changé la donne et veut que le grand public soit désormais capable d'accepter des adaptations plus "adultes". Watchmen, avec son final ambigü, propose une vision similaire, donc désenchantée eet brutale sur les justiciers costumés et leur utilité dans la société.
Mais le vrai reproche qu'on peut adresser à Zack Snyder concerne sa mise en scène clinquante qui accumule toutes les éxagérations d'un certain cinéma moderne hollywoodien, qui tiennent plus du "tape-à-l'oeil", du "m'as-tu-vu" que de la réelle virtuosité : ralentis, mouvements de caméra, effets bullet-time... Bref, la panoplie complète de ce que j'ai nommé "bling-bling". Pourquoi les personnages se battent-ils comme dans un film de kung-fu de bas étage? Pourquoi se sentir obligé de faire traîner en longueur LA scène d’amour de l’histoire pour la transformer en séquence kitschissime (si ce n’est pour faire profiter les spectateurs mâles de la plastique avenante de Malin Akerman)? Pourquoi se complaire dans des effets gore qui n'ajoutent rien à l'intensité dramatique des scènes concernées ?
Un autre point qui m'a déplu (et qui me déplaît à chaque adaptation de comics sur grand écran) : l'irrespect du design des costumes.
Sans doute qu'à Hollywood, on considère que des mecs masqués et portant des capes ont l'air ridicules, mais c'est pourtant une caractéristique de ce genre de littérature. Un des éléments qui la distingue des autres et qui séduit ses lecteurs, même si ça peut sembler pathétique. Du coup, tout le monde est sapé en latex ou en cuir, porte des armures (souvent moches et encombrées de détails aussi superflus que peu visibles au final) : l'identité esthétique est sacrifiée sans raison valable... Ou bizarrement respectée, sans plus d'explication (sinon celle, vague, de l'aspect "iconique" de certains accoutrements comme ceux de Spider-man ou Superman).
Ici, Rorschach ou le Dr Manhattan ressemblent parfaitement à leurs modèles dans la bd, mais Ozymandias ou le Hibou (sans parler de Laurie...) sont (hideusement) relookés ! Comprenne qui pourra...

Le choix des acteurs est également sujet à débat. Si Patrick Wilson (Le Hibou), Billy Crudup - peu gâté par des effets spéciaux assez laids - (Dr Manhattan), ou Jackie Earle Haley (Rorschach) s'avèrent d'excellents choix, Malin Ackerman (Le Spectre Soyeux) est assez fade, Jeffrey Dean Morgan (Le Comédien) n'a que sa ressemblance physique avec le personnage à offrir, et Matthew Goode (Ozymandias) manque singulièrement du charisme trouble que nécessitait son rôle. Ce casting d'nterprétes peu connus était en soi une bonne idée, mais encore eût-il fallu qu'ils soient tous très bons et ce n'est pas le cas.
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Bref, à bien des égards, Watchmen - le film est paradoxal : je ne m'y suis pas ennuyé, globalement c'est même plutôt émérite, mais finalement des détails énervants gâchent un peu la fête. Je pressentai qu'il ne s'agirait pas d'un long métrage à la hauteur du monument de la bd dont il est tiré et on peut toujours délirer sur qui aurait été le réalisateur idéal (moi, j'aurai rêvé de Kubrick, tout simplement parce que c'était sans doute le seul capable de saisir toute la force du propos de Moore). Mais en même temps je ne peux pas non plus crier au scandale car Snyder livre un produit efficace, à défaut d'être personnel ou inspiré.
En définitive, être trop élogieux ou trop sévère avec ce film ne sert à rien. Dans le premier cas, il s'agirait d'une surestimation probable. Dans le second, ce ne serait que la confirmation de la thèse selon laquelle Watchmen était effectivement inadaptable - parce que, comme ça a été le cas pour moi, ce livre a bouleversé trop de monde pour être transposé de manière à satisfaire les fans purs et durs ET les autres.

samedi 28 mars 2009

critique 6 : TROIS OMBRES de Cyril Pedrosa


Après avoir recommandé Auto-bio*, j'évoque Trois ombres, du même auteur : Cyril Pedrossa. Et cette fois, pas de demi-mesure : ce bouquin est un chef-d'oeuvre. Achetez-le ou empruntez-le, mais lisez-le ! Vous allez en sortir bouleversés comme rarement vous l'avez été avec une bd.
Ce splendide récit complet impose un auteur sensible là où Auto-bio* pourrait ne le résumer qu'à un chroniqueur habile et un graphiste fantasque doué d’un sens aiguisé de la caricature.

Trois ombres est un véritable roman graphique de plus de 250 pages, mais c'est surtout une grande oeuvre sur la perte et la douleur. Pas très tentant ? Peut-être, mais puissant, émouvant, subtil : tout le savoir-faire d'un grand artiste pour aborder des thèmes difficiles sans vous accabler, avec une pudeur remarquable. C'est déjà plus engageant, hein ?
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L'histoire est consacrée à un père qui sait que son fils va mourir et qui ne peut l’admette. La peur, la colère, la révolte le submergent en vagues successives, et pour tenter de sauver son enfant de trois mystérieuses silhouettes rôdant aux alentours de leur maison dans la forêt, il décide de fuir, en laissant derrière eux sa femme à laquelle il promet de revenir. Mais c'est une fuite en avant, désespérée, il en a d'ailleurs certainement secrètement conscience. Il ira jusqu’à vendre son âme pour préserver sa progéniture, après un long périple sur terre et sur mer.
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Quand le dénouement survient, c'est dans une ambiance poétique, surnaturelle, magique, métaphorique, qui laisse libre cours à diverses interprétations - même si le sort du garçonnet est sans équivoque. Ce qui pourrait passer alors pour une pirouette scénaristique un peu facile et grossière procure en définitive un sentiment voisin de celui qu'on éprouve avec le cinéma de David Lynch où la suggestion l'emporte et vous laisse songeur et tourneboulé…
Trois ombres, comme l'a expliqué Pedrossa, fut à l'origine conçu comme une histoire courte de trente pages destinée aux enfants. C'est Lewis Trondheim, directeur de la collection "Shampoing" dans laquelle est sorti le livre, qui l’a poussé à le transformer en le développant en cette fresque intimiste.
Pedrosa a su exploiter à merveille cette pagination généreuse pour conférer de l'ampleur à son récit, esquivant avec un brio étincelant le pathos, et s'autorisant même à nous faire sourire. Il s'est aussi, ainsi, aventuré sur le terrain périlleux du fantastique pour mieux restituer le tragique destin de Louis et Joaquim et en faire une fable à la portée universelle, à la fois cruelle mais aussi humaniste et même in fine optimisme, apaisé, apaisant.
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Graphiquement, Pédrosa démontre une impressionnante maîtrise du noir et blanc, variant les techniques, inventant une sorte d'impressionnisme bédestique tout en créant des planches fantasmagoriques. On songe à Chagall. C'est magnifique.
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Bref, un bouquin vraiment indispensable.

vendredi 27 mars 2009

Critique 5 : AUTO-BIO* de Cyril Pedrosa


La Bd écolo : un nouveau concept ?
C'est en tout cas le sujet de Auto-bio, album très drôle réalisé par l'excellent Cyril Pedrossa (sur lequel il faudra aussi que je rédige un article pour son fabuleux Trois ombres). Lucide, l'auteur y souligne d'abord qu' être « écolo » est de­ve­nu une position citoyenne qui consiste aussi bien dans le ra­mas­sage des crottes de chien, l’uti­li­sa­tion du Velib’ , le tri sélectif des dé­chets, etc. Grandeur et servitude d'une certaine "way of life" donc.
Mais être écolo c’est sur­tout savoir s'engager, comme ici, en gardant son auto-dérision. Le récit est au­to­bio­gra­phique, mais il parlera à chacun - pour peu qu'on ait un peu conscience du sort de la planète.
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Le héros est un père de fa­mille coiffé fiè­re­ment de son bon­net pé­ru­vien (symbole du com­merce équi­table), tel le haume d'un chevalier drôlatique défendant bravement sa cause.
Père res­pon­sable, il tente d’élever ses en­fants selon les va­leurs de l’éco­lo­gie - soit l’art (périlleux) d’em­pê­cher ses deux gar­çons d’uti­li­ser une bombe de laque pour res­sem­bler au chan­teur de Tokio Hotel ! Epoux émé­rite, il est prêt à ame­ner la voi­ture au ga­rage sans re­chi­gner ou à aller faire des courses au supermarché (toute une aventure...).


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Que l'on partage ou non son militantisme, s'identifier à ce per­son­nage at­ta­chant, néo-Don Qui­chotte en lutte contre les mou­lins nu­cléaires et le désher­bant chi­mique, n'est pas difficile. C'est une réa­li­té so­ciale que l’au­teur traite avec hu­mour, riant aussi bien de lui-même que de ses contem­po­rains.
Mieux encore : Cyril Pe­dro­sa adopte un ton à la fois sarcastique et bien­veillant, ce qui confère au livre un humour singulier mais aussi un souci pé­da­go­gique. Il interroge une époque en mal de re­pères sans jamais se départir d'une élégant légèreté.
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Graphiquement, le trait vi­gou­reux de l'artiste insuffle un vrai dynamisme à cette collection de saynètes. La mise en couleur, tout aussi nerveuse, met en re­lief les dé­tails les plus crous­tillants.
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Bref, c'est un régal. Ne vous en privez pas !

Critique 4 : UMBRELLA ACADEMY 1 : APOCALYPSE SUITEde Gerard Way et Gabriel Ba



The Umbrella Academy est une des dernières merveilles produites par Dark Horse comics, écrite par le chanteur de My Chemical Romance, Gerard Way (dont je déconseille par contre la musique...) et dessinée par Gabriel Bá. Elle a remporté en 2008 l'Eisner Award de la meilleure bande dessinée série limitée.
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Les membres de l'Umbrella Academy, un groupe de super-héros dissous, se réunissent après la mort de leur père adoptif, Sir Reginald Hargreeves. Hargreeves, un alien déguisé en un célèbre entrepreneur, a rassemblé les membres de l'Umbrella Academy peu après leurs naissances et les a entrainées pour sauver le monde d'une menace non précisée. Après sa mort, les membres continuent son plan pour sauver le monde.

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Tout d'abord, c'est une histoire très dynamique, où on ne s'ennuie pas un instant ! On néglige parfois cet aspect élémentaire d'un bon livre, à savoir qu'il doit être distrayant, et voici le premier volume, comptant six épisodes, d'une série qui se lit d'une traite parce qu'elle est écrite avec un sens du tempo exemplaire.
Si l'on va plus loin, on comprend ensuite que The Umbrella Academy est un comic-book vraiment moderne, au sens où il n'hésite pas à s'inspirer d'autres oeuvres prestigieuses, non pour les plagier ou les parodier, mais pour en tirer une variation baroque et inspirée.
Grant Morrison, qui a rédigé la préface de cette édition en VO et qui est devenu un ami de Way, a déclaré avec le sens de l'à-propos qui le caractèrise que "The Umbrella Academy, c'est l'équivalent des X-men mais écrit pour les gens cools". Neil Gaiman, qui n'est pas non plus un auteur à prendre à la légère, a aussi apporté son soutien à l'entreprise. Je sens que vous avez de plus en plus envie de le lire, avec de tels parrains comme prosélytes...
Narrativement, en effet, Way a été à bonne école : la figure de Heargreeves évoque celle du Pr Xavier et ses rejetons, les mutants de Marvel. Mais le scénariste a su aussi digérer une influence toute aussi importante en invoquant Alan Moore et ses Watchmen : ici aussi, tout commence par une mort et des allers-retours fréquents entre passé et présent nous éclairent sur les protagonistes et les enjeux d'une intrigue qui sait ménager ses effets jusqu'à un dénouement explosif.
The Umbrella Academy se résume-t-il pourtant à un ré-échantillonage de comics cultes ? Non. L'imagination de Way puise aussi dans d'autres registres et l'on pense à Tim Burton ou Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet, sans oublier l'importance dramatique de la musique dans la trame narrative (la suite apocalyptique est bien une pièce musicale tout autant qu'une annonce de fin du monde). Emprunter à diverses sources pour les réinterpréter, en donner une interprétation originale : c'est aussi la singularité de cette série.
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Graphiquement, Gabriel Ba s'impose comme une révèlation majeure. Curieusement, c'est un artiste qui lui aussi ressemble à un mix de plusieurs prestigieux dessinateurs, comme Mike Mignola ou Stuart Immonen. Il a hérité du projet après que Way ait un temps pensé à l'illustrer lui-même (idée abandonnée en raison d'un planning surchargé par les tournées de son groupe, mais dont on peut avoir un aperçu dans les "bonus" de l'album, où figurent des études graphiques réalisées par l'auteur - qui a étudié à la School of visual arts avec des profsseurs comme Carmine Infantino ou Klaus Janson).
Le découpage à la fois dosé, osé et ravageur de Ba donne le la au lecteur qui tourne les pages avec une curiosité croissante et la garantie d'en prendre plein la vue. C'est avec un style anguleux, aux lumières tranchées, et un art consommé pour croquer des visages très expressifs et des postures très suggestives qu'il emballe aussi son monde. Réussir à imposer aussi fortement et rapidement un univers, des ambiances et des personnages est incontestablement la marque d'un redoutable graphiste.
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Une suite (intitulée Dallas) est d'ores et déjà en route. Way a planifié une entreprise d'envergure, qui compterait plusieurs saisons, s'articulant d'ailleurs comme celles des séries télé, et l'éditeur publie via Internet dans l'anthologie Dark Horse presents de brefs récits complétant les épisodes publiées sur papier. C'est donc tout un monde qui est ainsi mis en place.
Un monde étrange et passionnant... Pourvu que ça dure (comme dirait les héros de Planetary) !

mardi 24 mars 2009

critique 3 : TERRA OBSCURA 1 &2 d'Alan Moore, Peter Hogan, Yanick Paquette et Karl Story





Les héros de ces deux recueils sont apparus dans le tome 3 de Tom Strong en VF. Le héros de la science créé par Alan Moore et Chris Sprouse, en hommage au Doc Savage, y expliquait à sa compagne, après qu'un certain Tom Strange ait débarqué sur terre, comment il avait autrefois découvert un monde semblable au nôtre, qu'il avait baptisé "Terra Obscura". Tom Strong accepte d'aider Strange à aller sauver les camarades de ce dernier, attaqué, trente ans auparavant, par un alien.
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Moore s'est inspiré, bien avant Alex Ross et Jim Krueger et leur Project : Superpowers, de super-héros créés à l'Âge d'Or pour peupler "Terra Obscura", et c'est pour prolonger leurs aventures qu'il a entrepris d'écrire ces 12 épisodes, rassemblés en deux volumes.
Cependant, Moore s'est moins impliqué dans ce projet que dans La ligue des gentlemen extraordinaires ou même Tom Strong (par qui tout a commencé ici) : il a élaboré les intrigues de ces deux arcs narratifs avec Peter Hogan, qui a ensuite rédigé les scripts et les dialogues. De même, Chris Sprouse a laissé sa place à Yanick Paquette (qui, depuis, s'est un peu perdu chez Marvel...) au dessin et Karl Story à l'encrage.

Dans le premier volume, traduit en français par Jérémy Manesse, il ne faut pas se plaindre d'une certaine lenteur dans le déroulement de l'histoire car les auteurs se sont d'abord occupés de nous présenter une riche galerie de personnages hauts en couleur, sans que le lecteur ait besoin de faire des recherches sur le Golden Age.
Néanmoins, la narration porte indéniablement la marque du grand Moore puisque deux intrigues apparemment distinctes finissent par se rejoindre et se résoudre dans un dénouement à la fois spectaculaire et très référencé (à la mythologie égyptienne en l'occurrence).
L'autre élément qui évoque Moore, c'est la réflexion sur la place occupée par les super-héros dans la société et le regard que portent les civils sur eux (ainsi, dès le début, alors qu'un combat oppose deux surhumains en pleine ville, une grand'mère redoute qu'ils ne soient radioactifs et donc cancérigènes... Alors que la mafia traditionnelle, elle, ne présente pas ce genre de danger !).
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Le récit expose parallèlement l'enquête de L'Aimant pour trouver l'assassin (et son mobile) de son partenaire, Captain Future, d'une part, et, d'autre part, l'action du S.M.A.S.H. (qui réunit les héros de la science de Terra Obscura - leur JLA à eux) face à une panne d'électricité générale et subite peut-être causée par un malfrat sorcier.
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C'est très divertissant, efficace et surprenant.
Graphiquement, le style de Paquette peut surprendre avec ses héroïnes pulpeuses, à la limite de la parodie, tout comme ses protagonistes masculins, outrageusement baraqués, avec leurs mâchoires carrées et leurs petits yeux. Mais il faut lui reconnaître un vrai talent, si on accepte cette manière de représenter les personnages. En outre, cela prouve que, contrairement à l'avis discutable de certains critiques, Moore ne s'entoure pas de dessinateurs de seconde zone (n'oublions pas qu'il a écrit pour Gibbons, O'Neill, Alan Davis, Bolland, Veitch, entre autres : pas vraiment des manchots !).
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Dans le second volume (puisqu'il ne semble pas qu'une nouvelle suite soit prévue), les personnages et le décor désormais campés, une histoire peut se développer plus amplement.

Cette fois, la ligne narrative concerne tous les protagonistes, aux prises avec des évènements dramatiques du passé qui se répetent sans explication rationnelle. Tom Strange accepte de s'envoler dans l'espace avec sa compagne, Pantha, pour aborder ce qui semble être le vaisseau de Captain Future (pourtant présumé mort), tandis que le S.M.A.SH. au grand complet tente d'éviter les pires catastrophes sur terre. Mais l'un d'eux, mentalement très pertubé, oeuvre dans l'ombre pour profiter de la situation...

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Ce nouvel arc compte encore 6 épisodes mais le rythme et les péripéties y sont bien plus trépidants et échevelés que dans le volume 1. Les héros sont confrontés à leurs propres démons, doivent faire face à leurs hantises, tout en essayant de sauver le monde et de comprendre ce qui se passe.
Ce qui était posé dans le tome précédent prend alors tout son sens : ces personnages, qui ont été maintenus en animation suspendue pendant 30 ans par un alien, qui se sont réveillés dans une société qui a progressé sans eux et qui se méfie d'eux, qui viennent de reformer une équipe, sont brutalement interrogés, par une situation dramatique, sur leur condition. Sont-ils capables de sauver le monde ? D'agir en équipe et efficacement ? Ou sont-ils tous déphasés, voire fous pour certains ?
Ce questionnement fournit une densité, un relief particuliers au scènes d'action spectaculaires qui ponctuent le récit, tandis que le voyage spatial de Strange et Pantha offre un contrepoint plus calme mais aussi anxiogène (que vont-ils découvrir ? Trouveront-ils la parade adéquate à la menace vers laquelle ils se dirigent ?). On trouve rarement un dosage aussi bien calculé entre réflexion et action dans un comic-book super-héroïque...

Visuellement, Paquette aussi semble plus à l'aise et ses effets de style s'en trouvent accentués - du coup, ceux qui n'aimaient déjà pas son dessin avant ne l'apprécieront pas du tout ici. Mais pour les autres, c'est un régal de le voir croquer ces trognes de malabars aux costumes improbables et surtout ces héroïnes à la féminité exarcerbée, dont certaines (comme Miss Masque et Pantha possèdent une élégance racée).
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Bref, si vous voulez vous balader dans un univers à la fois familier et décalé, Terra Obscura est fait pour vous. Les plus curieux en profiteront pour s'intéresser à d'autres projets similaires (comme celui de Ross et Krueger) avant, si le coeur leur en dit, de remonter dans le temps, aux origines des premiers super-héros.

critiques 2 : SHUTTER ISLAND, de Dennis Lehane et Christian de Metter / PIERRE QUI ROULE de Donald Westlake et Lax





Shutter Island, écrit par Dennis Lehane et adapté par Christian De Metter.

Boston, années 50. Deux marshals fédéraux, Teddy Daniels et Chuck Aule, se rendent pour les besoins d’une enquête sur une île étrange, Shutter Island, sur laquelle est établi un institut psychiatrique très spécial, qui n’accueille que les fous criminels particulièrement dangereux. Mais à vrai dire, tout est spécial sur Shutter Island, comme le découvrent les deux enquêteurs dès leur arrivée : les locaux, le personnel d’encadrement, les médecins, sans oublier la lourde atmosphère de secret qui semble peser sur les hommes et les choses. Alors qu’une forte tempête s’approche, qui condamne les fédéraux à demeurer sur l’île pour une durée indéterminée, tout se met en place pour un terrifiant huis-clos…
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Attendez-vous à un vrai choc avec cet album dont l'intrigue est diaboliquement troussée, avec un twist final qui vous laissera pantois. Le scénario est d'une subtilité et d'une efficacité exemplaire. Mais le traitement graphique est encore plus impressionnant : De Metter a utilisé du lavis, du sépia, ce qui donne à l'ensemble une atmosphère à la fois envoûtante et oppressante. C'est magnifique !
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Pierre qui roule de Donald Westlake, adapté par Lax.

New York, juin 1969. Fraîchement sorti de prison, John Dortmunder se voit proposer un “coup” par l’un de ses anciens complices, Kelp, spécialiste du vol de voitures : profiter d’une exposition d’art africain à New York pour dérober le clou de la manifestation – une émeraude d’une valeur d’un demi-million de dollars – au bénéfice d’un obscur état africain dont la pierre précieuse constitue le totem. Quoique réticent, et mal à l’aise face au commanditaire de l’opération, Dortmunder se laisse convaincre, et commence à recruter l’équipe de choc qui assurera le raid sur l’émeraude…
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Si vous voulez passer un moment jubilatoire, ne cherchez plus : cet album est fait pour vous ! Toute la verve de Westlake s'y retrouve : l'intrigue est une succession de séquences qui embarquent ce gang aussi compétent que malchanceux dans des situations rocambolesques et hilarantes. Mais là aussi, la fin vous cueillera avec une délicieuse ironie.
Graphiquement, le projet est moins ambitieux que celui de De Metter, mais Lax fournit quand même un superbe boulot, avec quelques planches magnifiques valorisant le décor si photogénique de "Big apple". Il a aussi le don de camper des personnages avec de vraies tronches, et conduit son récit avec un rythme qui ne faiblit jamais. Jubilatoire, je vous dis !

Critique 1 : EXIT WOUNDS de Rutu Modan


Voici une histoire à la fois émouvante et drôle (mais d'un humour finalement assez noir) sur ce qui se passe en Israël, où comme chacun le sait la situation est des plus complexes, comme l'a récemment prouvé l'affrontement dans la bande de Gaza.
Je ne me risquerai pas à vous en livrer une analyse d'ailleurs, tant le sujet est sensible et divise l'opinion.C'est d'ailleurs une bd qui est déconnectée assez rapidement des questions religieuses et politiques, même si le conflit est présent en arrière-plan.
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C'est précisèment à cause d'un attentat que tout démarre : un homme y a disparu et un des cadavres reste non indentifié. Est-ce le fils du héros, Koby, un chauffeur de taxi, célibataire, qui s'est brouillé depuis longtemps avec son père ? Est-ce aussi l'amant d'une jeune femme, comme elle en est convaincue et cherche à en persuader Koby ? C'est en tout cas ce qui va provoquer l'improbable rencontre de ces deux personnages et les conduire à mener leur enquête.
Une investigation sentimentale en fait au terme de laquelle ils trouveront tout autre chose que ce pour quoi ils s'étaient réunis.
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C'est en vérité une sorte de "road comic-book" que cet "Exit wounds" (expression par laquelle on désigne le point de sortie d'un projectile sur sa cible, et qui est ici employé de manière plus symbolique pour signifier la sortie d'un deuil, d'un conflit personnel, voire donc politico-religieux - quelque chose d'à la fois violent et net). C'est aussi une bd qui traîte de la filiation ou d'une romance contrariée entre deux amants d'âge différent ou que rien ne prédisposait à se rencontrer.
Modan est une scénariste et dessinatrice qui possède indéniablement un sens affûté pour construire une histoire par petites touches subtiles mais aussi pour la narrer graphiquement avec une composition raffinée. Ce sentiment est renforcé par l'emploi de couleurs pastels, qui atténue le contexte brutal et souligne la délicatesse des émotions en jeu. On l'oublie souvent mais les gens qui vivent là-bas, dans ces régions traversées par des guerres incessantes, mènent aussi leur existence, bon gré mal gré, s'aiment, se déchirent, vivent, vibrent, hésitent : ils ont intégré la situation dans laquelle ils évoluent, qui fait leur quotidien, qui fait partie d'eux. Comme des bombardements intimes, la vie s'arrête puis repart au gré des "évènements".
On pourra préférer la qualité de l'écriture à celle du dessin, parfois un peu monotone, sans grand relief - à moins de considérer ce style comme une preuve de modestie refusant l'emphase. Mais c'est d'abord une remarqable réussité évoquant la quête d'identité(s) - familiale, amoureuse. Et c'est aussi une lecture très agréable, rapide, avec une certaine grace.Une vraie découverte.