dimanche 31 décembre 2023

10 COMICS POUR 2023... ET BONNE ANNEE 2024 !

Ceci n'est pas un classement, un top 10, mais plutôt une liste de dix comics que je retiendrai de cette année 2023 qui s'achève ce soir. Ils vous apparaissent dans leur ordre alphabétique pour leur titre. Si vous le souhaitez, donnez-moi vos dix comics en commentaire. 

Big Game #5 (Mark Millar/Pepe Larraz) (Image Comics)

Pourquoi ? Parce que c'est le meilleur event de l'année. Non. Le meilleur event depuis des années.

Birds of Prey #1 (Kelly Thompson/Leonardo Romero) (Dc Comics)

Pourquoi ? Parce que Kelly Thompson écrit enfin son team book. Et qu'elle retrouve Leonardo Romero.

Danger Street #12 (Tom King/Jorge Fornes) (DC Comics)

Pourquoi ? Parce que c'est l'oeuvre la plus inattendue et originale et optimiste de Tom King. Avec el excelente Jorge Fornes.

G.O.D.S. #1 (Jonathan Hickman/Valerio Schiti) (Marvel Comics)

Pourquoi ? Parce que Jonathan Hickman nous retourne le cerveau encore une fois. Et Valerio Schiti nous subjugue.

Somna #1 (Becky Cloonan & Tula Lotay) (DSTLRY)

Pourquoi ? Parce que Becky Cloonan et Tula Lotay sont en feu.

The Human Target #12 (Tom King/Greg Smallwood) (DC Comics)

Pourquoi ? Parce que Tom King nous bouleverse. Et Greg Smallwood nous éblouit.

The Immortal Thor #1 (Al Ewing/Martin Coccolo) (Marvel Comics)

Pourquoi ? Parce que, grâce à Al Ewing et Martin Coccolo, le dieu du tonnerre nous foudroie à nouveau.

Ultimate Invasion #1 (Jonathan Hickman/Bryan Hitch) (Marvel Comics)

Pourquoi ? Parce que Hickman, encore lui, déjoue nos attentes. En compagnie de Bryan Hitch.

Batman - Superman : World's Finest #20 (Mark Waid/Dan Mora) (DC Comics)

Pourquoi ? Parce que Mark Waid et Dan Mora forment une dream team sur ce titre, qui est le comic-book mainstream le plus régulier en qualité qui soit
.
X-Men : Hellfire Gala 2023 #1 (Gerry Duggan & Jonathan Hickman/Adam Kubert, R.B. Silva,
Matteo Lolli, Javier Pina, Pepe Larraz, Kris Anka, Russell Dauterman, Joshua Cassara,
Luciano Vecchio) (Marvel Comics)

Pourquoi ? Parce qu'après ça, vraiment, plus rien n'a été comme avant.

Et sur ce :


BONNE ANNEE 2024 ! 
Et lisez des comics !

RDB.

vendredi 29 décembre 2023

TITANS : BEAST WORLD #3, de Tom Taylor et Lucas Meyer


Ce troisième épisode (sur six) de Titans : Beast World confirme la médiocrité de l'event écrit par Tom Taylor. N'allez pas croire que ça me procure du plaisir de démolir le travail d'un auteur, mais soyons lucide et reconnaissons que ce n'est vraiment pas bon. Par-dessus le marché, Ivan Reis cède sa place à Lucas Meyer et, sans démériter, ce dernier n'a quand même par les mêmes atouts à faire valoir.


A la Tour des Titans, Nightwing a enfermé Batman, infecté, et le Dr. Clancy l'examine tandis que le détective Chimp vient apporter son expertise. Jon Kent éloigne Power Girl, également contaminé, Donna Troy tente de retenir Beast Boy. Et Amanda Waller va libérer le plus célèbre détenu de la prison de Stryker...


Par le plus grand des hasards, je relisais il y a peu un article paru dans Comic Box au sujet de Secret Invasion, l'event écrit par Brian Michael Bendis en 2008. J'avais précédemment relu un article sur Civil War de 2006 par Mark Millar dans la même revue.


Et ce qui m'a frappé, c'est à quel point la physionomie même des events, aussi bien chez Marvel que chez DC, a changé. Sans sombrer dans le "c'était mieux avant", force est de constater que, à l'époque de Secret Invasion et Civil War, les éditeurs concevaient ces histoires avec les auteurs avec l'ambition de faire bouger les lignes.


Dans le cas de Civil War par exemple, une idée aussi simple que forte questionnait le statut des super-héros : il s'agissait de considérer leur rôle de justiciers ne rendant de compte à personne, agissant en dehors de toute autorité, jusqu'à ce qu'un terrible accident impliquant un groupe de jeunes héros ne remette tout ça en cause.

Secret Invasion travaillait la matière différemment et annonçait en quelque sorte une certaine dérive des events puisque, initialement, Bendis l'avait conçu comme un arc de la série New Avengers - d'ailleurs l'intrigue commençait dans les pages de ce titre. Ce n'est qu'ensuite que l'équipe éditoriale a convaincu le scénariste de développer le projet pour en faire un event, impliquant d'autres héros. Mais Bendis avait un pitch assez malin pour concerner tout le monde et plonger ensuite tout l'univers Marvel dans une nouvelle ère (le Dark Reign).

Aujourd'hui, ce n'est vraiment plus pareil. Chez Marvel, non seulement les events se succèdent, parfois plusieurs la même année, et les répercussions sont vite expédiées (quand il y en a). Chez DC, il y a toujours cette tentation d'une nouvelle Crisis (la dernière, Dark Crisis, a abouti au statu quo actuel, Dawn of DC).

Le cas de Titans : Beast World s'inscrit dans un mouvement qui se veut plus souterrain mais qui manque par trop de subtilité. D'un côté, l'histoire surfe sur la série Titans de Tom Taylor et le fait d'établir l'équipe de Nightwing comme la digne remplaçante de la Justice League - quoi de mieux qu'un event pour prouver qu'ils sont à la hauteur de cette responsabilité ?

D'un autre côté, paradoxalement initié par Joshua Williamson, aujourd'hui principal architecte du DCU version comics, il y a la volonté de faire de Amanda Waller, la patronne de la Suicide Squad, la grande vilaine avec un plan simple : prouver que les super héros sont une menace et l'éradiquer en manipulant l'opinion. C'est elle qui a provoqué la catastrophe en cours - et pourtant elle supervise aussi une équipe de méta-humains (une nouvelle mini-série Suicide Squad est déjà programmée à l'issue de Beast World).

On aurait donc pu avoir, idéalement une synthèse des démarches de Millar et Bendis avec Beast World : une intrigue mijotée à feu doux mais explosive. Pourtant, au lieu de ça, on a quelque chose qui est grotesque, écrit avec des ficelles grosses comme des câbles, sans aucune nuance, et qui n'est déclinée que dans des tie-in spécialement conçus pour l'occasion (et dont je me demande qui les lit parce que, vraiment, il faut être motivé).

Tom Taylor ne réussit déjà pas à imposer les Titans comme une équipe valant la Justice League (mais c'était attendu : comme les New Mutants n'ont jamais éclipsé les X-Men, personne, je crois, ne voudra jamais des Titans à la place de la Justice League). Alors lui demander d'être aussi percutant que Millar et prévoyant que Bendis (dans une configuration chez DC où il n'a pas la même importance ni la même influence), c'était perdu d'avance.

Mais là où le bât blesse, c'est que en trois épisodes, son event échoue lamentablement à créer des scènes, voire des séquences assez puissantes pour que le lecteur croit que cette histoire va marquer le futur du DCU. Pour l'instant, la seule victime marquante est Batman, mais c'est contre-productif puisque c'est justement Batman et que tout le monde sait qu'il recouvrera son intégrité physique et mentale à la fin (c'était le même problème qui s'était posé avec Lazarus Planet). 

Et les manipulations de Waller deviennent ridicules car si on suit le travail de Williamson, on sait qu'elle agit pour le compte d'autres personnes, et si on ne le suit pas, c'est encore plus embarrassant puisque rien ici ne nous renseigne sur cette réalité en coulisses. A cet égard, l'identité du détenu qu'elle fait sortir de prison à la fin de l'épisode apparaît comme un retour en arrière pathétique par rapport à ce que Williamson lui-même avait mis en place dans Superman (et ça veut aussi dire que Williamson l'a approuvé).

Je suis un peu long et je m'en excuse, mais je ne veux pas taper sur Taylor sans expliquer ce qui, selon moi (mais je pense que mes reproches sont objectifs), ce fonctionne pas. En vérité, ça dépasse Taylor, son manque de talent ne fait que rendre le problème plus évident. Et ce problème est d'abord celui des éditeurs qui multiplient les events sans comprendre que leur multiplication diminue leur impact. La complicité du lectorat qui continue à tomber dans le panneau en achetant car il espère que celui-ci sera différent ne fait qu'aggraver la chose.

En ce qui me concerne, si je n'attendais pas grand-chose de Taylor sur un tel format (et en général), je n'ai pas été déçu. Mais je le suis nettement plus quand je vois que cet épisode n'est pas dessiné par Ivan Reis, qui était l'attraction principale. Il reviendra pour le #5, et c'est tout, donc il aura seulement dessiné la moitié d'un event : c'est dire s'il a vraiment déjà la tête ailleurs (en l'occurrence chez Ghost Machine pour qui il va devenir exclusif et retrouver Geoff Johns).

Lucas Meyer n'est pas mauvais, il semble même que Beast World soit une sorte de test pour lui puisque DC l'a confirmé comme le prochain dessinateur régulier de Titans (Nicola Scott n'aura donc pas fait long feu). Mais ce qui lui manque, surtout pour un projet comme ça, c'est justement ce qu'apporte un artiste comme Reis : de la puissance, de l'ampleur, de l'envergure, du souffle.

Evidemment, ça s'acquiert avec de l'expérience et Reis a eu tout le temps de l'accumuler chez DC, notamment depuis Blackest Night qui a fait de lui la superstar qu'il est. Toutefois, je trouve curieux de jeter dans le grand bain un artiste comme Meyer, surtout pour suppléer Reis : la comparaison est inévitable et je doute qu'elle tourne en sa faveur. C'est sévère mais implacable.

Allez, rendez-vous dans quinze jours pour la suite de ce nanar boursouflé.

SOMNA #1, de Becky Cloonan et Tula Lotay

Cover A : Becky Cloonan
Cover B : Tula Lotay

DSTLRY est un nouvel éditeur indépendant qui a de grandes ambitions et se donne les moyens de les réaliser. Ses fondateurs sont David Steinberger et Chip Mosher, deux anciens cadres de Amazon et de leur plateforme de streaming Comixology (qui vient de fermer ses portes). Ils ont réussi à attirer de nombreux auteurs, dont certains renommés (Scott SnyderJockBrian AzzarelloJames Tynion IVRam VElsa CharretierMirka AndolfoJoëlle JonesBecky CloonanTula LotayStephanie PhillipsJunko MizunoJamie McKelvieLee Garbett et Marc Bernardin), en en faisant les actionnaires de leur boîte. Somna marque le fruit de la collaboration entre Becky Cloonan et Tula Lotay et c'est déjà un chef d'oeuvre.


Au XVIIème siècle, dans un village, une jeune femme, Agnes, est arrêtée par l'inquisiteur Roland pour sorcellerie. En attendant son procès, elle est jetée dans un cachot. L'homme qui l'aime, Gawain, soudoie un garde pour la visiter, avec un plan d'évasion : il faudra qu'elle se laisse enfermer dans le cercueil d'un cadavre. Après s'être conné à lui, elle accepte.


Roland est marié à Ingrid qui fait fréquemment des rêves érotiques. Frustrée de ne pas connaître le plaisir dans les bras de son époux trop occupé à sa tâche, elle se fait porter pâle lorsqu'il lui demande de l'accompagner pour l'exécution d'Agnes. Mais une fois qu'il est parti, elle va quand même assister à ce funeste spectacle en haut de la colline qui surplombe le village.


Elle y est rejointe par sa meilleure amie, Maja, et son fils, Niklas. Maja évoque le mari d'Agnes, Sigurd, qu'elle trouve séduisant. Cela choque Ingrid qui éprouve plutôt de la compassion pour lui car il ne pourra pas enterrer sa femme, dont le corps sera exposé pendant les jours suivants.


Dans ses rêves, Ingrid est la proie d'une créature masculine à la peau bleue. Il la séduit mais lui procure du plaisir, ce que ne manque pas de remarquer Roland sans s'expliquer ce qui arrive à sa femme. Il doit par ailleurs s'absenter pour apporter son expertise dans un village voisin. Esseulée, Ingrid redoute de s'endormir tout en ne résistant pas à la tentation. Le démon lui confie alors un secret concernant Maja qui va la hanter...


Ce premier épisode se distingue déjà par son format : il compte 70 pages et les pages sont à la fois plus grandes et plus larges qu'un floppy classique. Le papier est également de meilleure qualité. Tout est fait pour que le lecteur profite de l'expérience au maximum, on est loin des standards, c'est presque un comic-book de prestige et d'ailleurs le prix est à l'avenant (8,95 E).


C'est donc un petit investissement mais on en a pour son argent car l'ouvrage est donc soigné. Et pas que pour son contenant mais surtout pour son contenu. Car DSTLRY veut s'écarter des normes : les auteurs ont toute liberté pour aborder les sujets et les thèmes qu'ils désirent, pas de censure, la violence comme le sexe peuvent y être représentés. Et dans le cas de Somna, Becky Cloonan et Tula Lotay y sont allés franchement.


Cette histoire mélange thriller historique et récit initiatique sexuel. C'est très chaud. Le désir féminin est au centre de l'intrigue où on suit Ingrid, la femme d'un inquisiteur, taraudée par les plaisirs de la chair et en proie à des rêves érotiques brûlants. Au début cela l'angoisse car dans cette société puritaine où la femme tentée est facilement accusée d'être sous l'influence du Diable, elle ne peut se confier à son mari, par ailleurs accaparé par sa tâche.

Roland, dans les rares moments où son épouse est prête à se donner à lui, lui demande d'ailleurs de se ressaisir, comme s'il était horrifié. Son comportement interroge le lecteur car Ingrid est belle et attirante, mais en même temps, comme il l'avoue après l'exécution d'Agnes, le spectacle auquel il a assisté était particulièrement éprouvant. On peut donc comprendre qu'il n'ait pas le coeur à la gaudriole.

Cette ambiance de non-dit, bien pesante, est remarquablement traduite dans un script écrit à deux mains puisque Becky Cloonan et Tula Lotay sont créditées comme "storytellers" : elles ont imaginé, rédigé et illustré cette histoire. Et on imagine mal à vrai dire un scénariste masculin aller aussi loin, mais surtout aller aussi loin sans sombrer dans une forme de complaisance.

Je ne veux pas dire qu'un auteur masculin serait incapable d'écrire un récit pareil, sans sensibilité. Mais le fait que ce soit deux femmes suggère une complicité unique pour dire et montrer les choses crûment sans vulgarité, en sachant de quoi elles parlent, intimement. Par ailleurs, ce cadre historique n'est pas étranger à l'oeuvre de Cloonan qui l'avait déjà exploré dans son merveilleux By Chance or Providence.

Le tour fantastique que prend Somna entraîne le lecteur sur un terrain trouble et troublant. N'ayons pas honte de le dire : c'est extrêmement torride. Le visiteur de Ingrid l'éveille au plaisir avec une suavité extraordinaire, et quand Ingrid finit par succomber à l'envie de se masturber, la scène est représentée de manière très frontale, avec une sorte de franchise peu commune.

Mais progressivement, cette érotisme se teinte d'une façon plus angoissante. Lorsque la créature entraîne Ingrid dans un bois pour lui montrer ce qui se passe à l'intérieur d'une cabane de chasseur abandonnée, la jeune femme perd pied avant de se cabre, refusant de tomber complètement sous la coupe de son tentateur. On comprend alors que celui-ci se sert des orgasmes d'Ingrid pour s'incarner dans le réel. Et cette forme de concrétisation est encore plus puissante dans sa dimension métaphorique : que se passerait-il en effet si nous pouvions ouvrir une sorte de porte à des créatures pareilles par la voie du plaisir auquel elles nous initient ? On devine bien que le prix à payer serait inquiétant.

Il y a aussi un aspect politique dans Somna car l'histoire résonne de manière singulière avec l'Amérique actuelle (et pas seulement l'Amérique d'ailleurs) : dans ce pays qu'on appelle la plus grande démocratie du monde mais qui est plus déchirée que jamais entre la tentation justement du fascisme avec la présence de Trump et une autorité plus démocratique qu'incarne Biden, on interdit dans plusieurs de ses Etats aux femmes la possibilité d'avorter, on bannit de bibliothèques publiques des livres dont e contenu indispose des fondamentalistes religieux, on subit des fusillades meurtrières contre lesquelles un puissant lobby des armes interdit de légiférer. Le wokisme règne jusqu'à l'absurde, l'antisémitisme resurgit en écho à la guerre menée par Israël contre le Hamas suite aux attentats du 7 Octobre dernier.

Dans ce contexte hyper pesant, l'époque du récit de Somna, les thèmes abordés, les figures qui l'animent, les métaphores qui l'agissent sont autant de miroirs tendus et de réponses adressées par les deux auteurs. Presque un acte de résistance.

Visuellement, Somna n'est rien de moins qu'une splendeur, certainement un des plus beaux livres de cette année. Becky Cloonan s'était presque retirée ces dernières années et c'est son grand retour à la table à dessin. Son trait gras, sombre, se pose sur les scènes dans le réel de l'histoire. Il ne lui faut pas grand-chose pour nous faire croire à ce XVIIème siècle puritain dans lequel on brûle des femmes accusées sans preuves et condamnées au terme de simulacres de procès. Pourtant, Cloonan ne lésine pas sur les détails comme quand elle représente un marché grouillant de monde ou dépeint l'intérieur austère de la maison de Ingrid et Roland.

Tula Lotay, elle, se charge des scènes oniriques. Son approche est totalement différente dans la mesure où elle travaille numériquement. Les effets qu'elle manipule avec génie donnent une texture envoûtante à ces pages et font des scènes les plus explicitement sexuelles des moments à la fois poétiques et intenses. La beauté des images est confondante tout comme l'effet qu'elles font au lecteur. Lorsque Cloonan se livre au même exercice, dans un passage incroyablement cru, on est presque sidéré par l'audace de ces deux créatrices mais aussi bluffés par l'élégance dont leurs planches ne se départissent jamais.

Si Lotay assume l'intégralité de sa partie graphique, Cloonan peut s'appuyer sur deux coloristes expérimentés avec Lee Loughridge et Dee Cunniffe qui apportent à ses dessins une matière mate, qui tranche avec le côté éthéré des pages de Lotay.

Somna s'impose immédiatement comme un objet à part. Et un must-read. Vite la suite !

BONUS : ce premier n° (comme les suivants) est proposé avec deux couvertures régulières de Cloonan et Lotay. Mais les variant covers sont simplement à tomber. Les voici :
   
Alison Sampson
Dave Johnson
Jae Lee
Joelle Jones
Karl Kerschl

jeudi 28 décembre 2023

AVENGERS INC. #4, de Al Ewing et Leonard Kirk


C'est quand même bizarre de se dire que c'est l'avant-dernier épisode de Avengers Inc., car, oui, Marvel va annuler la série le mois prochain. Les ventes ont dû être dramatiquement basses pour que l'éditeur sanctionne le titre aussi vite; Pourtant Al Ewing et Leonard Kirk osaient quelque chose d'atypique, et ça en dit finalement assez long sur le marché et les fans...


Suite à une série de meurtres contre des super-vilains, Ringleader fait appel aux services de la Guêpe et de Victor Shade pour qu'ils trouvent le coupable. Les soupçons se portent sur Moon Knight qui a poursuivi la dernière victime...


Une série qui est arrêtée après seulement quatre épisodes, ça porte un nom : c'est un bide. On peut ensuite tergiverser sur l'injustice que ça représente, surtout pour un titre qui osait une formule différente et qui était porté par deux auteurs de talent, mais les faits sont là : Avengers Inc. n'a pas fonctionné.


En conséquence, Marvel a pris les devants et annoncé l'arrêt de la série le mois prochain avec le cinquième épisode. Al Ewing, le scénariste, devra donc boucler son intrigue en vitesse, et on sent bien que, déjà, dans ce numéro, il a revu ses plans.
 

Faut-il alors ou non parler du fond de cet épisode ? Un peu quand même. Comme d'habitude, on est vite mis dans le bain avec une intrigue impliquant les meurtres de plusieurs super-vilains de seconde zone qui motivent un de ces super malfrats à faire appel à Janet Van Dyne et Victor Shade pour trouver le coupable de ces exécutions.

La situation est incongrue : un criminel demande à une héroïne d'enquêter sur la mort d'autres criminels. Son argument ? Quel que soit son bord, si on suit certaines règles, comme ne pas tuer ses adversaires, alors on doit suivre ses principes jusqu'au bout et rendre justice contre ceux qui ne la respectent pas.

Janet accepte donc l'affaire et commence par interroger le principal suspect, qui se trouve être un super-héros notoirement connu pour sa violence : Moon Knight. Il a été vu en train de poursuivre la dernière victime mais il jure n'avoir fait que cela, pour l'éloigner de son quartier. Qui plus est, la victime a été tuée par balle et Moon Knight n'utilise jamais d'arme à feu. Pour se disculper, il obtient de retourner sur le lieu du crime, même si celui-ci a été nettoyé depuis. Et là, Janet a une révélation : elle sait qui est l'assassin.

Reste à savoir son mobile... Et Al Ewing nous fait un spectaculaire exercice de synthèse où on comprend que Avengers Inc. était en fait le prolongement de ses deux mini-séries Ant-Man et The Wasp. Mais il va plus loin encore en revenant sur la dernière incarnation d'un fondateur des Avengers et sa situation actuelle dont personne ne savait rien.

En lisant ce que Ewing développe de manière forcément très concentrée, sans doute plus qu'il ne l'avait initialement prévu, on mesure à la fois l'ambition qu'il nourrissait pour Avengers Inc. et aussi la souplesse dont il sait faire preuve pour apporter une conclusion satisfaisante à ce titre qui va être annulé. On ne peut qu'être admiratif devant les efforts qu'il déploie car on imagine que d'autres auteurs auraient liquidé l'affaire sans se forcer, sachant le funeste destin qui attendait la série.

Leonard Kirk accomplit, lui, un travail toujours aussi professionnel. C'est un artiste qui n'a pas la reconnaissance qu'il mérite, malgré sa longue expérience. C'est un héritier des "ouvriers" des comics comme pouvaient l'être Sal Buscema, Jim Aparo : un dessinateur solide, régulier, capable d'éclats par intermittence, mais qui rendait toujours une copie impeccable. C'est une fois encore le cas ici : Kirk ne fait pas d'étincelles, ce n'est sans doute pas son meilleur travail, mais il tient son rang et la série pouvait voir loin avec lui. Il rebondira sûrement vite, en souhaitant que Marvel lui confie la prochaine fois un titre qui durera plus longtemps.

Mais au-delà de ces considérations narratives et esthétiques, le cas d'Avengers Inc. interroge aussi et surtout sur le marché des comics et les fans. On le sait, actuellement, ça ne va pas fort pour les super-héros. Quand on examine les dix titres qui ont le plus vendu en 2023, Batman écrase la concurrence (que ce soit avec son mensuel propre ou Detective Comics) puis Spider-Man (malgré des critiques désastreuses sur le run actuel). Et après ? Rien ou presque. Void Rivals de Kirkman et de Felici est le seul à résister, à la fois contre ces deux mastodontes et comme titre indé.

Il existe bien entendu des séries qui tirent leur épingle du jeu en proposant quelque chose d'inattendu, au sein même des Big Two, comme G.O.D.S. de Hickman et Schiti, qui a démarré très fort. Il y aura encore et toujours une forte attente en 2024 pour la relance de la gamme X-Men chez Marvel. Et sans doute que, quand DC se décidera à redémarrer Justice League, le public sera au rendez-vous. Mais ça reste des succès liés au nom d'un auteur vedette (Hickman) ou d'une marque historique (X-Men, Justice League).

Les fans, quant à eux, sont plus contradictoires et et versatiles que jamais. D'un côté, il suffit de traîner sur un forum ou sur les réseaux sociaux pour les entendre se lamenter de telle ou telle franchise qui n'est pas animée correctement à leur goût tout en souhaitant du neuf, de l'inattendu. Mais quand quelque chose de neuf et d'inattendu pointe le bout de son nez, il n'est pas soutenu. Quant aux franchises supposément mal conduites, elles sont quand même suivies quel que soit la direction que les éditeurs leur impriment (c'est un peu le syndrome Wolverine que beaucoup se plaignent de voir partout mais qui se vend toujours malgré cette omniprésence).

Avengers Inc. est la dernière victime en date de cette fanbase bruyante mais finalement très conformiste. Voilà une série qui aurait pu combler pas mal de lecteurs insatisfaits mais soit ils n'ont pas été assez nombreux à l'acheter, soit ils n'ont pas su la recommander (préférant encore une fois commenter ce qui leur déplaisait). Est-ce qu'aujourd'hui, dans cette morosité ambiante, un ovni comme le Hawkeye de Fraction & Aja trouverait sa place, durerait ce qu'il a duré ? Franchement, j'en doute. En tout cas dans le Marvel actuel.

Parce qu'en face, chez DC, avec des espaces comme le Black Label, le retour des Elseworlds, voire de Vertigo, l'éditeur encourage, soutient des oeuvres moins faciles. Parce que les scores de Batman le lui permettent. Avec Spider-Man dans une position équivalente, on comprend d'autant moins que Marvel ne créé par une collection, un label similaire.

Ce serait d'autant plus avisé qu'on a assisté ces derniers mois à un exode sans grand précédent d'auteurs et d'artistes, non plus d'un des Big Two à l'autre, mais vers des indés. Geoff Johns a attiré à lui beaucoup de ses amis pour son label Ghost Machine hébergé chez Image et ils seront tous exclusifs une fois leurs travaux pour leur employeur actuel terminés. Idem avec Rick Remender et son Giant Generator, qui a convaincu pas mal de ses potes de le suivre chez Image. Scott Snyder, Mark Millar, Brian Michael Bendis ont tous des deals avec Dark Horse (qui n'a donc plus à dépendre principalement sur Mike Mignola et Hellboy). Et il y a aussi DSTLRY, une nouvelle compagnie qui fait des auteurs/artistes venant chez eux des actionnaires.

Tous ces gens qui s'en vont ne reviendront sans doute pas (ou pas de sitôt) chez Marvel ou DC (surtout avec des contrats d'exclusivité à la clé dans leur nouveau refuge). Peut-être que tout ne réussira pas, qu'il s'agira de bulles comme Substack qui fit grand bruit et qui n'en fait plus du tout maintenant. Mais les mouvements observés sont quand même assez conséquents pour interroger.

Et de ce point de vue, même si Al Ewing n'a pas (pas encore ?) manifesté de désir de quitter Marvel pour lui aussi se consacrer uniquement à du creator-owned, Avengers Inc. pourrait bien être la dernière initiative chez Marvel de produire un contenu qui sort de l'ordinaire au profit de séries et de franchises plus rassurantes. Que chaque lecteur y pense la prochaine fois qu'il se désolera de l'arrêt d'une série moins conventionnelle... Dans cette histoire, les éditeurs comme les fans ont tous une part de responsabilité.

SABRINA THE TEENAGE WITCH HOLIDAY SPECIAL #1, de Kelly Thompson et Veronica Fish, Danielle Paige et Veronica Johnson


Deux ans et demi après la parution de la mini-série Sabrina The Teenage Witch : Something Wicked, Kelly Thompson et Veronica Fish (sans son mari Andy cette fois) reviennent pour ce numéro spécial Noël. Il est agrémenté d'un second récit par Danielle Paige et Veronica Johnson, pour un résultat très frustrant.


- THE LONGEST NIGHT - Désormais élève à l'école des sorcières, Sabrina Spellman invoque un sort qui ouvre un portail inter-dimensionnel. Sa mission : délivrer Ali, une de ses camarades, enlevée par un démon. Mais le temps est compté et l'ennemi très dangereux...


Kelly Thompson est une scénariste occupée et on devine que si elle aura bien aimé continuer à écrire les aventures de Sabrina The Teenage Witch, elle n'en a pas eu le temps. Toutefois quand l'editor du titre chez Archie Comics lui a proposé de s'y remettre, elle a trouvé un compromis... De saison.


Vous l'aurez deviné : il s'agit d'un épisode spécial Noël. La fin laisse espérer une suite, peut-être en 2024, et je croise les doigts pour que ce soit le cas car il s'est écoulé quand même deux ans et demi depuis la précédente mini-série, Something Wicked.
 

En même temps, on ne va pas se le cacher, ce retour est frustrant car l'épisode ne compte qu'une quinzaine de pages. Kelly Thompson délivre une histoire très nerveuse, en temps réel, où Sabrina Spellman infiltre le repaire d'un démon dans une autre dimension pour y délivrer une camarade de l'école des sorciers.

On n'a donc pas le temps de s'ennuyer mais guère plus de savourer car ça passe très vite. Toutefois, ne boudons pas notre plaisir car c'en est un de retrouver le petite sorcière telle qu'on l'aime et comme seule la scénariste semble savoir l'animer. Sa malice, son courage, son charme sont intacts.

Au dessin, Veronica Fish est également de retour, ouf ! L'artiste a su donner au personnage une identité graphique à la fois dynamique et pleine de séduction. Sa narration est simple mais très fluide, une dessinatrice de ce talent mériterait d'être plus et mieux exploitée.

On notera que Veronica Fish n'est pas colorisée par son mari Andy, comme c'était le cas précédemment, mais par Matt Herms, qui collabore souvent avec Rafa Sandoval. Toutefois la palette reste fidèle à ce qu'on avait vu auparavant, avec des tonalités très vives qui participent pleinement au look de la série et de cet épisode - même si, en vérité, rien ne vient souligner qu'il se déroule durant les fêtes de fin d'année.

Allez, maintenant, un arc entier pour l'an prochain !

 
- A VERY SPELLMAN SOLSTICE - Sabrina demande à ses tantes Zelda et Hilda de lui raconter leur premier solstice d'hiver à Greendale. Elles s'exécutent et reviennent sur la mésaventure qui a suivi leur projet de ressusciter leurs parents, Spinner et Morgana Spellman, quand leur grand-mère, exilée en enfer, s'en est mêlée...

Ce complément de programme de 7 pages est l'oeuvre de Danielle Paige au scénario mais déçoit après l'épisode par Thompson. L'intrigue n'est pas très développée alors qu'il y avait de quoi faire. Les dessins sont dus à Veronica Johnson dont le style frise l'amateurisme, ce qui jure avec les pages de Fish.

Je comprends que sortir uniquement un comic-book de 15 pages aurait été insuffisant mais là, ce n'est ni fait ni à faire. 

mardi 26 décembre 2023

THE MARVELS : Error System


The Marvels est d'ores et déjà le plus cuisant échec commercial du MCU. Mais, sans être méchant, c'est mérité. Et surtout c'était quelque part inévitable tant ce film a été produit en dépit du bon sens. Il signe en vérité l'échec d'une stratégie imposée par Kevin Feige au début de la Phase IV. Mais, aussi curieux que cela puisse paraître, c'est peut-être un mal pour un bien...

Ce qui suit contient des SPOILERS !
 

La destruction de l'Intelligence Suprême, qui dirigeait l'empire kree, par Captain Marve, a fait sombrer ce peuple dans une guerre civile et la désolation. Depuis trente ans, les ressources du monde -trône Hala se sont épuisées, la sécheresse sévit, l'air y est devenu irrespirable, son soleil se meurt. Dar-benn, une jeune juge, s'est érigée en leader, promettant de corriger cette situation et de tuer celle qu'elle appelle "l'annihilatrice" - Captain Marvel.


Pour cela, elle met la main sur un bracelet quantique qui lui permet d'ouvrir des brèches spatio-temporelles. L'une d'elles est détectée par le S.A.B.E.R. (Strategic Aerospace Biophysics and Exolinguistic Response), dirigée par Nick Fury, qui a sous ses ordres l'agent Monica Rambeau, la nièce de Carol Danvers/Captain Marvel, qui elle surveille ce portail à son autre extrémité. Chez elle, dans le New Jersey, Kamala Khan voit son bracelet quantique briller inexplicablement et quand Carol et Monica activent leurs pouvoirs, elles échangent leurs places.
 

Nick Fury et Monica rendent visite à Kamala, rejoints par Carol Danvers. Elles comprennent qu'elles ont en commun leurs pouvoirs sur la lumière et qu'elles doivent faire équipe pour résoudre cette affaire de brèches. Elles partent donc pour la planète Tarnax que Captain Marvel a trouvé pour donner un refuge aux skrulls, les ennemis de toujours des kree. Mais Dar-benn les a devancées et en ouvrant un portail en aspire l'atmosphère. Carol, Monica et Kamala évacuent le plus de skrulls possibles puis les confient à Valkyrie qui les transportent à la Nouvelle Asgard..


Carol comprend que Dar-benn s'en prend à des mondes qui lui sont chers et emmènent donc Monica et Kamala sur Aladna, composée en majorité d'eau. Elle s'y est jadis fiancée au prince Yan qui les aide à affronter Dar-benn et son armada. Mais le combat est déséquilibré et Kamala se fait dérober son bracelet quantique.


Obligées de battre en retraite à contrecoeur, Carol sait que la prochaine cible de Dar-benn sera la Terre ou plus exactement son soleil. Pour se préparer à un nouveau combat contre Dar-benn, elle s'entraîne avec Monica et Kamala puis contacte Nick Fury pour l'avertir de la situation. Dar-benn commence déjà à ouvrir une brèche avec ses deux bracelets quantiques lorsque les trois héroïnes surgissent.


Lorsqu'elle déchaîne ses pouvoirs contre ses adversaires, Dar-benn est consumée par les bracelets quantiques. Il reste cependant à refermer le portail ouvert et Monica se sacrifie. Kamala rentre dans le New Jersey retrouver ses parents et explique que Carol est repartie pour Hala. Là-bas, elle régénère le soleil et sauve les kree d'une mort annoncée.

Deux scènes supplémentaires interviennent durant le générique de fin : 

- dans la première, Kamala Khan aborde Kate Bishop, la disciple de Clint Barton/Hawkeye, pour lui proposer de former une équipe avec d'autres jeunes héros ;

- dans la seconde, Monica se réveille auprès de sa mère, Maria, et du Dr. Hank McCoy/le Fauve, qui l'ont récupérée dans un univers parallèle. Monica doit expliquer à Maria qu'elle est bien sa fille et comment elle est arrivée ici.

Flashback : nous sommes en 2019 et Spider-Man : Far From Home conclut la Phase III du MCU (Marvel Cinematic Universe), trois mois après le triomphe de Avengers : Endgame, climax de 11 années de films adaptés des comics Marvel. Kevin Feige, producteur de tous ces longs métrages et grand architecte de leur mise en chantier, est le roi du monde.

Il annonce alors les projets pour la Phase IV dont l'exploitation débutera en 2021 avec le film Black Widow. Son ambition est grande mais personne ne la contesterait : il entend étendre le MCU sur grand et petit écran avec, pour ce support, des séries mettant en scène des personnages secondaires et parfois encore inédits. La plateforme Disney + les programmera mais surtout, dans l'idéal, les fans pourront apprécier une expérience encore plus grande des super-héros Marvel.

Shang Chi et la légendes des dix anneaux, Les Eternels, Spider-Man : No way home, Doctor Strange in the Multiverse of Madness, Thor : Love and thunder, Black Panther : Wakanda forever, Ant-Man et la Guêpe : Quantumania, Les Gardiens de la Galaxie volume 3, et donc The Marvels vont se succèder en salles. Tandis qu'en streaming on découvrira WandaVision, Falcon et le Soldat de l'Hiver, Loki (saisons 1 et 2), What if...?, Hawkeye, Moon Knight, Ms. Marvel, She-Hulk : Avocate et Secret Invasion.

Et autant dire que tout ne va pas se dérouler exactement comme l'avait espéré Kevin Feige. Entre temps, Bob Chapek, le patron de Disney, critiqué pour sa gestion, sera limogé et remplacé par celui auquel il avait succédé, Bob Iger, qui, depuis, a changé de braquet en exigeant des économies (et donc en licenciant massivement). Les responsables des effets spéciaux râlent contre des conditions de travail intenables. Et la grève des scénaristes et des acteurs paralysera tout Hollywood pendant plusieurs mois.

Mais surtout le succès n'est plus automatique pour les productions Marvel. La critique se fait aussi plus assassine, étrillant de gros projets. Et les fans n'accrochent pas à cette saga du Multivers censée succéder à celle des Pierres d'Infinité et de Thanos qui a couru sur les Phases I à III. La belle mécanique s'est enrayée.

Chacun y est allé de son diagnostic : lassitude envers les super-héros ? Manque de lisibilité dans l'intrigue générale ?  Même des cinéastes "nobles" s'en sont mêlés, comme Martin Scorsese qui a qualifié les films de super-héros de produits plus proche des parcs d'attraction que du cinéma, même si d'autres les défendent, comme Christopher Nolan, qui disent qu'il en faut pour tous les goûts et qu'ils participent à la bonne santé économique de l'industrie.

Pour ma part, sans revenir dans le détail sur ce que j'ai aimé ou pas dans cette Phase IV, j'ai été dès son départ perplexe sur cette synergie entre ciné et télé, sur le choix de Kang comme nouveau grand méchant du MCU (et sur l'acteur qui l'incarnait, Jonathan Majors, très cabotin), et une absence criante de liant entre tout ça. Le concept même de Multivers, compliqué à expliquer, a surtout échoué à convaincre et je pense qu'il faudrait carrément ne plus le traiter (même si je doute qu'une décision aussi drastique soit prise).

The Marvels, pour en revenir à lui, est une sorte de concentré de toutes ces erreurs tactiques, narratives, esthétiques. C'est une sorte d'erreur aberrante dans un système, au point qu'on se demande comment un tel film a pu être validé tel quel ou, comme cela semble être le cas maintenant que des langues se délient, comment il a été charcuté pour ne ressembler à ce point à rien.

C'est très simple en vérité : comment a-t-on pu croire que c'était une bonne idée de faire une suite à Captain Marvel en excluant le nom de l'héroïne du titre et en lui associant deux autres personnages uniquement vus dans des séries télé, et encore pour l'une d'entre elles dans un rôle très secondaire ? C'est un vrai mystère et une hérésie. Ce qui faisait la force du MCU pendant sa première décennie, c'était justement la manière dont les héros faisaient connaissance progressivement, pour former l'équipe des Avengers d'abord, puis affronter Thanos ensuite. Et si ça fonctionnait, c'est parce que tous les personnages étaient issus d'un même format (le film), sur un pied d'égalité donc.

Mais Ms. Marvel et Monica Rambeau sont issus de séries Disney +, par ailleurs très diversement appréciées. Ms. Marvel était sympathique mais souffrait d'un scénario très faible tout juste compensé par l'abattage de sa jeune vedette, Iman Vellani. Monica Rambeau, jouée par Teyonah Parris, était un second rôle dans WandaVision, qui acquérait ses pouvoirs d'une façon très opportuniste (et complètement différente, comme Ms. Marvel, des comics), sans avoir marqué les esprits plus que ça - en tout cas certainement pas au point de devenir une tête d'affiche.

Ne revenons pas sur les réactions à l'égard de Brie Larson en Captain Marvel auxquels de soi-disant fans reprochaient de ne pas être assez souriante... Mais Larson est une actrice solide, oscarisée, et à qui il en faut plus que ça pour l'ébranler. Elle est à mon avis impeccable dans son rôle.

L'intrigue de The Marvels est aussi un cas d'école. Le film est court, le plus court de tous les films du MCU avec ses 1 h. 42. Mais justement on a souvent l'impression que le film se déroule en accéléré, comme s'il ne fallait pas perdre de temps. C'est très bizarre, surtout pour un studio qui n'a jamais lésiné sur la durée, accouchant souvent de montages un peu trop généreux. Ce n'est pas tellement qu'on a le sentiment qu'il manque de scènes, mais plutôt que tout est expédié, pas ou peu ou mal développé.

Quand le film débute, le spectateur doit intégrer des informations à toute vitesse et il ne s'agit pas de rien : l'empire kree a sombré, la planète Hala est condamnée, et tout ça par la faute de Captain Marvel - ce qui n'est quand même pas l'idéal pour ensuite affirmer que c'est quand même une héroïne... Celle qui lui en veut le plus et entreprend de résoudre cette crise est une jeune femme kree jouée par Zawe Ashton, une comédienne à l'absence de charisme effrayant, qui ne fait jamais peur, et qui connaîtra une fin pitoyable. L'armada qu'elle est censée commander est la plupart du temps invisible ou alors réduite à de la figuration, mise en scène avec une mollesse terrible.

Là aussi, des trolls sur Internet ont accablé la réalisatrice Nia DaCosta. Je ne connais pas son travail mais elle n'est tout simplement pas taillé pour une super production de ce type. Les rumeurs disent que la production a été chaotique, sans supervision, et que le montage final s'est fait sans elle (partie sur un autre projet), avec des coupes drastiques (d'où la durée du film). Quelle que soit la vérité, le résultat est calamiteux, sas personnalité, sans envergure, sans souffle.

C'est cependant, même si ce n'est pas difficile, moins affreux visuellement que Thor : Love and Thunder et surtout Ant-Man et la Guêpe : Quantumania, mais bon, ce n'est pas beau non plus. Les effets spéciaux sont pauvres, cheap, même pas ratés, juste misérables.

Mais ce n'est pas tout ! Comme d'habitude, on a droit à des scènes durant le générique de fin et elles sont affligeantes. La première réveille une arlésienne avec une évocation des Young Avengers (ou des Champions), soit une équipe de jeunes super-héros initiée par Kamala Khan qui aborde Kate Bishop : je n'ai rien contre cette éventualité mais je ne crois pas une seconde que quiconque ira voir un jour pareil film. Si Kevin Feige y tient vraiment, qu'il le produise comme un unitaire spécial sur Disney + (comme l'excellent Werewolf by Night).

En revanche, comment le même Feige a pu introduire pour la première fois le retour officiel des X-Men à la fin de The Marvels, qui plus est dans une scène aussi gênante, quel que soit l'angle sous laquelle on la considère ? Faut-il, comme je l'ai compris, entendre que les mutants vivent dans un univers parallèle ? Et faire de Maria Rambeau une revenante devenue l'héroïne Binaire (qui était à l'origine une incarnation cosmique de Carol Danvers)... Dans un sens, heureusement que The Marvels a été un bide, ainsi peu de gens ont vu ça et quand les X-Men auront enfin droit à leur film, personne ne se souviendra qu'ils ont été mentionnés ici pour la première fois.

En conclusion, deux remarques : 

- 1/ je pense qu'il existe bien une lassitude des films de super-héros - ou plus exactement des mauvais films de super-héros, trop (mal) produits, réalisés, écrits. Le succès des Gardiens de la Galaxie vol. 3 a prouvé que le public appréciait encore le genre quand il était bien adapté, par un auteur inspiré. Mais je crois aussi qu'il est nécessaire, vital même, que Marvel/Disney fasse un break (comme DC/Warner), ne serait-ce que pour recréer de l'attente, du désir pour ces films et, à cet égard, qu'il n'y ait que Deadpool 3 qui soit programmé en 2024 est une bonne chose (même si ça aurait été encore mieux qu'il sorte en 2025).

- 2/ Il est tout aussi nécessaire d'arrêter de développer le MCU à la fois sur le petit et le grand écran, ou alors que les projets soient déconnectés. La stratégie de Feige ne fonctionne pas. C'est indigeste. D'ailleurs, il faut surtout moins produire de films de super-héros, refaire de chacun un événement, et de qualité. Le public ne veut plus de films moyens ou médiocres ni de héros de seconde main. The Marvels l'enseigne, durement.