vendredi 22 décembre 2023

WONDER WOMAN #4, de Tom King et Daniel Sampere


Ce quatrième épisode de Wonder Woman ne permet toujours pas de savoir vraiment quoi penser de cette série relancée par Tom King. Le rythme est plutôt lent et l'intrigue se déroule en conséquence, intéressante sans être palpitante. Les dessins de Daniel Sampere sont magnifiques encore une fois mais participe de cette impression que tout ça est bien beau mais n'avance pas beaucoup.


Tandis que Wonder Woman répond positivement à l'invitation d'un couple de passer la journée avec leur fils malade, le Souverain continue à pousser pions pour l'accabler vis-à-vis de l'opinion. Une guerre ouverte contre les amazones se prépare...


Depuis quatre mois, je cherche ce qui m'embarrasse dans cette relance de Wonder Woman tout en reconnaissant qu'elle a des qualités indéniables, qui la distinguent des précédentes reprises récentes. On est face à une proposition vraiment plus accrocheuse mais pas vraiment palpitante.


Alors, c'est quoi, le problème ? Avant de l'aborder, il me faut, en toute honnêteté, dire pourquoi la série me paraît valoir la peine. Et pour cela, commencer en disant que, finalement, Wonder Woman n'a jamais été un personnage qui m'a vraiment passionné.


Si je devais faire une comparaison, qui ne vaut en soi pas grand-chose, je dirais que Wonder Woman, pour moi, c'est un peu comme Black Panther chez Marvel : il s'agit d'une figure héroïque à laquelle j'ai le plus grand mal à m'attacher. Et ça vaut aussi pour ses adaptations sur petit comme grand écran : j'avais apprécié le premier film de Patty Jenkins avec Gal Gadot en son temps tout en n'en percevant les limites (une production mise en avant davantage parce qu'elle avait une super-héroïne comme vedette que pour l'originalité et la qualité de son histoire et de sa réalisation).

Il est désormais loin le temps où on pouvait s'émouvoir devant Lynda Carter qui tournait sur elle-même pour prendre l'apparence de l'amazone, mais franchement, nostalgie mise de côté, ça ne valait pas grand-chose. Et bien que Chadwick Boseman ait marqué les esprits dans Black Panther, l'émotion ayant suivi son décès a fini par supplanter sa performance dans la peau de T'challa.

Les quelques fois où j'ai tenté de suivre une série de comics dédiée à Diana Prince, je n'ai pas accroché car il me semblait que les auteurs la mettaient en scène sans savoir quel aspect privilégier : l'amazone, l'ambassadrice de Themyscera, la guerrière, la super-héroïne membre de la Justice League... La seule fois où j'ai senti qu'un scénariste arrivait avec quelque chose de singulier, qui ne s'embarrasse pas de clichés, c'était pour le run de Brian Azzarello et Cliff Chaing lors des New 52 (il faudra que je pense à en écrire une critique un de ces jours puisque si je ne l'avais pas fait à l'époque, c'est parce que j'avais lu ces épisodes bien après leur publication).

De ce point de vue, ce que tente Tom King est malin : le scénariste reste fidèle à lui-même en s'attachant à bien définir la situation de son personnage principal pour développer une intrigue qui appuie là où ça fait mal, là où ça pique. Il est passé maître dans ce genre d'exercice où le lecteur considère le héros d'un oeil neuf, particulièrement quand il s'agit d'un second, voire d'un troisième couteau.

Ici, cette histoire de meurtre violent commis par une amazone que veut retrouver Wonder Woman pour comprendre son geste alors que celui-ci a provoqué une réaction en chaîne radicale de la part des Etats-Unis, bannissant les amazones de son territoire sans ménagement, aboutit à quelque chose de très accrocheur. Une héroïne aussi iconique que Wonder Woman devient la femme à abattre et le lecteur ne sait même plus quoi penser : sa quête est-elle justifiée ? Insensée ? Quel impact cette crise aura-t-elle pour les amis de WW ? Pour la Justice League ?

Le souci, j'y viens, c'est que la série avance à pas comptés, très lentement, et de manière très bavarde. C'est particulièrement pesant dans la façon dont King s'ingénie à récapituler à chaque épisode ce qui a précédé via des journalistes télé qui font part des développements de l'affaire. Déjà, la présentation narrative et visuelle est redondante mais surtout on se demande bien pourquoi l'editor de la série n'impose pas à son scénariste un résumé classique au lieu d'une scène en bonne et due forme.

Ensuite, et c'est spécialement frappant avec cet épisode, on n'a pas ce sentiment d'urgence qu'impose une pareille crise, surtout du côté de Wonder Woman - et c'est tout de même un comble. Un réalisme comme veut à l'évidence l'imposer King ici exigerait qu'elle se presse pour régler ce dossier, compromettant pour elle et tout son peuple. Au contraire, elle progresse très peu - anormalement peu. Au point de s'accorder quasiment une pause humanitaire ici puisqu'elle passe une journée entière avec un jeune cancéreux tandis que les autorités conspirent de plus belle pour l'accabler et préparer une guerre contre les amazones.

Et, mon Dieu, que c'est niaiseux ! Déjà le cliché du cancéreux a de quoi rappeler les saillies les plus cyniques de Pierre Desproges, mais tout ça pour accoucher de dialogues aussi épouvantablement lacrymaux que "j'ai choisi l'amour" (plutôt que la haine, la colère, la guerre).... Pitié ! 

Mais cette guimauve a le mérite de vraiment pointer ce qui, en vérité, ne fonctionne pas, mais alors pas du tout. King, ces dernières années, après avoir été viré comme un malpropre par cet abruti de Bob Harras de Batman, avait tourné le dos aux séries mensuelles régulières pour se consacrer exclusivement au DC Black Label pour lequel il a écrit de merveilleuses mini en huit ou douze épisodes (Mister Miracle, Supergirl : Woman of Tomorrow, Strange Adventures, Rorschach, The Human Target, Danger Street).

Et si ce format lui réussissait si bien, c'est parce que lui, l'auteur, comme nous, les lecteurs, savions que ça aurait un début et une fin. King campait des personnages atypiques et mémorables, sortis du grenier de DC, et leur inventait des histoires uniques, parfois discutables mais indéniablement marquantes. Même ce qu'on pouvait aimer le moins chez lui (une certaine tendance à vouloir être littéraire, à faire des phrases, à creuser un même sillon psychodramatique) devenait supportable parce que c'était limité dans le temps.

Transposé au format d'une ongoing, ces atouts deviennent des boulets que seuls les plus mordus peuvent encore tolérer. J'adore King, je considère même qu'il est, actuellement, avec Hickman, le seul à posséder une voix et des propositions vraiment originales, mais je ne pourrais plus lire son Batman aujourd'hui, pas après Mister Miracle et les autres, parce que je n'y verrais plus que son côté verbeux, maniériste, exagérément délayé, décompressé. King a l'âme et le talent, le génie même parfois, d'un conteur, pas d'un feuilletonniste.

Et c'est pour cela, au fond, que sa Wonder Woman m'embête : je le vois retomber dans ses travers. S'il avait conçu ça comme une mini-série, ç'aurait été bien plus percutant, mais surtout plus rapide parce qu'au bout de quatre épisodes, il aurait été forcé d'avancer plus vite. On ne fait pas progresser une intrigue de la même manière quand on a douze mois devant soi ou une quantité inconnue de mois. Surtout, on ne s'arrête pas pour un épisode comme ça. Dans Danger Street, il ne s'est permis une parenthèse dans le déroulement de la série qu'une fois, à l'occasion du duel entre Manhunter et Codename : Assassin, et l'épisode était tellement étonnant qu'il ne serait venu à l'idée de personne de le déprécier, d'abord aprce qu'il finissait par régler le cas de ces deux personnages. Ici, Wonder Woman et son petit cancéreux, c'est juste horripilant - et pas touchant, voire bouleversant comme l'assurent des twittos.

Pour en revenir, brièvement, à son Batman, King avait prévu d'y rester 100 épisodes (il en aura quand même écrit 85), donc il avait la fin en tête. 100, c'est beaucoup plus que 12, mais avec un terme en tête, pourquoi pas ? Là, peut-être par prudence, peut-être parce qu'il l'ignore lui-même, King ne s'est pas prononcé sur le nombre de numéros qu'il avait en tête. Mais ce qui est terrible, c'est de trouver déjà le temps long au bout de quatre épisodes.

Alors, certes, tout n'est pas mauvais dans Wonder Woman et notamment parce que, comme pour Batman, il peut s'appuyer sur un artiste de grand talent, en pleine éclosion, Daniel Sampere, qui adore le personnage et s'éclate. Les planches qu'il produit sont magnifiques, avec un découpage précis, rigoureux, mais qui laisse de la place à son expression. Le souci du détail, le réalisme des compositions, rendent le tout admirable et c'est, là, par contre, vraiment beau de voir un dessinateur se révéler comme ça, gagner en volume.

Mais Sampere, c'est presque trop beau et pas assez narratif. Plus d'une fois, il livre des planches stupéfiantes, mais qui se laissent trop regarder. Et pendant ce temps, hé bien, il ne se passe pas grand-chose, en tout cas pas grand-chose pour la progression du récit. Consacrer une pleine page pour montrer ce que voit le jeune garçon malade à bord de l'avion invisible de Wonder Woman permet d'apprécier l'adresse de Sampere et les couleurs splendides de Tomeu Morey. Mais bon, c'est une page pour épater la galerie comme le garçon l'est par le spectacle aérien, ce n'est pas une page qui fait avancer le schmilblick.

Il y a là un côté figé, ou en tout cas pas très mobile, pas très vivant, alors que Sampere, quand il est obligé de se contenter de servir le script, peut faire bien mieux (le sourire de Diana pour dire "bonjour" au garçon alité, le Souverain qui tend sa main au Président américain pour qu'il baise son anneau). Je le dis comme je le pense : je me fiche de ces pages jolies, impressionnantes, si elles ne racontent rien, si elles sont juste là pour nous dire "regardez comment ce type dessine merveilleusement". Je veux de la narration, je veux des images qui "plussent" le script comme disait Toth. La bande dessinée, c'est de la narration, écrite et graphique, pas de l'illustration ou de la littérature en images. C'est un langage en soi qui n'a pas besoin qu'un scénariste nous prouve qu'il sait faire de belles phrases ou un artistes de beaux dessins. Si c'est beau, c'est en plus, mais ça doit, je le répète, d'abord, raconter. Sinon, au risque d'être extrême, c'est juste des images et du texte en trop.

Pour en terminer, je vais aller au bout de cet arc (soit jusqu'au #6, le dernier que dessinera Sampere avant de faire une pause d'un mois où il sera remplacé par Guillem March), en souhaitant que ce soit vraiment avec un dénouement. Après, selon la fin de l'arc, je verrai si je persiste. Mais si King prolonge cette intrigue au-delà, ce sera sans moi. Je préfère me réserver pour Helen of Wyndhorn en Mars chez Dark Horse.

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