jeudi 7 décembre 2023

DAREDEVIL #4, de Saladin Ahmed et German Peralta


La couverture de ce quatrième épisode de Daredevil annonce la couleur : le Tireur/Bullseye est donc de retour. Pour l'originalité on repassera et si Saladin Ahmed conduit bien son affaire, il faut bien avouer que voir revenir cet adversaire déçoit le lecteur qui espérait du neuf. Au dessin, German Peralta est donc, déjà, le troisième artiste sur la série en quatre mois et rend une copie correcte.


Matt Murdock/Daredevil court plusieurs lièvres à la fois : il cherche à savoir quelle est la prochaine cible du grroupuscule armé the Heat, dont il sait qu'il s'agit d'hommes aux ordres du Tireur, et il veut également savoir pourquoi Ben Urich s'en prend au foyer St. Nicholas. Les deux affaires seraient-elles mêlées ?
 

Y a-t-il encore des editors dignes de ce nom chez Marvel ? On peut sérieusement se poser la question quand on observe la manière dont sont gérées les équipes artistiques sur plusieurs séries. Surtout on peut se demander si avoir nommer C.B. Cebulski comme editor-in-chief était une bonne idée.


Cebulski a une drôle de réputation dans le milieu des comics. D'un côté, c'est un dénicheur de talents renommée et il a permis à Marvel de trouver des auteurs et des artistes qui sont devenus des vedettes par la suite. Mais Cebulski, c'est aussi Akira Yoshida...


Sous ce pseudonyme pas très subtil, il s'est fait passer pour un scénariste japonais au moment où Marvel tentait de conquérir des fans en Asie avant que la supercherie soit découverte et ne l'oblige à des excuses publiques. Et depuis cette histoire, Cebulski a vu son crédit largement entamé.

Quand il a été promu editor-in-chief de Marvel comics, les plus indulgents y ont vu le signe que les scénaristes et dessinateurs seraient traités avec plus d'égard, voire que Marvel allait être plus exigeant qualitativement. Les plus sévères (ou plus lucides ?) ont plutôt considéré cette promotion comme un leurre, rappelant que Cebulski s'était en quelque sorte moqué du monde avec son alias nippon.

Aujourd'hui, le bilan de Cebulski n'impressionne guère et actuellement sa gestion des équipes éditoriales laisse même franchement à désirer avec l'éclosion d'auteurs pas particulièrement remarquables et de nombreux titres sans artistes réguliers. Le plus remarquable de ces ratés concerne The Avengers où C.F. Villa produit un travail indigne de ce qu'un titre aussi exposé réclame et où Jed MacKay affiche ses limites (sans avoir impressionné auparavant d'ailleurs mais en conservant la confiance de ses supérieurs malgré tout).

Pour Daredevil, l'arrivée de Saladin Ahmed a été accueillie dans l'indifférence la plus totale, comme s'il s'agissait d'un choix par défaut. La série aurait pu faire une pause après le run de Chip Zdarsky, laissant le fan souffler. Mais non. Quant à Aaron Kuder au dessin, ça ressemblait à une plaisanterie car s'il ne manque pas de talent, il est connu pour son incapacité à enchaîner les épisodes et à tenir les deadlines.

Sans être honteux, le début de run de Ahmed est solide mais un peu mou. On en a encore un exemple avec cet épisode qui court plusieurs lièvres à la fois sans vouloir choisir lequel est le plus important. Le scénariste ramène le Tireur dans la partie (Zdarsky l'avait uniquement utilisé dans une poignée d'épisodes, quand les Stromwyn avaient lancé leur assaut sur Hell's Kitchen, dans une bataille où Wilson Fisk et Daredevil s'alliaient opportunément avant que tête à cornes ne se rende à la police). Mais il apparaît brièvement tout compte fait, ce qui signifie qu'il reviendra (et certainement vite).

En revanche, Ahmed continue de développer son autre intrigue avec des entités démoniaques possédant des proches de Matt, ce qui suggère au lecteur que cette partie de la série est en lien avec le retour parmi les vivants de Murdock. Cette fois, comme on pouvait s'en douter, c'est Ben Urich qui en fait les frais, ce qui explique son curieux comportement récent. Mais cela aboutit à une scène (désolé de spoiler un peu) d'exorcisme grotesque avec Daredevil purgeant le journaliste en brandissant un crucifix.

Le souci, c'est que aucune de ces deux lignes narratives ne fonctionne. L'affrontement avec le Tireur est trop frustrant et surtout le retour de ce vilain traduit un manque d'imagination cruel. Jusqu'à quand nous sortira-t-on ces sempiternels combats Batman-Joker, Superman-Luthor, ou donc DD-Bullseye ? Daredevil a une belle galerie d'adversaires et si un auteur ne veut pas puiser dedans, qu'il oppose le héros à d'autres méchants Marvel !

Quant à la partie possession démoniaque... Comment dire ?... Pour moi, ça ne marche simplement pas. C'est prévisible au possible depuis le premier épisode avec Elektra, les démons ont des designs pas terribles, ça ne fait pas peur, c'est trop vite réglé, et surtout c'est déjà lassant là aussi. Qui va être le prochain à être tourmenté ainsi ? Et enfin, voir DD exorciser ses proches... C'est comme Diablo chez les X-Men : ce côté curé me fatigue pareillement avec Matt Murdock. C'est un aspect qui a été trop exploité depuis Miller et qui n'apporte plus rien au personnage, à sa série. Le seul à s'en être complètement écarté fut Mark Waid et ce n'est donc pas un hasard si c'est son run qui a été le plus original, le plus remarquable depuis des lustres.

German Peralta est donc déjà le quatrième artiste à dessiner la série depuis sa relance. C'est un dessinateur que j'apprécie mais j'ai eu l'impression désagréable qu'il a produit ses planches dans la précipitation car elles sont moins soignées que ce que j'ai pu lire de lui auparavant. Résultat : il y a de bons moments, mais globalement, ça manque furieusement de fluidité, particulièrement dans la scène de baston au coeur de l'épisode.

C'est un problème quand on travaille un personnage célèbre pour ses acrobaties et son art du combat comme Daredevil. Les décors sont également très aseptisés, dépouillés. Il y a de jolies trouvailles au début de l'épisode (voir image 1, avec l'ombre portée géante de DD sur un bâtiment ou son reflet dans la vitre d'un gratte-ciel qui semble encore plus diabolique). Mais le lecteur qui passera trop vite sur ces cases loupera ces subtilités et de toute façon elles sont trop rares pour peser.

Tout, en vérité, dans cet épisode, renvoie à ce que je disais plus haut : tout paraît mal édité. Le scénariste ne propose rien de palpitant ni d'original. Et trois dessinateurs en quatre épisodes, c'est juste pas possible, surtout avec des styles aussi différents. On lit ça en comprenant qu'il a fallu livrer des épisodes vite pour enchaîner avec la fin du run de Zdarsky, mais sans que cela soit bien préparé, anticipé. 

Du coup, le lecteur peut se sentir floué et être sévère avec l'équipe artistique qu'il ne trouvera ni assez inspiré ni assez solide. Pourtant, c'est bien en amont que tout ça doit être réglé. Or, ici, tout sent l'improvisation, le manque de ressources. C'est assez triste en fait.

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