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dimanche 22 juillet 2018

KICK-ASS #6, de Mark Millar et John Romita Jr.


Fin du premier arc narratif pour cette nouvelle version de Kick-Ass - mais le titre va continuer avec une nouvelle équipe créative. On avait laissé Patience Lee en très mauvaise posture et Mark Millar et John Romita Jr. ont prévu une conclusion musclée pour la première aventure de leur héroïne.


Patience Lee est conduite dans une usine désaffectée par Mr. Solo afin d'y être interrogée sur celui qu'elle est accusée de servir, comme le pense Hoops Lucero. Bronco, le gérant de la boîte de nuit que Kick-Ass avait braquée lors de sa première sortie, est également là et veut se venger de l'humiliation subie.


Bien que sa petite fille, Molly, soit aux mains de ces crapules, Patience garde son calme et réfléchit au moyen de se sortir de ce mauvais pas. Elle est seule contre une quinzaine d'hommes armés et a trente minutes avant l'arrivée de Hoops.
  

Grâce à une épingle dans la doublure d'un de ses gants, elle parvient à crocheter ses menottes, puis, saisissant la chaise sur laquelle on l'a assise, elle s'en sert pour frapper Solo. Puis Patience fonce dans le tas, poussant Solo contre Bronco et plusieurs de leurs sbires. Elle se tourne ensuite et bondit contre un autre gangster avec lequel elle se défenestre.


Sa chute du haut de trois étages est amortie en partie par le corps de son adversaire et elle s'en tire avec quelques côtes brisées mais surtout un flingue. Avec cette arme, elle abat méthodiquement le gang et récupère Molly. Puis elle piège Hoops qu'elle exécute devant ses hommes de main.


Devenue la chef des sbires de Hoops, elle neutralise ses rivaux et pacifie la ville en redistribuant une partie de l'argent qu'elle vole ainsi à la collectivité. Kick-Ass est la nouvelle reine de la cité.

On pouvait (presque) trouver ce premier arc bien calme compte tenu du goût de Mark Millar pour les récits musclés et de John Romita Jr. pour la baston homérique. Mais en vérité, on le découvre dans ce sixième épisode, les deux acolytes s'étaient contenus pour la fin de leur histoire.

Le terme de cette aventure inaugurale de Patience Lee sous le masque de Kick-Ass place le personnage dans une position étonnante et ambiguë, une sorte de caïd au féminin, dirigeant son vaste gang à la manière de Robin des bois, volant aux méchants pour aider les laissés-pour-compte de l'Amérique de Trump. C'est savoureux, mais fidèle à la philosophie de cette héroïne étonnante.

Comme elle l'explique, Patience a appris une chose essentielle dans le désert, en qualité de soldat, c'est de combattre le Mal par le Mal. Elle oppose à la pègre locale des méthodes aussi brutales que les mafieux qu'elle affronte. La fin justifie les moyens et, comme une militaire, elle n'hésite pas à éliminer définitivement ses adversaires, à démontrer sa force pour s'imposer.

La nouvelle Kick-Ass n'est pas le Punisher : elle n'agit pas motivée par la vengeance, mais pour survivre et sauver sa fille, et par extension sa famille qu'elle sait menacée maintenant que son identité civile est connue de ses ennemis. Plus que la violence dont elle est capable pour se défendre et qu'elle envisage comme la seule issue pour résoudre ses problèmes, ce qui frappe chez Patience Lee, c'est qu'elle incarne une femme déterminée, rusée - deux qualités que Millar semble vouloir souligner pour donner sa définition du féminisme à l'heure du mouvement #MeToo.

John Romita Jr. rongeait certainement un peu son frein en attendant l'épisode qui lui permettrait de lâcher la bride dans des scènes d'action vigoureuses mais Millar lui a donné de quoi se défouler ici. Une fois Patience libérée de ses entraves, plus rien ne peut l'arrêter et le lecteur comprend qu'elle va gagner car son mélange de calme et de force, expliqué par sa formation militaire, est irrésistible.

En quelques bourre-pifs et une défenestration impressionnante, Kick-Ass prouve qu'elle est, comme son dessinateur, comme un fauve sorti de sa cage. Romita Jr. met en scène sa riposte avec simplicité, de manière directe, sans fioritures. On assiste à la neutralisation minutieuse des gangsters par une héroïne résolue et maline, impitoyable et sadique à l'occasion. L'aspect premier degré du dessin de l'artiste écarte toute dérision, toute distance : on n'est pas là pour rigoler. Mais c'est redoutablement efficace.

Désormais bien occupé par son partenariat avec Netflix (qui vient d'annoncer plusieurs adaptations de comics issus du "Millarworld", parmi lesquelles Empress et Jupiter's Legacy), Mark Millar n'a plus guère d'autre choix que de confier à d'autres le soin de poursuivre ses séries : c'est donc Steve Niles au scénario et Marcelo Frusin au dessin qui animeront le prochain arc de Kick-Ass à partir de Septembre.   

vendredi 15 juin 2018

KICK-ASS #5, de Mark Millar et John Romita Jr.


Ce cinquième épisode de la nouvelle version de Kick-Ass est l'avant-dernier de l'arc narratif et il sort au moment où le cinéaste Matthew Vaughn, complice de Mark Millar, annonce son intention d'en tirer un film (ainsi que d'exploiter en série Kingsman: the secret service). Dans sa parution physique, la série prépare donc la conclusion de son (premier ?) acte et les choses se gâtent sérieusement pour Patience Lee, sous le crayon inspiré de John Romita Jr..


La situation de Patience Lee n'est guère reluisante et elle en est la première responsable à cause de sa double vie : son beau-frère Maurice, complice d'un truand notoire, est hospitalisé, gravement brûlé ; sa soeur est désespérée à cause de cela ; elle-même se remet tout juste des blessures que lui a infligée Violencia (qui est de nouveau incarcéré). Pire, mais cela, elle l'ignore, Hoops Lucero vient de faire appel à Mister Solo.


Ce dernier est un traqueur-nettoyeur redoutablement efficace : il le prouve en localisant rapidement Kick-Ass grâce à des recoupements téléphoniques et géographiques. La justicière doit opérer dans un périmètre à la fois assez éloigné de sa base pour ne pas compromettre ses proches mais assez proche pour y revenir rapidement.


C'est aussi une femme bien entraînée, militaire ou policière, ce qui correspond à une seule personne : Patience Lee, ex-officier de l'armée ayant opéré en Afghanistan, domiciliée non loin de là où ont été ciblés les intérêts de Lucero.


Patience a la tête ailleurs : elle a fait ses comptes et estime qu'il lui faudrait un million de dollars pour réaliser ce qu'elle veut - payer les frais médicaux de Maurice, aider sa soeur et ses parents, subvenir aux besoins de ses enfants, refaire sa vie, et donner aux bonnes oeuvres de son quartier. Pour ça, elle doit braquer le domicile de Lucero qui, pense-t-elle, doit garder au moins cinq millions en cash chez lui.


Mais elle n'aura pas le temps de passer à l'action : Solo et huit hommes armés s'introduisent chez elle et, menaçant sa fille Grace, l'obligent à les suivre hors de la ville, dans une usine où l'attend un interrogatoire musclé pour savoir qui est son boss avant d'être exécutée...

L'aisance dont fait preuve Mark Millar pour dérouler son histoire est toujours remarquable : non pas qu'il réinvente la roue avec Kick-Ass, dont la simplicité est le premier argument, mais il sait indéniablement doser ses effets et faire monter la sauce pour arriver précisément là où il avait prévu de nous emmener.

Patience Lee a fait preuve de trop de confiance en elle et en mesure aujourd'hui le prix, littéralement, comme en témoigne son visage couvert de pansements. Sa suffisance a failli lui coûter cher à plusieurs reprises et sa rencontre avec Violencia s'est soldée par une victoire à la Pyrrhus. Elle a non seulement morflé mais ses actions ont eu des conséquences sur son entourage puisque son beau-frère - certes peu recommandable - est à l'hôpital dans un état critique.

A tous points de vue, c'est l'heure des comptes et les deux parties adverses s'y livrent : Patience a calculé qu'il lui faut encore commettre un coup pour être à l'abri, mais la partie est risquée, à la hauteur du montant convoité. Hoops Lucero, qui est dans son viseur, est aussi à la manoeuvre : il a engagé un coûteux liquidateur mais qui fait la preuve son efficacité rapidement, trouvant Kick-Ass, découvrant sa véritable identité, ses antécédents, et la piégeant.

Deux flash-backs traversent l'épisode, renvoyant Patience sur le théâtre de guerre dont elle est revenue récemment, et leur évocation n'est pas innocente : d'abord, on la voit prendre une balle tirée par un sniper à la place d'un de ses soldats et c'est une métaphore pour les coups qu'elle reçoit en voulant mettre les siens à l'abri, un rappel aussi de sa vulnérabilité malgré sa formation militaire. Ensuite, c'est le souvenir amer d'un engagement dans un conflit où, comme tout combattant en première ligne, elle a servi de chair à canon, sans saisir les enjeux de la situation, mais en servant malgré tout loyalement - une loyauté mal payée, non reconnue à son retour à la vie civile et qui motive ses braquages aujourd'hui, sa revanche sociale.

La morale à tirer de cela, c'est qu'on est toujours le pauvre pion de quelqu'un de plus puissant, riche, haut placé : hier dans l'armée, aujourd'hui dans un quartier communautaire. Autrefois aux ordres d'officiers. Désormais contre un gangster comme Hoops Lucero.

John Romita Jr. illustre ça avec une vigueur vraiment retrouvée : ce retour chez Millar lui aura fait un bien fou et aura rassuré ceux qui l'appréciaient tout en se demandant comment il avait pu être si inégal ces dernières années, aussi bien chez Marvel que chez DC (où il s'apprête à revenir, mais par une porte dérobée, pour un roman graphique écrit par Frank Miller : le très attendu Superman : Year One, dont il a débuté la réalisation en parallèle à Kick-Ass).

L'artiste se fait plaisir tout en restant sage dans son découpage, ne s'autorisant qu'une double page (qui ne présente pas une scène d'action). D'avoir été assisté par Peter Steigerwald pour l'encrage et la colorisation a allégé son trait, épuré son graphisme : c'est véritablement comme une cure, après être passé par des partenaires comme Janson, Miki et d'autres, qui ont échoué à redynamiser JR Jr.

Millar rêve à Tessa Thompson (la Valkyrie de Thor : Ragnarok) pour incarner Patience Lee, ce qui serait un choix parfait. En tout cas, le scénariste et son acolyte, à un mois de conclure leur histoire, ont réussi à relancer le concept de cette série avec une vigueur réjouissante.    

dimanche 20 mai 2018

KICK-ASS #4, de Mark Millar et John Romita Jr.


Si certains, comme je l'ai lu (et y ai répondu), croient encore que cette nouvelle version de Kick-Ass n'est qu'une reproduction paresseuse de la précédente, cet épisode achèvera de les corriger. Tout en comblant les fans du concept, car c'est bien de cela, en vérité, qu'il s'agit : Mark Millar et John Romita Jr. travaillent un concept - celui de la justice masquée dans un contexte où la violence et le crime semblent pourtant déjà avoir gagné. Alors, ce mois-ci, les auteurs dynamitent tout ça et livrent un chapitre explosif.


Patience Lee est entre les mains de Violencia et sur le point d'être démasquée devant Hoops, le commanditaire du tueur, et Maurice, son beau-frère. Elle résiste en jetant ses dernières forces dans la bataille mais son adversaire, plus fort et vicieux, continue de la dominer.


Lorsqu'il lui offre d'épargner le policier passé à tabac contre sa vie, elle refuse, non par égoïsme, mais parce qu'elle ne pas pouvoir faire confiance au malfrat. En revanche, elle a repéré autour d'elle les moyens de s'enfuir : en chipant le briquet d'un de ses assaillants, elle met le feu à des ballons gonflés à l'hélium.


L'explosion qui s'ensuit déclenche un incendie et dans la confusion la plus totale, Patience et le policier blessé en profitent pour sortir du hangar où ils sont retenus en même temps que leurs geôliers. Elle vole une voiture et s'éloigne mais Violencia se jette sur le capot.


Violencia menace Patience avec un pistolet. Pour s'en débarrasser, elle fonce dans la vitrine d'une concession automobile. Elle laisse au policier le soin de l'appeler en appelant des renforts puis prend la poudre d'escampette.


Pour justifier ses blessures, elle raconte à ses parents avoir été victime d'un accident de la route, ayant détruit sa voiture. Sa soirée difficile fait réfléchir Patience aux risques qu'elle prend et les conséquences potentielles pour ses proches - d'autant que sa soeur Edwina appelle de l'hôpital où Maurice, gravement brûlé, a été admis. Hoops, lui, va contacter un certain Mr. Solo afin de se débarrasser définitivement de Kick-Ass, quitte à y mettre le prix fort.

C'est l'épisode de John Romita Jr. : il est indéniable que Mark Millar l'a écrit spécialement pour son acolyte dont il connaît la force pour animer les scènes d'action et les 3/4 du numéro en regorge. Le résultat est spectaculaire et rappelle à quel point le dessinateur, placé dans de bonnes conditions, est un artiste puissant, sans beaucoup d'équivalent actuel.

Chaque coup porté, chaque déflagration, chaque course-poursuite sont intensément communiqués graphiquement avec pourtant un découpage très simple. Peu de cases, pas d'angle de vue excentrique, mais une manière de diriger le regard du lecteur pour l'immerger complètement dans l'action, lui faire ressentir le point de vue de l'héroïne.

La scène d'ouverture où Violencia s'amuse sadiquement et brutalement à la fois avec Kick-Ass concentre l'art magistral de Romita Jr. dans cet exercice. Il enchaîne plusieurs cases qui occupent toute la largeur de la bande pour montrer le mouvement, les esquives du tueur puis les coups habilement portés pour faire mal à sa victime, prouver sa supériorité tactique et physique. Quand il revient à des vignettes au format plus réduit (deux par bandes), c'est pour pointer l'héroïne en position de faiblesse, en plongée, recroquevillée sur elle-même, à terre, en souffrance. Une sobriété imparable.

Puis il enchaîne avec une séquence remarquable : Kick-Ass trouve un moyen, simple et impressionnant, de s'échapper avec le flic tabassé par les malfrats, vole une voiture, et doit se débarrasser de Violencia qui s'y agrippe. Millar y ajoute une pointe d'humour, jubilatoire car le méchant morfle à son tour et parce que l'héroïne accomplit une manoeuvre habile. Toute la vitesse de ces pages est grisante.

Dans sa dernière partie, Millar fait retomber la tension accumulée. C'est l'heure de réfléchir à ce qui vient de se passer. Patience Lee trouve un moyen d'expliquer les blessures qu'elle porte mais surtout dresse le bilant de son action, maladroite, confuse, précaire, dangereuse. Malgré son expérience militaire, qui lui donne un avantage au combat, elle constate ses faiblesses tactiques et mesure les conséquences potentielles pour ses proches. Cette prise de conscience frappe la jeune femme comme le lecteur qui acte la fragilité de Patience, la chance de la débutante qu'elle a minimisée à tort après ses premiers succès faciles.

En concluant l'épisode sur l'état dramatique de Maurice et le plan de Hoops, les ennuis de Kick-Ass sont loin d'être clos. Si, comme c'est l'usage chez Millar (et comme dans les précédents tomes de la série), l'arc narratif compte six numéros, alors les deux prochains actes promettent un dénouement en forme d'apothéose.  

jeudi 19 avril 2018

KICK-ASS #3, de Mark Millar et John Romita Jr.


Avec ce troisième épisode de Kick-Ass nouvelle version, Mark Millar arrive à la moitié de son arc narratif et il sait donc que le moment est venu de faire basculer son récit (et son héroïne) dans une aventure dont l'enjeu devient plus délicat. C'est ce qu'il s'emploie avec savoir-faire à exécuter en compagnie de John Romita Jr. avec un chapitre dont la chute, certes convenue, est un modèle d'efficacité.


Hoops Lucero, le boss de Maurice (le beau-frère de Patience Lee) et de Bronco (le gérant du night-club visité par Kick-Ass), a décidé d'organiser la riposte contre la justicière qui s'en prend à son business. Il recrute pour cela Violencia dont la réputation le précède - au point que son professionnalisme et sa cruauté font dire que, même lors de ses séjours derrière les barreaux, la prison avait plus peur de lui que lui n'avait peur de la prison.


Patience Lee, ignorant tout de ces manoeuvres contre elle, prépare son nouveau coup. Mais pour aider sa communauté autant qu'elle-même, elle sollicite son fils, Jordy, afin de savoir qui est le plus dans le besoin. Ceci fait, grâce à quelques rapides recherches sur Internet, elle se rend dans un entrepôt avec l'intention de le braquer selon un plan qu'elle pense bien mieux préparé que ses premières sorties.


Mais une fois sur place, la situation n'est du tout celle à laquelle elle s'attendait. Si elle vient facilement à bout d'un gardien, elle découvre dans une remise un agent de police tabassé après avoir été capturé par le propriétaire de l'endroit. Et la voix de celui-ci ne tarde pas à se faire entendre, reconnue immédiatement par Patience...


Il s'agit de Maurice, son beau-frère, accompagné par Violencia et plusieurs hommes de main, qui barrent la sortie à Kick-Ass. Le tueur se montre impressionné par le culot de la femme masquée au point de lui accorder une chance de s'en tirer, à la manière de Two-Face, l'ennemi de Batman.


C'est donc à pile ou face que va se jouer le sort de Kick-Ass... Et, miracle ! La chance lui sourit. Elle commence à s'éloigner en soutenant le flic. Mais Violencia s'est amusé avec elle et lui fracasse une bouteille sur le crâne. Groggy, elle entend le psychopathe ordonner à Maurice de la démasquer...

Mark Millar pâtit d'un malentendu, alimenté par son goût à vendre chacun de ses projets comme des productions révolutionnant le média dans lesquelles elles s'inscrivent : ce bateleur promeut ses séries avec des armes qui sont pourtant les mêmes que celles des "big two" (Marvel, DC) mais c'est comme si les esprits chagrins ne voulaient pas accepter que lui, l'ancien scribe au service des majors, emploie les mêmes méthodes, soit si enthousiaste. 

Et puis il y a ce procès souvent répété comme quoi, justement parce qu'il en promet beaucoup, il faut le juger sans modération. Comme il ne livre guère de comics révolutionnaires, mais simplement (et c'est déjà beaucoup et très honorable) divertissants, cela suffirait à justifier pour l'accabler. Ajoutez-y qu'il est aussi coupable de pré-concevoir ses BD pour de futures adaptations cinéma et l'affaire est pliée.

Mais, en vérité, pour moi, Millar n'est ni un scénariste visant à renouveler le support ni autre chose qu'un auteur défendant avec vivacité ce qu'il est le seul à écrire - une sorte d'indépendant que son succès a permis d'être racheté par Netflix et donc d'être autonome, sur la base d'un univers qui a créé entièrement.

De toutes ses créations, Kick-Ass reste la plus emblématique car elle résume à la fois l'art et la manière de son auteur, artistiquement et commercialement. Millar y donne à ses lecteurs ce qu'ils attendent, avec précision et même roublardise, mais non sans efficacité. Point. Il pourrait certainement faire plus (plus original entre autres), il n'en est pas incapable, mais il s'amuse aussi et surtout avec ce qu'il sait bien faire comme un musicien répète ses gammes.

Ainsi, qu'observe-t-on dans ce troisième chapitre de la série ? Le moment où la situation de l'héroïne prend un tournant à son désavantage, celui où, péchant par excès de confiance, elle se perd et rencontre en même temps son adversaire. Violencia est un archétype : un homme cruel, brutal, effrayant - moins un individu qu'un concentré caractéristique, le méchant par excellence, celui qui n'a pas de circonstances atténuantes, celui qui fait mal et aime ça. Il théorise d'ailleurs lui-même son emploi dans un dialogue : si Kick-Ass est une héroïne, il lui faut un méchant, et il le sera parce qu'il aime ça.

Ce n'est pas original, d'accord. Mais il n'empêche qu'à la fin de l'épisode, on frémit pour l'héroïne, en (vraiment) fâcheuse posture. L'intrigue est relancée, classiquement, certes, mais efficacement. Et celui qui n'est pas accroché par cette formule est soit blasé, soit un menteur.

John Romita Jr. prend un plaisir manifeste avec ce récit simple où il a de place pour s'exprimer, où il peut représenter un vilain instantanément mémorable, dont il a soigné le design, qu'il sait rendre flippant sans se forcer. Le dessinateur est vraiment régénéré par Millar au point qu'il n'expédie pas les scènes plus quotidiennes comme lorsque Patience fait ses courses en famille ou cherche sur le Net des gens dans le besoin avec son fils, tous ces moments qui permettent à l'histoire de respirer avant de replonger dans l'aventure.

L'autre élément salutaire pour Romita Jr., c'est, il faut le répéter, la contribution de Peter Steigerwald à l'encrage et aux couleurs, qui fait un bien fou à son trait en lui conservant la spontanéité du crayonné tout en lui ajoutant des effets nuancés (on est bien loin des couches que tartinait un Dean White). Ainsi, quand l'artiste se fend d'une double page, il surprend presque le lecteur qui avait oublié avec quel soin il pouvait organiser la disposition des éléments d'une image comme celle-ci, en traduisant l'aspect oppressant tout en la laissant lisible au premier regard.

Kick-Ass tient tout entier dans cela : son ambition n'est pas de renverser la table, à peine d'étonner, mais d'offrir un comic-book qui vise juste parce qu'il sait ce qu'il veut raconter et comment. 

vendredi 23 mars 2018

KICK-ASS #2, de Mark Millar et John Romita Jr.


Ce nouvel épisode de la nouvelle version de Kick-Ass a quelque chose de réjouissant : d'abord parce qu'on sent la complicité qui unit ses deux auteurs ; ensuite parce qu'il est délicieusement roublard en offrant exactement au lecteur ce qu'il attend ; et enfin parce que derrière tout cela il propose quand même une habile réflexion sur les notions de super-héroïsme (différemment du premier Kick-Ass) et des laissés-pour-compte du rêve américain. Mine de rien, ça fait un programme plus copieux que ça n'en a l'air.


Patience Lee a flanqué une sévère rouste aux sbires de Bronco, le gérant du night-club qu'elle a entrepris de braquer et dont elle ressort sans encombres avec son butin. Mais cet argent n'est pas que pour elle puisqu'elle a décidé de le partager avec les plus démunis de sa communauté - l'autre moitié servira à ses propres fins.


Avec 40 000 $, elle peut voir venir et s'autorise d'abord quelques plaisirs simples comme un repas au restaurant en famille. Puis il faut commencer à rembourser les dettes laissées par son ex-mari. Elle se paie des cours du soir sans lâcher son job de serveuse harassant.


Bronco, hospitalisé, explique à Maurice (le beau-frère de Patience) et leur chef, Hoops Lucero, l'agression dont il a été victime et décrit celle qu'il les a attaqués, lui et ses hommes. Aussi extravagant que semble être son récit, il convainc malgré tout les gangsters qu'un ennemi peu commun est dans la place et qu'il va falloir réagir vite et fort.


Patience, elle, a déjà la tête ailleurs et désigne sa prochaine cible. Elle écarte les plus dangereux malfrats, comme les triades, et, lors de repérages dans les bas-quartiers, jette son dévolu sur des mafieux casaques dont un motard vient relever les compteurs dans les établissements qu'ils gèrent. Mais elle est remarquée par un gosse noir qui lui confie être, comme sa mère, battu par un père alcoolique.
  

Patience neutralise le motard casque à la solde Ruslan Salamatin et lui vole sa recette après un affrontement plus disputé que prévu. Puis, remontée à bloc, elle fait un détour en rentrant chez elle chez le gamin et inflige une raclée à son père à qui elle conseille de d'éloigner. La voleuse se sent alors investie du rôle de super-héroïne.

Avec Mark Millar, on peut débattre du devoir d'un scénariste quand il exploite une de ses créations : faut-il flatter le lecteur que l'on a séduit en lui fournissant ce qu'il attend ? Ou, comme le préconisait Jacques Chancel, faut-il donner au public non pas ce qu'il aime mais ce qu'il pourrait aimer ? Ces grandes questions agitent bien des créateurs et se valent au moment de livrer une histoire qu'on ambitionne de rendre efficace sans être paresseuse.

Kick-Ass, dans ce deuxième épisode, ne tranche pas le débat mais le creuse. En changeant l'identité de son protagoniste, Millar a aussi modifié la perspective de son propos. Il ne s'agit plus du fantasme d'un adolescent qui se prend pour un redresseur de torts, mais de la nécessité pour une femme de survivre avec les moyens du bord - en l'occurrence en se masquant pour braquer des voyous.

L'ambiguïté de cette nouvelle justicière est donc posée : ce n'est pas vraiment une héroïne noble, au sens chevaleresque, même si ses motivations ne sont pas qu'égoïstes (elle veut employer l'argent qu'elle dérobe pour les plus démunis, dont elle fait partie), mais ses méthodes, brutales, s'accommodent fort bien des cibles qu'elle choisit (des malfrats patentés). C'est donc une version spéciale de Robin des bois, qui vole à d'authentiques vilains riches pour donner à des pauvres (en se servant au passage).

Elle opère donc dans la plus parfaite illégalité, et comme un flic ripou, prélève sa part dans le butin qu'elle soustrait à des méchants qui l'ont acquis malhonnêtement. Comment dès lors mettre en scène le moment où un tel personnage bascule de ses intérêts personnels dans une mission plus généreusement collective ?

La solution trouvée et racontée ici par Millar n'a rien d'original, on en conviendra (un gosse maltraité attire la compassion et provoque l'action punitive de Patience Lee), mais il agit comme un révélateur pour l'héroïne et le lecteur - qui la prend en sympathie grâce à cela. Le scénariste donne donc au lecteur plus que ce qu'il attend tout en le satisfaisant avec ce qu'il réclame d'un comic-book comme celui-ci. C'est adroit à défaut d'être subtil.

On pourrait en dire autant de la prestation de John Romita Jr., qui profite d'un terrain de jeu idéal pour son expression. Même s'il ne fait franchement pas dans la dentelle, la puissance dont il est capable pour mettre en image de bonnes séances de bourre-pifs (deux ici, particulièrement percutantes) a quelque chose de jouissif.

Millar sait donner de l'espace à son compère et ce dernier en profite, retrouvant vraiment des couleurs comme on ne l'en croyait plus capable après des prestations en demi-teintes ces dernières années chez Marvel et DC. Romita Jr. se lâche et ça fait du bien parce qu'il n'est jamais meilleur que dans ces conditions. 

Et la cerise sur le gâteau, c'est qu'il se force même sur des détails qu'il négligeait, comme les expressions, de façon discrète mais bien placée (le sourire satisfait de Patience au gamin après qu'elle ait rossé son père abusif). De la même manière, si son dessin est au top quand il faut frapper dur, il prouve qu'il sait (encore) exprimer ces temps d'hésitations quand l'héroïne doit enfiler sa cagoule vite fait, dégainer un taser, autant d'instantanés où la nouvelle Kick-Ass trahit encore son manque d'assurance et qui souligne son humanité derrière la guerrière pourtant entraînée qu'elle est.

Alors, non, ce n'est pas du champagne, mais comment résister à ce plaisir bourrin où une belle black règle son compte à l'American Dream avec un crochet du droit ? 

lundi 26 février 2018

KICK-ASS #1, de Mark Millar et John Romita Jr.


Après avoir consacré trois volumes à Dave Lizewksi, le premier héros-titre de Kick-Ass, Mark Millar inaugure un nouveau cycle avec un nouveau personnage qui redéfinit et renouvelle le concept de "real-life super-hero". L'entreprise pourrait paraître opportuniste, mais le scénariste, qui retrouve pour l'occasion John Romita Jr., co-créateur et dessinateur de la série, nous entraîne dans une direction qui sans renier la première version propose vraiment autre chose.


Qui est donc cette femme qui a décidé de reprendre le pseudonyme, le masque et la tenue de Kick-Ass à Albuquerque, Nouveau-Mexique ? A priori une amatrice puisqu'elle se fait surprendre par les gardiens d'une boîte de nuit puis conduire devant le patron peu commode de l'établissement autour duquel elle rodait...


... Sauf qu'en vérité Patience Lee servait, quelques semaines auparavant, comme G.I., en Afghanistan. Elle y a terminé son temps en sauvant deux amis soldats aux mains de terroristes en attendant les renforts et une évacuation aérienne.


De retour aux Etats-Unis, elle est accueillie en héroïne par sa famille et ses deux enfants, Grace et Jordy. Mais quand Patience demande où est son mari, Frankie, elle apprend qu'il l'a quittée pour une certaine Raven, direction Las Vegas.


Ses déconvenues ne s'arrêtent pas là : elle ne décroche qu'un minable job de serveuse dans un rade pour subsister, refusant l'offre de Maurice, son beau-frère, de travailler dans un club louche. Et elle découvre ensuite que Frankie l'a laissée avec des dettes exorbitantes.


C'est donc ainsi qu'elle prend l'initiative de devenir la nouvelle Kick-Ass et de dévaliser un night-club de mauvaise réputation. Elle se laisse délibérément capturer par les vigiles pour atteindre le propriétaire, neutraliser sa garde rapprochée et lui soutirer son fric - pas seulement pour elle mais aussi pour tous ceux qui, comme elle, dans son quartier, sont les oubliés de l'administration Trump !

On aurait tort de réduire cette nouvelle incarnation de Kick-Ass au fait qu'il s'agit d'une héroïne afro-américaine et non plus un adolescent blanc, même s'il est évident que ce choix n'a rien d'innocent de la part de Mark Millar. La charge qu'il adresse au gouvernement Trump (mais qui peut s'appliquer aux précédents présidents américains ayant délaisser les soldats de retour du front) n'est pas subtile mais transforme la mission même du personnage-titre.

Dave Lizewski était l'archétype de l'ado mal dans sa peau, victime de brimades au collège, fantasmant sur une camarade, élevée par une mère absente, sans référent paternel, jusqu'à ce qu'il s'engage dans une quête insensée : appliquer la justice dans le rues. Une correction sévère et un accident plus tard, il devenait insensible à la douleur mais pas davantage prêt à mener son combat et sa rencontre avec deux vigilants professionnels (dont la fillette Hit-Girl) le précipitera dans une guerre contre la pègre puis dans dans une société parallèle de justiciers aux méthodes et objectifs divers.

Patience Lee n'est pas du même bois : effectivement, c'est une femme, noire, et adulte, mère de famille et mariée. Mais cette fois, c'est une guerrière aguerrie, militaire de formation, ayant servie sur des théâtres de guerre dangereux. Elle devient Kick-Ass par nécessité, endettée, abandonnée par son époux, oubliée malgré ses brillants états de service par le gouvernement. Sa soif de revanche teinte son désir de justice d'une coloration propre.

A une lettre près, il est facile de confondre, dans le feu d'une discussion animée (comme l'écossais sait en susciter), Millar et (Frank) Miller. Cette nouvelle version de Kick-Ass fournira sûrement quelques confusions supplémentaires tant on pense immédiatement à Martha Washington, l'héroïne de Liberty (dessiné par Dave Gibbons... Le partenaire de Millar sur Kingsman : The Secret Service ! Le monde est petit...), elle aussi femme, noire, issue d'un milieu défavorisé, officier de l'armée, animée par un besoin de reconnaissance (pour elle et sa communauté ethnique et sociale). Mais la comparaison s'arrête là car cette série ne verse pas dans la dystopie, bien ancrée dans la réalité et l'époque.

En revanche il est troublant (même si les deux projets ne peuvent être suspectés de plagiat, mais plutôt de puiser à la même source, celle de Liberty justement) de lire ce numéro 1 juste après le premier épisode de The Silencer (écrit par Dan Abnett, publié chez DC Comics), qui anime une héroïne black experte dans le maniement des armes.

Le rapprochement est d'autant plus piquant que les deux séries sont dessinées par John Romita Jr. ! L'artiste a cependant déjà réalisé les trois premiers épisodes de The Silencer pour lesquels il s'était engagé avant de retrouver Mark Millar, mais on trouve les deux titres en kiosques simultanément.

La différence de qualité graphique entre les deux travaux est éloquente et prouve que Romita Jr. a avec Millar un auteur qui sait bien mieux tailler son script pour lui que Dan Abnett. Le dessinateur, plus "Kirby-esque" que jamais, a besoin d'espace pour s'exprimer et s'épanouir, ce dont il ne dispose pas sur The Silencer, alors que dès les premières pages de Kick-Ass, on mesure son aisance avec ce qu'il illustre (sans doute aussi parce que cet univers lui est plus familier).

Lorsqu'il met en scène le sauvetage opéré par Patience Lee en Afghanistan ou le tabassage en règle, précis et brutal, contre les vigiles du night-club, Romita Jr. est vraiment dans on élément, mais il compose aussi bravement les scène d'exposition, en sachant y glisser une tension constante (dans la relation de Patience avec Maurice par exemple).

L'autre nouveauté en pratique sur ce Kick-Ass, c'est que JR Jr. n'est plus encré par ses fidèles Klaus Janson ou Tom Palmer (ni les différents partenaires qui lui ont été attribué chez DC comme Danny Miki, Richard Friend, Sandra Hope). Place à Peter Steigerwald et un encrage digitale très fin, discret, et sa mise en couleurs quasiment directe (la même méthode employée par Frank Quitely et Dave Stewart) : le résultat fait un bien fou au trait de l'artiste, qui gagne en légèreté, en vivacité, d'autant que la palette utilisée privilégie des teintes presque pastel, loin des couches épaisses d'un Dean White (qui a longtemps, ces dernières années, assisté Romita Jr.).

Avec son héroïne revancharde, aux motivations dignes de Robin des bois, mais capable de botter les culs avec énergie, cette nouvelle ère qui s'ouvre pour Kick-Ass a tout d'une cure de jouvence.      

vendredi 23 juillet 2010

Critique 154 : KICK-ASS, de Mark Millar et John Romita Jr


Kick-Ass est une mini-série en huit épisodes créée par Mark Millar au scénario et John Romita Jr aux dessins, publiée par Marvel Comics sous le label ("adulte") Icon. Ce premier volume devrait être suivi de deux autres (le premier épisode du Livre II est annoncé pour Août 2010).
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Il s'agit de l'histoire de Dave Lizewski, un adolescent vivant seul avec son père (sa mère est morte à la suite d'une rupture d'anèvrisme deux ans auparavant) et traînant avec sa bande d'amis qui partage sa passion pour les comics. Il est amoureux de sa camarade de classe Katie Deauxma (sans que cela soit réciproque).
Sa fascination pour les super-héros l'incite à en devenir un et il se procure deux matraques et un costume avec lesquels il commence à patrouiller en ville la nuit, lorsque son père travaille. Prenant à parti trois jeunes noirs, il est passé à tabac et poignardé avant d'être renversé par une voiture.
Hospitalisé pendant six mois, Dave se remet lentement de ses blessures. Rétabli, il apprend que son agression lui vaut de passer pour gay et il choisit de ne pas démentir la rumeur pour pouvoir se rapprocher de Katie.
Rapidement, il décide de redevenir justicier masqué et intervient contre une bande de porto-ricains tabassant à mort un homme en pleine rue. La bataille est rude mais, filmée par des passants et diffusée sur YouTube, va rapidement transformer ce personnage baptisé Kick-Ass en phénomène de société.
Acceptant la mission que lui confie une internaute sur sa page MySpace, Dave aborde un type louche qui harcèle son ex-fiancée. Mais à nouveau rudoyé, il ne doit son salut qu'à une fillette masquée, Hit-Girl, qui massacre ses assaillants avant de rejoindre son acolyte, Big Daddy. Ces deux-là sont en guerre contre le chef mafieux John Genovese.
Après cette rencontre, Dave croise un admirateur, Red Mist, avec lequel il va faire équipe. Hit-Girl, de son côté, convainc son père, Big Daddy, d'enrôler Kick-Ass pour leur prêter main-forte. Cette alliance va précipiter ces super-héros du réel dans un bain de sang dont aucun d'entre eux ne sortira indemne - et pour cause, un traître s'est glissé dans la partie...
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En s'attaquant aux RLSH (Real Life Super Heroes), ces sympathiques zozos qui jouent aux redresseurs de torts en Amérique, avec des déguisements et des pseudonymes souvent grotesques, Mark Millar frappe un grand coup et signe une oeuvre originale qui a tout pour horripiler ses détracteurs mais ravir ses fans - une habitude chez cet auteur à la fois amoureux des super-héros mais qui n'aime rien tant que les brutaliser.
Il est toujours délicat d'estimer l'ambition d'un scénariste quand il entreprend de déboulonner les codes du genre qui, par ailleurs, ont fait sa gloire. Chez Millar, la tâche est d'autant plus hardue qu'il s'emploie à vendre chacun de ses projets originaux à grand renfort de formules publicitaires tonitruantes, que beaucoup (trop) commentent d'avantage que le produit une fois fini. De là vient la réputation de Millar d'être plus un vantard bruyant se contentant d'effets de manche qu'un auteur s'appliquant à livrer des bandes dessinées abouties.
C'est vrai, il existe deux Mark Millar :
- d'une part, il y a le scénariste d'Authority, de la ligne "Ultimate" (Ultimates, U X-Men et U Fantastic Four) ou des FF classiques (dont la parution en vf vient de s'achever), le crossover Civil War, Old man Logan ;
- et de l'autre, il y a celui d'histoires exubérantes et provocatrices comme Wanted, ce Kick-Ass et bientôt Nemesis.
Le premier s'amuse avec les jouets de grosses firmes en développant des récits inégaux mais efficaces, où l'action domine tout en restant contenue (car les héros ne peuvent pas mourir dans cet univers-là). Le second anime des personnages dont les fantasmes se confrontent à une réalité dérangeante, devenant des criminels d'envergure ou des héros d'occasion.
Entre ces deux Millar, il y a celui, inattendu car étonnament sentimental, de la mini-série 1985, empruntant à la fois la mythologie de Marvel tout en l'observant d'une manière réaliste, et finalement son jeune héros, Toby Goodman, représente une sorte de passerelle entre la vraie vie et la fiction délirante.
Avec Dave Lizewski, Millar a imaginé un cousin de Toby Goodman avec lequel il partage la fascination des super-héros, la présence dans le "vrai" monde, mais qui comme le Wesley Gibson de Wanted va se perdre et se trouver en même temps en traversant le miroir (Gibson en devenant le successeur de son père, le plus grand des tueurs, Dave en devenant un super-héros).
Le credo du personnage est résumé dans ce dialogue du premier chapitre : "Why do people want to be Paris Hilton and nobody wants to be Spider-Man ?". La réflexion de Millar sur l'héroïsme, la célébrité, prend alors la forme du récit d'apprentissage, mais dans la douleur : son Kick-Ass passe de fait plus de temps à se faire "botter le cul" qu'à corriger les vilains qu'il croise, et lorsqu'il rencontre ses "homologues", il est également dépassé, avec d'un côté le duo Hit-Girl-Big Daddy qui n'hésite pas à tuer pour faire régner l'ordre et de l'autre Red Mist qui joue les héros avec cynisme.
L'histoire est ambitieuse et, soyons honnête, l'est parfois trop : la médiatisation de Kick-Ass, le rôle d'Internet, ou même l'influence du héros sur la communauté de geeks déguisés qu'il va inspirer, ne sont pas assez fouillés, et en les traitant sous l'angle de la pure comédie, Millar en atténue la force alors qu'il tenait là des pistes passionnantes à explorer. Mais peut-être, ayant conçu la série comme une trilogie, s'y penchera-t-il dans les Livres suivants (le prochain devrait, entre autres, examiner le retour à la vie normale de Hit-Girl).... Néanmoins on est un peu frustré sur ce plan.
En revanche, la frontalité avec laquelle Millar traite de la violence dans laquelle est entraîné Kick-Ass, et ce dès ses premiers pas, a le mérite de retirer tout romantisme au concept : soumis aux conditions du réel, on saisit tout à fait (si cela n'était déjà fait...) que la "carrière" de super-héros n'aurait rien d'un chemin de roses. Dave n'affronte pas de super-vilains mais des petites frappes et des gangsters sans pitié pour lesquels il n'est au mieux qu'un moustique à écraser, au pire qu'un hurluberlu qui fête encore Halloween. Rarement aura-t-on éprouvé à ce point la condition de corps en souffrance, en proie à tous les tourments, tous les supplices, qu'est celle d'un justicier : Millar insiste sur le mélange de masochisme, d'entêtement et même de stupidité qui motive pareil individu engagé dans une mission aussi énorme que ses moyens sont dérisoires.
A travers le couple Hit-Girl-Big Daddy, Millar décrit aussi cette Amérique obsédé par le sécuritarisme, le port d'armes (et la facilité effrayante avec laquelle on y a accès), tout en donnant au personnage du père une motivation désespérée.
L'astuce grâce à laquelle Big Daddy finance ses activités semble renvoyer le personnage à un double adulte de Kick-Ass : celle d'un vieil adolescent qui a cessé de faire la part des choses et entraîné sa fille dans un délire total. Gare cependant à ne pas confondre le discours du personnage avec la pensée de Millar : ce serait un raccourci aussi paresseux que douteux, tous les auteurs ayant créé des détraqués n'épousent pas leur vision du monde...
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La réunion de Mark Millar et John Romita Jr après leur run épique sur Wolverine (la saga Ennemi d'Etat) était l'autre attraction de l'entreprise et le résultat est décapant.
Romita Jr n'est peut-être pas le dessinateur le plus indiqué et le plus évident pour illustrer une histoire avec un héros adolescent. Il est vrai qu'il affiche quelques maladresses concernant les proportions et qu'on a le sentiment qu'il est parfois à l'étroit dans les scènes d'action. Son trait puissant et affranchi de tout réalisme est plus efficace dans des récits extraordinaires, aux scènes spectaculaires.
Mais il s'agit aussi de l'artiste emblématique de Spider-Man et celui-là excelle à représenter la ville, ses rues, ses toits, son ambiance. Ce qu'il perd en explosivité, il le récupère dans le sens du découpage à la fois simple et percutant : on sent vraiment l'impact des coups, l'âpreté des combats, la brutalité, et cela est parfaitement raccord avec le propos.
On pense parfois à Kirby quand on lit Romita Jr sur des projets "cosmiques" comme Eternals (avec Neil Gaiman). Mais il a su digérer des influences comme celles de Frank Miller ou Bruce Timm, où la somme des cases et des planches a plus d'importance que le soin particulier apporté à chaque vignette.
L'encrage un peu gras du vétéran Tom Palmer est celui qui convient le mieux à JR Jr aujourd'hui, dont le trait est devenu plus sommaire au profit d'un découpage plus direct. Et Dave Stewart a su, cette fois, ne pas en rajouter au niveau des couleurs, usant d'une palette peu nuancée et dont les effets n'empiètent pas sur l'encrage justement (comparez avec ce qu'il fait sur du Romita Jr encré par Klaus Janson, la différence est étonnante).
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Kick-Ass n'est pas la bd du siècle. Face à d'autres projets du même acabit, d'une ambition semblable, la farce sanglante de Millar et Romita Jr ressemble davantage à un jeu de massacre orchestré par deux sales gosses, brisant des icônes (comme Spider-Man). Mais c'est un divertissement rondement mené, durant la lecture duquel on ne s'ennuie jamais, qui vous bouscule et fait rire, devant lequel on hausse les sourcils à cause de son "hénaurmité" assumée. L'avenir dira quel impact réel ce comic-book peut avoir sur le genre qu'il violente. C'est la force et la limite de ce type de manifeste : il ouvre des portes, mais c'est aux lecteurs et à d'autres auteurs de choisir s'ils acceptent de franchir le seuil. En attendant que l'Histoire donne à Kick-Ass sa vraie place, c'est un tour dans le grand Huit garanti - et la source de discussions passionnées entre pro et anti !