Affichage des articles dont le libellé est Walt Simonson. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Walt Simonson. Afficher tous les articles

samedi 30 avril 2022

THOR #24/750, de Donny Cates et Nic Klein, avec Walter Simonson, Dan Jurgens, J. Michael Straczynski et Olivier Coipel, Al Ewing et Lee Garbett, Jason Aaron et Das Pastoras


Je ne suis plus Thor depuis un bail, et le run de Donny Cates m'a vite découragé. Mais c'est un épisode spécial que celui-ci : ce numéro 24 est aussi le 750ème de Thor, si on prend en compte tous les volumes de ses séries. Donny Cates y fait équipe avec Nic Klein, mais partage l'affiche avec de prestigieux invités qui ont marqué l'histoire du dieu du tonnerre chez Marvel pour ses soixante ans de parution.
 

Thor prononce l'éloge funêbre de son père, Odin, récemment mort. L'ancien Père-de-tout et roi d'Asgard a droit à des funérailles de viking. Même si Thor partage sa peine avec son demi-frère, Loki...


- Prologue (Ecrit et dessiné par Walter Simonson.) - Comment Beta Ray Bill est devenu le guerrier légendaire qu'on connaît, après avoir été capturé et fait l'objet d'expériences...


- The Seduction (Ecrit et dessiné par Dan Jurgens.) - Muni d'armes qui corrompent son âme, Thor ne devra son salut qu'à l'intervention d'Odin et de son demi-frère, Balder le brave...


- Benedictions (Ecrit par J. Michael Straczynski et dessiné par Olivier Coipel.) - Thor convoque en Asgard un notaire humain pour qu'il rédige ses dernières volontés...
 

- What Comes Next (Ecrit par Al Ewing et dessiné par Lee Garbett.) - Loki surgit 14 milliards d'années dans le passé et prévient Taaia, la mère de Galactus, d'un grave danger imminent pour le Multivers...

- Who Wields Who ? (Ecrit par Jason Aaron et dessiné par Das Pastoras.) - Il y a un million d'années sur Midgard, Odin doit affronter des géants de glace sans l'aide de Mjolnir qui refuse de lui obéir...

Il est loin le temps où j'ai aimé lire Thor. Je doute, à l'allure où vont les choses, renouer un jour avec ce plaisir. Le long run de Jason Aaron ne m'a séduit que lorsque Jane Foster a été jugée digne de soulever Mjolnir, avec les dessins magnifiques du (depuis) trop rare Russell Dauterman. Lorsque Donny Cates a succédé à Aaron, j'espérai quelque chose qui ne s'est pas produit, assistant affligé à une reprise survendu, malgré là encore un artiste doué (Nic Klein). En vérité, il faut remonter au run, trop court, de J. Michael Straczynski et Olivier Coipel (en 2007 !) pour que je me rappelle d'une proposition intéressante pour le dieu du tonnerre...

Alors JMS avait accepté d'écrire la série initialement offerte à Neil Gaiman, en s'inspirant de thèmes et motifs chers à ce dernier (l'existence des dieux validée par la foi des humains). Avec Coipel, le scénariste fit de Thor un personnage revenu d'entre les morts et confronté aussi bien à sa mortalité qu'à la responsabilité de restaurer Asgard, de trouver une raison d'être au panthéon nordique, le tout dans le décor bien décalé d'une bourgade américaine.

Malheureusement, Marvel gâcha tout en précipitant Thor dans un event par ailleurs raté, Siege, écrit par Brian Michael Bendis et dessiné par... Coipel, qui venait de quitter la série. JMS, déçu qu'on interfère avec ses plans, claqua la porte de Marvel pour s'exiler chez DC. Matt Fraction tenta, encore avec Coipel, de relancer la machine, sans convaincre. Puis Jason Aaron s'installa sur le titre, avec Esad Ribic...

Aujourd'hui, Cates vient d'achever un arc dans lequel il a sacrifié, au terme d'une intrigue d'une rare bêtise, Odin. Marvel a fait ses calculs et compté que ce 24ème épisode coïncidait avec la 750ème aventure du dieu du tonnerre, tous volumes et titres solos confondus. Je n'ai pas vérifié l'exactitude de cette comptabilité, mais l'éditeur a mis les petits plats dans les grands en publiant une giant-size issue de plus de 60 pages.

L'épisode s'ouvre et se ferme avec les funérailles grandioses d'Odin. Enfin.. Supposément grandioses, car, mise à part une double-page au début effectivement impressionnante, le reste est plutôt cadré serré, intimiste, et n'impressionne guère. L'émotion fait cruellement défaut tant le discours prononcé par Thor manque de personnalité, parasité par une voix off envahissante et inutile. Cates est décidément incapable de produire autre chose que de l'épate-couillon, ce qui lui réussit dans ses creator-owned abîmant immanquablement ce qu'il produit pour Marvel. Quant au dessin de Nic Klein, je lui reconnais une technique certaine, mais par contre je n'aime pas du tout la manière dont il représente Thor, si loin de ce qu'un Kirby, un Buscema, un Romita Jr ou un Coipel en ont fait.

Plus là pour célébrer les soixante ans du dieu du tonnerre que pour accompagner le cortège désolant de Cates, les invités sont plus inspirés, c'est un comble. Que Walter Simonson, cette légende vivante qui a révolutionné le personnage, nous conte les origines de Beta Ray Bill et c'est une leçon humiliante pour Cates et Klein tant, en quelques pages, il donne un souffle plus épique que dans les 23 épisodes du run actuel.

Dan Jurgens se charge lui aussi du texte et des dessins de sa partie. On peut regretter que Marvel n'ait pas laissé John Romita Jr l'accompagner - ou pas si on se fie au dramatique niveau affiché par l'artiste sur le relaunch de The Amazing Spider-Man paru cette semaine. Ce segment, censé mettre en avant Balder le brave, loupe un peu le coche, et l'encrage de Klaus Janson est affreux.

Et puis, ô joie ! J. Michael Straczynski et Olivier Coipel entrent en scène et c'est le retour des enfants prodigues. C'est magnifique, subtil, et ça rappelle à quel point en une douzaine d'épisodes, ces deux-là ont redéfini Thor, mieux que tout ceux qui leur ont succédé. Ah si seulement Joe Quesada n'avait pas fourré son nez là-dedans il y 14 ans...

Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, voilà que Al Ewing et Lee Garbett se joignent à la fête. Le scénariste estimait, lui aussi, avoir été empêché d'écrire Loki, Agent of Asgard, comme bon lui semblait (son run ayant quand même été traversé par trois events !). Mais il a, de son propre aveu, accepté de rempiler, avec à la clé sa prochaine mini-série Defenders Beyond, où il renouera avec le Dieu de la Malice. Lee Garbett nous régale avec des planches à tomber.

Evidemment, Jason Aaron, le fossoyeur de Thor, se pointe pour une énième variation sur son obsession débile (Mjolnir et qui mérite de le brandir). C'est donc répétitif et assommant, mais les dessins de Das Pastoras ont un certain cachet.   

Je vous fais grâce du cliffhanger qui annonce le crossover Banner of War, avec le concours de qui a la plus grosse entre Thor et Hulk, concocté par Cates, et qui ne semble être là que pour confirmer pourquoi j'ai arrêté de croire que Marvel voulait que le dieu du tonnerre soit au coeur de bonnes histoires.

Un n° anniversaire peu digeste donc, mais avec quelques pépites qui raviront les fans d'une époque bien révolue.

dimanche 15 juillet 2012

Critique 337 : THE SPIRIT - BOOK TWO, de Darwyn Cooke

Will Eisner's The Spirit : Book Two rassemble les épisodes 7 à 13 de la série écrits et dessinés par Darwyn Cooke, publiés en 2007-2008 par DC Comics et Will Eisner Studios. Les épisodes 7 et 13 sont composés d'histoires courtes (8 pages chacune) écrites et dessinées par des invités, Cooke se contentant d'en signer les couvertures.
*
- #7 : Summer Special.
* Harder than diamonds. Ecrit par Walter Simonson et dessiné par Chris Sprouse. Une jet-setteuse, Krystil Fullerite, de passage à Central City, est victime d'un vol de diamants. Un chauffeur de taxi est injustement accusé et le Spirit décide de prouver son innocence en surveillant cette mondaine aux fréquentations louches...

Pour ouvrir cet épisode spécial composé de trois "short stories", Walter Simonson (Thor) fait équipe avec Chris Sprouse (Tom Strong). L'intrigue est légère mais menée sur un bon rythme et joue sur les fausses apparences (la jet-setteuse arnaqueuse, le Spirit qui se fait passer pour un chauffeur). Au dessin, Sprouse livre une copie comme d'habitude très élégante, aux finitions soignées. De la belle ouvrage.

*Synchronicity. Ecrit par Jimmy Palmiotti et dessiné par Jordi Bernet. Par une journée caniculaire, le Spirit en poursuivant un voleur dans un immeuble déclenche une série de dégats qui vont bouleverser le quotidien des habitants (un veuf à la recherche des bijoux de son épouse, un couple dans le besoin, un autre menacé par un usurier, et une pulpeuse jeune femme qui bronzait sur le toit)...

Jimmy Palmiotti (Power Girl) et Jordi Bernet (Torpedo) sont habitués à travailler ensemble puisqu'ils ont signé plusieurs épisodes de Jonah Hex (série western à laquelle a également collaborée Darwyn Cooke). Ensemble, ils produisent ce segment alerte et surtout très drôle, dont la structure respecte l'unité de temps et de lieu, et où le Spirit n'est qu'un acteur parmi d'autres. Le dessin tonique de Bernet fait merveille. Jubilatoire.

* Hard cell. Ecrit et dessiné par Kyle Baker. Le Spirit, après le meurtre d'un homme lié à Maori, une riche pin-up, va questionner cette dernière. D'autres homicides, tous en rapport avec elle, se succèdent. Trop pour ne pas s'interroger sur son implication. La clé de l'énigme réside dans un téléphone portable...

Kyle Baker entraîne le Spirit dans une aventure très noire, mais le scénario est paresseux, poussif, autant que son dessin est sombre et, reconnaissons-le, d'une laideur indigne. A oublier vite.
*
- #8 : Time Bomb. Octopus piège le Spirit puis l'agent de la CIA Silk Satin dans un édifice en plein centre ville où il a installé une bombe. Suite à un mauvais coup reçu, Silk Satin est amnésique et ne sait plus comment désamorcer l'explosif. Pendant ce temps, l'agent Stratford, partenaire de Satin, explique au commissaire Dolan et sa fille Ellen la procédure prévue en dernier recours si la bombe explose... 
Darwyn Cooke revient aux commandes de la série avec cet épisode, un des chefs-d'oeuvre de ce second tome dont la double-page 4-5 (ci-dessus) est un magnifique hommage aux jeux de lettrage qu'affectionnait Will Eisner (encore un morceau de bravoure de Jared Fletcher). L'essentiel de l'action se déroule en huis-clos et alimente une tension que nuance des passages oniriques et des dialogues plein d'humour entre "Mr Sexypants" et l'agent Satin. La chute est ironique et frappante...
Les dessins de Cooke, toujours encrés par J. Bone (comme depuis le début de son run), sont un modèle de storytelling, imprimant un rythme décapant au récit.
*
- #9  : El Morte. Lors d'un transfert de prisonniers (parmi lesquels on retrouve le Cosaque), un sniper fait un carton et blesse le commissaire Dolan. Le Spirit affronte le tireur qui lui inflige une sévère correction. Qui est cet adversaire ? Un démon resurgi du passé du héros - et qui ne fait qu'entamer un terrifiant retour... 

Le retour de Silk Satin dans le précédent épisode indiquait que Cooke allait exploiter des éléments posés dans le premier tome. Avec le début de la vendetta d'El Morte, cette intention se confirme puisque le méchant n'est autre qu'Alvarro Mortez, revenu, comme le Spirit, d'entre les morts, mais sérieusement âbimé et déterminé à se venger de manière radicale et ample. Le héros est malmené comme jamais et la série prend un tour beaucoup plus sombre, dramatique.
Cette direction n'est pourtant pas une surprise au regard de l'oeuvre de Cooke, qui a souvent abordé des points noirs et violents dans ses oeuvres (la guerre et la "chasse aux sorcières" dans les 50's dans La Nouvelle Frontière, le grand banditisme dans Parker, le western baroque avec Jonah Hex...). Le résultat est encore plus saisissant grâce à son style graphique cartoony a priori opposé à ces humeurs plus brutales.
Mais c'est une totale réussite, riche en inventions esthétiques, notamment dans le traitement du flash-back revenant sur les origines d'El Morte, avec encore une fois une colorisation magistrale de Dave Stewart.
*
- #10 : Death by television. Qui en veut à plusieurs journalistes-animateurs de chaînes du cable au point de les éliminer les uns après les autres ? Le Spirit mène l'enquête, tout en devant à nouveau collaborer avec Ginger Coffee, la ravissante mais envahissante reporter qui figure peut-être dans l'agenda du tueur...

Cooke ramène cette fois-ci le personnage de Ginger Coffe, qu'il a créé et présenté dans le premier épisode de son run. L'enquête conduit le Spirit dans le milieu des "anchor-men", ces vedettes de talk-shows, bâteleurs et populistes, et manie l'humour noir et le suspense avec dextérité. Le tandem Spirit-Ginger est très efficace, et la révèlation du coupable plutôt étonnante.
Le graphisme se fait plus classique, presque sage, pour ce récit qui est sans doute le moins inspiré de ce second tome, mais Cooke emballe son affaire avec quand même beaucoup d'adresse.
*
- #11 : Day of the dead. L'heure du face-à-face final entre le Spirit et sa némésis El Morte a sonné. Une armée de zombies est aux portes de Central City et le héros, au coeur de la bataille contre un ennemi déjà mort, peut compter sur Ellen Dolan et un de ses ex-amants, Argonaut Bones, pour l'aider...

Cooke conclut son tryptique avec Alvarro Mortez/El Morte (vilain de sa création, qui aura été finalement davantage l'ennemi du Spirit qu'Octopus ou P'Gell, méchants "Eisner-iens") et pour l'occasion, met les petits plats dans les grands en faisant basculer la série dans le registre fantastique. Zombies, magie noire, ambiance de fin du monde : tout est réuni pour ce final baroque et explosif.
Il ajoute au casting Argonaut Bones (quel nom impayable) qu'il relie directement à Ellen Dolan (à qui il donne ainsi un passé sexuel, tout comme au Spirit). Ebony White et le commissaire mais aussi la mère diabolique de Mortez sont au rendez-vous de cet épisode qui tient toutes ses promesses et n'est pas avare en scènes spectaculaires (avec là encore, une extraordinaire double-page - ci-dessus - de présentation, au lettrage incomparable).
Le duel final est à la hauteur de l'attente, indécis, âpre. Cooke s'est déchaîné et a atteint sa cible.
*
- #12 : Sand. Le meurtre d'Hussein (le fameux "arrangeur", apparu plusieurs fois dans le tome 1), va replonger le Spirit dans la tourmente. Mais cette fois, son enquête le bouleverse encore plus qu'à l'ordinaire car c'est son premier amour qui y est mêlé : l'ensorcelante Sand Saref, aux prises avec la maléfique Dr Vitriol et un inquiétant client convoîtant un poison...
Pour son dernier épisode, Darwyn Cooke a puisé directement à la source en s'inspirant de deux épisodes réalisés par Will Eisner (Sand Saref et Bring on Sand Saref) : l'histoire est imprégnée d'une mélancolie très touchante, traversée par des flash-backs sur l'enfance et la jeunesse du héros et de la première fille qu'il a aimée et qui a mal tournée.
La mission elle-même se déroule en une nuit, avec des ambiances envoûtantes sur les docks embrumés de Central City. Pour ces scènes-là, J. Bone encre Cooke. Mais pour l'évocation du passé, l'artiste assume tout, seul, et livre des planches splendides, aux découpages virtuoses, et avec des effets de tracé imitant intelligemment le propre trait d'Eisner (voir ci-dessous).
Un authentique chef-d'oeuvre !
*
- #13 : Holiday Special.
*One Hundred ! Ecrit par Glen David Gold et dessiné par Eduardo Risso. Une bande de voleurs déguisés en Spirit ont dérobé des diamants mais quand le justicier de Central City les appréhende dans un zoo, leur butin atterrit dans la cage d'un tigre. Pour le récupérer, le commissaire Dolan sollicite une dresseuse dont le Spirit doute de l'honnêteté...

Sur cette trame minimaliste et savoureusement amorale, avec une chute malicieuse, Glen David Gold dispose d'un partenaire de premier plan en la personne d'Eduardo Risso, le dessinateur de la série 100 Bullets (écrite par Brian Azzarello).
Cet épisode est vraiment celui de cet artiste dont les planches somptueuses sont un régal pour les yeux, mixant des compositions subtiles et des jeux d'ombres et de lumières dignes de Frank Miller. Merveilleusement beau.

*Family treasure. Ecrit par Denny O'Neil et dessiné par Ty Templeton. Une vieille dame des quartiers pauvres est harcelée par des gredins qui veulent s'emparer du trésor de son défunt oncle. Le Spirit lui vient en aide... Mais l'argent récupéré fera tourner la tête de l'héritière.

Le légendaire Denny O'Neil, réputé pour ses scénarios dramatiques (Iron Man, Green Lantern & Green Arrow), s'offre ici une fantaisie acide dont la chute est très drôle. Le Spirit y est victime de sa bonté dans cette fable bien tournée.
Ty Templeton (qui, comme Darwyn Cooke, vient de l'animation) illustre ceci avec habileté, le récit se déroulant entièrement en une nuit, sous la pluie, en huit pages.

*The cold depths of the icicle heart. Ecrit par Gail Simone et dessiné par Phil Hester. Après s'être interposé entre le gang de Isolde "Ice" McQueen et un de ses débiteurs, le Spirit est assommé et jeté dans la baie gelée de Central City. Frappé d'amnésie, il se remet progressivement en vagabondant dans la ville jusqu'à ce que sa route croise à nouveau celle de ses agresseurs...

Gail Simone (Villains United) écrit la dernière histoire de volume sur le modèle des épisodes " 'Nuff said" : aucun dialogue, les textes sont remplacés par des illustrations résumant leur propos. L'intrigue est elle-même très efficace, avec le Spirit en fâcheuse posture par une froide nuit d'hiver, ce qui donne en plus une ambiance atypique. 
Phil Hester illustre ce segment avec une invention à la mesure du défi narratif : son style anguleux et cartoony est parfait pour ça (dommage qu'aujourd'hui cet artiste ait quasiment renoncé au dessin au profit d'un rôle d'auteur).
*
Ce second Livre est un complèment idéal au premier, développant des "plots", offrant son lot de morceaux de bravoure, confirmant l'immense talent de Darwyn Cooke. La présence des guest-stars ne gâche pas le vue, avec des chapitres savoureux et visuellement souvent superbes.
Dommage que ça n'ait pas duré plus longtemps (même si depuis le Spirit a eu droit à de nouvelles aventures). 

mercredi 4 mai 2011

Critique 227 : UNCANNY X-MEN - FROM THE ASHES (#168-176), de Chris Claremont, Paul Smith, Walter Simonson et John Romita Jr


Uncanny X-Men : From the ashes rassemble les épisodes 168 à 176, publiés en 1983, de la série écrite par Chris Claremont et dessinée par Paul Smith (#168-170, 172-174, et les 29 premières planches du #175), Walter Simonson (#171) et John Romita Jr (les 9 dernières pages du #175 et le #176).
*
Trois histoires composent ce recueil : la première introduit les Morlocks (#168-171), la deuxième se déroule au Japon (#172-173) et la dernière voit le retour du Cerveau (#174-176).

- Professor Xavier is a jerk - Catacombs - Dancin' in the dark - Rogue (#168-171). Kitty Pryde est furieuse en apprenant que le Pr Xavier a décidé de l'intégrer à l'équipe des Nouveaux Mutants alors qu'elle pensait avoir fait ses preuves au sein des X-Men. Sur les conseils de son amie Illyana Raspoutine, elle déploie toute son imagination pour qu'il change d'avis... Cependant, en Alaska, Scott Summers/Cyclope (qui a quitté les X-Men depuis la mort de Jean Grey/Phénix - cf. #137) rencontre Madelyne Pryor, qui est le sosie de son amour de jeunesse. Warren Worthington III/Angel est enlevé par Callisto, leader des Morlocks, des mutants vivant dans le sous-sol de New York. Tornade, Diablo, Colossus et Kitty Pryde partent sauver leur ami mais doivent affronter ces parias. Pour les raisonner, Ororo Munroe devra vaincre Callisto - une épreuve qui annonce de profonds bouleversements pour elle. Malicia, membre de la Confrérie des Mauvais Mutants, quitte Mystique et Destinée pour demander au Pr Xavier de l'aider car, après avoir absorbé les pouvoirs et la mémoire de Carol Danvers/Ms Marvel, elle est désorientée. Son admission au sein de l'institut divise les X-Men - et le courroux de Binaire (le nouvel alias de Carol Danvers).

- Scarlet in glory - To have and have not (#172-173). Tornade, Diablo, Colossus, Kitty Pryde et Malicia arrivent à Tokyo, au Japon, où Wolverine s'apprête à épouser Maryko Yashida. Mais le père de la jeune femme, récemment mort, avait partie liée avec le crime organisé et le demi-frère de Maryko, Keniuchio Harada/le Samouraï d'Argent, compte bien lui succèder, après avoir, avec la complicité de Viper, membre de l'Hydra, neutralisé Wolverine et les X-Men. Seul avec Malicia, le mutant griffu, dont les camarades ont été drogués, est sur le pied de guerre, tandis que Tornade accomplit une mue radicale au contact de la ronin Yukio.

- Romances - From the ashes... - Decisions (#174-176). Scott Summers/Cyclope file désormais le parfait amour avec Madelyne Pryor. Parfait, vraiment ? Pas si sûr car, d'une part, il doit décider s'il quitte la Terre en compagnie de son père et des Starjammers, et d'autre part, la ressemblance troublante entre Madelyne et feu Jean Grey le dérange de plus en plus. Serait-elle la réincarnation de Phénix ? Ou un ennemi dans l'ombre tire-t-il les ficelles pour le manipuler et détruire les X-Men ? Pour le savoir, les mutants devront mener une nouvelle rude bataille. Et Scott faire un choix crucial pour la suite...
*
En 1983, quand paraissent ces épisodes, voilà déjà deux ans que le duo magique Chris Claremont-John Byrne s'est séparé, et leur éditeur, Jim Shooter, qui s'est successivement fâché avec eux deux, a laissé sa place à Louise Simonson. Dave Cockrum est revenu entretemps pour illustrer quelques épisodes moyens (Bob McLeod a également fait un bref passage), mais la magie a disparu de la série, qui reste néanmoins le plus gros succès commercial de Marvel.
Lorsque Paul Smith devient le nouvel artiste régulier d'Uncanny X-Men (parfois supplée par Walter Simonson, le mari de Louise, qui va redynamiser à la même époque Thor), la série opère immédiatement un virage esthétique et va y gagner une nouvelle jeunesse, un nouvel élan. Cela commencera pourtant par une saga inégal, très influencé par le triomphe cinématographique d'Alien, avec les Broods, entraînant les mutants dans un de ces voyages au fin fond de l'espace comme ils en feront souvent. Puis viendront les chapitres collectés dans ce recueil, véritable sommet du tandem Claremont-Smith, avant que John Romita Jr ne débarque.
Le titre de l'ouvrage indique clairement que ces épisodes sont placés sous le signe du Phénix, donc de Jean Grey, dont la mort a été pour toute une génération de lecteurs un des moments les plus forts des comics Marvel. Après cela, plus rien n'a été pareil : des millions de fans firent l'expérience de la mort d'un super-héros au terme de cette histoire spectaculaire, préparée de longue date par Claremont et Byrne. Le pseudonyme de Jean Grey ne pouvait qu'inspirer au scénariste une nouvelle séquence dans laquelle il jouerait avec l'idée qu'elle ait survécu et reviendrait hanter ses co-équipiers.
Claremont, maître-és sub-plots, n'abat pas ses cartes tout de suite mais sème des indices tout au long de ces huit épisodes, qui trouble Scott Summers jusqu'à la réunion du leader emblématique des mutants avec l'équipe qu'il a quittée suite à la perte de son amour de jeunesse. Entretemps, l'auteur va nous faire vivre des aventures contrastées, introduisant une foule de personnages qui animeront longtemps après la série - les Morlocks, résidents des catacombes new-yorkaises - et nous faisant voyager jusqu'au Japon.
Les chapitres concernant les Morlocks sont déjà importants car ils vont radicalement transformer le personnage de Tornade, en proie à une lente métamorphose depuis la saga spatiale des Broods (où elle a été l'hôte d'un de ces monstres extra-terrestres) : la maîtrise de ses pouvoirs lui échappent et son comportement devient de plus en plus violent. Son duel à mort (ou presque...) avec Callisto va définitivement sceller cette mue dont l'achèvement passera par un relooking des plus radicaux - c'est le moment où Ororo va devenir une punk, à la coiffure iroquoise, vêtue d'un pantalon et d'un blouson de cuir noir : un choc pour les amateurs à l'époque, mais adroitement amené.
Le périple au Japon est un autre climax à double titre : Wolverine est sur le point de se marier (!) mais Claremont continue de développer l'intrigue relative à Phénix, encore une fois d'une façon redoutablement subtile. Le rebondissement final va durablement, lui aussi, marquer le personnage du griffu canadien et produire une réplique encore culte près de trente après (le fameux "You are not worthy" - "Tu ne le mérites pas"). En outre, ce dyptique offre un combat d'anthologie entre Wolverine et le Samouraï d'Argent (absurdement censuré/remonté par Lug en vf à l'époque, alors que le découpage était admirablement suggestif).
Enfin, le climax de l'album : on découvre qui veut faire croire au retour du Phénix et comment Cyclope, tout en affrontant ses ex-co-équipiers abusés, les sauvera, eux et Madelyne Pryor. Tout cela aboutit à un épisode "king-size" de presque 40 pages, virtuose, avant un épilogue plus anecdotique sur la lune de miel, forcèment perturbée, des jeunes mariés.
Ce qui est et reste formidable, même après toutes ces années, c'est le talent de conteur de Claremont, qui nous amène précisèment là où il l'a prévu, développant une histoire par petites touches jusqu'à un final spectaculaire, tout en nous ayant, entretemps proposé des aventures exotiques et étranges, haletantes et émouvantes, dans des décors parfaitement choisis pour divertir (aussi bien dans le sens d'amuser que de nous entraîner sur de fausses pistes). Son écriture est d'une fluidité exemplaire, les personnages sont puissamment caractérisés, les situations exploitées à fond, la dynamique du groupe d'une efficacité magistrale. Chaque personnage a son "grand moment" et l'équipe fonctionne comme une horloge même avec le départ ou l'arrivée de certains membres. Une leçon de narration.
*
Paul Smith illustre ces histoires avec un trait clair, simple, d'une lisibilité jamais prise en défaut, mais surtout, déjà, d'une fabuleuse élégance. La beauté de ses héroïnes permet à Claremont de les mettre plus que jamais en vedette. Smith est aussi à l'aise pour représenter la métamorphose de Tornade que la jeunesse de Kitty Pryde ou le doute de Malicia ou le conflit intérieur de Maryko Yashida.
Mais quand il s'agit d'animer les personnages masculins, Smith n'est pas en difficulté non plus : nul mieux que lui a su donner une telle prestance à Diablo, souligner la juvénilité de Colossus, la rudesse de Wolverine ou la sveltesse de Cyclope, sans se départir de la finesse qui caractérisait ses créatures féminines.
Mais la réussite de Paul Smith, c'est aussi celle de son encreur, Bob Wiacek, qui a embelli ses planches comme celles de John Byrne (sur quelques épisodes d'Alpha Flight) et a été maintenu à son poste quand Walter Simonson et John Romita Jr ont supplée Smith. Partenaire du légendaire Jerry Ordway, Wiacek est un encreur qui mérite d'être redécouvert et salué.
Seul bémol concernant la partie graphique : comme tous les comics de cette époque, les couleurs tramées de Glynis Oliver ont mal vieilli, ce n'était déjà pas beau alors, ça ne l'est pas devenu depuis, et il est dommage que Marvel ne "restaure" pas ces épisodes en les rééditant car l'impression des films, souvent baveuses, ne flatte pas la beauté de ces planches.
*
From the ashes est un superbe recueil qui témoigne de la qualité des X-Men époque Claremont - la suite de son run, avec John Romita Jr, Jon Bogdanove, jusqu'à Marc Silvestri, ne déméritera pas... Et montre à quel point la série a aujourd'hui perdu de sa superbe, avec des auteurs et des artistes souvent beaucoup moins inspirés.