dimanche 28 novembre 2010

Critique 186 : LE PROJET MARVELS, d'Ed Brubaker et Steve Epting

Le Projet Marvels : La Naissance des Super-Héros (The Marvels Project, en vo) est une mini-série en 8 épisodes, écrite par Ed Brubaker et dessinée par Steve Epting, publiée par Marvel Comics (d'Octobre 2009 à Juillet 2010).
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Sorte de version développée et alternative du Marvels de Kurt Busiek et Alex Ross et cousine de The Twelve de J. Michael Straczynski et Chris Weston (encore inachevée), cette série réalisée par le tandem à l'origine du relaunch de Captain America promettait beaucoup en proposant de revisiter la genèse de Marvel (à l'époque où la Maison des Idées s'appelait encore Timely Comics) pour unifier le récit des premières aventures de ses héros et les relier à celles d'aujourd'hui, en s'appuyant sur la "trinité" historique (La Torche-Namor-Captain America).
Ce genre de projet dissimule parfois une réécriture de la continuité en empruntant des raccourcis, dont seuls les spécialistes s'offusquent. Mais pour peu que l'affaire soit confiée à un auteur qui connaisse bien le passé de son éditeur et de ses personnages et qui soit soucieux de respecter lecteurs aguerris comme néophytes (c'était le cas de Busiek et Ross avec Marvels), c'est alors l'occasion de lire une histoire à la fois efficace et instructive.
Le fait qu'Ed Brubaker soit aux commandes de ce projet est un gâge de qualité : le scénariste est un vrai fan et un excellent narrateur (même s'il a un peu déçu récemment avec Captain America : Reborn). Ici, il a donc repris en main de vieux personnages de Timely Comics pour nous raconter les origines de Marvel.
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Notre guide dans cette fresque, à la fois spectaculaire et intimiste, est l'Ange, un justicier ordinaire, sans pouvoir, comme les affectionne Brubaker : c'est un médecin, un homme bon, qui, au début de l'histoire, a pour patient un vieillard, Matt Hawkins. Ce dernier n'est autre que le fameux Two-Gun Kid, ramené en 1938 à la suite de voyages temporels et qui raconte à son docteur que bientôt le monde va découvrir les super-héros.

Ce démarrage, qui voit le vieil homme mourir et léguer son masque et ses deux revolvers à Thomas Halloway, rappelle également le prologue de Kingdom Come (de Mark Waid et Alex Ross, édité chez DC).

Un an plus tard, en 1939, sur un yacht, Roosevelt tient réunion au sujet de la guerre déclarée en Europe par les Allemands et de moyens spéciaux d'y faire face le cas échéant : il y est question d'un androïde qui peut s'enflammer, une arme dissuasive mais encore perfectible - la Torche sera d'ailleurs rapidement enterrée, au propre comme au figuré à cause de sa dangerosité. Les nazis, eux aussi, réfléchissent à la création de super-soldats, avec comme chef du projet le savant Erskine et "prototype" John Steele, un soldat américain invulnérable capturé lors de la guerre de 14-18. L'autre champ de recherches des allemands se situe en mer, au large des Bermudes, où ils tuent et ramènent des Atlantes, ce qui va provoquer l'ire de Namor contre tous les humains de la surface.
La réapparition de la Torche, se libérant du caisson dans lequel on l'avait placé sous terre, va provoquer une réaction en chaîne et la véritable naissance des super-héros annoncée par le Two-Gun Kid. New York paniquée est la proie des pilleurs et Tom Halloway va réagir en décidant de devenir un justicier masqué : ainsi il devient à la fois acteur et témoin.
En Angleterre, Red Hargrove et Nick Fury, deux casse-cou de l'armée américaine, sont chargés d'exflitrer Erskine, qui désire quitter l'Allemagne.
Les évènements se précipitent alors : L'Ange traque les assassins de la Balle Fantôme (un autre vigilant masqué) et découvre que des nazis préparent des attentats sur le sol américain ; Namor entreprend de venger les siens en attaquant des civils mais affronte la Torche dont l'image passe de la menace à celle du protecteur ; Erskine passe à l'Ouest et finalise le programme "renaissance" qui engendrera Captain America, le premier super-soldat.
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L'histoire fonctionne à merveille car, ses narrations parallèles et ses abondantes voix-off (qui permettent à la fois de personnaliser le récit et d'en diversifier les points de vue), on profite à à la fois d'intrigues policière (l'enquête de l'Ange), d'espionnage (la mission de Fury, les actions de John Steele) et d'action (l'émergence des surhumains avec la Torche, Namor, Captain America - mais aussi Crâne Rouge, le Destructeur...).
Cette diversité permet également à Brubaker d'expliquer pourquoi ces héros se costument, sans reproduire les raisons avancées par Alan Moore dans Watchmen (et les Minutemen, leurs inspirateurs) - une représentation démythifiée et proche du fétichisme. Bien qu'exposée très différemment, la justification de ce travestissement se rapproche d'une réplique écrite par Warren Ellis dans ses Thunderbolts, où il fait dire à Leonard Samson que le super-héros est l'équivalent moderne du chevalier de la Table Ronde : s'il s'habille ainsi pour jouer les redresseurs de torts, c'est pour être identifié clairement comme un "good guy" et non comme un fou furieux. Une version de "l'habit fait le moine" en quelque sorte...
Au-delà du patriotisme (dont seul Captain America est le symbole), c'est en réaction à des situations précises que sont définis les acteurs principaux du Projet Marvels. Tous ces hommes veulent améliorer le monde ou rétablir la justice et c'est pour cela qu'ils agissent, en see masquant au besoin pour protéger leur vie privée ou leur origine ou en comptant sur le déguisement pour impressionner l'adversaire.
- L'Ange représente l'homme qui voit ce monde changer autour de lui et désire l'améliorer. Il sait qu'il n'a qu'une influence limitée mais s'en contente en pensant que s'il peut peser sur le destin d'un seul homme, sur le sort d'une situation, il peut inspirer positivement la communauté. C'est un fataliste, un lucide qui a conscience que la police n'apprécie pas les vigilants masqués, dont elle n'hésite pas à se moquer (comme lorsque le cadavre de la Balle Fantôme est découvert), mais qui croit en une espèce de confrérie entre héros.

- La Torche Humaine représente la créature détachée de l'humanité, que la découverte du monde va rendre de plus en plus désenchanté (jusqu'à l'accablement lors de l'attaque sur Pearl Harbor). Il veut désespérement être humain mais il est aussi de plus en plus désespéré par la nature humaine, ce qui en fait une figure attachante et complexe. Il trouve finalement une sorte d'issue en devenant le mentor de Toro dont il se sent responsable car il a provoqué l'apparition de ses pouvoirs (les mêmes que les siens). Ainsi il accomplit une trajectoire de "fils" (du savant Phinéas Horton) à "père" (de Toro).

- Nick Fury représente l'homme d'action prêt à tout, par goût du danger. Il est décrit non pas encore comme le maître-espion qui dirigera plus tard le SHIELD, mais comme un soldat à la fois impulsif et endurci, pour lequel rien n'est insurmontable. C'est un personnage exubérant et au caractère bien trempé, intrépide. Comme Brubaker a décidé d'exploiter des éléments du Marvels Project dans ses séries (Captain America et surtout Secret Avengers), il restera à expliquer comment cet homme d'une bonne trentaine d'années dans les 40's en paraît environ seulement 50 de nos jours.

- Namor représente la colère, voire la haine. Ce personnage emblématique de Marvel (hélas ! bien mal traité depuis longtemps) retrouve toute sa superbe sous la plume de Brubaker qui a choisi d'éclaircir les raisons de son ressentiment pour les humains, de développer son affrontement avec la Torche (abordé dans Marvels de Busiek et Ross), puis son ralliement aux Invaders, la première équipe de super-héros américains, quand il découvre la trahison de Merrano/U-Man. Son évolution au long du récit lui laisse son aspect ombrageux, hautain, tout en le présentant autrement que comme un fou furieux - dommage que l'éditeur ait choisi récemment de l'intégrer aux mutants en le cantonnant à un second rôle car Namor reste un personnage fascinant quand il est bien écrit, ambivalent à souhait.

- Enfin, il y a Captain America, celui qui incarne l'idéal mais aussi la responsabilité. Originellement prévu pour être le premier de son genre, il devient le seul super-soldat (même si la création du Destructeur nuance un peu cet état de fait) et il endosse ce rôle avec gravité et panache. Brubaker n'ajoute rien à la légende qu'on ne sache déjà mais souligne bien la dimension symbolique du héros, celui qui va définitivement bouleverser la donne en alliant le côté surhumain (comme la Torche, Namor) et le côté plus ordinaire, accessible (comme l'Ange). Steve Rogers incarne en fait un trait d'union entre le justiciers masqués sans pouvoirs extraordinaires du "golden age" et les super-héros fantastiques du "silver age".
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Durant ces 8 épisodes, Brubaker permet à son complice Steve Epting de dessiner une vaste épopée riche en décors variés et en personnages mémorables. L'artiste a su représenter cette époque avec une maestria fabuleuse, où il rend à la fois hommage au travail d'Alex Ross sur Marvels et au film noir adapté aux codes graphiques de la bande dessinée, avec un soin particulier apporté aux ambiances, donc aux lumières (et là, il faut saluer la remarquable contribution du coloriste Dave Stewart).
Bien que cette histoire reprenne des séquences "cultes" - la naissance de Captain America, la formation des Invaders, l'attaque de Pearl Harbor - , le talent d'Epting est aussi de nous les remontrer à la fois sans les travestir et en leur restituant leur puissance. Ce récit n'est de toute façon pas destiné à nous faire des révèlations sur le futur (tout juste la scène avec le fils de Thomas Halloway peut laisser supposer qu'il y aura un nouvel Ange), il s'agit de revenir sur ce qui a fondé le Marvelverse. Epting illustre ça avec beaucoup d'élégance, peut-être n'a-t-il jamais mieux dessiné - et on a hâte de voir ses épisodes des Fantastic Four (écrits par Jonathan Hickman).
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Il est évident que cette série est un "must-have" pour qui veut (re)découvrir les origines du Marvel Universe : c'est une saga solide, synthétique, dense, palpitante, qui ne prend pas le lecteur pour un imbécile et lui offre quantité d'images superbes - en somme ce que devrait donner n'importe quelle bonne bande dessinée.
En attendant de lire (restons optimistes) The Twelve de JMS et Weston, Le Projet Marvels est un résumé parfait et roboratif, à la fois haletant, spectaculaire mais jamais passéiste : une introduction de choix pour (ré)apprendre son Marvel illustré, à la manière dont Darwyn Cooke avait réalisé La Nouvelle Frontière.
Et maintenant, pourquoi pas une suite ?

Critiques 185 : LUCKY LUKE, TOMES 33 & 44 - LE PIED-TENDRE & LA GUERISON DES DALTON, de René Goscinny et Morris

La sortie récente du dernier tome de Lucky Luke (Contre Pinkerton) par Pennac, Benacquista et Achdé a été l'occasion d'une couverture promotionnelle d'envergure à la télé, à la radio et dans la presse, grâce au renom littéraire de ses scénaristes. C'est ainsi qu'en lisant une interview dans "Paris Match", j'ai appris quels étaient les albums préférés (et donc les références) de Pennac - La guérison des Dalton - et Benacquista - Le Pied-Tendre. Bien que les ayant souvent lus, je m'y suis replongé avec plaisir et j'en profite pour les critiquer.
Analysons d'abord le favori de Tonino Benacquista :

Le Pied-Tendre est le 33e album (le n°2 édité chez Dargaud) de la série, dessiné par Morris et écrit par Goscinny, sorti en 1968.
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Comme dans d'autres albums, Lucky Luke n'est pas ici l'adversaire mais l'acolyte de ce nouveau personnage qu'il va aider à lutter contre les brimades de cow-boys hostiles : en effet, ledît "pied-tendre" est l'héritier d'un fermier en provenance d'Angleterre.
C'est le prétexte tout trouvé pour traiter de l'ostracisme dont étaient victimes les immigrés dans un pays où il fallait prouver sa valeur pour être accepté par la communauté - communauté pourtant elle-même formée d'immigrés de la génération précédente.
Le contraste entre les manières rudes des cowboys et celles plus raffinées, voire précieuses, de Waldo Badmington (et de son fidèle valet Jasper - figure récurrente du tandem maître-serviteur chez Goscinny) fournit quantité de scènes savoureuses pour illustrer l'initiation du nouveau venu mais aussi la bravoure avec laquelle il fait face à ce bizutage en règle.
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Goscinny est particulièrement en verve dans cet opus où son talent de dialoguiste est étincelant, mais aussi où son sens du rythme est infaillible : le livre se dévore avec un plaisir inoxydable, à chaque fois on rit et on vibre pour Waldo dont le flegme est irrésistible.
Comme dans Le Grand Duc, le scénario fonctionne sur le principe du mélange des contraires : comment un étranger s'acclimate à un pays qui ne veut pas de lui, comment deux langages, deux attitudes s'affrontent. Il y a du Molière chez Goscinny qui, sous le couvert de la comédie, épingle les travers de chacun tout en faisant preuve d'un grand humanisme.
C'est d'ailleurs l'empreinte la plus notable de Goscinny sur la série : avoir su rester lucide sur la cruauté, la sauvagerie même du far-west, tout en nous faisant rire avec les éléments de son folklore et des personnages fortement caractérisés. Il a donné ce supplément d'âme à ce qui avant lui n'était qu'une aimable bande dessinée d'aventures et après lui une comédie westernienne inégale.
La fin de l'album est assez troublante : Badmington est devenu un vrai cowboy mais a renoncé à ses racines britanniques et surtout perd son valet. Il ne s'est pas seulement intégré, il s'est assimilé, mais en perdant toute sa singularité culturelle européenne. Lucky Luke est-il si heureux de ce dénouement et de cette conversion ? En tout cas, rarement le "poor lonesome cowboy" se sera-t-il éclipsé en laissant au lecteur un tel sentiment de mélancolie...
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Morris est également au sommet de son art : comme Benacquista, j'ai longtemps voué un vrai culte à cet album que je considérai avec Chasseur de Primes et La Diligence comme le plus réussi graphiquement.
Pour moi, lorsqu'un artiste parvient à vous faire tourner les pages avec l'envie de savoir ce qui va se passer dans les suivantes, sans qu'on regarde le numéro de ladîte page ou combien il en reste d'ici à la fin de l'album, alors il atteint son but en imprimant un tempo, une fluidité, une efficacité consommés.
Morris est maître dans l'art de la gestuelle et de l'expressivité : l'attitude qu'il donne à ses personnages en dit parfois plus long que la situation décrite et résume ses émotions au plus près. Malgré son impassibilité, Badmington est un des personnages les plus "parlants" de sa galerie, une figure vraiment inoubliable.
Relisez, étudiez Morris : il y a toujours quelque chose à apprendre ce maître !
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Benacquista a bon goût : Le Pied-Tendre a une "sacrée allure", comme il l'a dit. C'est un classique incontournable de la série, un des titres inépuisables de l'époque Dargaud.


Lucky Luke : La Guérison des Dalton est le 44ème album (le 13ème édité chez Dargaud) de la série, écrit par Goscinny et dessiné par Morris, sorti en 1975.
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Le professeur autrichien Otto Von Himbeergeist est convaincu que la psychanalyse peut guérir les criminels et obtient l'accès à un pénitencier où sont les Dalton, les specimens parfaits pour son expérience. Mais peut-on vraiment purger le mal de tels bandits sans risquer d'être contaminé ? Lucky Luke en doute et va devoir faire face à deux adversaires : la fratrie Dalton qui feint d'être guérie et le thérapeute viennois qui en profite pour déstabiliser le cowboy en le perçant à jour...
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Bien avant ce tome, dans Les Dalton se rachètent (dont le titre est suffisamment éloquent) et dans Les collines noires, couvaient les thèmes explorés dans cet opus : est-il possible de faire de criminels des gens honnêtes (autrement dit, les méchants ne sont-ils pas que des gentils dévoyés) ? Et la théorie résiste-t-elle à la dure réalité ?
La psychanalyse a aujourd'hui pénétré la bande dessinée en commentant ses textes et dessins, parfois de manière troublante, parfois plus abusive, et certains professionnels ont même signé des comics (comme Serge Tisseron avec ses Bulles de divan). Mais à l'époque où Goscinny s'empare du sujet pour l'appliquer à Lucky Luke, ce n'était pas si fréquent, et comme un fait exprès, c'est dans un hebdomadaire considéré comme le favori des intellectuels de gauche, Le Nouvel Observateur, que sera d'ailleurs pré-publié cette histoire, ajoutant à sa singularité - et lui donnant sans doute à tort un aspect atypique supplémentaire.
Néanmoins, c'est un épisode particulier, à l'humour moins franc, moins farcesque, que beaucoup d'autres : parodie de western, tantôt subtile, tantôt burlesque, mélange de comédie de situations et de portraits revisités de la légende du western, Lucky Luke ne s'est jamais caché derrière des sous-textes. Jusqu'à cette Guérison... qui est un volet plus désenchanté, amer et trouble/troublé/troublant du genre : en effet, il est évident que Goscinny aborde la psychanalyse avec circonspection, voire sarcasme, mais que cette cheville scénaristique lui permet de souligner, sans ambages, que l'Ouest des cowboys et des outlaws était un pays de sauvages, faussement civilisé. Pire que c'était un espace et un temps où la violence était en soi un moyen de survivre, qu'on l'emploie pour faire régner l'ordre ou semer le chaos.
A travers Himbeergeist, ce que Goscinny dit, c'est que tous les américains de ce far-west folklorique ne vivait que par les armes et ce qu'elles défaisaient de la civilisation : les Dalton confient que leur père leur a appris à être des bandits, qu'un de leur oncle a fini lynché (une sorte d'accomplissement puisque toute la famille a assisté à l'exécution comme à une remise de prix), et que leurs méfaits est le véritable ciment de leur fratrie puisqu'ils les commettent ensemble.
De même Lucky Luke est déstabilisé par le thérapeute viennois qui l'interroge de manière dérangeante sur son goût de la solitude (le cowboy ne serait-il pas au fond seul parce qu'incapable de vivre en société ?) et des armes à feu (le fameux substitut phallique, mais aussi le moyen primaire de règler les problèmes, qui le différencie peu des malfrats qu'il arrête). Rantanplan lui-même s'épanche sur sa filiation et Jolly Jumper observe tout ça avec un air dubitatif, plus inquiet qu'ironique...
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Réalisé deux ans avant la mort de Goscinny (et un épisode relationnel complexe avec lui, au sujet d'un contrat d'édition sur lequel ils ne s'étaient pas concertés), Morris ignorait qu'il illustrait le dernier scénario de son partenaire mettant en scène les Dalton. On peut cependant imaginer sa surprise devant ce récit atypique où l'action et l'humour étaient traîtés de manière plus allusive qu'à l'accoutumée.
Sans la mécanique des gags et de l'aventure classique, l'artiste n'est pourtant pas dépourvu et La Guérison... lui permet de déployer son génie en matière d'expressivité et de gestuelle. Il donne à Himbeergeist les traits du comédien allemand Emil Jaennings, ajoutant une gueule mémorable à une galerie déjà bien fournie. Mais surtout il souligne l'évolution des sentiments agitant les héros de l'histoire en montrant comment, par exemple, l'hystérie de Joe s'efface pour mieux abuser Lucky Luke, comment le même Lucky Luke est pris à son tour de colère parce qu'il ne comprend pas qu'on relâche (même pour les besoins d'une expérience médicale) les Dalton ou qu'il est ébranlé par les interprétations du psy sur sa sociabilité et sa violence... Bref, Morris sert à merveille le propos du script sans jamais chercher à en rajouter ou à le détourner vers l'action, l spectacle : il tire au contraire parti de l'aspect assez statique du récit, où le dialogue domine.
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Il n'est pas étonnant que cet épisode plaise tant à Daniel Pennac, créateur de personnages loufoques pris dans des situations décalées (lire la saga des Malaussène) : c'est sans doute le Lucky Luke le plus étrange et déroutant du prolifique run de Goscinny.

mercredi 24 novembre 2010

Critique 184 : LUCKY LUKE, TOME 40 - LE GRAND DUC, de René Goscinny et Morris

Lucky Luke : Le Grand Duc est le 40e album (le 9ème édité par Dargaud), écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1968.
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Lucky Luke est appelé à Washington pour une mission importante : escorter un dignitaire russe, le Grand Duc Leonide, qui veut de découvrir le Far West dont il a entendu parler dans les romans de Fenimore Cooper. En échange, un traité commercial sera signé entre les Etats-Unis et l'empire Russe.
Le voyage ne va pas être de tout repos car le Grand Duc et son aide de camp, Fedor, veulent connaître l'Ouest, le vrai, avec ses bandits, ses indiens, bref partir à l'aventure, insouciants du danger - en premier lieu celui incarné par un saboteur qui veut à tout prix les éliminer, sans se faire remarquer.
Lucky Luke déploie des trésors de ruse pour éviter que rien de fâcheux n'arrive à l'invité et s'ingénie à lui présenter un western de carte postale où tout est mis en scène (les bagarres de saloon, la rencontre avec un bandit... Qui s'avère être russe exilé, et enfin une attaque d'indiens... Joués par un régiment de cavalerie !).
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Goscinny a trouvé l'inspiration avec Potemkine, le ministre de la tsarine Catherine, capable de faire bâtir de faux villages pour sécuriser ses déplacements, et transpose cela dans le far west avec une drôlerie irrésistible. En 1871, le Grand Duc Alexis, fils du Tsar Alexandre II, accomplit un périple similaire, à bord d'un train de l' Union Pacific, réservé pour lui. Le scénariste en profite pour écrire un personnage énorme, dans tous les sens du terme, décalé et truculent, mais de plus en plus déçu par son voyage, jusqu'à l'étape finale où il peut enfin se défouler en croyant tuer des indiens.
Mais en vérité c'est un grand gosse, capricieux mais aimable, se préoccupant moins d'apprendre à connaître le pays qu'à en retrouver les aspects les plus folkloriques. Goscinny nous amuse avec le fait qu'il ne s'exprime qu'en russe (les bulles sont écrites en cyrillique) et les traductions improbables de Fedor, dont le physique minuscule offre un contraste comique très efficace inspiré par Laurel et Hardy, le gros et le petit. L'éxubérance du Duc et l'impassibilité de son aide de camp fournit un ressort éprouvé mais imparable.
Il faut auss mentionner le rôle secondaire tenu par Laura Leggs, objet de l'attention du Duc, très galant avec cette chanteuse de saloon qui, en retour, aidera Lucky Luke à sauver la vie du russe. Cette jolie fille honnête est traîtée avec les mêmes égards par les auteurs, qui n'ont pourtant pas toujours été tendres avec les femmes.
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Graphiquement, c'est aussi un album avec un Morris en très grande forme. A titre personnel, j'ai une préférence pour les aventures "mobiles" de Lucky Luke, ceux où il se déplace à la fois dans des pueblos aux noms et aux pancartes choisis ("Abilene. Pour le bétail : une étape. Pour les coyotes : un abattoir"), de grandes villes, et la nature sauvage. Dans ces tomes, Morris peut exprimer tout son génie du décor, parfois à peine représentés mais avec une justesse et une efficacité formidables. Le Grand Duc propose une belle variété d'environnements, mais aussi d'ambiance, croquées avec une élégance évocatrice admirable (la scène nocturne avec Texas Ripper en contre-jour).
Morris a également souvent montré un don fabuleux pour la caricature, donnant à des premiers et seconds rôles mémorables les traits de ses amis ou de personnalités qui ont ajouté au plaisir de la lecture de la série. Pour Léonide, il s'est inspiré de l'acteur Sydney Greenstreet (Le Faucon Maltais de John Huston) : une idée de casting brillante.
Et pour l'anecdote, on retiendra que Le Grand Duc était l'album préféré du dessinateur : c'est effectivement une des ses plus belles pièces (même si son chef-d'oeuvre est sans doute La Diligence).
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Quel plaisir, quel régal : 44 pages jouissives !

Critique 183 : LUCKY LUKE, TOME 45 - L'EMPEREUR SMITH, de René Goscinny et Morris

Lucky Luke : L’Empereur Smith est le 45e album (mais le 13ème édité par Dargaud)de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1976.
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A Grass Town, Lucky Luke rencontre Dean Smith, le plus riche éleveur de la région, devenu gentiment fou depuis qu'il a fait fortune : il s’imagine être l’empereur des Etats-Unis ! Grâce à son argent, il a engagé une petite armée et voue un culte à Napoléon 1er. Amusés par sa loufoquerie, les habitants de Grass Town jouent la comédie, mais la situation va se gâter quand le bandit Buck Ritchie réussit à approcher Smith et à le convaincre de lever ses troupes pour s'emparer de la ville (pour s'emparer de l'argent de la banque)...
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Selon la méthode qu'il a développée en devenant le scénariste de la série, Goscinny s'est inspiré d'un personnage authentique pour créer son empereur Smith : il s'agit, comme c'est expliqué à la fin de l'album, de l'excentrique Joshua Norton, qui perdit la tête mais après avoir fait faillite. Néanmoins, il s'autoproclama Empereur des Etats-Unis et Protecteur du Mexique, et les habitants de San Francisco ne le contrariaient pas, les journaux publiant même ses décrets.
Sur cette base, Goscinny, avec sa meilleure verve, brode une fable sarcastique sur le pouvoir, les courtisans, et la folie qui peut gagner ceux qui exercent le premier et ceux qui les entourent. Le scénariste mène son affaire sur un rythme soutenu, démontrant son aisance dans le gag et le comique de situation. Cette dernière est grotesque mais jamais Goscinny ne sombre dans la facilité et avec une lucidité mordante épingle cette société où tous (sauf Lucky Luke et le juge Barney) retournent leurs vestes par intérêt ou grisés par l'ascendant qu'ils acquièrent (ainsi le colonel Gates, qui, comme Iznogoud, une autre création de Goscinny, aimerait bien être empereur à la place de l'empereur).
L'auteur excelle aussi dans la caractérisation : Lucky Luke, en tant que tel, n'est pas un héros passionnant. C'est certes un cowboy indépendant, altruiste, courageux, conscient des absurdités du monde, fabuleux pistolero, justicier pugnace, mais il est surtout un témoin détaché, de passage, et bonhomme. Ce qui rend ses aventures drôles et palpitantes, c'est le contraste produit par ce héros impassible, les personnages délirants qu'il croise et la manière dont il rétablit l'ordre, ou plutôt la raison dans la folie ambiante.
Avec cet empereur, Goscinny tient un protagoniste de taille, capable d'éprouver le flegme du cowboy : à cet égard, la couverture où, interloqué, il est épinglé par Smith, tandis que Jolly Jumper s'esclaffe, résume parfaitement le contenu.
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Morris illustre cette histoire avec un savoir-faire redoutable : tout paraît tellement facile sous le crayon de ce maître de la bd franco-belge qu'on peut avoir la fausse impression qu'il dessine sans se forcer, en pilotage automatique.
Mais rien n'est plus erroné : d'abord Morris a l'intelligence de ne jamais en rajouter, confiant dans l'écriture ciselée de Goscinny, et ensuite un examen attentif de ses cases, de ses planches, de ses codes couleurs prouvent avec quel souci du détail, quelle science de l'effet, il est toujours juste dans l'action et l'émotion.
Lucky Luke est une bd mise en scène comme une chorégraphie, avec une rigueur implacable, mais qui ne se fait jamais sentir.
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Un véritable sommet de la série où la complémentarité entre Morris et Goscinny est d'une virtuosité épatante : immanquable !

mardi 23 novembre 2010

Critique 182 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 6 - LA CORNE DE RHINOCEROS, de Franquin


Une aventure de Spirou et Fantasio : La Corne de Rhinocéros est le 6ème album de la série, écrit et dessiné par Franquin (avec le concours de Rosy pour le scénario). Il est publié en 1955 par Dupuis, après Les Voleurs du Marsupilami et avant Le Dictateur et le Champignon.
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Fantasio entraîne, pour les besoins d'un reportage destiné au journal "Le Moustique", Spirou dans le cambriolage nocturne du grand magasin "Le Bon Bazar", sur le toit duquel ils atterrissent en fantacoptère.
A l'intérieur, ils découvrent les vigiles ligotés et leur ami Roulebille (rencontré dans le tome 4 : Spirou et les Héritiers) blessé à la suite d'une explosion à l'usine Turbot provoquée par deux bandits à ses trousses pour lui dérober les plans d'un futur prototype, la Turbotraction.
Roulebille confie aux héros la moitié des plans, l'autre étant en possession de son ami Martin (également rencontré dans le tome 4) en fuite. Surgit alors Seccotine, jeune reporter du "Moustique" enquêtant sur cette affaire, qui va aider Spirou et Fantasio à semer les tueurs et évacuer Roulebille.
Seccotine retrouve plus tard le tandem et leur apprend qu'en délirant Roulebille lui a dévoilé que Martin était parti pour une petite ville d'Afrique du Nord, Bab-el-bled. En préparant leur départ, Spirou et Fantasio ne se doutent pas que les tueurs les écoutent et découvrent où ils vont.
Une fois à Bab-el-bled, nos deux héros apprennent que Martin s'est déplacé en Afrique centrale, à M'saragba, et avec Seccotine, ils s'enfoncent dans la brousse, avec les tueurs sur leurs talons. Ils retrouvent Martin, blessé, tandis qu'un policier arrête leurs poursuivants.
Craignant pour sa vie, Martin a cependant confié les plans au roi des Wakukus, un des amis chef d'une tribu locale, à qui il a ordonné de les cacher dans un endroit inaccessible - en l'occurrence, dans la corne d'un rhinocéros... Au milieu d'un troupeau comptant 200 specimens !
Spirou retrouve les plans par hasard, dans la tête empaîllée d'un rhino, chez un marchand en pleine brousse, chez qui il s'était procuré du matériel de chasse.
De retour chez eux, les deux héros reçoivent en cadeau le premier exemplaire de la Turbotraction. Mais Seccotine, toujours à l'affut, en prend quelques photos, tenant là un scoop...

1ère apparition de Seccotine et de la Turbotraction ! Ces deux évènements sont au coeur de cet album jubilatoire, un des plus réussis de Franquin (qui, de toute façon, n'en a pas produit beaucoup de décevant...).
En 62 pages, l'auteur s'en donne à coeur joie dans ce récit faisant partie du cycle des voyages de Spirou et Fantasio : ce qui reste fascinant avec cette histoire qui date de plus d'un demi-siècle, c'est sa fraîcheur, l'énergie qu'elle porte et transmet.

La séquence du début dans le magasin est un modèle du genre : si on l'examine soigneusement (ce qui n'est pas si évident car le flux de lecture est tellement fluide qu'on peut seulement survoler les cases et tourner les pages afin de savoir ce qui va se passer, où cela va aboutir), Franquin s'autorise des libertés, des frivolités étonnantes. Fantasio crochète une serrure, se casse la figure dans un escalier, atterrit dans un landau, et finit sa course folle dans un tas de cartons, en faisant un boucan du diable (alors qu'il est sensé être silencieux puisqu'il simule un cambriolage). Franquin s'amuse constamment avec ce genre d'échappées dans le récit, pour le simple plaisir du gag, et en fait un morceau de bravoure qui, sans ralentir le cours de l'histoire, vient le pimenter (Fantasio a-t-il alerté les vigiles ? Non, car les vigiles sont déjà neutralisés, comme on va le voir, mais en plus il tance Spirou qui arrive en lui demandant à voix haute si tout va bien !). Cette scène est un clin d'oeil évident à celle de Charles Chaplin faisant du patin à roulettes dans un autre grand magasin dans Les Temps Modernes.

Franquin teste en permanence la résistance de l'élasticité de son récit en développant des péripéties qui pourraient le rallonger atificiellement, donc le ralentir, mais qu'il met en images de manière très dynamique, jouant sur le sens de la lecture, l'enchaînement des vignettes, le défilement des cases. Tout cela donne une impression incroyable de mouvement et contribue à optimiser le suspense, comme lorsque Spirou, Fantasio et Spip sèment les tueurs dans les rues de Bab-el-bled ou quand ils cherchent en vain à retrouver le rhinocéros dans la brousse.

La partie de chasse au rhinocéros est d'ailleurs l'occasion de démontrer la science "gaguesque" de Franquin, le seul dessinateur à rendre crédible le croche-patte d'un écureuil sur un éléphant. On s'étonne d'ailleurs qu'après avoir présenté le Marsupilami dans le tome précédent, l'animal ne fasse pas partie du voyage (mais il aura l'occasion de venir en Afrique, comme dans Le Gorille a bonne mine et d'y faire des siennes)...

Ce tome est plus centré sur l'aventure que sur la comédie cependant : la présence de tueurs lancés aux trousses des héros donne un aspect dramatique au récit car on craint pour leur vie. Il y est aussi question d'attentat (à l'usine Turbot), ce qui, lorsqu'on remarque que l'album date de 1955, peut passer pour une allusion à la guerre en Algérie (mais la série n'est pas encore politisée, comme ce sera le cas juste après avec l'explicite Le dictateur et le champignon ou le cycle de Zorglub).

L'autre nouveauté de taille est le personnage de Seccotine, à double titre : d'abord, il s'agit d'une femme, ce qui constituait une vraie audace dans une série légère des années 50, et ensuite, c'est une vraie héroïne, pas un simple-valoir ou une potiche. Elle fait face à Fantasio avec aplomb, se révèle dégourdie, pugnace, et sa relation avec les deux garçons est ouverte à bien des interprétations. Ses disputes avec Fantasio ne trahissent-elles pas une attirance entre eux ? Et la réserve de Spirou ne peut-elle pas être considérée comme de la timidité séduite ? Bien plus tard, la sexualité de Spirou sera au coeur du Journal d'un ingénu, le hors-série magnifique d'Emile Bravo, et dans le (pourtant peu inspiré) tome 50 (Aux sources du Z) Morvan et Yann font s'emprasser le groom et la journaliste pour que le premier, en plein voyage dans le passé, se débarrasse d'elle (avant de s'avouer qu'il a apprécié ce baiser...). En tout cas, Seccotine est un personnage irrésistible, comme Hergé a été incapable d'en créer un dans Tintin.

Album indispensable et fomidablement bien réalisé, ce tome 6 est un vrai classique et un des sommets de la période Franquin.

dimanche 21 novembre 2010

Critique 181 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 11 - LE GORILLE A BONNE MINE, de Franquin


Deux Aventures de Spirou et Fantasio : Le Gorille a bonne mine est le onzième album de la série, écrit et dessiné par Franquin, publié en 1959. Il contient deux histoires, Le Gorille... (42 pages) et Vacances sans histoires (18 pages).
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- Le Gorille a bonne mine : Spirou et Fantasio partent en Afrique pour y réaliser un reportage-photo sur les gorilles du mont Kilimakali. Une fois sur place, ils rencontrent d'abord deux ingénieurs d'une mine, Lebon et Leblond, qui leur affirment qu'il n'y a plus de singes dans la région où, par ailleurs, plusieurs disparitions d'indigènes ont été signalées.
Mais ces propos sur la présence des gorilles sont ensuite démentis par l'administrateur Badman et l'expédition part comme prévu. Elle va être perturbée par plusieurs incidents provoqués par les ingénieurs et qui ont raison de la motivation de Badman mais pas de Spirou et Fantasio continuent seuls.
Ils rencontrent alors les Wagundus sur le pied de guerre mais calmés par l'arrivée opportune du Dr Zwart, porté disparu.
Enfin, ils approchent les gorilles dont ils font des photographies sensationnelles. Mais, grâce à une piste flairée par le Marsupilami, Spirou et Fantasio découvrent ensuite que Zwart exploite avec Lebon et Leblond une mine d'or clandestine avec des indigènes comme esclaves. Nos deux héros libèrent les malheureux mais laissent les brigands se déchirer pour se partager leur trésor...

Originellement publié dans Le journal de Spirou sous le titre Le gorille a mauvaise mine, ce récit plus court que la moyenne, fait partie des classiques de la série et montre André Franquin au sommet de son art de scénariste et de dessinateur.

Datant de 1959, cette histoire préfigure l'intérêt pour les gorilles de Diane Fossey en 1963 : cette journaliste du National Geographic a connu la gloire avec son livre, puis avec un film où elle était interprétée par Sigourney Weaver, intitulé justement Gorilles dans la brume et qui lui permit de créer une fondation pour protéger l'espèce.

Dans cette aventure, Spirou et Fantasio partent en reportage comme des journalistes free-lance, et non pour le compte du journal "Le Moustique" ou du "Journal de Spirou" : cette situation sera reprise dans l'album suivant, Le Nid des Marsupilamis, et sa conférence vidéo sur l'étonnant animal.

Le Marsupilami vole régulièrement la vedette aux deux héros en permettant à Franquin de quitter les rails bien droits de son scénario pour des scènes merveilleuses de drôlerie où éclate son génie de la mise en scène. Qu'il flanque une rouste à un lion ou la frousse à l'ingénieur Leblond en lui tirant dessus accidentellement avec le fusil volé à Spirou, les exploits du Marsupilami fournissent des planches où la science du rythme, la fluidité du découpage, l'inventivité dee la composition de Franquin restent des modèles du genre. Songez que cet album a 51 ans et vous comprendrez le modernisme de cet artiste chez qui, mieux que tout autre, la suggestion du mouvement, l'art séquentiel (thérorisé par Will Eisner) sont exploités au maximum.

Sous son air de conteur sympathique, Franquin a tout au long de sa carrière dévoilé un engagement fort sur quelques thèmes, dont l'écologie est le plus important : ce sera manifeste avec Gaston Lagaffe, mais déjà dans ses Spirou et notamment dans Le Gorille..., cette préoccupation est présente. L'exploitation des richesses naturelles de l'Afrique, la menace de la disparition des grands singes, sont là pour en attester. Il dénonce aussi l'esclavagisme des indigènes, l'avidité des occidentaux. En contrepoint, il souligne l'hospitalité des africains, la beauté farouche des Wagundus, et son dessin est grisé par le décor de la savane dont il restitue à la fois l'ambiance hostile et ludique (là encore avec les escapades burlesques du Marsupilami).

Franquin s'est, c'est évident, documenté précisèment pour cette aventure : la carte du Congo encore belge est visible dans la 2 CV des héros, et ensuite le site de leur expédition est précisé (à 100 km au nord du Mont Karisimbi, dans la région du Kivu). La population locale s'exprime en Swahili, dialecte effectivement utilisé là-bas.

Le trait de Franquin n'a peut-être jamais été aussi beau qu'à cette époque : issu de l'école de Marcinelle, il est désormais bien défini et personnel. C'est un dessin rond, tout en souplesse, en délié, d'une élégance fabuleuse, qui perdurera jusque dans les débuts de Gaston Lagaffe (avant de devenir plus nerveux et encore plus vif).

Si vous voulez prendre un cours en abrégé de flux de lecture, savoir comment, sans recourir à des cadrages foutraques, composer une image, enchaîner des vignettes servant l'action de manière limpide et énergique, alors (re)lisez Franquin à cette époque : on n'a pas fait mieux depuis !
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- Vacances sans histoires : Fantasio veut profiter d'un congé tranquille, loin de tout souci professionnel et de tout ennemi potentiel. Il convainc Spirou, Spip et le Marsupilami de l'accompagner pour une ballade en Turbotraction... Mais c'est sans compter sur le roi du pétrole Ibn-Mah-Zoud, le pire conducteur du monde, daltonien et inconscient. S'arrêtant au Casino, il est laissé en plan par son chauffeur t confond sa propre Turbotraction avec celle de Fantasio, garée tout près. Il n'ira pas loin, mais assez pour effrayer tous ceux qu'il croise et désintégrer le véhicule lors d'une sortie de route dont il réchappe miraculeusement.
Ignorant comment cela s'est passé, Fantasio transforme une De Dion-Bouton 1918 en y incorporant des gadgets saugrenus puis persuade Spirou de l'essayer. De retour chez eux, les deux héros reçoivent la visite de leur ami Roulebille et Ibn-Mah-Zoud qui avoue tout et leur offre comme dédommagement le dernier modèle des automobiles Turbot, la Turbotraction II. L'émir repart avec la voiture rafistolée par Fantasio qui présente l'avantage de ne pas dépasser les 40 km à l'heure.

Cette histoire complète le volume et, bien que d'un intérêt relatif, a quand même le mérite de confirmer les qualités du récit précédent.

Sur une trame minimale, Franquin s'amuse et nous amuse en donnant libre cours à sa passion pour les automobiles et leurs équipements. Comme il le démontra avec Modeste et Pompon, il était féru de nouvelles technologies et de design - pour mieux en montrer les aspects délirants dans Gaston Lagaffe. La manière dont Fantasion "customise" avant l'heure sa De Dion-Bouton est le prétexte pour Franquin de plaisanter sur le caractère malicieux de Fantasio, pondéré par celui plus prudent mais volontaire de Spirou.

En parallèle, Ibn-Mah-Zoud éclipse les deux héros dès qu'il s'empare de la Turbotraction pour entraîner le lecteur dans une folle virée, où, là encore, la maestria de Franquin pour la mise en images est sidérante de dynamisme.

C'est également l'occasion de présenter pour la première fois Gaston Lagaffe (au début et à la fin de l'histoire), de re-faire parler le Marsupilami, et de placer la nouvelle Turbotraction (aux airs de DS futuriste).

Qu'ajouter ?

Houba-houba !

samedi 20 novembre 2010

Critique 180 : ASTRO CITY : THE DARK AGE 1 - BROTHERS & OTHER STRANGERS, de Kurt Busiek, Brent Anderson et Alex Ross

Astro City - The Dark Age 1 : Brothers and Other Strangers rassemble les Livres 1 et 2 de ce nouveau cycle de la série, comptant chacun quatre épisodes. Il s'agit du premier recueil de cette saga en 16 chapitres, dont la suite et fin paraîtra dans l'album Astro City - The Dark Age 2 : Brothers In Arms (avec les Livres 3 et 4).
L'histoire est écrite par Kurt Busiek et illustrée par Brent Anderson, qui co-signe les designs avec Alex Ross, auteur des couvertures.
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The Dark Age est une épopée : 16 épisodes, quatre Livres, un projet follement ambitieux et exaltant pour les fans de cette série mémorable (sans doute la plus belle réussite du label Wildstorm de DC Comics avec Planetary).
C'est aussi une plongée dans le passé puisque l'action se déroule dans les années 70 et va dévoiler une des énigmes centrales de la série (la vérité sur Silver Agent).
Comme à son habitude, dans ses meilleures oeuvres (comme Marvels), Kurt Busiek relate les évènements du point de vue de l'homme de la rue tout en revisitant les grands classiques des comics super-héroïques de DC et Marvel.
The Dark Age poursuit dans cette veine et comme le titre l'indique, c'est une période trouble qui est racontée dans cette aventure commençant en 1959 (Prologue), continuant en 1972 (Livre 1) et 1977 (Livre 2), où la confiance et la foi accordées aux super-héros d'Astro City va quitter ses habitants.
Busiek situe son récit alors que la guerre du Vietnam s'enlise et que l'affaire du Watergate va éclabousser la présidence de Richard Nixon. Dans ce contexte, deux frères - Charles et Royal Williams - , ayant perdu leurs parents dans un affrontement entre héros et vilains, ont pris des chemins résolument différents, correspondant à leurs visions du monde depuis ce drame (désenchantée pour Royal, frustrée pour Charles) : le premier est devenu simple flic, le second un malfrat sans envergure. Chacun dans leur camp, tout en restant proches (jusqu'à ce que Royal désapprouve la liaison de Charles avec une certaine Darnice), sont les témoins des bouleversements traversés par la communauté qui les entoure.
Les deux points culminants de ces années noires seront la déchéance du Silver Agent et l'ascension du Deacon. Le destin du premier était resté mystérieux depuis le début de la série, on savait seulement qu'il était considéré comme une honte pour les autres justiciers mais on ignorait pourquoi : on va apprendre que, devenu l'instrument de forces supérieures (et encore nébuleuses), il a tué le Maharadjah de Maga-Dhor, un homme aussi puissant que suspect, et ce crime le conduira sur la chaise électrique - mais est-il vraiment mort ? Le parcours du second est également éclairci : bras-droit du grotesque caïd Joey "Platypus" Platapopoulos, il orchestre une guerre des gangs pour devenir seul maître du crime organisé de la ville - il s'adjoindra pou cela les services d'Aubrey Jason, responsable de la mort des frères Williams.
Un troisième niveau de lecture s'établit avec la vengeance de Black Velvet, éliminant les hommes qui l'ont dôté de pouvoirs monstrueux, entraînant dans son sillage Street Angel, véritable symbole des justiciers apparaissant à cette époque. Les actions de Black Velvet vont provoquer des ravages la dépassant et impliquant les Apollo 11 (des héros cosmiques), la First Family (l'équivalent des FF et Challengers de l'Inconnu) ou le magicien Simon Magus. La fin de The Dark Age devrait faire la lumière sur les raisons pour lesquelles ces acteurs doivent négocier avec une menace bien plus globale, dont la présence de l'Incarnate (un géant immobile et immatériel planant sur la ville) est la manifestation la plus marquante.
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Busiek est donc revenu à une structure narrative feuilletonnante, comme dans les tomes 2 (Confession) et 4 (The Tarnished Angel), mais en développant une trame bien plus vaste, s'étalant sur une décennie et mettant en scène quantité de personnages, gravitant autour de la fratrie Williams.
Le premier tour de force de cette première moitié de la saga est qu'elle reste abordable par le néophyte, tout en donnant évidemment des réponses appréciables et attendues au fan de la première heure.
La révèlation la plus notable concerne évidemment le Silver Agent : on découvre pourquoi et comment ce héros iconique d'Astro City est aussi évoqué depuis le début comme la honte de sa communauté. Sa tragédie permet à Busiek de synthétiser tout ce qui va aller de travers dans la ville (et par extension dans le monde des 70's), ce qui a suscité la méfiance, le mépris, la colère, l'incompréhension. Evoquée en parallèle, de façon discrète mais efficace, la situation politique dee l'époque donne du souffle à tout cela et élève l'histoire au rang de saga - ou comment, à partir du matériau de base (un comic-book de super-héros), parler de l'Histoire avec un grand "H". C'est magistral, à la fois épique et toujours subtil : le Silver Agent a-t-il chuté, comme son pays, en commettant une folie ou a-t-il voulu se sacrifier en acceptant de devenir le jouet de forces supérieures ? La réponse n'est pas pour tout de suite mais Busiek montre parfaitement comment le geste d'un individu peut déclencher un chaos général et durable car sa signification échappe à la raison.
En animant plusieurs autres super-héros, dont la plupart agisse dans la rue ou l'espace, le scénariste rend aussi un hommage aux créations apparues à cette époque dans les comics : les années 70 furent celles de Luke Cage, d'Iron Fist, du Ghost Rider, du Creeper, mais aussi des aventures cosmiques des Fantastic Four, des Avengers, de la JLA, des New Gods. Tout cela est ré-interprété avec brio à travers les figures de Black Velvet, Street Angel, Simon Magus, la First Family, l'Honor Guard : Busiek conserve cet art incroyable de mêler références encyclopédiques et facilités à introduire le lecteur ignorant à ces histoires.
Enfin, passé maître dans ce style "légendaire", il a bâti sa fresque sur une paire de personnages "ordinaires" auxquels on peut s'identifier plus aisèment, et dont les regards sur les évènements nous guident. Les trajectoires de Charles et Royal Williams sont marquées du sceau de l'ironie puisque leur vie bascule avec l'intrusion des méta-humains dans leur quotidien, déterminera toutes leurs philosophies de l'existence et permettra même de découvrir qui est le véritable responsable de leur sort. Busiek évite avec soin de décrire Charles comme un modèle de vertu et de maturité - il est aussi un homme crédule face à celle qu'il aime, un flic lâche refusant certes la corruption mais ne la dénonçant pas non plus, et un frère rancunier - , ni Royal comme un vrai malfaisant - il n'est qu'une petite frappe sans envergure, peureux, mais fidèle et qui se sacrifiera le moment venu.
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Visuellement, Brent Anderson livre une copie impressionnante. Son découpage et même son style ont quelque chose de brut, mal taillé, pas toujours beau. Mais en vérité, cela a peu d'importance car son dessin est vrai : il traduit à merveille le tumulte, la confusion, le côté brouillon et peu élégant de cette époque.
Cette authenticité se révèle dans la justesse apportée aux expressions, aux décors, aux vêtements, et c'est en fait dans les détails qu'Anderson prouve à quel point sa contribution à Astro City est essentielle. Les illustrations qu'il fournit donne de l'épaisseur, de la chair, de la consistance, une texture unique à ce projet fou et irrésistible, véritable mixeur d'univers en même temps qu'il en fabrique un autre totalement original.
Sans Brent Anderson, Astro City n'aurait pas ce charme et cette force.

Et il faut ajouter à cela la toujours impressionnante galerie de personnages imaginée avec Alex Ross, également auteur de ses plus belles couvertures : travail colossal, insensé, comme de créer une équipe de 11 héros juste pour rendre hommage aux missions spatiales de la Nasa... Un exemple parmi tant d'autres qui devrait suffire à convaincre n'importe qui de se plonger dans cette série.
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Si le second volume est à la mesure de celui-ci, cet "Age Sombre", condensé de Civil War et Dark Reign, teinté de nostalgie, devait figurer en bonne place parmi les incontournables des comics modernes, à côté des tomes précédents de la série.

vendredi 12 novembre 2010

Critique 179 : LUCKY LUKE CONTRE PINKERTON, de Pennac, Benacquista et Achdé

Lucky Luke contre Pinkerton est le quatrième tome des aventures de Lucky Luke d’après Morris. Le scénario est signé Daniel Pennac et Tonino Benacquista et les dessins sont de Achdé.
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Lucky Luke, la légende de l'Ouest, va-t-il devoir prendre sa retraite ? C'est ce que laisse penser l'apparition d'un nouveau personnage, se définissant comme « la loi en personne, le bras justicier du président Lincoln, le nouveau héros du pays », alias Allan Pinkerton. Le fondateur de la première agence de détectives privés aux Etats-Unis et garde du corps d’Abraham Lincoln a en effet entrepris de remplacer le cowboy et de rétablir l'ordre dans le pays en appliquant la "tolérance zéro" et le fichage systématique.
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S'inspirant d'un fait réel (le complot de Baltimore), comme le faisait René Goscinny, les romanciers Daniel Pennac et Tonino Benacquista ont imaginé une aventure très rythmée, parfois drôle, mais aussi étrangement mélancolique et contemporaine, faisant feu de tout bois.
La critique du fichage des citoyens, de la rumeur d’un attentat, de la suspicion et la délation, de l’emprisonnement abusif et la surpopulation carcérale, donne à ce tome de Lucky Luke une coloration nettement politique, même si les auteurs jurent n'avoir voulu que divertir sans dénoncer.
En tout cas, comme Vehlmann et Yann avec le 51ème Spirou (Alerte aux Zorkons), les deux scénaristes font souffler un vent de renouveau dans une série qui s'essouflait, soignant les dialogues, les situations, revenant aux basiques tout en s'en moquant (l'hystérie de Joe Dalton qui se plaint de ne plus être arrêté par Lucky Luke).
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Mais l'excellence de l'écriture ne doit pas masquer la déception graphique : Achdé a pris la succession du génial Morris en reproduisant son trait, sans égaler son brio. Là où un titre comme Spirou a toujours su (avec plus ou moins de bonheur, certes) accueillir des styles différents, empêchant la série de se figer dans l'âge d'or de Franquin, Lucky Luke (comme Blake et Mortimer) n'a pas su s'offrir un artiste capable de le réinventer, d'oser une nouvelle approche.
Cela se laisse lire, mais on ne peut éviter d'imaginer ce que cela aurait pu être avec un peu plus d'originalité visuelle : Achdé est un faussaire, il imite plus qu'il ne dessine, et il ne dessinera jamais aussi bien que Morris, dont la virtuosité en faisait l'égal des monstres sacrés du 9ème art franco-belge (Hergé, Jijé, Franquin...).
Dommage.
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Un album inégal, rédigé avec talent, mais mis en images pauvrement.

mardi 9 novembre 2010

Critique 178 : RUNAWAYS, Vol. 1 (#1-18), par Brian K. Vaughan, Adrian Alphona et Takeshi Miyazawa


Pride and Joy (Runaways #1-6)
(Avril - Septembre 2003)
Teenage Wasteland ( Runaways #7-12)
(Octobre 2003 - Février 2004)
 The Good Die Young (Runaways #13-18)

(Mars 2004 - Juillet 2004)

Comme toutes les grandes et bonnes séries, Runaways repose sur un postulat simple : comment réagiriez-vous si, encore adolescents, vous découvriez que vos parents étaient des criminels ? C'est ce qu'apprennent accidentellement, une nuit, Alex, Karolina, Nico, Gert, Chase, et Molly en surprenant leurs parents tuant lors d'une cérémonie occulte une jeune fille de leur âge. Résolus à en savoir plus mais voulant échapper au même sort, ils décident de fuguer, après avoir dérobé chez chacun de leurs géniteurs divers objets les dôtant de pouvoirs, et particulièrement un grimoire riche en enseignements sur leur passé. En vérité, les Wilder, Dean, Minoru, Yorkes, Stein et Hayes forment un groupuscule, The Pride, dont six d'entre eux, choisi par des divinités, les Gibborim, deviendront immortels après avoir transformé la Terre en un monde meilleur.
La police locale (l'action se situe à Los Angeles, Californie) est sous le contrôle de cette petite organisation, et les enfants ne peuvent donc compter sur elle pour les aider. Ils entreprennent alors de devenir des justiciers pour contrebalancer les agissements maléfiques de leurs parents, mais avec le risque permanent d'être localisés et stoppés.
Les Fugitifs sont :
- Nico Minoru alias Sister Grimm, fille d'un couple de magiciens dont elle possède une lance (the Staff of One) ;
- Chase Stein, fils de deux inventeurs auxquels il a volé des gants cracheurs de feu ;
- Gertrude Yorkes, fille de voyageurs temporels, accompagnée par un vélociraptor trouvé dans la cave familiale et auquel elle est mentalement reliée ;
- Karolina Dean, fille de deux acteurs, venus d'une autre planète, aux pouvoirs lumineux et capable de voler ;
- Molly Hayes, la benjamine, mutante comme ses parents, dôté d'une force herculèenne ;
- et enfin Alex Wilder, le leader, pourvu d'un sens stratégique supérieur à la moyenne.
Pour ne rien arranger, un traître est dans leurs rangs, comme le leur dévoile le Lieutenant Flores, lancé à leurs trousses...
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Runaways est une série créée par le scénariste Brian K. Vaughan et le dessinateur Adrian Alphona, publiée par Marvel Comics pour le label Tsunami (voué à attirer de nouveaux jeunes lecteurs, notamment des fans de mangas). Ensemble, ils ont signé deux volumes, le premier comptant 18 épisodes rassemblés en trois albums, le second comptant 24 épisodes rassemblés en quatre albums, édités de 2003 à 2007.
Cette production a pour héros des adolescents et Vaughan en a profité pour glisser de nombreuses références à la pop-culture (chanson, cinéma) et à sa propre vie.
Dans le pitch proposé à Marvel, Karolina Dean se prénommait d'abord Leslie - son nom de famille, comme on l'apprend dans l'épisode Eighteen (vol. 1, #18) est emprunté à James Dean, et ses parents sont d'ailleurs des acteurs.
Molly Hayes est le nom de la soeur cadette de l'auteur, Molly Hayes Vaughan. Le personnage devait également avoir non pas 11 mais 13 ans.
Nico Minoru s'appelait d'abord Rachel Messina. Chase Stein se prénommait initialement John et Gert, Gertie.
Quant à Catherine Wilder, la mère d'Alex, elle a été dessinée pour ressembler d'abord à la chanteuse Sade.
On peut encore remarquer que Gert se rebaptise Arsenic après avoir nommé son compagnon vélociraptor Old Lace, référence au film Arsenic et vieilles dentelles (Arsenic and old lace), de Frank Capra (1944). Karolina prend pour pseudonyme Lucy in the sky, hommage évident à Lucy in the sky with diamonds de Beatles (figurant sur l'album Sergeant Pepper's lonely heart club band, 1966). Chase veut s'appeler Neo, comme le héros du film Matrix (1999), de Larry et Andy Wachowski, incarné par Keanu Reeves. Quant à Sister Grimm, le nom de code choisi par Nico, il doit être inspiré par Sisters Grimm, la série écrite par Michael Buckley et illustrée par Peter Ferguson.
L'autre qualité de la série tient à ce qu'il est inutile d'être familier ou même particulièrement fan des super-héros pour l'apprécier. Quelques personnages célèbres de Marvel font des apparitions à la toute fin, comme Captain America, et dans le 2ème tome, le temps de deux épisodes, Cloak and Dagger (la Cape et l'Epée, deux créations de Bill Mantlo, ancêtres des Runaways puisqu'il s'agissait de deux ados dôtés de pouvoirs après avoir fugués et avoir été drogués) croisent leur route. En dehors de cela, Vaughan et Alphona ont évacué tous les clichés attachés au genre : pas de costumes (à part pour certains parents), pas de grandes bastons spectaculaires (sauf lors du dénouement), pas de hordes de méchants...
En revanche, le scénario est redoutablement efficace, ménageant des rebondissements haletants (l'intégration de Topher, la révèlation du traître) sur un rythme soutenu : on dévore ces 18 épisodes sans s'en rendre compte, sans s'ennuyer une seconde, avec des personnages fortement et subtilement caractérisés, aux relations habilement développées jusqu'au bout. Vaughan réussit l'exploit de ne jamais tomber dans la facilité, la mièvrerie, les clichés de l'adolescence. Il s'en amuse parfois, en commençant par l'argument de départ, mais sans jamais se moquer de ses personnages. Les dialogues sonnent justes. C'est vraiment exemplaire et cela confirme tout le bien que l'on pouvait penser de cet auteur, déjà si bon quand il devait animer des personnages comme les Ultimate X-Men.
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Il m'a fallu un peu de temps pour m'habituer au graphisme d'Adrian Alphona, mais une fois accoutumé, son trait fin, d'une impeccable élégance, excellent dans l'expressivité, est un régal pour les yeux. Tout juste peut-on lui reprocher parfois de cadrer d'un peu trop près l'action ou de ne pas donner assez d'ampleur à la gestuelle de ses personnages, mais cela ne suffit pas à gâcher le plaisir.
Et quand il est suppléé par Takeshi Miyazawa, les craintes de se trouver avec un dessin plus manga sont aussitôt dissipées : c'est un exemple de fill-in à la fois intelligent et efficace.
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Découvrez Runaways, c'est tout simplement une des meilleures créations originales récentes de Marvel : un vrai bol d'air frais, merveilleusement écrit et mis en images !

mercredi 3 novembre 2010

Critique 177 : JLA - ANOTHER NAIL, d'Alan Davis

JLA : Another Nail est une mini-série en trois volets publiée en 2004 par DC Comics dans la collection "Elseworlds". Ecrite et dessinée par Alan Davis, cette histoire est la suite de JLA : The Nail (1998).
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JLA : The Nail et Another Nail sont des récits appartenant à la gamme "Elseworlds", donc en dehors de la continuité classique de DC Comics. Dans le premier tome, Alan Davis imaginait comment le monde aurait vécu sans Superman, qui n'apparaissait qu'à la toute fin de l'histoire où il intégrait la Ligue de Justice aux côtés de Green Lantern, Wonder Woman, Atom, Flash, Hawkwoman, Martian Manhunter et Aquaman. Au coeur d'une intrigue épique, un segment impliquait New Genesis, le monde des New Gods, et Apokolopis, l'antre de Darkseid, entre lesquels éclatait un conflit, sans qu'on en connaisse l'issue : c'est ce sur quoi revient Another Nail.

Un an après les évènements relatés dans The Nail, nous apprenons comment, sur le point d'être vaincu, Darkseid a voulu anéantir le cosmos avant d'en être empêché par Big Barda, Mr Miracle et le Green Lantern Corps. Mais la mort du vilain laisse la JLA dubitative et ses membres décident d'enquêter.
Cependant, Oliver Queen/Green Arrow agonise dans son lit d'hôpital, veillé par Black Canary, dont les Outsiders cherchent un moyen avec l'aide du Dr Fate de ressuciter leur ami Metamorpho (apparemment tué dans The Nail).
La situation se gâte pour la JLA après que Superman ait eu un malaise à la suite d'un affrontement aux côtés du Martian Manhunter contre Despero et Evil Star. J'onn J'onzz examine son partenaire pour tenter de comprendre sa défaillance et lui prescrit du repos, mettant cela sur le compte de sa suractivité durant l'année écoulée. L'homme d'acier va donc à la rencontre des Kent en compagnie de la journaliste Lois Lane.
Entretemps, un groupe formé de Power Girl, Black Orchid et Star Sapphire dérobent au Dr Magnus et ses Metal Men l'androïde Amazo (responsable de la mort de Hawkman et des blessures de Green Arrow). Cet évènement coïncide avec l'attaque d'autres héros par des sbires de Darkseid... A ce stade, plusieurs acteurs apparaissent ou reviennent - comme Deadman, Zatanna, la Doom Patrol, le Syndicat du Crime, et le Phantom Stranger (lequel semblant manipuler plusieurs protagonistes, mais dans quel but ?) - , suggérant des perturbations dans le multiverse et le monde de la magie, pertubations se concrétisant de manière spectaculaire par le transport de Wonder Woman et Aquaman dans la préhistoire.
La situation empire encore lorsque le Spectre lui-même est agressé, alors que Superman et Lois Lane ignorent tout de cela dans le calme de Smallville (où ils sont suivis par Eclipso). Batman, traumatisé par la mort de Robin et Batgirl (dans The Nail), est également déboussolé lorsqu'il retrouve le Joker, revenu à la vie et pourvu de pouvoirs magiques.
La crise culmine avec la collision de plusieurs protagonistes de dimensions et d'époques diverses dans le ciel de Metropolis - Jonah Hex comme Omac ou les Blackhawks et Adam Strange surgissent de nulle part. C'est alors qu'Amazo réapparaît !
Superman réagit pour tenter de rétablir le cours de la réalité en neutralisant la force maléfique à l'origine de ce chaos, mais il échoue. Le Joker et Batman se déchirent une dernière fois tandis qu'Amazo, désormais hôte d'Oliver Queen, se sacrifie pour restaurer le cours des choses. Wonder Woman et Aquaman reviennent au temps présent et les autres héros et vilains retournent dans leurs mondes. Batman, débarrassé de son pire ennemi et de ses démons intérieurs, peut alors rejoindre la Ligue, maintenant que le plan posthume de Darkseid a échoué.
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Difficile de résumer de manière intelligible le récit hyper-calorique concocté par le chef Alan Davis : plus encore que dans The Nail, il fait ici feu de tout bois, quitte à perdre le lecteur en route...
Cette suite tardive (6 ans après) de son premier album n'a en effet pas le même charme et pâtit de sa richesse, comme si, en 160 pages, Davis avait voulu revisiter Crisis on Infinite Earths de Marv Wolfman et George Pérez (qui compte 200 pages et 9 chapitres de plus quand même). Qui trop embrasse mal étreint...

La densité énergique des scripts de Davis, qui fait merveille dans une production comme The ClanDestine, plombe son entreprise ici : trop de personnages, trop d'actions, trop de rebondissements, n'en jetez plus, la coupe est pleine et même elle déborde ! C'est dommage car l'imagination de cet immense artiste et son aisance à animer le DCverse aurait, dans un format plus décompressé, sur davantage d'épisodes, pu composer une saga à la fois aussi mouvementée mais surtout plus digeste.

En vérité, Another Nail semble être plus un comic-book de dessinateur que de scénariste tant il est frappant que Davis a voulu employer le maximum de héros (et vilains) que raconter une histoire dans laquelle chacun aurait vraiment un rôle à jouer. Ainsi, le cas d'Oliver Queen transformé en Amazo qui se sacrifie pour prouver qu'il avait sa place dans le panthéon des héros qu'est la JLA a de quoi faire grimacer le fan le plus indulgent. De même qu'il est gratuit de convoquer le temps d'une double-page (certes impressionnante, mais à la limite de la lisibilité) une flopée de personnages que seuls des experts de DC identifieront, tout cela dans l'unique but de souligner le chaos galactique régnant à ce moment-là de l'histoire (comme si ce n'était pas suffisamment clair auparavant).

La jubilation de Davis-le dessinateur ne parvient pas à estomper le sentiment de gavage de son scénario : il représente avec un brio époustouflant n'importe qui, n'importe quoi, mais on sort de cette lecture assommé, épuisé, avec une impression de gâchis non seulement par rapport au tome précédent (dont l'argument était original et servait un pitch tout aussi alambiqué mais mieux développé) mais également par rapport à ce qu'une suite pouvait apporter. A la rigueur, tant qu'à s'intéresser au DCverse, peut-être Davis aurait-il été plus inspiré d'évacuer la JLA (et même Batman, dont l'affrontement avec le Joker s'intègre vraiment mal à l'ensemble) pour donner les premiers rôles à la Doom Patrol et/ou les Outsiders.
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C'est un échec, quel que soit l'admiration qu'on puisse porter à Alan Davis : cela n'entame pas le crédit qu'on lui porte, mais on peut définitivement (hors ClanDestine, voire Excalibur) le préférer en "simple" artiste qu'en scénariste après cet Autre Clou...

lundi 1 novembre 2010

Critiques 176 : REVUES VF NOVEMBRE 2010

X-MEN 166 :

Bon, on va pas se mentir et faire durer le suspense : ce n'est pas un bon numéro et je ne l'ai acheté que parce que Clay Mann illustre la série X-Men Legacy (et je continuerai tant qu'il y sera et parce que la revue est une des moins chères de Panini, mais c'est tout).

- X-Men 521 : Nation X-Vibration.

C'est pas compliqué de merder une série : vous prenez un scénariste qui n'a aucun sens du rythme, qui écrit très mal un récit en narration parallèle, et vous ajoutez un dessinateur qui ignore ce que composer une image lisible sans pomper tout et n'importe quoi sur des photos de catalogues, et voilà, en voiture Simone !

Donc, d'un côté, Magneto fait du yoga sur une montagne pour ramener Kitty Pryde sur Terre, et de l'autre, Wolverine, Psylocke, Colossus et Fantomex se battent avec des espèces de voleurs de pouvoirs mutants dans une chambre d'hôtel (qu'ils ravagent sans déranger la police de New York !). C'est tout.

Matt Fraction a un don certain pour endormir le lecteur (son Iron Man en témoigne) et dégoûter le fan des X-Men. A sa manière, c'est un mutant. Mais ça reste une énigme que Marvel ne l'éjecte pas tellement on s'emmerde. Et dire qu'il va s'occuper de Thor ! Au secours !

Greg Land s'est, semble-t-il, lancé un nouveau défi : "dessiner" des personnages masculins dont les biceps sont plus gros que la tête. Ses filles affichent toujours des sourires "colgate" figés ou grandes ouvertes. Tout le monde paraît poser pour un photographe hors-champ. Les scène d'action sont des prodiges de n'importe quoi, les vignettes s'enchaînent avec un abus très prononcés pour les gros plans : si cela est sensé signifier la confusion, c'est un chef-d'oeuvre. Sinon c'est d'une effarante nullité.

Bad vibes !

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- X-Men Lecagy 231 : Sur deux fronts (1).

Intégrée au crossover Necrosha (avec les Nouveaux Mutants et X-Force - dans la revue "Astonishing X-Men"), la série a le mérite de rester abordable même si on n'a pas suivi les évènements de près.

Séléné a ressucité des mutants noirs et les envoie attaquer Utopia (le refuge des X-Men au large de San Francisco)... Et, d'après un avertissement lancé par Destinée à Blindfold, l'île de Muir. Cyclope y envoie Diablo, Colossus, Malicia, Magneto, Psylocke, Trance et Husk. Sur place, tout paraît calme mais un vieil ennemi rôde...

Mike Carey n'a pas toujours été inspiré dans les épisodes que j'ai lus mais au moins s'emploie-t-il à mener son récit avec vivacité et des personnages bien caractérisés. L'ambiance de guet-apens est bien restituée, le dénouement fait envie. Tout ça est encadré par une histoire qui n'est pas le fait de l'auteur mais avec laquelle il se débrouille bien.

Clay Mann livre des planches de toute beauté (même si l'encrage de Danny Miki, Allen Martinez et Walden Wong y ajoute des fioritures dispensables) : le découpage est nerveux, la lisibilité parfaite, et il croque des personnages (en particulier ses héroïnes) en leur donnant de l'allure.

Good vibes !

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- Les Nouveaux Mutants 7 : Necrosha - Troyen.

J'avais bien aimé le premier arc de Zeb Wells et Diogenes Neves, à l'origine du relaunch de la série : hélas ! je les retrouve bien moins en forme, qui plus est pris dans le cross Necrosha.

Doug Ramsey, un des anciens de l'équipe, est manipulé par Séléné et vient de blesser gravement Magma (la petite-fille de la méchante) et de décapiter Warlock. Dehors, comme on a pu le voir dans X-Men Legacy, c'est l'heure de la bagarre entre revenants et mutants. Pour corser encore un peu plus un plat déjà alambiqué, les Hellions surgissent...

N'en jetez plus ! Fichtre, ce n'est pas bon, mais alors pas bon du tout ! Zeb Wells part dans tous les sens et son récit avec : où est passé le scénariste inspiré des premiers épisodes ? Noyé dans une saga dont les péripéties sont bien plus palpitantes dans X-Men Legacy ? En tout cas, on tourne les pages en perdant progressivement son intérêt pour ce qu'on nous raconte.

Neves a lui aussi perdu de son allant : les décors sont bâclés (quand il y en a), et visiblement il a du mal avec tous les personnages qui se bousculent au portillon. Le découpage est brouillon. Ce n'est ni fait ni à faire.

Re-bad vibes !

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- Dark X-Men 4 : Voyage au centre du bouffon (4).

Parlons peu, parlons bien : c'est effroyable !

Paul Cornell et Leonard Kirk (à qui il faut urgemment redonner un encreur), le tandem qui m'avait régalé sur Captain Britain & The MI 13, est méconnaissable sur cette mini-série totalement dispensable (encore une grande "réussite" inspirée par le "Dark Reign").

Mal écrite, affreusement illustrée, cette production est fatiguante de médiocrité. Zappez, zappez vite ! Hé, ça tombe bien, c'est la fin de la revue !

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Bilan : rendez-vous le mois prochain pour la suite de X-Men Legacy. Et penser à amener une pelle pour continuer de creuser la tombe des X-Men, en prévoyant un trou assez grand pour Dark X-Men. SIEGE 2 :

- Siege (2).

La guerre fait rage au-dessus de Broxton (Oklahoma) où les forces du HAMMER menées par Osborn et ses Dark Avengers ont lancé leur assaut sur Asgard. Thor est en fâcheuse posture et Arès, pourtant dans le camp de ses adversaires, va comprendre la duperie de son chef mais ce dernier dispose d'un redoutable atout dans sa manche avec Sentry... Cependant, les Nouveaux et Jeunes Vengeurs ainsi que les Secret Warriors de Nick Fury se préparent à rejoindre le champ de bataille sous la direction de Steve Rogers...

La "phase 2" du siège d'Asgard écrite par Brian Bendis montre une nette montée de la violence, dont le sommet est le sort réservé à Arès, le dieu de la guerre. Cette scène constitue le "clou" du spectacle et présente, à mes yeux, à la fois une qualité (montrer la dangerosité de Sentry, et par conséquent celle d'Osborn) et un défaut (imposer au récit et donc au lecteur un instant de barbarie discutable). Bendis a conçu ce moment fort avec la volonté affichée de choquer et de signifier que les morts ne se relevèraient pas : l'illustration du script est saisissante mais dérangeante. Je pense que l'auteur aurait pu aboutir au même résultat sans emprunter une approche aussi frontale, mais cela redéfinit également les limites du genre. En mieux ou en pire ? Nous verrons, à commencer par la manière dont Bendis re-présentera la violence dans le futur, en osant ou pas être aussi brutal. Personnellement, encore une fois, cette déjà fameuse double-page m'a un peu gênée, d'autant plus qu'elle détone chez le scénariste (même si, par exemple, la scarification de Bullseye dans Daredevil était déjà mémorable) - alors que chez un Millar, elle aurait été presqu'attendue et sans doute traîté avec sarcasme.

Pour le reste, Bendis restitue avec justesse le chaos de la bataille, son aspect épique, et montre Thor à la fois affaibli et déterminé à ne pas céder. Cela laisse entrevoir un duel spectaculaire avec Sentry et l'arrivée de renforts comme la dernière planche le montre (planche d'ailleurs refaîte à la demande de Joe Quesada pour en renforcer l'impact).

Olivier Coipel se taille la part du lion en livrant des planches explosives : certes, il néglige un peu les décors mais son dessin dégage une énergie, une puissance et une élégance (avec les soutiens de son encreur Mark Moralès et des couleurs de Laura Martin) éclatantes. Comment ne pas jubiler devant cette autre double-page où Steve Rogers fait face à ses troupes ? Dommage que Panini n'en ait pas proposé une version en poster en bonus...

Cet event tient ses promesses : c'est nerveux et on en prend plein les yeux !

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- Siege : Journal de Guerre (2).

De leur côté, Ben Urich, son ami cameraman Will, et Volstagg poursuivent leur route vers Broxton. Ils recueillent les témoignages de citoyens "intoxiqués" par la propagande de Todd Keller tout en étant bientôt repérés par les forces du HAMMER à la recherche du fugitif asgardien...

Brian Reed signe un script à la fois désanchanté, dans lequel transparaît la désillusion des années Bush (incarnées par Iron Man puis Iron Patriot), avec un peuple américain sous influence, et humoristique, grâce à la présence du truculent Volstagg (qui, comme Obélix, s'ennuie vite loin de la bataille et a toujours faim). Cela sonne toujours juste, les dialogues sont sobres et les situations a priori anecdotiques contrebalancent habilement celles de la saga orchestrée par Bendis.

Chris Samnee est vraiment un choix merveilleux pour mettre ce récit parallèle en images : il est aussi à l'aise dans les moments calmes que dans l'action, son trait épuré n'en rajoute pas et résiste même à la colorisation moyenne de Matt Wilson. C'est un vrai régal.

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Bilan : très positif. On ne s'ennuie pas, des morceaux de bravoure sont à prévoir, et les à-côtés sont enthousiasmants. Vivement la suite !

MARVEL ICONS 67 :

- Les Nouveaux Vengeurs 62 : Sous influence.

Comme dans le précédent épisode, l'action concerne deux binômes dans deux endroits différents : d'un côté, Spider-Man affronte Spider-Woman sous l'emprise mentale de Mandrill ; de l'autre, Captain America/Bucky et Steve Rogers font face au Laser Vivant. Leur adversaire vaincu, ces derniers sont rejoints par Luke Cage puis Nick Fury et ses Secret Warriors. De retour à leur planque, ils apprennent que Norman Osborn et le HAMMER ont commencé à attaquer Asgard...

Brian Bendis avait, lors de Secret Invasion, profité de la série pour dévoiler les coulisses de l'infiltration des skrulls sur Terre tout en montrant comment Nouveaux et Puissants Vengeurs allaient s'allier pour la contrer.

En complèment de Siege, il procède différemment : n'ayant pas besoin d'expliquer ce qui pousse Osborn à agresser Asgard, il s'emploie à mettre en scène le rassemblement des résistants - Nouveaux Vengeurs, Secret Warriors, Nick Fury et Steve Rogers. Avant cela, il s'est amusé en opposant les deux araignées face à des complices de the Hood (le choix des opposants, de troisièmes couteaux, est l'occasion de les tourner en ridicule, contrastant avec la menace plus sérieuse qui s'abat sur Asgard) et en scellant la réunion du trio Rogers-Bucky-Fury.

Il faut donc prendre ces épisodes comme une distraction, dispensables par rapport à Siege, mais agrèables car menés sur un rythme alerte, avec une prime à l'action et aux bons mots.

Graphiquement, Stuart Immonen (qui dessine 13 planches sur les 23 de l'épisode) fait à nouveau équipe avec Daniel Acuña (auteur des 10 planches avec les Spiders) : les styles très différents de ces deux artistes se complètent cependant bien et donnent des pages très dynamiques, d'une parfaite lisibilité.

Acuña s'en sort parfaitement et prouve qu'il ferait un excellent choix pour illustrer les aventures du Tisseur à qui il donne de l'élégance et de la fluidité.

Immonen a livré des copies plus inspirées mais, même en mode mineur, c'est un régal à lire car plein d'énergie, en parfaite adéquation avec l'écriture de Bendis - vivement que le volume 2 des NA arrive en France !

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- Fantastic Four 572 : Une solution pour tout (3).
Le Conseil est attaqué par les Célestes et essuie de lourdes pertes auquel il riposte sans demi-mesure. Pour Red Richards, cet affrontement a valeur de révèlation : il n'est pas prêt, visiblement, à sacrifier sa vie conjugale et son rôle de leader des FF pour collaborer avec ses homologues...

En trois épisodes, Jonathan Hickman a prouvé qu'il n'arrivait pas sur le titre en touriste et voyait grand et loin, en nous entraînant dans des mondes parallèles, à la rencontre de savants démiurges et de créatures grandioses.
Mais, durant ces trois épisodes, Hickman n'a pas écrit la série Fantastic Four : il n'a fait que s'intéresser à Red Richards et a totalement négligé les autres membres de l'équipe. Or, plus qu'un groupe de super-héros, les FF sont une famille : écarter trois d'entre eux ainsi, c'est contraire à l'esprit même de la série.
Qui plus est, refaire de Jane la pauvre épouse soumise, attendant à genoux devant la porte du labo que son génie de mari ait terminé ses aventures secrètes, c'est prodigieusement agaçant. Comparer, dans ces conditions, Hickman au maître Byrne, c'est un compliment bien exagéré à mes yeux et j'attends de voir la suite pour qu'il corrige le tir - et prouve qu'il a aussi quelque chose en tête pour Ben Grimm et Johnny Storm.

Visuellement, en revanche, Dale Eaglesham est au rendez-vous et a proposé des planches bluffantes. Cette fois encore, il impressionne et son dessin associé directement à la colorisation de Paul Mounts, d'abord déroutante, produit des effets intéressants (même si je continue de penser qu'un bon encreur ne ferait de mal à personne).

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- Iron Man 21 : Dislocation (2).
Ah, zut ! J'avais presqu'oublié que c'était là, ça...
Bon, au temps pour moi, on zappe jusqu'à la page 74 de la revue !

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- Captain America 603 : Deux Amériques (2).
Bucky poursuit sa mission d'infiltration des Chiens de Garde, la milice aux ordres du Captain America dément des années 50. Quel est le plan de cette organisation et de leur leader ? Et le Faucon saura-t-il protéger son camarade ? Pas sûr car les deux justiciers sont repérés et leurs ennemis prêts à les capturer...

Le précédent volet de cet arc m'avait déçu : démarrant mollement et arrivant après la demi-déception (ou demi-réussite, c'est selon l'humeur) de la saga Renaissance (spectaculaire mais alambiquée), cette histoire plongeant à nouveau dans le passé tortueux de Captain America (et des détenteurs du nom) semblait marquer une baisse d'inspiration chez Ed Brubaker.
Mais, finalement, ce qui fait le charme de cette intrigue tient dans son côté rétro et modeste : ce nouvel épisode met l'accent sur l'action avec deux beaux combats et le piège qui se referme sur les héros - d'ailleurs il s'agit encore une fois moins d'un épisode de Captain America que d'une team-up avec le Faucon. Brubaker sait toujours employer la galerie de seconds rôles du titre, qu'il s'agisse des partenaires de Cap ou de ses adversaires. C'est parfois sa limite, car il n'y a pas vraiment de nouveaux antagonistes, mais c'est aussi sa force, car la mythologie du personnage est tellement riche qu'elle peut alimenter presqu'inlassablement ses scénarii.

Luke Ross illustre ça (avec la contribution notable de Butch Guice à l'encrage) dans un style qui colle parfaitement à l'ambiance du récit : ses pages d'action sont bien conçues, lisibles, nerveuses, avec des cadrages dynamiques.
La colorisation de Dean White est parfois irritante (les effets employés pour les ailes du Faucon qui à l'air de voler avec des néons sous les bras) mais reste convenable, à défaut de mieux.

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Bilan : un "petit" numéro, agrèable mais sans grand relief. On est clairement dans une période de transition avec Siege qui phagocyte les Nouveaux Vengeurs, Captain America et les FF en quête d'un nouveau souffle (et le boulet Iron Man, qui gâche le reste de la vue).

ULTIMATE AVENGERS 4 :

- Ultimate Avengers 2 : Crime et châtiment (1 & 2/6).
Mark Millar débute ici le deuxième volume (sur quatre) de ses Ultimate Avengers, qui sera composé comme le précédent de 6 chapitres. Après avoir collaboré avec Carlos Pacheco (hélas ! desservi par une bande d'encreurs peu inspirés), le scénariste s'associe cette fois avec le dessinateur de Secret Invasion, Leinil Yu.

A l'image de l'arc La jeune génération, les deux premiers épisodes sont consacrés au recrutement de deux nouveaux membres de l'équipe des "black ops" de Nick Fury, et ce sont deux sacrés clients : d'abord, le Punisher, qui mène une guerre sanglante contre la mafia russe ; et ensuite, le premier Hulk, un Hulk noir qui fut le mentor de Bruce Banner, devenu un caïd en Amérique du Sud.
Une fois engagés (non sans mal), ils apprennent, avec Hawkeye, War Machine et la Veuve Noire, que leur cible est le Ghost Rider !

Ce qui était semé dans le volume 1 de la série est désormais mûr : Millar transforme ses Vengeurs en une équipe de rascals, d'assassins aux méthodes musclées, aussi peu fréquentables que leur adversaire. Et pour ce faire, l'auteur a décidé de casser les jouets qu'il avait lui-même re-créés dans Ultimates.
Le parti-pris peut décevoir et même irriter, mais en définitive il est sûrement le plus habile puisqu'Ultimates s'était imposé comme un néo-classique insurpassable, avec une redéfinition décapante des Vengeurs de Lee et Kirby et une illustration impressionnante par Hitch (qui a contaminé jusqu'à certaines productions du Marvelverse classique).
En racontant les aventures de nouveaux personnages qui n'ont rien d'héroïque, qui oeuvrent en secret, et qui sont les pires brutes possibles confrontées à des menaces hors normes, Millar déplace l'enjeu de son projet pour en faire un divertissement rock'n'roll, décomplexé et iconoclaste.
Ainsi peut-il ouvrir ce nouvel acte par 7 pages quasi-muettes où le Punisher abat quantité de gangsters, et cette introduction a valeur d'exemple pour la suite : l'action prime, la violence règne, l'exagération domine, jusqu'à l'absurde, la parodie même du genre et de ses clichés. La volonté est manifeste d'écrire ces Ultimate Avengers comme un popcorn movie où les splash et doubles pages abondent non pas dans un souci de fournir une narration sophistiquée mais pour en mettre plein la vue.
Ultimates avait pour ambition de rendre réaliste les super-héros d'un point de vue visuel, Ultimate Avengers est son contraire : Millar met en scène des personnages immoraux, brutaux, titanesques, dans des situations grotesques, comme s'il voulait montrer aux fans à quel point tout cela est insensé, nourri de barbarie, de sexe et de fantastique bariolé.
Les pisse-froid du lectorat aiment détester Millar car il ne respecte pas les codes et finalement parce qu'il maltraite les valeurs des comics. Plus que jamais, Millar pousse la provocation à ses limites et s'amuse avec ses détracteurs - qui, bien sûr, tombent à chaque fois dans le panneau (en s'offusquant de ses blagues sur les français, de ses excès ultra-violents, de la facilité de ses intrigues). Mais pourquoi Millar rédigerait-il des histoires sophistiquées avec de gentils héros quand tous les autres le font (parfois sans talent, ou en tout cas sans originalité) ? C'est cela qui rend les comics de Millar si drôles à lire : parce qu'ils sont "hénaurmes" et assumés.

Avec Leinil Yu, le turbulent écossais s'est trouvé un partenaire de choix (avec lequel il travaille désormais à des creator-own, comme Superior) : il dessine vite, bien, mais par-dessus tout avec une terrible efficacité et une absence totale de retenue (comme Romita Jr à l'époque de leur Wolverine).
Le plaisir de Yu éclate à chaque page, il est vraiment complètement chez lui dans le monde agressif et régressif de Millar, que ce soit pour représenter Frank Castle, mutique et expéditif, glaçant de méchanceté, ou le Black Hulk bling-bling et mélancolique à la fois, infligeant une sévère correction à War Machine (au point de lui balancer un avion de tourisme dessus).
Pour l'occasion, Yu retrouve son encreur de Superman : Birthright, Gerry Alanguilan, qui sert parfaitement son dessin brut et sec, et sa coloriste de Secret Invasion, Laura Martin (la meilleure dans sa partie).

Bilan : un nouvel arc qui démarre très fort, au dénouement prometteur - cette saga s'annonce très bien. Vivement Janvier pour la suite !