dimanche 28 novembre 2010

Critique 186 : LE PROJET MARVELS, d'Ed Brubaker et Steve Epting

Le Projet Marvels : La Naissance des Super-Héros (The Marvels Project, en vo) est une mini-série en 8 épisodes, écrite par Ed Brubaker et dessinée par Steve Epting, publiée par Marvel Comics (d'Octobre 2009 à Juillet 2010).
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Sorte de version développée et alternative du Marvels de Kurt Busiek et Alex Ross et cousine de The Twelve de J. Michael Straczynski et Chris Weston (encore inachevée), cette série réalisée par le tandem à l'origine du relaunch de Captain America promettait beaucoup en proposant de revisiter la genèse de Marvel (à l'époque où la Maison des Idées s'appelait encore Timely Comics) pour unifier le récit des premières aventures de ses héros et les relier à celles d'aujourd'hui, en s'appuyant sur la "trinité" historique (La Torche-Namor-Captain America).
Ce genre de projet dissimule parfois une réécriture de la continuité en empruntant des raccourcis, dont seuls les spécialistes s'offusquent. Mais pour peu que l'affaire soit confiée à un auteur qui connaisse bien le passé de son éditeur et de ses personnages et qui soit soucieux de respecter lecteurs aguerris comme néophytes (c'était le cas de Busiek et Ross avec Marvels), c'est alors l'occasion de lire une histoire à la fois efficace et instructive.
Le fait qu'Ed Brubaker soit aux commandes de ce projet est un gâge de qualité : le scénariste est un vrai fan et un excellent narrateur (même s'il a un peu déçu récemment avec Captain America : Reborn). Ici, il a donc repris en main de vieux personnages de Timely Comics pour nous raconter les origines de Marvel.
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Notre guide dans cette fresque, à la fois spectaculaire et intimiste, est l'Ange, un justicier ordinaire, sans pouvoir, comme les affectionne Brubaker : c'est un médecin, un homme bon, qui, au début de l'histoire, a pour patient un vieillard, Matt Hawkins. Ce dernier n'est autre que le fameux Two-Gun Kid, ramené en 1938 à la suite de voyages temporels et qui raconte à son docteur que bientôt le monde va découvrir les super-héros.

Ce démarrage, qui voit le vieil homme mourir et léguer son masque et ses deux revolvers à Thomas Halloway, rappelle également le prologue de Kingdom Come (de Mark Waid et Alex Ross, édité chez DC).

Un an plus tard, en 1939, sur un yacht, Roosevelt tient réunion au sujet de la guerre déclarée en Europe par les Allemands et de moyens spéciaux d'y faire face le cas échéant : il y est question d'un androïde qui peut s'enflammer, une arme dissuasive mais encore perfectible - la Torche sera d'ailleurs rapidement enterrée, au propre comme au figuré à cause de sa dangerosité. Les nazis, eux aussi, réfléchissent à la création de super-soldats, avec comme chef du projet le savant Erskine et "prototype" John Steele, un soldat américain invulnérable capturé lors de la guerre de 14-18. L'autre champ de recherches des allemands se situe en mer, au large des Bermudes, où ils tuent et ramènent des Atlantes, ce qui va provoquer l'ire de Namor contre tous les humains de la surface.
La réapparition de la Torche, se libérant du caisson dans lequel on l'avait placé sous terre, va provoquer une réaction en chaîne et la véritable naissance des super-héros annoncée par le Two-Gun Kid. New York paniquée est la proie des pilleurs et Tom Halloway va réagir en décidant de devenir un justicier masqué : ainsi il devient à la fois acteur et témoin.
En Angleterre, Red Hargrove et Nick Fury, deux casse-cou de l'armée américaine, sont chargés d'exflitrer Erskine, qui désire quitter l'Allemagne.
Les évènements se précipitent alors : L'Ange traque les assassins de la Balle Fantôme (un autre vigilant masqué) et découvre que des nazis préparent des attentats sur le sol américain ; Namor entreprend de venger les siens en attaquant des civils mais affronte la Torche dont l'image passe de la menace à celle du protecteur ; Erskine passe à l'Ouest et finalise le programme "renaissance" qui engendrera Captain America, le premier super-soldat.
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L'histoire fonctionne à merveille car, ses narrations parallèles et ses abondantes voix-off (qui permettent à la fois de personnaliser le récit et d'en diversifier les points de vue), on profite à à la fois d'intrigues policière (l'enquête de l'Ange), d'espionnage (la mission de Fury, les actions de John Steele) et d'action (l'émergence des surhumains avec la Torche, Namor, Captain America - mais aussi Crâne Rouge, le Destructeur...).
Cette diversité permet également à Brubaker d'expliquer pourquoi ces héros se costument, sans reproduire les raisons avancées par Alan Moore dans Watchmen (et les Minutemen, leurs inspirateurs) - une représentation démythifiée et proche du fétichisme. Bien qu'exposée très différemment, la justification de ce travestissement se rapproche d'une réplique écrite par Warren Ellis dans ses Thunderbolts, où il fait dire à Leonard Samson que le super-héros est l'équivalent moderne du chevalier de la Table Ronde : s'il s'habille ainsi pour jouer les redresseurs de torts, c'est pour être identifié clairement comme un "good guy" et non comme un fou furieux. Une version de "l'habit fait le moine" en quelque sorte...
Au-delà du patriotisme (dont seul Captain America est le symbole), c'est en réaction à des situations précises que sont définis les acteurs principaux du Projet Marvels. Tous ces hommes veulent améliorer le monde ou rétablir la justice et c'est pour cela qu'ils agissent, en see masquant au besoin pour protéger leur vie privée ou leur origine ou en comptant sur le déguisement pour impressionner l'adversaire.
- L'Ange représente l'homme qui voit ce monde changer autour de lui et désire l'améliorer. Il sait qu'il n'a qu'une influence limitée mais s'en contente en pensant que s'il peut peser sur le destin d'un seul homme, sur le sort d'une situation, il peut inspirer positivement la communauté. C'est un fataliste, un lucide qui a conscience que la police n'apprécie pas les vigilants masqués, dont elle n'hésite pas à se moquer (comme lorsque le cadavre de la Balle Fantôme est découvert), mais qui croit en une espèce de confrérie entre héros.

- La Torche Humaine représente la créature détachée de l'humanité, que la découverte du monde va rendre de plus en plus désenchanté (jusqu'à l'accablement lors de l'attaque sur Pearl Harbor). Il veut désespérement être humain mais il est aussi de plus en plus désespéré par la nature humaine, ce qui en fait une figure attachante et complexe. Il trouve finalement une sorte d'issue en devenant le mentor de Toro dont il se sent responsable car il a provoqué l'apparition de ses pouvoirs (les mêmes que les siens). Ainsi il accomplit une trajectoire de "fils" (du savant Phinéas Horton) à "père" (de Toro).

- Nick Fury représente l'homme d'action prêt à tout, par goût du danger. Il est décrit non pas encore comme le maître-espion qui dirigera plus tard le SHIELD, mais comme un soldat à la fois impulsif et endurci, pour lequel rien n'est insurmontable. C'est un personnage exubérant et au caractère bien trempé, intrépide. Comme Brubaker a décidé d'exploiter des éléments du Marvels Project dans ses séries (Captain America et surtout Secret Avengers), il restera à expliquer comment cet homme d'une bonne trentaine d'années dans les 40's en paraît environ seulement 50 de nos jours.

- Namor représente la colère, voire la haine. Ce personnage emblématique de Marvel (hélas ! bien mal traité depuis longtemps) retrouve toute sa superbe sous la plume de Brubaker qui a choisi d'éclaircir les raisons de son ressentiment pour les humains, de développer son affrontement avec la Torche (abordé dans Marvels de Busiek et Ross), puis son ralliement aux Invaders, la première équipe de super-héros américains, quand il découvre la trahison de Merrano/U-Man. Son évolution au long du récit lui laisse son aspect ombrageux, hautain, tout en le présentant autrement que comme un fou furieux - dommage que l'éditeur ait choisi récemment de l'intégrer aux mutants en le cantonnant à un second rôle car Namor reste un personnage fascinant quand il est bien écrit, ambivalent à souhait.

- Enfin, il y a Captain America, celui qui incarne l'idéal mais aussi la responsabilité. Originellement prévu pour être le premier de son genre, il devient le seul super-soldat (même si la création du Destructeur nuance un peu cet état de fait) et il endosse ce rôle avec gravité et panache. Brubaker n'ajoute rien à la légende qu'on ne sache déjà mais souligne bien la dimension symbolique du héros, celui qui va définitivement bouleverser la donne en alliant le côté surhumain (comme la Torche, Namor) et le côté plus ordinaire, accessible (comme l'Ange). Steve Rogers incarne en fait un trait d'union entre le justiciers masqués sans pouvoirs extraordinaires du "golden age" et les super-héros fantastiques du "silver age".
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Durant ces 8 épisodes, Brubaker permet à son complice Steve Epting de dessiner une vaste épopée riche en décors variés et en personnages mémorables. L'artiste a su représenter cette époque avec une maestria fabuleuse, où il rend à la fois hommage au travail d'Alex Ross sur Marvels et au film noir adapté aux codes graphiques de la bande dessinée, avec un soin particulier apporté aux ambiances, donc aux lumières (et là, il faut saluer la remarquable contribution du coloriste Dave Stewart).
Bien que cette histoire reprenne des séquences "cultes" - la naissance de Captain America, la formation des Invaders, l'attaque de Pearl Harbor - , le talent d'Epting est aussi de nous les remontrer à la fois sans les travestir et en leur restituant leur puissance. Ce récit n'est de toute façon pas destiné à nous faire des révèlations sur le futur (tout juste la scène avec le fils de Thomas Halloway peut laisser supposer qu'il y aura un nouvel Ange), il s'agit de revenir sur ce qui a fondé le Marvelverse. Epting illustre ça avec beaucoup d'élégance, peut-être n'a-t-il jamais mieux dessiné - et on a hâte de voir ses épisodes des Fantastic Four (écrits par Jonathan Hickman).
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Il est évident que cette série est un "must-have" pour qui veut (re)découvrir les origines du Marvel Universe : c'est une saga solide, synthétique, dense, palpitante, qui ne prend pas le lecteur pour un imbécile et lui offre quantité d'images superbes - en somme ce que devrait donner n'importe quelle bonne bande dessinée.
En attendant de lire (restons optimistes) The Twelve de JMS et Weston, Le Projet Marvels est un résumé parfait et roboratif, à la fois haletant, spectaculaire mais jamais passéiste : une introduction de choix pour (ré)apprendre son Marvel illustré, à la manière dont Darwyn Cooke avait réalisé La Nouvelle Frontière.
Et maintenant, pourquoi pas une suite ?

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