samedi 20 novembre 2010

Critique 180 : ASTRO CITY : THE DARK AGE 1 - BROTHERS & OTHER STRANGERS, de Kurt Busiek, Brent Anderson et Alex Ross

Astro City - The Dark Age 1 : Brothers and Other Strangers rassemble les Livres 1 et 2 de ce nouveau cycle de la série, comptant chacun quatre épisodes. Il s'agit du premier recueil de cette saga en 16 chapitres, dont la suite et fin paraîtra dans l'album Astro City - The Dark Age 2 : Brothers In Arms (avec les Livres 3 et 4).
L'histoire est écrite par Kurt Busiek et illustrée par Brent Anderson, qui co-signe les designs avec Alex Ross, auteur des couvertures.
*
The Dark Age est une épopée : 16 épisodes, quatre Livres, un projet follement ambitieux et exaltant pour les fans de cette série mémorable (sans doute la plus belle réussite du label Wildstorm de DC Comics avec Planetary).
C'est aussi une plongée dans le passé puisque l'action se déroule dans les années 70 et va dévoiler une des énigmes centrales de la série (la vérité sur Silver Agent).
Comme à son habitude, dans ses meilleures oeuvres (comme Marvels), Kurt Busiek relate les évènements du point de vue de l'homme de la rue tout en revisitant les grands classiques des comics super-héroïques de DC et Marvel.
The Dark Age poursuit dans cette veine et comme le titre l'indique, c'est une période trouble qui est racontée dans cette aventure commençant en 1959 (Prologue), continuant en 1972 (Livre 1) et 1977 (Livre 2), où la confiance et la foi accordées aux super-héros d'Astro City va quitter ses habitants.
Busiek situe son récit alors que la guerre du Vietnam s'enlise et que l'affaire du Watergate va éclabousser la présidence de Richard Nixon. Dans ce contexte, deux frères - Charles et Royal Williams - , ayant perdu leurs parents dans un affrontement entre héros et vilains, ont pris des chemins résolument différents, correspondant à leurs visions du monde depuis ce drame (désenchantée pour Royal, frustrée pour Charles) : le premier est devenu simple flic, le second un malfrat sans envergure. Chacun dans leur camp, tout en restant proches (jusqu'à ce que Royal désapprouve la liaison de Charles avec une certaine Darnice), sont les témoins des bouleversements traversés par la communauté qui les entoure.
Les deux points culminants de ces années noires seront la déchéance du Silver Agent et l'ascension du Deacon. Le destin du premier était resté mystérieux depuis le début de la série, on savait seulement qu'il était considéré comme une honte pour les autres justiciers mais on ignorait pourquoi : on va apprendre que, devenu l'instrument de forces supérieures (et encore nébuleuses), il a tué le Maharadjah de Maga-Dhor, un homme aussi puissant que suspect, et ce crime le conduira sur la chaise électrique - mais est-il vraiment mort ? Le parcours du second est également éclairci : bras-droit du grotesque caïd Joey "Platypus" Platapopoulos, il orchestre une guerre des gangs pour devenir seul maître du crime organisé de la ville - il s'adjoindra pou cela les services d'Aubrey Jason, responsable de la mort des frères Williams.
Un troisième niveau de lecture s'établit avec la vengeance de Black Velvet, éliminant les hommes qui l'ont dôté de pouvoirs monstrueux, entraînant dans son sillage Street Angel, véritable symbole des justiciers apparaissant à cette époque. Les actions de Black Velvet vont provoquer des ravages la dépassant et impliquant les Apollo 11 (des héros cosmiques), la First Family (l'équivalent des FF et Challengers de l'Inconnu) ou le magicien Simon Magus. La fin de The Dark Age devrait faire la lumière sur les raisons pour lesquelles ces acteurs doivent négocier avec une menace bien plus globale, dont la présence de l'Incarnate (un géant immobile et immatériel planant sur la ville) est la manifestation la plus marquante.
*
Busiek est donc revenu à une structure narrative feuilletonnante, comme dans les tomes 2 (Confession) et 4 (The Tarnished Angel), mais en développant une trame bien plus vaste, s'étalant sur une décennie et mettant en scène quantité de personnages, gravitant autour de la fratrie Williams.
Le premier tour de force de cette première moitié de la saga est qu'elle reste abordable par le néophyte, tout en donnant évidemment des réponses appréciables et attendues au fan de la première heure.
La révèlation la plus notable concerne évidemment le Silver Agent : on découvre pourquoi et comment ce héros iconique d'Astro City est aussi évoqué depuis le début comme la honte de sa communauté. Sa tragédie permet à Busiek de synthétiser tout ce qui va aller de travers dans la ville (et par extension dans le monde des 70's), ce qui a suscité la méfiance, le mépris, la colère, l'incompréhension. Evoquée en parallèle, de façon discrète mais efficace, la situation politique dee l'époque donne du souffle à tout cela et élève l'histoire au rang de saga - ou comment, à partir du matériau de base (un comic-book de super-héros), parler de l'Histoire avec un grand "H". C'est magistral, à la fois épique et toujours subtil : le Silver Agent a-t-il chuté, comme son pays, en commettant une folie ou a-t-il voulu se sacrifier en acceptant de devenir le jouet de forces supérieures ? La réponse n'est pas pour tout de suite mais Busiek montre parfaitement comment le geste d'un individu peut déclencher un chaos général et durable car sa signification échappe à la raison.
En animant plusieurs autres super-héros, dont la plupart agisse dans la rue ou l'espace, le scénariste rend aussi un hommage aux créations apparues à cette époque dans les comics : les années 70 furent celles de Luke Cage, d'Iron Fist, du Ghost Rider, du Creeper, mais aussi des aventures cosmiques des Fantastic Four, des Avengers, de la JLA, des New Gods. Tout cela est ré-interprété avec brio à travers les figures de Black Velvet, Street Angel, Simon Magus, la First Family, l'Honor Guard : Busiek conserve cet art incroyable de mêler références encyclopédiques et facilités à introduire le lecteur ignorant à ces histoires.
Enfin, passé maître dans ce style "légendaire", il a bâti sa fresque sur une paire de personnages "ordinaires" auxquels on peut s'identifier plus aisèment, et dont les regards sur les évènements nous guident. Les trajectoires de Charles et Royal Williams sont marquées du sceau de l'ironie puisque leur vie bascule avec l'intrusion des méta-humains dans leur quotidien, déterminera toutes leurs philosophies de l'existence et permettra même de découvrir qui est le véritable responsable de leur sort. Busiek évite avec soin de décrire Charles comme un modèle de vertu et de maturité - il est aussi un homme crédule face à celle qu'il aime, un flic lâche refusant certes la corruption mais ne la dénonçant pas non plus, et un frère rancunier - , ni Royal comme un vrai malfaisant - il n'est qu'une petite frappe sans envergure, peureux, mais fidèle et qui se sacrifiera le moment venu.
*
Visuellement, Brent Anderson livre une copie impressionnante. Son découpage et même son style ont quelque chose de brut, mal taillé, pas toujours beau. Mais en vérité, cela a peu d'importance car son dessin est vrai : il traduit à merveille le tumulte, la confusion, le côté brouillon et peu élégant de cette époque.
Cette authenticité se révèle dans la justesse apportée aux expressions, aux décors, aux vêtements, et c'est en fait dans les détails qu'Anderson prouve à quel point sa contribution à Astro City est essentielle. Les illustrations qu'il fournit donne de l'épaisseur, de la chair, de la consistance, une texture unique à ce projet fou et irrésistible, véritable mixeur d'univers en même temps qu'il en fabrique un autre totalement original.
Sans Brent Anderson, Astro City n'aurait pas ce charme et cette force.

Et il faut ajouter à cela la toujours impressionnante galerie de personnages imaginée avec Alex Ross, également auteur de ses plus belles couvertures : travail colossal, insensé, comme de créer une équipe de 11 héros juste pour rendre hommage aux missions spatiales de la Nasa... Un exemple parmi tant d'autres qui devrait suffire à convaincre n'importe qui de se plonger dans cette série.
*
Si le second volume est à la mesure de celui-ci, cet "Age Sombre", condensé de Civil War et Dark Reign, teinté de nostalgie, devait figurer en bonne place parmi les incontournables des comics modernes, à côté des tomes précédents de la série.

Aucun commentaire: