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mardi 31 janvier 2023

S.O.S. FANTÔMES : L'HERITAGE, de Jason Reitman


Une autre bonne résolution que j'ai prise pour 2023, c'est de moins écrire de critiques de film, puisque la vocation de ce blog est de se consacrer aux comics. Donc, je vais tâcher de m'en tenir aux films adaptés de comics, et quand je ferai exception à cette règle, ce sera pour des films comme S.O.S. Fantômes : L'Héritage, qui ne dépareille pas trop.
 

2021. Callie Spengler hérite de la ferme à l'abandon de son père, Egon, où elle s'installe avec ses deux enfants, Trevor, qui traîne vite avec Lucky, une jolie serveuse dont il s'est amourachée, et Phoebe, sa cadette, fan de sciences, qui devient l'ami de Podcast, un camarade de classe, et Gary Grooberson, son prof, féru de sismologie et intrigué par la fréquence inhabituelle des tremblements de terre dans ce trou perdu de l'Oklahoma.


Lorsque Pheobe découvre que la ferme est hantée et qu'en pistant le fantôme qui l'occupe, elle tombe sur le laboratoire secret de son grand-père, elle en parle à Podcast et Gary. De son côté, Trevor, pour séduire Lucky, répare la voiture de Egon et la conduit jusqu'à la mine désaffectée de Summerville où ils sont témoins d'étranges phénomènes.


Avec Podcast, Phoebe teste l'étrange métériel de Egon lorsqu'elle surprend un ectoplasme dans l'usine abandonnée voisine. S'ensuit une course-poursuite avec Trevor dans les rues de Summerville au terme de laquelle le spectre est capturé mais au prix de gros dégâts métériels. Phoebe profite de pouvoir passer un coup de fil pour appeller Ray Stantz, dont elle trouvé le numéro dans les affaires de Egon. Gary le connaît aussi de réputation et lui explique ensuite qu'il s'agissait d'un membre des Ghosbusters de New York dans les années 1980.


Pendant que Gary tente de rassurer Callie au sujet de ses enfants, ceux-ci avec Podcast et Lucky visitent le mine où une installation de Egon empêche des démons de s'enfuir.. Mais deux de ces créatures trouvent quand même la sortie et possèdent Callie et Gary qui viennent libérer leur maîtresse Gozer, une vieille ennemie des Ghostbusters. Le chaos s'empare de la ville et les apprentis chasseurs de fantômes doivent s'interposer en récupérant le matériel de Egon au commissariat... Avant de recevoir des renforts bienvenus et de faire leurs adieux à Egon.


Je suis assez vieux maintenant pour avoir vu Ghostbusters en salle (c'était en 1984). Il n'empêche, tout ça semble venir d'une autre époque, d'un autre temps, celle d'un cinéma qui mixait comédie et fantastique avec des effets spéciaux rudimentaires, une époque où Ivan Reitman allait pour un temps devenir le roi du pétrole en signant deux blockbusters en compagnie de Harold Ramis, Dan Aykroyd, Bill Murray, Ernie Hudson et Sigourney Weaver (qui, elle, avec Alien et Aliens, était déjà une sorte d'égérie de la s.-f. horrifique).

Pendant des années, Dan Aykroyd et Ivan Reitman voulurent complèter une trilogie, sans y parvenir. Il faudra attendre 2016 pour que ce troisième acte prenne forme, mais sous la houlette de Paul Feig et avec un casting entièrement féminin, qui s'attirèrent les foudres de la critique et des fans - je me garderai de tout jugement, ne l'ayant pas vu.

N'empêche, S.O.S. Fantômes semblait mort et enterré. Jusqu'à ce que le propre fils de Ivan Reitman, pourtant peu connu pour signer des films de ce genre, fasse ce cadeau à ceux qui ne l'attendaient plus. Il faut dire qu'entre-temps, en 2014, Harold Ramis, un des Ghosbusters originaux, disparut et il s'agissait alors presque d'un devoir de mémoire. Et de transmission. Deux thèmes au centre de L'Héritage.

Plutôt que de rappeler les acteurs originaux, autrement que pour le fan-service, Jason Reitman et son co-scénariste Gil Kenan ont eu l'heureuse inspiration de faire d'une bande de gamis leurs héros. Du coup, cet opus en évoque un autre, je veux parler des Goonies (Richard Donner, 1985) avec ces aventuriers en culottes courtes.

Le cinéaste fait souffler un air frais sur cettee histoire de revenants tout en adressant un clin d'oeil appuyé aux deux premiers films (surtout au premier), oubliant le reste. Ce qui s'appelle revenir à la source mais en allant de l'avant - d'ailleurs, une suite est déjà prévue.

L'intrigue est rondement menée et on ne voit pas passer les deux heures du film, qui réserve une place de choix aux deux adultes, la mère dépassée et le prof complice, qui vont tomber amoureux - ce qui est certes convenu mais bien amené. Reitman fils peut s'appuyer sur deux excellents acteurs pour cette partie de l'histoire puisqu'il a sollicité Carrie Coon, comme d'habitude formidable, et Paul Rudd, comme toujours impeccable.

Le casting des jeunes héros est également une réussite. Les fans de Stranger Things (dont je ne suis pas) reconnaîtront Finn Wolfhard dans le rôle de ce benêt de Trevor, mais les autres préféreront retenir le nom de Logan Kim, irrésistible Podcast, et surtout de McKenna Grace, extraordinaire comédienne qui emporte tout sur son passage.

Olivia Wilde campe le rôle de la méchante Gozer, mais, et c'est mon seul bémol, le personnage apparaît un peu tardivement et n'a donc que peu de temps pour s'imposer comme la terrible menace qu'elle est censée incarner. 

Certains ont reproché au film de justement trop jouer la carte fan service, mais ce n'est pas mon avis. J'ai trouvé que c'était sobre et mesuré. Et de toute façon, comme je l'ai déjà dit, j'ai accroché sans effort à la proposition.

Le mauvais sort a voulu que Ivan Reitman parte à son tour, il y a presque un an (en Février 2022), mais le succès commercial du film a dû le combler. Amen.

Vivement la suite donc - en souhaitant que la franchise ne perde plus un seul de ses éléments cette fois (avant ou après).

mardi 14 août 2018

TULLY, de Jason Reitman


Tully s'affiche d'abord comme un film de retrouvailles puisqu'il réunit pour la quatrième fois le réalisateur Jason Reitman et la scénariste-dialoguiste Diablo Cody (après Juno, Jennifer's Body et Young Adult), puis le cinéaste avec l'actrice (et ici co-productrice) Charlize Theron (après Young Adult). Mais ces retrouvailles constituent en quelque sorte le coeur du film puisque (attention spoilers dans ce qui suit) l'héroïne y renoue avec une partie de son passé...

 Marlo et son fils Jonah (Charlize Theron et Asher Miles Fallica)

Sans l'avoir planifié, Marlo Moreau, la quarantaine, attend son troisième enfant. Elle a pourtant déjà fort à faire avec une fille et un garçon, Jonah, à qui les psys ont diagnostiqué des troubles du comportement - ce pour quoi la directrice de son école souhaiterait son transfert dans un établissement spécialisé.

Marlo (Charlize Theron)

Invités à dîner chez le frère de Marlo, plus riche qu'elle, cette dernière et son mari, Drew, reçoivent comme cadeau un présent étonnant : les services d'une nounou de nuit, qui permettra à la future maman de se reposer. D'abord réticente à l'idée de confier son enfant à une inconnue qui viendra chez eux pendant leur sommeil, Marlo ne résiste pas à la contacter une fois qu'elle a mis Mia au monde et que le bébé ne lui laisse aucun répit.

Tully (Mackenzie Davis)

C'est ainsi que Tully, la vingtaine, fait son entrée dans la vie de la famille Moreau. Toujours méfiante au début, Marlo s'en remet vite complètement à elle, d'autant plus que la jeune femme est aux petits soins pour Mia et la maison qu'elle entretient à ses heures perdues. Ainsi, Marlo retrouve un semblant de vie sociale et de sérénité.

Tully et Marlo (Mackenzie Davis et Charlize Theron)

Une nuit, alors qu'elle allaite Mia, Marlo raconte à Tully la misère de sa vie sexuelle depuis ses maternités successives. Poussée à la confidence, elle sait pourtant que Drew fantasme en particulier sur les serveuses des années 50, avec leur uniforme - d'ailleurs elle s'en était acheté un pour un jeu érotique. Tully l'enfile et entraîne Marlo dans une partie à trois avec son mari. 

Marlo et son mari Drew (Charlize Theron et Ron Livingston)

Une autre nuit, Tully arrive visiblement contrariée, après s'être disputée avec sa co-locataire qui lui reproche ses nombreuses aventures sans lendemain avec des garçons. Tully convainc Marlo de sortir boire une verre en expliquant que Mia fait à présent bien ses nuits et que Drew peut bien s'en occuper pour une fois. Direction : Brooklyn.

Tully et Marlo (Mackenzie Davis et Charlize Theron)

C'est dans ce quartier de New York que Marlo a résidé durant ses études avec sa meilleure amie. Et là aussi que Tully lui annonce qu'elle va devoir la quitter, estimant qu'elle a rempli sa mission et que la mère de famille est prête à reprendre sa place. Sur la route de retour, Marlo s'assoupit au volant et sa voiture plonge dans la rivière. Groggy, elle croit voir une sirène venir la repêcher mais Tully a disparu.

Drew (Ron Livingston)

A l'hôpital, Drew apprend par une psy que sa femme souffre de surmenage puis interrogé sur la nounou de nuit, affirme ne l'avoir jamais vue. Quand on lui demande le nom de jeune fille de Marlo, il répond : "Tully". De retour chez elle, Marlo reçoit le soutien de son mari et Jonah est plus calme. La vie reprend.

Bien que je n'ai pas vu Jennifer's Body, j'ai toujours apprécié la collaboration entre Diablo Cody et Jason Reitman, cinéaste que je suis toujours avec beaucoup d'intérêt car il représente ce cinéma du "milieu" - dont beaucoup de critiques annoncent régulièrement la disparition mais qui survit tout de même entre les productions indés et les blockbusters. Un cinéma adulte, souvent intimiste, qui embrasse des sujets de société sans verser dans la thèse, privilégiant les personnages à l'intrigue sans négliger de raconter une histoire accrocheuse.

Dans Juno, les deux partenaires dressaient le portrait d'une ado qui tombait enceinte et refusait d'avorter pour confier son bébé à un couple qui ne pouvait pas en avoir - et accessoirement pour culpabiliser son copain qui l'avait mise dans cet état. Le ton malicieux et enjoué de ce petit chef d'oeuvre donnait le ton à la filmographie de Reitman où, partant d'une situation complexe, il déjouait les pièges et les attentes, avec une formidable révélation en la personne de Ellen Page.

Dans Young Adult, l'esprit se faisait plus mordant avec l'aventure d'une femme qui revenait dans son bled natal dans le but de reconquérir son amour d'enfance, même s'il était marié et père de famille désormais. Cette quête pathétique se nuançait pourtant d'une vraie tendresse pour l'héroïne, plus désespérée que convaincue de son projet. Charlize Theron y trouvait un rôle en or, sans doute son meilleur (bien meilleur que sa performance à Oscar de Monster).

A la perspective de découvrir le nouvel effort du trio Cody-Reitman-Theron, l'attente était forte. Tully ne la comble pas complètement mais s'avère tout de même très satisfaisant, avec cette fois un zeste de fantastique où chaque détail compte - un peu à la manière du Paranoïa de Soderbergh dont je parlais hier.  

Tully, cette nourrisse miraculeusement parfaite, est une fabrication de l'esprit de Marlo, elle avec vingt ans de moins, telle qu'elle fut étudiante, encore libre, indépendante, pleine de rêves et d'énergie, de charme solaire et d'insouciance. Elle la créé comme on appelle "au secours" en pleine crise car elle frôle le burn-out au moment de donner naissance à un troisième enfant non désiré.

Au-delà de ce twist qui se révèle subtilement à la fin du film et qu'on ne voit absolument pas venir sans être extrêmement attentif (l'indice qui m'a mis la puce à l'oreille se situe au moment où Tully se déguise en serveuse et entraîne Marlo et son mari dans une partie à trois : le costume qui sied parfaitement à la nounou et le jeu sexuel qui s'ensuit ne peuvent que questionner sur leur réalité), le récit se déploie tranquillement, comme pour mieux nous abuser. Et le procédé fonctionne parfaitement.

Dans une premier temps, avant l'apparition de Tully, Reitman met en scène la passe difficile que traverse Marlo, enceinte jusqu'aux yeux, devant s'occuper de sa maison, de son fils aîné en délicatesse avec son école, de sa petite soeur réclamant de l'attention, et lâchée par un mari qui préfère jouer aux jeux vidéos le soir au lit plutôt que de veiller sur son épouse, l'aider dans sa besogne quotidienne - quand il n'est pas en déplacement professionnel. Il faut saluer l'interprétation de Ron Livingston dans ce rôle ingrat qu'il parvient à ne pas rendre antipathique.

La répétition des gestes, la fatigue qui gagne, les nerfs qui lâchent (mémorable scène d'engueulade avec la directrice d'école), le refus de s'appuyer sur l'aide d'une inconnue (même louée pour la qualité de ses prestations et offerte en cadeau par un frère riche), tout ça, le film le montre d'une façon implacable, avec une franchise rare qui démonte l'idée que la maternité est un accomplissement.

Lorsque Tully surgit, tout s'illumine. La présence radieuse de Mackenzie Davis (héroïne de la série Halt and cath fire et surtout de l'épisode San Junipero dans Black Mirror) est exceptionnelle, à tel point que la jeune actrice vole la vedette à Charlize Theron, dont, une fois de plus, la volonté de réaliser une performance joue contre le film (avec ses kilos pris, son air dévasté, ses cheveux gras, sa fébrilité, elle en fait littéralement des tonnes - bien loin de sa composition irrésistible de Young Adult).La révélation finale est finement dévoilée et renvoie à ce que pouvait accomplir un Mankiewicz (dans L'Aventure de Mrs Muir), tandis que mea culpa de mari et le dénouement sont un peu trop beaux.

Il n'empêche, si Tully n'égale pas les réussites antérieures de Cody-Reitman, il y a dans ce cinéma une bienveillance mais aussi une honnêteté vis-à-vis des imperfections des personnages qui sont suffisamment rares pour inciter à l'indulgence et au soutien de tels films. 

jeudi 18 août 2016

Critique 991 : LAST DAYS OF SUMMER, de Jason Reitman


LAST DAYS OF SUMMER (en v.o. : Labor Day) est un film réalisé par Jason Reitman, sorti en salles en 2014.
Le scénario est écrit par Jason Reitman, d'après le roman Long Week-End de Joyce Maynard. La photographie est signée Eric Steelberg. La musique est composée par Rolfe Kent.
Dans les rôles principaux, on trouve : Kate Winslet (Adele), Josh Brolin (Frank), Gattlin Griffith (Henry adolescent), James Van Der Beek (l'agent Treadwell), Tobey Maguire (Henry adulte).
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 Adele, Henry et Frank
(Kate Winslet, Gattlin Griffith et Josh Brolin)

1987, dans le Sud des Etats-Unis. Adele est une mère célibataire qui élève seule son fils, Henry, âgé de 14 ans. Elle est séparée du père de ce dernier, qui a refait sa vie avec une autre femme. Eprouvée par plusieurs fausses couches dans sa jeunesse et l'échec de son couple, sa dépression se manifeste par une nervosité qui l'isole socialement.
 Adele et Frank

En faisant les courses dans un supermarché avec sa mère, Henry est abordé par un homme, Frank, qui convainc Adele, en la menaçant subtilement, de le cacher chez elle jusqu'au lendemain, le temps pour lui de se remettre d'une douleur à la jambe.
Le soir, au journal télévisé, la mère et son fils apprennent, en compagnie de leur "invité", qu'il s'est échappé de l'hôpital où il a été opéré pour une crise de l'appendicite. Frank purge une peine de 18 ans de prison pour le meurtre de sa petite amie, Mandy - dont on découvrira qu'elle le trompait et lui avait menti sur la paternité de leur bébé (qu'elle tuera en le noyant), mais qu'il a tuée accidentellement.
 L'agent Treadwell
(James Van Der Beek)

Du Jeudi, où ils se sont rencontrés, jusqu'au Lundi suivant, contre toute attente, Adele et Henry sympathisent avec Frank qui se comporte avec eux avec attention, prévenance et délicatesse, et non comme un repris de justice violent. Progressivement, le fugitif et la mère de famille tombent amoureux  et deviennent amants, sous les yeux du garçon, tour à tour jaloux et heureux.
Mais quand une jolie camarade de classe, dont il s'éprend, insinue qu'il pourrait être abandonné alors que Frank a convaincu Adele de partir au Canada, Henry commet deux erreurs lourdes de conséquences en déposant une lettre d'adieu à son père et en attirant l'attention d'un agent de police qui recherche le fugitif. 
Henry adulte
(Tobey Maguire)

Plusieurs années après, Henry recevra une lettre de Frank sur le point de sortir de prison et désireux de revoir Adele...

Jason Reitman est un cinéaste que j'apprécie sans pourtant surveiller les sorties de ses films qui, il est vrai, n'ont jamais assez de succès pour être programmés là où je vis. Je me rattrape donc souvent en découvrant ses opus sur d'autres supports après avoir lu un article à leur sujet. Les sujets qu'il aborde m'intéressent plus ou moins, mais ce qu'il en fait m'intéresse. Les acteurs qu'il dirige, toujours dans des emplois originaux et de manière subtile, sont également attirants. Autant d'éléments encore présents dans ce très beau Labor Day qu'il a été traduit en France par un titre anglais (!), Last Days of Summer.  

L'introduction, rapide, et à vrai dire improbable - mais c'est une constante du cinéma de Reitman (cf. Thank you for smoking avec son prometteur du tabac sans états d'âme, Juno avec son ado qui choisit de ne pas avorter, In the air avec son spécialiste des licenciements obligé d'obéir à une collègue plus jeune, ou Young adult avec sa pathétique héroïne qui veut reconquérir son amour de jeunesse) - suggère une romance plus convenue que d'habitude, peut-être trop sentimental - ce mauvais sentimentalisme dénoncé par Billy Wilder, avec un prétexte facile et des effets appuyés.

Mais la vérité de l'oeuvre se révèle tout aussi vite et pour une meilleure impression car le thème du film est celui de la dualité : dans cet étrange prise d'otages, une mère et son fils sont séquestrés par un fugitif qui ne les malmènera jamais, au contraire il va gagner leur confiance, leur affection, leur amour même. Non pas à cause du syndrome de Stockholm qui explique que les victimes peuvent éprouver des sentiments solidaires avec leur ravisseur, mais parce que chacun trouve en l'autre ce qui lui manquait. Parce que l'autre n'est pas celui qu'on croit, qu'on présente dans les médias ou que la justice a condamné.

Cette construction duelle se prolonge dans d'autres niveaux de lecture du film : il est traversé par des flash-backs fulgurants, quasi-muets, révélant le passé de Frank (sans qu'on fasse immédiatement le lien avec lui au début d'ailleurs). Le passé éclaire d'un jour nouveau le présent et donne une logique au comportement du repris de justice, la vérité sur son caractère : il a aimé une jolie fille volage, a appris qu'il n'était pas le père de leur bébé, l'a tuée accidentellement avant de découvrir le meurtre de l'enfant par sa mère. Cela confère au récit une tonalité mélodramatique mais suggérée.

La suggestion vaut aussi pour la façon dont Reitman exprime la sensualité : la moiteur de cet fin d'été 1987 dans le Sud des Etats-Unis nous oriente dans cette voie-là, mais le cinéaste ne filme pourtant aucune scène d'amour, de sexe. Il se contente de quelques regards éloquents, de gestes discrets mais clairs, la photo de Eric Steelberg pointe superbement la légèreté d'une robe, la sueur de la peau, les cheveux collés, la tension des muscles, la douceur des sourires. 

Si la rencontre initiale de la rencontre entre Adele, Henry et Frank est déjà extraordinaire, le développement de leur vie de famille, car c'est bien de cela qu'il s'agit - une femme retrouve un homme attentionné, un homme est séduite par une femme délaissée, un ado possède de nouveau une figure paternelle et protectrice pour sa mère - l'est tout autant, sinon plus. Pour le raconter, il met en parallèle l'éveil sexuel de Henry et le réveil sensuel de sa mère, déclenchés par la présence d'un intime étranger. 

On peut interpréter l'histoire comme une variation freudienne si on est versé dans la psychanalyse. Il me semble que le film se suffit à lui-même sans vouloir l'intellectualiser. Tout le talent de Reitman est de faire comprendre ce qu'il veut dire, ressentir sans imposer une grille de lecture au spectateur : il nous trouble sans forcer, en s'appuyant d'abord sur des ambiances, des actions miniatures, une temporalité serrée (quatre jours), un quasi-huis clos (on ne quitte pratiquement pas la maison d'Adele, et les scènes qui ne s'y passent pas sont presque dispensables, hormis les dialogues entre Henry et sa camarade de classe).  

Et tout aussi progressivement s'établit un suspense atypique où il est moins question de savoir si Frank sera repris (en acceptant de rester, il signe sa perte comme tout fugitif, et lorsqu'il organise le départ au Canada, on doute que le voyage réussisse) mais quand et comment. L'ambivalence avec laquelle Henry apprécie ce personnage, qui est à la fois si sympathique et tout de même dangereux, aimable et manipulateur, fragilise tout projet d'avenir à trois. L'adolescent est tiraillé entre la reconnaissance - Frank rend sa mère heureuse à nouveau, Frank se comporte en bon père rassurant  - et la jalousie - Frank lui prend sa mère, Frank pourrait convaincre Adele de fuir sans son fils. De fait, à la fin, quand Henry voudra dire "adieu" à son père, ne le fait-il pas en espérant être repéré pour dénoncer Frank, le faire arrêter - arrêter tout ?

Pour jouer cette partition inspirée d'un roman de Joyce Maynard, qui vécut une relation éphémère mais intense avec J.D. Salinger (l'auteur mythique de L'attrape-coeur) dans les années 70 (au point qu'on ne retint que cela de sa vie, éclipsant son travail de romancière), Reitman a pu compter sur trois acteurs formidables : Kate Winslet n'a jamais été aussi belle et troublée, Josh Brolin est comme d'habitude excellent en type viril mais à la dérive, et le jeune Gattlin Griffith (dont le rôle adulte est incarné par Tobey Maguire, sans un mot, très sobre) est épatant en exprimant tout en finesse ses innombrables tourments. James Van Der Beek (l'ex-star de Dawson) n'a que deux scènes, mais il injecte à la seconde une tension infernale.

Ces "derniers jours de l'été" forment une grande réussite, qui affirme le talent de son réalisateur, une des personnalités les plus passionnantes du cinéma US actuel.

vendredi 17 juin 2016

Critique 922 : YOUNG ADULT, de Jason Reitman / FRANCES HA, de Noel Baumbach


YOUNG ADULT est un film réalisé par Jason Reitman, sorti en salles en 2011.
Le scénario est écrit par Diablo Cody. La photographie est signée Eric Steelberg. La musique est composée par Rolfe Kent.
Dans les rôles principaux, on trouve : Charlize Theron (Mavis Gary), Patton Oswalt (Matt Freehauf), Patrick Wilson (Buddy Slade), Elizabeth Reaser (Beth Slade).
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Récemment divorcé, Mavis Gary rédige les textes de romans pour "jeunes adultes" signés par une romancière célèbre. Mais cette série d'histoires, dont le succès a beaucoup décliné au fil des ans, est sur le point d'être interrompue par son éditeur.
 Buddy Slade et Mavis Gary
(Patrick Wilson et Charlize Theron)

Pour Mavis, ces revers sentimentaux et professionnels lui envoient un signal : elle doit rebondir en se fixant de nouveaux objectifs. C'est ainsi qu'elle décide de revenir dans sa ville natale du Minnesota, qu'elle retrouve inchangée : l'endroit est aussi morose qu'elle.
 Matt Freehauf et Mavis Gary
(Patton Oswalt et Charlize Theron)

Mais la jeune femme, qui cache sa situation personnelle à toutes les vieilles connaissances qu'elle croise sur place, est là pour réaliser un projet insensé, révélant ses névroses : elle veut reconquérir son amour de jeunesse, Buddy Slade... Alors même que celui-ci est marié, heureux en couple, et vient d'être père !
 Mavis Gary, Buddy et Beth Slade
(Charlize Theron, Patrick Wilson et Elizabeth Reaser)

Témoin et confident de Mavis, Matt Freehauf, qui fut lors de leur scolarité commune victime d'une agression homophobe qui l'a laissé physiquement handicapé, tente de la raisonner avant qu'elle ne se rende compte de la folie de son objectif au prix d'une terrible mais étonnamment salvatrice humiliation...
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FRANCES HA est un film réalisé par Noel Baumbach, sorti en salles en 2012.
Le scénario est écrit par Noel Baumbach et Greta Gerwig. La photographie est signée Sam Levy. La musique est composée par Sam Matarazzo.
Dans les rôles principaux, on trouve : Greta Gerwig (Frances), Mickey Sumner (Sophie), Adam Driver (Lev), Patrick Hensinger (Patch).
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A 27 ans, Frances espère intégrer à titre permanent la compagnie de danse où elle figure à New York.
 Sophie et Frances
(Mickey Sumner et Greta Gerwig)

Au même moment, sa meilleure amie et co-locataire, Sophie, lui annonce qu'elle part s'installer avec Patch, son compagnon qui l'a demandée en mariage, mais avec lequel Frances ne s'est jamais entendu.
Lev et Frances
(Adam Driver et Greta Gerwig)

Frances doit trouver un nouveau domicile et partage un temps l'appartement de Lev, un sculpteur séducteur qui ne cherche pourtant pas à coucher avec elle. Fauchée, paumée, mais animée par une énergie débordante, la jeune femme doit faire de choix pour son avenir, qu'elle concevra après un week-end à Paris...

Les hasards de la programmation télé ont abouti à la diffusion, à quelques jours d'écart (Dimanche et Mercredi dernier), respectivement sur France 4 et Arte, à ces deux comédies incarnées par deux personnages féminins mémorables.

Les grincheux râlent volontiers contre une certaine uniformisation du cinéma américain en le réduisant aux blockbusters, ces films à grand spectacle qui attirent en masse le grand public. C'est un reproche doublement stupide : d'abord parce qu'il est réducteur - le cinéma américain, ce n'est pas que ça - et ensuite c'est snob - les blockbusters ne sont pas forcément des grosses productions abêtissantes.

Avec les deux longs métrages que je réunis, opportunément, dans cette entrée, on a la preuve que les Etats-Unis proposent encore, régulièrement et en nombre conséquent, des films intermédiaires, sans gros budget, sans effets spéciaux grandiloquents. Frances Ha est l'archétype du film indépendant, tourné avec peu de moyens, en noir et blanc, dont le pitch tient sur un post-it, avec des acteurs remarqués dans ce registre alternatif. Young Adult est l'avant-dernier opus en date d'un réalisateur dont la filmographie se distingue justement par ses histoires à contre-courant mais souvent interprétées par des stars confirmées à la recherche de rôles atypiques.

Jason Reitman est un cinéaste que je suis avec intérêt depuis son premier film, Juno, qui abordait le thème des grossesses précoces via une adolescente qui décidait, contre toute attente, de ne pas avorter mais de faire adopter son bébé - une pépite excentrique qui révéla Ellen Page. Il a ensuite dirigé George Clooney dans In the air, avant de filmer ici Charlize Theron dans un rôle tout à fait remarquable.

Mavis Gary entreprend donc de reconquérir son amour de jeunesse sans se soucier du fait qu'il est désormais marié, heureux et père de famille. Son projet loufoque et pathétique a été écrit par Diablo Cody, déjà auteur du script de Juno, et met en scène un personnage tout à fait désagréable et ridicule que Charlize Theron ne cherche jamais à rendre aimable. C'est une curieuse comédie qui ne fait pas vraiment rigoler mais sidère avec son argument initial, l'entêtement misérable de son héroïne, la révélation progressive de ses échecs...

On peut juste regretter que Cody et Reitman n'aient pas été plus audacieux dans leur dénouement : Mavis comprend finalement son erreur, et se reprend en main, tourne la page. Une happy end étrangement convenue après une série d'humiliations pour cette femme qui ne suscite guère de compassion. Mais le film est suffisamment déroutant et d'une concision bienvenue (85') pour mériter une bonne note : rarement la formule de François Truffaut (même si je ne sais pas s'il en est vraiment l'auteur), "pour être aimé il faut être aimable" aura été si bien développée...

La concision et la singularité, ce sont aussi deux qualités qui honorent Frances Ha : j'avais souvent entendu de ce film avant d'enfin le découvrir au milieu de la semaine, lu des articles unanimement élogieux à son sujet, soulignant par dessus tout la révélation de son actrice-co-scénariste - la lumineuse et très grande Greta Gerwig.

Tant de louanges produisent chez moi souvent une méfiance proportionnelle, qui peuvent même suffire à me faire éviter ledit long métrage, comme si tout ça était trop beau pour être vrai. J'aurai pourtant été bien bête de passer à côté, je l'admets.

Comme Young adult, l'affaire est vite pliée : 85' pour relater les désagréments subis par Frances, jeune danseuse, qui apprend successivement que sa meilleure amie part vivre avec un type qu'elle considère comme un con et perd la place qu'elle convoitait dans une compagnie de danse new yorkaise. 

Si Diablo Cody et Jason Reitman ont quelque peu manqué la conclusion de leur film, on peut reprocher à Noel Baumbach et Greta Gerwig d'avoir filmé une histoire bien maigre. Mais la construction de leur récit est habile : en le chapitrant suivant les adresses où habite l'héroïne, on a le sentiment que l'action est très mobile et plus dense qu'il n'y paraît, alors qu'en vérité on ne quitte pas New York (hormis une escapade à Paris, qui évite cependant les clichés, avec plans touristiques et ébahis sur la Tour Effeil de rigueur) et que l'intrigue se résume surtout à une collection de discussions comico-existentielles très influencées par Woody Allen (sans en avoir la dérision et la fraîcheur) - et accompagnée d'une bande-son où Georges Delerue est abondamment repris (ce qui renforce son aspect "Nouvelle Vague", en plus du noir et blanc).

Pourtant, comme Charlize Theron éclipse Patrick Wilson chez Reitman (où Patton Oswalt incarne un second rôle beaucoup plus attachant), ce qui emporte l'adhésion du (télé)spectateur dans Frances Ha, c'est Greta Gerwig, face à qui ni Mickey Sumner ou même Adam Driver ne font pas le poids. Avec son sourire désarmant, sa longue silhouette à la fois impressionnante et gracieuse, la comédienne, à l'origine du projet qu'elle a écrit avec Baumbach sans jamais être durant toute la pré-production dans la même pièce que lui (ils n'échangeait leurs avis que par mails ou coups de téléphone !), dégage un tel charisme, sa présence est tellement éclatante, sans pourtant jamais sombrer dans la préciosité ni le cabotinage, qu'elle emporte sur son passage. 

Finalement, donc, de Charlize Theron (l'icone super glamour de Dior "J'adore") à Greta Gerwig (néo-coqueluche indé), de Jason Reitman (brillant "fils de") à Noel Baumbach (énième porteur du flambeau du cinoche de Big Apple), le cinéma américain rappelle tout seul, sans la contribution de critiques professionnels jamais contents, qu'il a bien des visages. N'est-ce pas pour cela qu'on l'aime tant, toujours et encore, même quand on se plaint constamment de ce que ses grands studios nous proposent ?