mardi 14 août 2018

TULLY, de Jason Reitman


Tully s'affiche d'abord comme un film de retrouvailles puisqu'il réunit pour la quatrième fois le réalisateur Jason Reitman et la scénariste-dialoguiste Diablo Cody (après Juno, Jennifer's Body et Young Adult), puis le cinéaste avec l'actrice (et ici co-productrice) Charlize Theron (après Young Adult). Mais ces retrouvailles constituent en quelque sorte le coeur du film puisque (attention spoilers dans ce qui suit) l'héroïne y renoue avec une partie de son passé...

 Marlo et son fils Jonah (Charlize Theron et Asher Miles Fallica)

Sans l'avoir planifié, Marlo Moreau, la quarantaine, attend son troisième enfant. Elle a pourtant déjà fort à faire avec une fille et un garçon, Jonah, à qui les psys ont diagnostiqué des troubles du comportement - ce pour quoi la directrice de son école souhaiterait son transfert dans un établissement spécialisé.

Marlo (Charlize Theron)

Invités à dîner chez le frère de Marlo, plus riche qu'elle, cette dernière et son mari, Drew, reçoivent comme cadeau un présent étonnant : les services d'une nounou de nuit, qui permettra à la future maman de se reposer. D'abord réticente à l'idée de confier son enfant à une inconnue qui viendra chez eux pendant leur sommeil, Marlo ne résiste pas à la contacter une fois qu'elle a mis Mia au monde et que le bébé ne lui laisse aucun répit.

Tully (Mackenzie Davis)

C'est ainsi que Tully, la vingtaine, fait son entrée dans la vie de la famille Moreau. Toujours méfiante au début, Marlo s'en remet vite complètement à elle, d'autant plus que la jeune femme est aux petits soins pour Mia et la maison qu'elle entretient à ses heures perdues. Ainsi, Marlo retrouve un semblant de vie sociale et de sérénité.

Tully et Marlo (Mackenzie Davis et Charlize Theron)

Une nuit, alors qu'elle allaite Mia, Marlo raconte à Tully la misère de sa vie sexuelle depuis ses maternités successives. Poussée à la confidence, elle sait pourtant que Drew fantasme en particulier sur les serveuses des années 50, avec leur uniforme - d'ailleurs elle s'en était acheté un pour un jeu érotique. Tully l'enfile et entraîne Marlo dans une partie à trois avec son mari. 

Marlo et son mari Drew (Charlize Theron et Ron Livingston)

Une autre nuit, Tully arrive visiblement contrariée, après s'être disputée avec sa co-locataire qui lui reproche ses nombreuses aventures sans lendemain avec des garçons. Tully convainc Marlo de sortir boire une verre en expliquant que Mia fait à présent bien ses nuits et que Drew peut bien s'en occuper pour une fois. Direction : Brooklyn.

Tully et Marlo (Mackenzie Davis et Charlize Theron)

C'est dans ce quartier de New York que Marlo a résidé durant ses études avec sa meilleure amie. Et là aussi que Tully lui annonce qu'elle va devoir la quitter, estimant qu'elle a rempli sa mission et que la mère de famille est prête à reprendre sa place. Sur la route de retour, Marlo s'assoupit au volant et sa voiture plonge dans la rivière. Groggy, elle croit voir une sirène venir la repêcher mais Tully a disparu.

Drew (Ron Livingston)

A l'hôpital, Drew apprend par une psy que sa femme souffre de surmenage puis interrogé sur la nounou de nuit, affirme ne l'avoir jamais vue. Quand on lui demande le nom de jeune fille de Marlo, il répond : "Tully". De retour chez elle, Marlo reçoit le soutien de son mari et Jonah est plus calme. La vie reprend.

Bien que je n'ai pas vu Jennifer's Body, j'ai toujours apprécié la collaboration entre Diablo Cody et Jason Reitman, cinéaste que je suis toujours avec beaucoup d'intérêt car il représente ce cinéma du "milieu" - dont beaucoup de critiques annoncent régulièrement la disparition mais qui survit tout de même entre les productions indés et les blockbusters. Un cinéma adulte, souvent intimiste, qui embrasse des sujets de société sans verser dans la thèse, privilégiant les personnages à l'intrigue sans négliger de raconter une histoire accrocheuse.

Dans Juno, les deux partenaires dressaient le portrait d'une ado qui tombait enceinte et refusait d'avorter pour confier son bébé à un couple qui ne pouvait pas en avoir - et accessoirement pour culpabiliser son copain qui l'avait mise dans cet état. Le ton malicieux et enjoué de ce petit chef d'oeuvre donnait le ton à la filmographie de Reitman où, partant d'une situation complexe, il déjouait les pièges et les attentes, avec une formidable révélation en la personne de Ellen Page.

Dans Young Adult, l'esprit se faisait plus mordant avec l'aventure d'une femme qui revenait dans son bled natal dans le but de reconquérir son amour d'enfance, même s'il était marié et père de famille désormais. Cette quête pathétique se nuançait pourtant d'une vraie tendresse pour l'héroïne, plus désespérée que convaincue de son projet. Charlize Theron y trouvait un rôle en or, sans doute son meilleur (bien meilleur que sa performance à Oscar de Monster).

A la perspective de découvrir le nouvel effort du trio Cody-Reitman-Theron, l'attente était forte. Tully ne la comble pas complètement mais s'avère tout de même très satisfaisant, avec cette fois un zeste de fantastique où chaque détail compte - un peu à la manière du Paranoïa de Soderbergh dont je parlais hier.  

Tully, cette nourrisse miraculeusement parfaite, est une fabrication de l'esprit de Marlo, elle avec vingt ans de moins, telle qu'elle fut étudiante, encore libre, indépendante, pleine de rêves et d'énergie, de charme solaire et d'insouciance. Elle la créé comme on appelle "au secours" en pleine crise car elle frôle le burn-out au moment de donner naissance à un troisième enfant non désiré.

Au-delà de ce twist qui se révèle subtilement à la fin du film et qu'on ne voit absolument pas venir sans être extrêmement attentif (l'indice qui m'a mis la puce à l'oreille se situe au moment où Tully se déguise en serveuse et entraîne Marlo et son mari dans une partie à trois : le costume qui sied parfaitement à la nounou et le jeu sexuel qui s'ensuit ne peuvent que questionner sur leur réalité), le récit se déploie tranquillement, comme pour mieux nous abuser. Et le procédé fonctionne parfaitement.

Dans une premier temps, avant l'apparition de Tully, Reitman met en scène la passe difficile que traverse Marlo, enceinte jusqu'aux yeux, devant s'occuper de sa maison, de son fils aîné en délicatesse avec son école, de sa petite soeur réclamant de l'attention, et lâchée par un mari qui préfère jouer aux jeux vidéos le soir au lit plutôt que de veiller sur son épouse, l'aider dans sa besogne quotidienne - quand il n'est pas en déplacement professionnel. Il faut saluer l'interprétation de Ron Livingston dans ce rôle ingrat qu'il parvient à ne pas rendre antipathique.

La répétition des gestes, la fatigue qui gagne, les nerfs qui lâchent (mémorable scène d'engueulade avec la directrice d'école), le refus de s'appuyer sur l'aide d'une inconnue (même louée pour la qualité de ses prestations et offerte en cadeau par un frère riche), tout ça, le film le montre d'une façon implacable, avec une franchise rare qui démonte l'idée que la maternité est un accomplissement.

Lorsque Tully surgit, tout s'illumine. La présence radieuse de Mackenzie Davis (héroïne de la série Halt and cath fire et surtout de l'épisode San Junipero dans Black Mirror) est exceptionnelle, à tel point que la jeune actrice vole la vedette à Charlize Theron, dont, une fois de plus, la volonté de réaliser une performance joue contre le film (avec ses kilos pris, son air dévasté, ses cheveux gras, sa fébrilité, elle en fait littéralement des tonnes - bien loin de sa composition irrésistible de Young Adult).La révélation finale est finement dévoilée et renvoie à ce que pouvait accomplir un Mankiewicz (dans L'Aventure de Mrs Muir), tandis que mea culpa de mari et le dénouement sont un peu trop beaux.

Il n'empêche, si Tully n'égale pas les réussites antérieures de Cody-Reitman, il y a dans ce cinéma une bienveillance mais aussi une honnêteté vis-à-vis des imperfections des personnages qui sont suffisamment rares pour inciter à l'indulgence et au soutien de tels films. 

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