vendredi 17 août 2018

PEARL #1, de Brian Michael Bendis et Michael Gaydos


En signant chez DC, Brian Michael Bendis n'a pas seulement vendu ses services de scénariste pour des séries populaires, il s'est vu offrir par Dan Didio (le publisher avec Jim Lee de la maison) l'opportunité de réécrire des titres en creator-owned (dont il aurait la propriété donc) au sein de son propre label (Jinxworld). Pearl inaugure cette collection (bientôt enrichie du retour de Scarlett avec Alex Maleev, Cover avec David Mack et United States vs. Murder Inc. avec Mike Avon Oeming) en collaboration avec Michael Gaydos, le co-créateur de Jessica Jones.


Pearl est une jeune femme chinoise qui vit à San Francisco et, ce soir, elle est sortie dîner dehors. Elle est abordée par un jeune homme, Rick, qui a remarqué qu'elle portait à l'intérieur de son poignet droit un tatouage rare, un Iriguci.


Fasciné, il l'interroge sur cette araignée dessinée sur sa peau puis s'éloigne pour en parler à des amis. Kim, l'amie de Pearl, la rejoint et ensemble elles s'approchent de ce groupe de garçons, découvrant que Rick est également artiste tatoueur lorsqu'il leur montre une de ses créations (un dragon) sur le dos d'un de ses amis.


Loin de plaire à Pearl, la découverte du métier de Rick l'incite à s'éloigner, comme s'il s'agissait d'une malédiction. C'est alors que le crissement de pneus et le vrombissement de motos se font entendre. Une fusillade éclate, les motards tuent les amis de Rick qui est la prochaine cible... Jusqu'à ce que Pearl dégaine un pistolet et abatte les tueurs.


Cette arme, elle la tient de son père. Aujourd'hui, Mr Kai l'examine en mentionnant la réaction de Mr Miike après cet échange de coups de feu qui pourrait déclencher une guerre des gangs. Pearl est sommée d'aller parler à Miike.


Ce dernier rassure cependant la jeune femme à qui il promet sa protection et que la situation ne s'envenimera pas. Si elle consent à tuer pour lui au besoin. De retour chez elle, Pearl est attendue par Rick qui veut la remercier de l'avoir sauvé et payer la dette qu'il a envers elle.

La (superbe) variant cover d'Alex Maleev.

Tout d'abord, je dois avouer n'avoir jamais suivi la série Jessica Jones de Brian Michael Bendis et Michael Gaydos, en grosse partie parce qu'elle m'a souvent semblé paresseusement mise en image (des pages entières de "talking heads"). Aussi Pearl n'était pas la nouveauté "Jinxworld" que j'attendais le plus impatiemment (me réservant pour Scarlet et Cover).

Mais la preview de ce premier numéro et une interview en forme de note d'intention du scénariste m'ont convaincu de tenter le coup. Et je ne suis pas déçu. L'aventure présente en outre l'avantage de ne pas s'engager pour trop longtemps puisqu'il s'agira d'une mini-série (comme les autres titres "Jinxworld") en six épisodes.

Dans l'interview précité, Bendis revenait sur la genèse de ce projet, durant son hospitalisation au début de l'année (où, victime d'une infection, il a failli perdre la vue et pire ensuite). S'étant vu offrir par le staff éditorial de DC la possibilité de produire des séries en creator-owned (alors que Marvel ne lui permettait pas d'en publier avec une structure dédiée - le label "Icon" a toujours manqué de suivi, et tous ceux qui y ont débuté quelque chose ont fini par rapatrier leurs travaux chez leur nouveau employeur, comme Millar et Brubaker chez Image par exemple), il a sauté sur l'occasion tout en réfléchissant quelque chose d'inédit (même si Scarlet et United States vs. Murder Inc. sont des suites).

Quelque chose qui motivait Bendis était de se frotter au genre romantique tout en revenant à la série noire, délaissée depuis ses débuts. Michael Gaydos a soufflé l'idée d'inscrire l'histoire dans le milieu des artistes tatoueurs et des yakusas. Le résultat a abouti à Pearl.

Ce premier épisode est une exposition classique mais efficace. On y fait connaissance avec les protagonistes et la situation est rapidement nouée. Les éléments en devenir sont habilement suggérés, même si le lecteur ne devine pas tout non plus. On pense à Roméo et Juliette avec le couple potentiel que formeraient Pearl et Rick, à Yakusa pour la guerre des gangs qui couve, et The Pillow Book pour l'art des tatoos. Un ensemble à la fois disparate et composite, qui s'avère remarquablement solide et accrocheur.

Bendis peut, dans ce cadre, développer son goût pour les parties dialoguées comme moteur des relations, mais il reste sobre, s'abstenant de relances, répétitions dans les échanges. Quand les mots sont plus présents et occupent une part non négligeable d'un plan, c'est pour mieux insister sur leur force menaçante (quand Miike torture Pearl) ou leur intensité émotionnelle (le flash-back avec le père de Pearl qui lui offre son pistolet et la met en garde contre les hommes).

Mais Pearl représente donc aussi un défi pour Gaydos qui s'emploie donc à renouveler sa mise en images, à dépasser ses fameuses pages pleines de "talking heads" dont je parlais plus tôt. L'artiste, qui assume dessin, encrage et colorisation, fait de la série un objet graphique surprenant, à la fois étrange et beau, mais pas joli.

Tout baigne dans une sorte de teinte jaunâtre à la fois esthétique et bizarrement inconfortable, comme une sorte de rêve délavée, un filtre décalée sur un dessin réaliste (à l'exception du trait flottant du flash-back). Puis, brutalement, comme pour mieux coller à la soudaineté de la scène, il opte pour du rouge sang, violent, lors de la fusillade. Plus tard, c'est un bleu clair puis foncé qui domine dans le face-à-face entre Pearl et Miike.

La couleur donne le ton et l'ambiance de chaque séquence, est associée au personnage principal, moteur du moment, de l'action. Gaydos alterne un découpage sage et des fulgurances (comme la double page de la tuerie). Lorsque les personnages parlent entre eux, c'est plan-plan, volontairement haché et frontal (la conversation entre Kai et Pearl). Sinon, la proximité, douce ou menaçante, entre deux individus modifie la valeur du plan (plans serrés et oppressants entre Pearl et Miike, plans moyens entre Pearl et Rick).

Gaydos a soigneusement étudié l'art du tatouage, ça va de soi, et il le prouve dans des images en couleurs directes, sans pour autant être démonstratif. Mais il est évident que cela ne sera pas seulement un gadget narratif, un truc exotique, tout comme le fait que Pearl soit albinos et ait des cheveux blancs. Cela participe de la singularité du récit et va trouver son sens au fur et à mesure.

Ce "pilote" est donc très engageant et montre une autre facette passionnante, mais négligée ces dernières années, de ce que peut produire Bendis. La renaissance du "Jinxworld" s'annonce bien.

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