lundi 31 juillet 2017

ASTONISHING X-MEN #1, de Charles Soule et Jim Cheung


13 ans après sa création (à succès) par Joss Whedon (au scénario) et John Cassaday (au dessin), Marvel relance une énième version du titre Astonishing X-Men en espérant, cette fois, renouer avec les ventes du premier volume. Cependant la formule change nettement puisque cette série se présente désormais comme une anthologie, une collection d'épisodes auto-contenus, illustrés à chaque fois par un artiste différent.

Mais, en vérité, le résultat tient-il la route ? Et est-il conforme à l'annonce ? Pas si simple...

L'intrigue de ce premier chapitre tient sur un post-it : Betsy Braddock/Psylocke, une des mutantes aux pouvoirs psychiques les plus puissantes, subit une attaque mentale alors qu'elle se balade en ville. Elle lance un S.O.S. télépathique à plusieurs X-Men, les plus proches du point où elle se trouve - de Old Man Logan à Fantomex en passant par Angel (ses anciens camarades au sein de Uncanny X-Force) mais aussi Bishop, Gambit, et Rogue. 
Une fois cette bande réunie, elle échafaude un plan rapide pour détecter la source de l'agression et, ci fait, partir la neutraliser. Mais l'adversaire est redoutable et dispose d'un étonnant atout...

Charles Soule est un scénariste dont, je l'avoue, tout ce que j'ai lu à présent m'est toujours tombé des mains, mais il a les faveurs de Marvel car c'est un parfait "yes man", qui semble prêt à accepter n'importe quelle commande (il a par exemple remplacé au pied lever Matt Fraction lors du lancement de la série Inhuman, qui allait ensuite déboucher sur le développement d'une franchise autour des Inhumans, prévue pour supplanter la gamme X-Men - sans succès. Il est actuellement en charge de Daredevil, mais son run brille surtout par sa pâleur après celui brillant de Waid et Samnee.).

Je ne serai guère plus tendre avec Jim Cheung, même si lui dispose d'une fanbase conséquente, mais dont je trouve le style figé, les personnages indistincts, le trait raide. Néanmoins, je lui reconnais un vrai talent pour figurer les héroïnes, séduisantes sans être vulgaires (Psylocke et Rogue sont superbes sous son crayon, et l'encrage de Mark Morales ne gâche rien, tout comme les couleurs de Richard Isanove).

Le casting des personnages a le mérite d'être connecté par des liens connus de beaucoup de lecteurs (anciens ou plus récents) - Psylocke a été l'amante d'Angel et Fantomex, Rogue et Gambit aussi, Bishop a fait équipe avec Psylocke, et Mystique - absente de l'épisode malgré sa présence sur la couverture - est liée à Rogue, Old Man Logan connaît évidemment tous ces mutants comme le Fauve qui intervient à la fin. Il faudra quand même de l'adresse à Soule pour animer une formation aussi fournie, à moins que la forme de la série induise que le groupe varie en nombre selon ses missions.

En parlant de forme, Marvel a lancé ce projet comme une série de one-shots, mais, sans spoiler, ce n'est pas le cas puisqu'un cliffhanger (par ailleurs saisissant) figure en dernière page - vrai retour d'un personnage iconique ? Ou astuce du méchant, par ailleurs réellement redoutable (le Roi des Ombres) ?

Voilà donc, contre toute attente, un début prometteur, accrocheur. A confirmer avec le prochain chapitre, dessiné cette fois par Mike Deodato.

dimanche 30 juillet 2017

MARY (GIFTED), de Marc Webb

 L'affiche US

Que fait l'interprète de Captain America quand il ne se bat contre des nazis, des extra-terrestres ou des intelligences artificielles ? Hé bien, il tourne un petit film avec l'ancien réalisateur de deux films consacrés à Spider-Man !
 L'affiche française (le film sortira en Septembre prochain)

Cette petite plaisanterie (mais qui est néanmoins véridique) pour vous parler de Mary (Gifted en vo), long métrage réalisé par Marc Webb (aux commandes donc des deux volets d'Amazing Spider-Man), avec Chris Evans.
 Frank et Mary Adler (Chris Evans et Mckenna Grace)

Frank Adler travaille à réparer des bateaux de plaisance tout en étant le tuteur de sa nièce de sept ans, Mary. La petite fille est inscrite à l'école où sa maîtresse, Bonnie, remarque qu'elle est surdouée en mathématiques. La directrice convoque Frank pour lui proposer de faire admettre sa nièce dans un établissement privé où son génie sera mieux pris en charge et ses études payées grâce à une bourse. Mais il refuse, préférant que Mary ait une enfance normale plutôt que celle d'une bête à concours.
 Evely, Frank et Mary Adler (Lindsay Duncan, Chris Evans et Mckenna Grace)

Croyant bien faire, la directrice trouve et contacte la grand-mère de l'enfant, Evelyn, pour l'affranchir de la situation. On apprend alors que la mère de Marie, Diane, était elle aussi une prodige des maths mais qui, dé-sociabilisée et obsédée par la résolution d'un problème scientifique réputé, s'est donnée la mort avant de confier la garde de Mary à Frank. 
 Roberta et Frank (Octavia Spencer et Chris Evans)

Une bataille judiciaire s'engage entre Frank et Evelyn pour la garde de l'enfant, bien que celle-ci préfère rester avec son oncle. Ce dernier, comprenant grâce à son avocat qu'il perdra le procès, la confie à un foyer d'accueil au terme d'un compromis. Déchiré par cette séparation, il s'interroge, avec le concours de sa voisine (et nounou) Roberta et de Bonnie (devenue son amante), sur les choix qu'il a faits pour Mary. 
Bonnie et Frank (Elizabeth Marvel et Chris Evans)

Ses conclusions basculent quand il découvre qu'Evelyn l'a dupé...

De Marc Webb, même s'il n'a pas démérité avec ses deux Amazing Spider-Man, je préférai quand même nettement son premier opus, (500) Jours ensemble, merveille de fausse comédie romantique, à la mise en scène inventive et à l'écriture très sensible. Ce coup d'éclat avait attiré l'attention du studio Sony pour lui confier la relance, après la trilogie de Sam Raimi, des aventures du tisseur de toiles, mais le cinéaste a subi seul les scores décevants aux box-office et les quolibets des fans de comics. Il était donc intéressant de voir si, et comment, il allait pouvoir rebondir.

Il le fait en revenant à ses premières amours, une histoire à petit budget, dans un registre intimiste. L'ironie, c'est qu'il a donc convaincu Chris Evans, l'incarnation de Captain America, pour le suivre dans cette entreprise. Mais l'acteur a dernièrement plusieurs fois exprimé son désir de ne pas être cantonné aux grosses productions et aux rôles de super-héros (il a réalisé son premier court métrage, rejoint l'adaptation du Transperce-neige, et évoqué qu'après les deux prochains Avengers, il comptait raccrocher le bouclier de Steve Rogers, son contrat avec Marvel-Disney arrivant à son terme de toute façon).

L'acteur étonne positivement dans ce drame low-fi en prouvant qu'il est capable de produire un jeu subtil, très sobre. Sa prestation laisse tout l'espace à la petite Mckenna Grace, aussi prodigieuse que son rôle, tout à fait craquante. A eux deux, ils éclipsent les seconds rôles, qui, sans démériter, meublent l'intrigue en lui apportant nuances, développements et supports, mais sont rédigés de manière plus schématique.

La réalisation est beaucoup moins dynamique que dans son premier film, mais Webb a choisi de raconter simplement un récit simple, d'épurer, autant pour éviter l'emphase dans les moments d'émotions que la comparaison avec son passage dans le monde super-héroïque (où beaucoup lui ont reproché son manque de sens du spectacle). C'est judicieux : le résultat est sobre, la photo belle, le tout emballé-plié en 90 minutes.

Souhaitons qu'en Septembre prochain, quand Mary (titre plus banal mais juste que le "Surdouée" de la vo) sera visible en France, il aura assez de copies et de temps pour toucher assez de spectateurs et prouver que Marc Webb comme Chris Evans sont aussi intéressants à suivre hors des adaptations de comics.

vendredi 28 juillet 2017

VALERIAN ET LA CITE DES MILLE PLANETES, de Luc Besson


Vous allez entendre et lire, si ce n'est déjà fait, beaucoup de choses (et leur contraire) au sujet de l'adaptation cinéma de Valérian par Luc Besson. Il y sera sûrement beaucoup question de chiffres ahurissants (en relation avec le budget du film), de performances diverses au box-office (décevant en Amérique, positif en France), de la qualité du film par rapport à celle de la série, etc.
Beaucoup de fâcheux et grincheux se déchaînent déjà sur les réseaux sociaux, assénant des jugements définitifs et expéditifs, souhaitant la défaite de Besson (parce qu'il n'aime pas le bonhomme) ; d'autres défendent le produit en soulignant (à raison) que l'oeuvre de Pierre Christin et Jean-Claude Mézières a été abondamment pillé (sans dédommagement) par les américains (de George Lucas à Steven Spielberg en passant par James Cameron jusqu'à J.J. Abrams).

Pas facile dans ces circonstances d'aller juger sur pièces en gardant la tête froide. Je vais quand même essayer.
 Valérian et Laureline (Dan de Dehaan et Cara Delevingne)

Valérian et Laureline effectuent ensemble leur première mission : lui est une tête brûlée, dragueur ; elle une fille qui ne s'en laisse pas compter facilement même si elle s'amuse du caractère de son acolyte. Ils dérobent un transmuteur (une bestiole qui est capable de dupliquer n'importe quel objet qu'on lui fait avaler), le dernier de son espèce après la destruction mystérieuse de la planète où il vivait trente ans auparavant.
 Le pirate d'Alpha (Alain Chabat)

Les deux agents spatio-temporels ramènent le transmuteur sur la station spatiale Alpha, qui depuis 1975, est devenu un gigantesque agglomérat de cités venues de toutes parts dans l'univers. Pour y représenter la Terre, il y a un Commandeur autoritaire soucieux de savoir qui se cache dans une partie de la station sans que personne n'ait pu l'approcher. Lorsque l'officier est enlevé, Valérian et Laureline qui étaient attachés à sa protection doivent le retrouver.
 Valérian et Bubble (Dan DeHaan et Rihanna)

Tandis que Valérian n'est rapidement plus joignable, Laureline comprend que la cible était le transmuteur et part retrouver son collègue, puis, ensemble, vont pister le Commandeur. Ce dernier a visiblement quelques vilains secrets dans son passé et la bestiole pourrait servir de monnaie d'échange...
 Au centre : le Commandeur (Clive Owen)

Pour les aider dans leurs investigations, Valérian et Laureline devront parcourir les méandres de la Cité des Mille Planètes, en affronter les pièges, mais pourront également compter sur l'aide de quelques comparses comme les trois Shingouz (des informateurs), Bubble (une métamorphe) ou un ahurissant pirate... 
Les Shingouz

Et, en fin de course, les attend une rencontre stupéfiante avec une race d'aliens présumée disparue, dont les agissements ne sont, contre toute attente, pas belliqueux.

Il ne s'agit que de mon humble avis, mais je crois qu'il a le mérite de pacifier le débat sur le résultat des efforts de Besson dans son entreprise. Comme pour Les Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec, sûrement son opus le plus abouti ces dernières années, le mieux pour apprécier Valérian et la cité des mille planètes est de le voir comme une version, une interprétation, voire une variation de la BD de Christin et Mézières et non comme une adaptation fidèle, conçue pour contenter les fans. Après tout, c'est aussi dans cet état d'esprit que Manu Larcenet en a tiré un album et que Lupano et Lauffray préparent le leur (à paraître cet Automne) - c'est, surtout, la meilleure manière de ne pas statufier une création dont les auteurs originaux permettent qu'elle soit reprise par d'autres : en la laissant être trahie, modifiée, corrigée, bref en la laissant vivre sa (nouvelle) vie (comparez, si vous n'êtes pas convaincu, la vigueur qui irrigue encore Spirou et Fantasio et les copies pathétiques, sans saveur, d'Astérix, Blake et Mortimer, où la consigne est d'imiter plutôt que de perpétuer de façon personnelle).

Cela ne signifie pas que le résultat est sans défaut : Besson ne peut s'empêcher d'écrire Valérian et Laureline comme un couple romantique (alors que le sel de leurs aventures tenait beaucoup à l'influence de la screwball comedy, chacun refusant d'avouer ses sentiments à l'autre), de philosopher naïvement sur les dégâts de l'homme où qu'il aille (sans doute est-ce aussi pour cela que les américains n'ont guère apprécié le film : que le "gendarme du monde" soit dépeint comme des exterminateurs pour qui la fin justifie les moyens via le personnage du Commandeur jure franchement dans l'Amérique de Trump), de lisser bizarrement certains éléments (le transmuteur, qui en vérité défèque ce qu'il absorbe pour le multiplier, n'a plus rien de grognon).

Mais, par ailleurs, pour un long métrage de 2h. 15, le rythme est très soutenu, sans temps mort ; l'intrigue est prenante ; et c'est visuellement vraiment extraordinaire : tout le bestiaire (et même plus) de Mézières est là, reproduit dans des proportions colossales, colorées, le spectacle est éblouissant (et supérieur graphiquement à tous les blockbusters US, y compris les modèles cités par le cinéaste - Avatar en premier).

S'ils ne ressemblent effectivement pas à leurs versions de papier (même s'il était difficile de trouver une rouquine effrontée comme Laureline ou un jeune Hughes Aufray, modèle de Mézières pour Valérian), Dan Dehaan et Cara Delevingne s'en sortent plus qu'honorablement : lui possède ce charme canaille sans l'assurance d'un super-héros (que Christin déteste), et elle exprime très bien ce côté butée et vivace de la débutante volontaire (la jeune mannequin avait déjà prouvé son potentiel de comédienne prometteuse dans l'épatant La Face cachée de Margo). Mention spéciale aussi à l'apparition d'Alain Chabat. Et Clive Owen campe un méchant efficace.

Et puis, il y a le "moment Rihanna" : une scène étincelante, aux effets spéciaux fantastiques, dans laquelle la chanteuse (ne chante pas) mais éblouit, avant un dialogue à la subtilité épatante sur les migrants, le droit à la différence, l'identité. Superbe.

Foin des polémiques stériles : Besson a plutôt bien réussi son affaire, dont l'histoire n'est ni débile et l'ambition respectable. Tout aussi respectable que n'importe quelle production Marvel en vérité, pour rester dans un registre comparable.

jeudi 27 juillet 2017

NIGHTCRAWLER, de Dave Cockrum

Une lecture qui, en vérité, une re-lecture (fréquente), parce que je ne m'en lasse pas. Mais pour bien la savourer, il faut relire Uncanny X-Men #153 dans lequel Kitty Pryde raconte à la petite Ilyana Rasputin un conte de fées (Kitty's Fairy Tale) mémorable, sans se douter que les membres de l'équipe écoutent à la porte...

C'est un épisode délicieux, touchant, plein d'humour, un des chefs d'oeuvre du duo Claremont/Cockrum (même si je pense que Cockrum en est le véritable auteur).

Et, en 1985-86, le regretté Dave Cockrum consacra une mini-série à son mutant favori, Nightcrawler/Diablo, paru en RCM (Récit Complet Marvel) en France. Faut-il rappeler que Diablo était une création bien antérieure aux All-New Uncanny X-Men de Len Wein, Chris Claremont et lui-même en 75 ? Il l'imagina durant son service militaire puis en raconta les premières aventures à ses enfants pour les endormir. A cette époque, Diablo était un authentique démon, sauvage et agressif, au service de l'Intruder, un personnage préfigurant le Punisher et inspiré de Batman. 

Une fois établi dans l'industrie des comics, Cockrum tenta de placer Nightcrawler au sein de la Légion des Super-Héros, mais il fut recalé à cause de son apparence trop inquiétante. Puis, passé chez Marvel, il put enfin trouver un endroit où caser son elfe bleu.
 

Logiquement, après le départ de John Byrne, Cockrum retrouva son poste de dessinateur des UXM et réalisa encore une belle collection d'épisodes, dont ce fameux #153, qui allait être la matrice pour la mini-série consacrée à Nightcrawler

Suite à une mauvaise programmation dans la salle des dangers, Kitty Pryde, flanquée d'Ilyana Rasputin (qui a plus grandi en quelques épisodes que Kitty pendant le même laps de temps...), envoie Diablo et Lockheed dans une dimension parallèle. Il y est capturé par une bande de pirates extra-terrestres, conduite par le capitaine Long John McGurk contre lequel il se rebelle quand un abordage est prévu. Ainsi, Kurt Wagner rencontre la belle princesse Jinjav Sabree de Bel Amee'Anora, elle-même dans le collimateur du sorcier Shagreen de L'un Dun-T'wn (festival de jeux de mots !)... Qui espére découvrir comment Diablo se téléporte.
En voulant lui échapper, l'elfe atterrit dans une nouvelle terre où il retrouve Pirate Kitty et Colossus, mais aussi Wolverine et Lockheed (dans des versions extraordinaires). Shagreen surgit à nouveau et capture tout ce beau monde. Mais d'étranges lutins bleus (qui ne sont pas des Schtroumpfs) vont contrarier ses projets...

BAMF ! Ces quatre épisodes sont pétillants à souhait et l'amusement de Cockrum est contagieux. Il nous entraîne dans une aventure trépidante, où il rend hommage aux films de pirates (en citant Captain Blood notamment - Cockrum était donc un fan d'Erroll Flynn comme... Alex Toth : les grands esprits se rencontrent !)... Et exploite superbement ce qui avait été posé dans UXM #153.

J'adore le Wolverine de ces histoires, mais aussi Lockheed, Pirate Kitty... Jason Aaron a dû lire et se souvenir de ça quand il ramena parmi les vivants Diablo dans ses (trop éphémères) numéros d'Amazing X-Men (peut-être le titre qui aurait redonné tout son lustre classique tout en étant moderne aux mutants, avec un casting aussi aimable pour les - vieux - fans que les nouveaux... Je lui en voudrais toujours d'avoir lâché l'affaire si vite, et Ed McGuinness avec lui, fusse pour écrire du Star Wars !).

Visuellement, Cockrum est volontiers taxé d'artiste vieillot, dépassé, démodé. Il n'a pas eu les grandes sagas de Byrne, ni le pep's de Romita Jr., la classe de Paul Smith, le génie de Barry Windsor-Smith, l'énergie de Silvestri. Mais Cockrum reste un artiste exceptionnel : d'abord, c'était un designer de génie (on n'a jamais fait mieux que ses costumes pour les X-Men), et quand, comme ici, il s'encrait lui-même (même si Joseph Rubenstein le seconde pour le dernier épisode), le résultat est superbe.

C'est surtout une osmose rare entre un créateur et sa créature : Wolverine, Colossus, Tornade, Kitty Pryde, Cyclope, Phénix, etc, toute la deuxième génération des X-Men a eu son dessinateur, celui qui en a tiré une version canonique. Mais Diablo, c'est Cockrum pour l'éternité : il lui a donné une légèreté, une élégance, une bizarrerie uniques. Le seul à avoir sur reproduire ça avec respect mais avec autant de plaisir et de facilité, c'est Alan Davis dans Excalibur. Point.

Pourquoi plus personne n'est capable d'écrire-dessiner ce personnage, et ces X-Men emblématiques, avec cet esprit-là ?

BATWOMAN #1-4, de Marguerite Bennett, James Tynion IV et Steve Epting

J'ai été surpris de la brièveté de la série Velvet (écrite par Ed Brubaker chez Image), même s'il a fallu s'armer de patience pour en lire les ultimes épisodes. Et j'ai été étonné d'apprendre que Steve Epting rebondissait chez DC à l'occasion de "Rebirth" en dessinant la nouvelle série consacrée à Batwoman.

 

Mais en apprenant que James Tynion IV était de la partie, aux côtés de Marguerite Bennett, car cet auteur m'a impressionné sur les premiers épisodes de Detective Comics (que je suis dans la revue Batman Rebirth chez Urban Comics). Allaient-ils, tous ensemble, transformer l'essai, égaler le run de Rucka et Williams III, voire le dépasser ?

C'est ce qu'on peut vérifier avec le premier arc en 4 épisodes : The Many Arms of Death. Et pas de suspense : c'est une réussite.

L'intrigue alterne narration au présent et flash-backs situés un an auparavant. Kate Kane, après un accident de plongée sous-marine, rencontre Safiyah Sohail sur l'île de Coryana. Cette femme, aux côtés de son bras-droit Rafael et de son bras armé (et amante ?) Tahani, y commerce avec Adelaïde Stern, Tae-Ree et Bruno Bwna Brewster, des criminels, afin de préserver la discrétion du site.

Une romance se noue entre Kate et Safiyah, mais la première finit par repartir exercer ses talents de justicière à Gotham. Sans le savoir alors, elle a scellé le sort de l'île. Lorsqu'en mission, elle croise à nouveau Tahani et que celle-ci se montre très hostile, Batwoman comprend qu'il est temps de retourner à Coryana, d'autant qu'une enquête sur une potion transformant ceux qui se l'injectent en monstre l'y conduit aussi. Kate est accompagnée par Julia (alias "Tuxedo One", un peu son Alfred Pennyworth à elle, mais en plus mignonne, même si elles ne sont pas amantes).

L'île a effectivement bien changé : elle est désormais aux mains de la Kali Corporation, dirigée par un frère et une soeur jumeaux, qui ont transformé l'économie de l'endroit - et au-delà. Tahani semble être devenue leur complice. Mais quid des camarades de Safiyah - et de Safiyah elle-même ?

Tout d'abord, on peut très bien faire l'impasse sur le "n° 0" de Batwoman (l'épisode "Rebirth"), qui n'apprendra rien qu'on ne sache déjà sur le personnage, et dans lequel scénaristes et dessinateur singent absurdement ce que firent Rucka et Williams III.

Cela étant dit, par contre, il ne faut pas passer à côté de ce premier arc, qui est un modèle d'efficacité. Tynion IV s'y affirme comme l'auteur le plus inspiré que j'ai lu actuellement et sans vouloir minorer le rôle de Marguerite Bennett, on retrouve surtout le sens de la narration, la finesse de la caractérisation et le rythme soutenu pour une intrigue dense déjà à l'oeuvre dans Detective Comics. Les enjeux sont bien posés, l'histoire est prenante, les ambiances intenses : c'est un sans-faute.

Quant à Epting, sa prestation est superbe. J'ai un peu regretté qu'Elizabeth Breitweiser ne le colorise plus (son apport aux planches de Velvet était remarquable), mais Jeremy Cox accomplit un travail magnifique aussi (un peu plus plat, mais très classieux). L'artiste régalera ses fans (comme moi) avec le soin qu'il apporte à donner à chaque personnage une vraie identité visuelle, à jouer avec leurs attitudes, leur langage corporel, de manière subtile, dans le cadre d'un découpage classique mais à la maîtrise incomparable (des doubles-pages côtoient des gaufriers de neuf cases ou des pleines pages à tomber).

Epting est très à l'aise avec Batwoman, son costume (un des plus beaux designs de ces dernières années - ça aide quand même quand on confie ce job à un pro comme Alex Ross), mais aussi avec Kate Kane, qui est campée avec ce qu'il faut de féminité et de dureté. Son adversaire (Tahani aka Knife) en impose aussi, dès sa première apparition, et les jumeaux sont flippants à souhait.

Je n'ai pas vérifié dans les sollicitations si Epting allait continuer à produire la partie graphique ou si la série allait alterner les arcs avec un autre dessinateur (il en faudra en tout un bon). Mais ce qu'il y a de sûr, c'est qu'on est accroché (où est passée Safiyah ? Quels sont les plans de la Kali Corp. ?)

mercredi 26 juillet 2017

FANTASTIC BIRTHDAY, de Rosemary Myers


Sorti en Mars dernier, le premier film de Rosemary Myers est un petit bijou qui est à la fois un conte sur l'adolescence et un hommage à Wes Anderson - un conte d'Anderson en somme...
 Greta et Elliott (Bethany Whitmore et Harrison Feldman)

Greta s'apprête à avoir 15 ans, un âge riche de promesses, de changements, qui provoque chez elle autant d'inquiétudes que d'espoirs. Collégienne appliquée mais peu sociale à cause de sa timidité, elle se fait un ami d'Elliott, garçon peu séduisant mais sympathique et visiblement très épris d'elle.
 Le père de Greta (Matthew Whitter)

La mère de Greta s'oppose à son père pour organiser une fête d'anniversaire, l'occasion selon elle de faire "sortir de sa coquille" leur fille (coquille dans laquelle le paternel aimerait la garder car il redoute de voir sa petite grandir trop vite et lui échapper). La jeune fille s'y oppose d'abord puis s'y résigne, comptant sur cette occasion pour mieux s'intégrer à la communauté des collégiens (en particulier la bande de filles menée par Maiah, une peste).
 Elliott et Greta

Mais la soirée ne se passe pas du tout comme prévu : si l'ambiance est joyeuse, Maiah gâche tout en humiliant cruellement Greta et Elliott déclare maladroitement sa flamme à la jeune fille. Elle se réfugie dans la forêt voisine après qu'un lutin ait volé sa boîte à musique, prélude à une errance onirique chargée en symboles, en rencontres...
Greta

Au bout de cette drôle de nuit, Greta aura franchi un cap décisif.

Le film se distingue d'abord par sa forme : il est bref (à peine 1h. 17), le format de l'image est carré, et surtout les cadrages (avec des plans symétriques) et les couleurs (vintage). L'influence de Wes Anderson est manifeste, et Rosemary Myers ne la cache pas. C'est néanmoins plutôt déconcertant, et on se demande s'il ne s'agit pas que d'un simple exercice de style, fait "à la manière de", un peu vain.

Puis, subtilement, l'histoire glisse dans un registre à la fois doux (la cour touchante que fait Elliott à Greta) et cruel (avec l'apparition de la bande de Maiah) jusqu'à la mise en scène (pathétique à souhait) de la fête et son déroulement. L'héroïne choisit une fois encore de s'isoler pour se protéger d'un monde qui la refuse et dans lequel elle ne se sent pas à sa place, s'en remettant à des fétiches de l'enfance (en l'occurrence une boîte à musique, dont la ritournelle est rassurante mais aussi régressive et les éléments curieux).

Enfin, le film bascule dans le songe, la fable et la réalisatrice convoque les codes du genre - la forêt, la nuit, les créatures, etc. Le rythme s'accélère en même temps qu'il semble se suspendre : dans cette longue séquence, Fantastic Birthday s'impose comme une franche réussite, à la fois entraînante, angoissante, sur le passage d'un âge à un autre, entre rêve et cauchemar, nostalgie ouatée et avenir incertain mais inévitable et émancipateur.

La cinéaste a trouvé en Bethany Whitmore un visage, un corps, une interprète parfaits pour exprimer la palette d'émotions de son récit.

Même s'il n'est pas exempt de défauts, ce premier effort est riche de promesses et possède le goût acidulé d'une pop-song mélancolique et l'intensité d'un rite de passage.

mardi 25 juillet 2017

HAWKEYE, VOLUME 1, de Kelly Thompson, Leonardo Romero et Michael Walsh


J'aimerai attirer votre attention sur une série qui la mérite : c'est, comme on pourrait le dire, un petit titre, qui a donc besoin d'une base de lecteurs fidèles pour exister. C'est aussi la "suite" d'un titre déjà existant qui a connu deux fameux runs ces dernières années, et qui tient bien le coup niveau qualité. Enfin, c'est une production pleine de fraîcheur, drôle, mouvementée, très bien écrite et dessinée, intelligemment éditée : Hawkeye par Kelly Thompson, Leonardo Romero et Michael Walsh.

Le premier recueil propose déjà deux arches narratives à picorer.

Dans la première histoire, Kate Bishop/Hawkeye s'est de nouveau établie en Californie en qualité de détective privée. Le business est ingrat et lorsqu'elle se fait remarquer en faisant échouer un braquage (voir ci-dessus), sa contribution est mal vue par la police locale. Malgré tout, elle accepte d'ouvrir un dossier quand Mikka N'Guyen vient lui parler du harcèlement dont elle est victime par un étudiant de son campus. 
Sans s'en douter, Kate a mis le doigt dans un engrenage : Mikka est l'ex-petite amie de sa voisine, Ramone ; le suspect, Larry Gort, n'est pas le bon coupable ; la policière Rivera rechigne à s'en mêler, et quand la vérité éclate, elle aboutit à un affrontement délirant et une arrestation suivie d'un interrogatoire... Explosif !

Si l'on peut reprocher un dénouement un peu WTF à ce premier récit, il faut être indulgent et nuancé car l'essentiel n'est pas là. Kelly Thompson s'inscrit dans la veine de Matt Fraction quand il narrait les exploits de Clint Barton tout en voulant conserver l'étrangeté des épisodes de Jeff Lemire. 

La scénariste le fait avec humilité et surtout beaucoup de distance, s'amusant à bien caractériser Kate Bishop comme une fille de la haute qui repart de zéro, galère, s'obstine, compose avec une galerie de seconds rôles hostiles (mais qui, le méchant excepté, deviennent sa bande de "sidekicks"). C'est enlevé et réjouissant.

Leonardo Romero, qui jusqu'à présent n'avait fait que de brèves apparitions ici et là (notamment dans les pages du Squadron Supreme de Robinson), s'affirme comme une vraie révélation : son trait est simple, dépouillé, d'une grande élégance. On pense à Paul Smith ou Philippe Berthet.

Mais derrière ça, il y a un artiste inventif dans ses découpages, particulièrement brillants lorsqu'il signe des doubles-pages (là encore, voir ci-dessus). Comme sa partenaire, il use de gimmicks visuels distrayants (Kate identifie chaque individu dans une foule ou chaque élément dans un décor en les nommant de manière ironique mais précise - mais sans qu'on sache s'il s'agit d'une sorte de pouvoir ou d'une acuité relative à sa pratique de l'archerie). Il ne l'a pas conçu (Aja l'utilisait déjà en poussant ce procédé de manière poussée dans la conceptualisation), mais c'est une bonne reprise.

En quatre épisodes, tout est bien posé : une héroïne définie, des seconds rôles mémorables et attachants, un ton léger et vif, et un subplot accrocheur. 

L'arc suivant est plus bref avec seulement deux épisodes et, pour permettre à Romero de souffler, Marvel a confié le dessin à Michael Walsh (Secret Avengers, Rocket & Groot) : une bonne idée car il a un style similaire à celui de Romero - quoique un peu moins appliqué, un encrage moins fin, et un découpage moins singulier.

Kate reçoit la visite de Jessica Jones (une façon discrète d'inscrire la série dans une gamme familière de Marvel, les street-level heroes, une signature un peu indé) qui est à la recherche d'une certaine Rebecca Brown. Les deux enquêtrices la pistent et la trouvent, très changée, devenue une actrice de cinéma méconnaissable... Et plus encore quand son boyfriend du moment la contrarie parce qu'il refuse de rompre !

Une nouvelle fois, Kelly Thompson part sur une base classique (retrouver une personne disparue) pour aboutir à un dénouement farfelu. La fantaisie passe cependant mieux car elle semble mieux assumée, ne concluant pas l'affaire dramatiquement. Les dialogues sont piquants, les situations divertissantes, le rythme soutenu.

Mais plus encore la complicité entre Jessica Jones, expérimentée, forte en gueule, limite arrogante dans son rôle de "grande soeur", et Kate Bishop, en mode groupie, cédant volontiers au show-off, fonctionne superbement et donne tout son sel à ces deux épisodes.

Tout ça pourrait paraître un peu superficiel, mais, bonne nouvelle, l'épisode 7 lance Kate Bishop dans une nouvelle affaire plus personnelle et intense (qui développe le subplot deviné dans la première histoire). 
C'est prometteur - et, qui sait, avec Clint Barton sur la route de son côté (dans Occupy Avengers, mais ce titre va s'arrêter), peut-être que les deux "Oeil-de-faucon" ne retrouveront sous le soleil californien à l'Automne...

lundi 24 juillet 2017

BLACK WIDOW, de Mark Waid et Chris Samnee

En ce moment (mais c'est une tendance qui, je crois, a tendance à se généraliser chez moi), je préfère la lecture d'un run assez bref plutôt que celle d'une série dont le terme m'est inconnu (même s'il existe des feuilletons très plaisants). C'est ainsi que je me suis régalé avec Moon Knight de Lemire/Smallwood, Captain Britain & MI 13 de Cornell/Kirk, Wolverine de Cornell/Davis.

Mais la production qui domine quand même tout ce petit lot restera les douze épisodes de Black Widow par le dynamic duo Mark Waid-Chris Samnee, cette fascinante créature à deux têtes et quatre mains qui raconte des histoires si impeccables, si virtuoses, accessibles aussi bien pour le fan que le profane, en somme la meilleure équipe artistique actuelle (chez Marvel, mais, serai-je tenté de dire, toutes maisons confondues).

Avec leur dernière livraison en date, on assiste à une fusion ultime puisque (comme sur les précédents épisodes de Daredevil en commun), ils co-écrivent, Samnee dessine et encre, et Matt Wilson embellit.

Le projet est presque expérimental tant il joue avec les codes du genre, les brouillant mais aussi soulignant ses spécificités, à la fois histoire d'espionnage, récit d'action, aventures autour du monde, super-héroïsme, origin story, substantifique moëlle du personnage principal.

Natasha Romanoff a donc été une enfant entraînée pour devenir assassin au service de la Russie, dressée au sein de la "Red Room". Durant sa jeunesse, elle a notamment tué, en service commandé, un père de famille et, le croit-elle, son fils. Mais celui-ci a survécu et grandi avec son cousin, un télépathe, aujourd'hui déterminés à se venger de la Veuve Noire. Pour cela, ils l'obligent à voler des fichiers secrets au SHIELD et donc à devenir une fugitive recherché en menaçant de révéler les contrats qu'elle a remplis pour la "Red Room".

Pour s'en sortir, Natasha doit donc à la fois déjouer la vigilance de ses maîtres-chanteurs et retourner sur les traces de son passé. Ainsi découvre-t-elle alors un second problème à régler : la création d'une "Dark Room", par une de ses anciennes camarades, formant elle aussi des fillettes tueuses, et résolue à provoquer l'implosion du SHIELD et éliminer la Veuve Noire.

Mais Natasha devine qu'un ange gardien veille sur elle, bien qu'elle devra manipuler Tony Stark et répondre à une intrigante entrevue sur la Lune...

Il y a deux manières d'apprécier SHIELD's Most Wanted (#1-6) et No More Secrets (#7-12) :

- la première, c'est de lire ces deux albums comme une saga hyper-speed (le rythme est réellement ahurissant), sur fond de vengeances, de secrets du passé. Ainsi considérée, c'est une série B, très efficace, imparable même, qui assure un plaisir immédiat, rapide, ouvragé par une équipe artistique dont la complicité est à son summum.

- La seconde, et à mon avis la plus intéressante, mais peut-être pas la plus évidente, et qui donc invite le lecteur à relire l'histoire d'un trait en ne cherchant pas l'originalité de l'histoire mais celle de l'expérience, consiste à voir la Veuve Noire selon Waid & Samnee comme un exercice de style. Comment, et jusqu'où, peut-on dégraisser, épurer un comic-book pour en faire un objet absolument jouissif, dont la narration est exemplaire par sa fluidité et le dessin par sa maîtrise ? C'est à ces deux questions qu'on répond ici. Supprimer les dialogues de ces douze épisodes et vous aurez, challenge étonnant pour un récit d'espionnage, une histoire quand même tout à fait compréhensible, d'une énergie folle, à la fois réduite à ses ingrédients les plus élémentaires et riche de toute la mythologie (attachée à son héroïne, aux super-héros, aux espions, à l'aventure, à l'action) qu'il charrie. C'est alors non seulement un page-turner irrésistible mais, et c'est là le plus fort, un objet sur lequel on a envie de revenir (pour comprendre son mécanisme, comment il peut si bien nous accrocher, pour admirer sa beauté graphique).

Il faut vraiment être TRES fort pour arriver, me semble-t-il, à ce résultat. Il s'en dégage une impression de facilité fascinante, un peu comme lorsqu'on observe un grand sportif (genre un footballeur, pour que ça parle au plus grand nombre, capable d'animer le ballon avec un jeu de jambes digne d'un danseur, mystifiant les défenseurs, passant la balle au bon moment, aboutissant au but).

"J'espère que ça valait le coup." demande un agent du SHIELD à la Veuve à la fin du premier épisode, "Moi aussi." répond-elle. Elle dit les mêmes mots à la dernière case de la dernière page du dernier épisode. Et le lecteur sait que, oui, ça valait le coup.

WOLVERINE, de Paul Cornell et Alan Davis


J'ai évoqué Paul Cornell (pour Captain Britain & MI 13) et Alan Davis (pour les Annuals des New Mutants). Soyons synthétiques et parlons de leur collaboration sur Wolverine en 2013.
Sur les 13 épisodes de cette saga, 10 sont dessinés par Davis et les trois autres (au centre) par Marco Pierfederici

Le premier arc, qui forme le début de l'histoire totale, s'intitule Hunter season et compte quatre épisodes où lors d'une prise d'otages, le responsable est tué par Wolverine sous les yeux de son fils (le fils du malfrat). La situation prend un tour vraiment imprévisible lorsque le marmot, avec la curieuse arme de son père (un pistolet qui désintègre sa cible !) continue à canarder des civils puis Wolverine. Le griffu découvre en enquêtant avec Nick Fury Jr. qu'un attentat biologique, va être commis par une bande de savants fous, créateurs de ce flingue...

On retrouve dans ces épisodes le rythme très rapide de Captain Britain & MI 13 et les dessins de Davis augmente encore cette impression avec un découpage spectaculaire, des personnages très expressifs. Ce qui séduit aussi, c'est l'humour malicieux de Cornell, qui, visiblement, venge pas mal de lecteurs en ironisant sur Fury Jr. et sa légitimité au sein du SHIELD et plus généralement dans le Marvel-verse. L'anglais est aussi pince-sans-rire avec Logan qui s'en remet à une nouvelle équipe d'experts ("Another team ? What a loner you are !" souligne Fury Jr), mais qui joue un rôle déterminant : en effet, le scénariste a planté une graine qui va grandir durant la suite de l'intrigue car, ayant été blessé, Wolverine ne se doute pas des conséquences de cet élément...

Un arc court, percutant, spectaculaire et un brin sarcastique, qui montre la belle complicité entre Davis, magistral, et Cornell, inspiré. 

Les choses se gâtent durant les trois épisodes suivants parce qu'inexplicablement Davis ne les dessine pas. Marco Pierfederici qui, d'habitude, a un style voisin de Daniel Acuña (mais en moins bon quand même) est ici encré traditionnellement (notamment par le vétéran Tom Palmer) et le résultat est vraiment moche, soulignant les faiblesses de l'artiste et le gouffre sidéral avec la maestria de Davis.

Par ailleurs, ces trois n° n'apportent pas grand-chose à l'ensemble : le SHIELD convainc Wolverine de les accompagner dans une mission pour retrouver la source de la bombe sale qui devait servir à l'attentat. On apprend que le virus utilisé est d'origine alien, mais en route, tout l'équipage de l'héliporteur est manipulé télépathiquement et s'emploie à tuer Wolverine. Il faut attendre les dernières pages de Drowning Logan (#6) pour voir le griffu sucrer les fraises et lire Mortal (#7, un one-shot) pour que le Fauve nous confirme qu'il a perdu son healing factor (suite à la blessure apparemment bénigne reçu dans le premier arc).

Cornell doit se ressaisir, et il va y arriver avec brio ! 

Killable conclut la saga avec 6 épisodes où Davis revient, ragaillardi. Après un détour par le Wakanda, avec Storm, où est détenue the Host (une jeune femme qui est un virus sur pattes), et un retour à l'école Jean Grey (où la vidéo-surveillance a surpris Mystique), Wolverine comprend que ses (nombreux) ennemis sont au courant de son état de santé et lui tendent un piège. Logan retourne donc où on l'attend, là où il est né, accompagné par Kitty Pryde (qui redoute une manoeuvre suicidaire de son ami). Le griffu n'est pas tranquille car il sait que les obstacles seront nombreux et que Sabretooth est derrière tout ça...

Un personnage tel que Wolvie est un vrai problème pour les scénaristes puisqu'il est virtuellement immortel. Jason Aaron expliquait que pour lui faire mal, il fallait que ses ennemis s'en prennent à ses amis. Cornell l'a rendu vulnérable en le privant d'une partie essentielle de son pouvoir mutant, mais il engage aussi l'autre partie importante du griffu, le sens de l'honneur, la mythologie du samouraï, et le fatalisme (abordé dans les épisodes 5 à 7 via des rencontres avec le Fauve ou Thor). Devenu "tuable", le réflexe de Wolverine n'est-il pas d'accomplir un baroud d'honneur et de mourir vite, les griffes sorties, plutôt que souffrir, vieillir, décliner ? C'est la question qu'incarne Kitty Pryde, dont la relation avec Logan est joliment exploité (tout comme des clins d'oeil à d'autres périodes du perso - Patch, le séjour au Japon durant l'après 2nde guerre mondiale...).

Cornell prend plus de temps pour finir son récit mais sans perdre de temps non plus ni en profiter pour aligner les méchants. On a quand même droit à Batroc (dont les dialogues ne sont heureusement pas en français - petit jeu qui a toujours donné des phrases grotesques), Fiber (un caméo, et apparemment une création originale pour l'occasion), Mystique, le Samouraï d'Argent et donc Sabretooth (très sobre, très sadique, très efficace).

Quant à Davis, il est impérial : son trait rond, puissant, sert à merveille un découpage moins spectaculaire que dans le premier arc mais dont la simplicité renforce la dramaturgie. C'est un régal de voir Logan si bien servi (et si bien représenté, c'est-à-dire trapu, dur au mal, tragique - la dernière page produit une vraie émotion, poignante), et le supporting cast est superbement traité.

Après ça, air connu : relaunch, l'abominable Ryan Stegman au dessin, et la mort de Wolverine au bout du compte (et depuis l'intégration de Old Man Logan au Marvel-verse classique : à mon humble avis, une fabuleuse connerie...).

dimanche 23 juillet 2017

FREE FIRE, de Ben Wheatley


Sorti le 14 Juin dernier, j'ignore si ce film se joue encore dans quelques salles, mais si vous en avez l'occasion, payez-vous un ticket pour ce jubilatoire Free Fire de Ben Wheatley.
Chris (Cillian Murphy)

L'intrigue tient sur un post-it mais ça suffit au bonheur de celui qui cherche un plaisir coupable, soit une bonne série B réalisée avec un petit budget mais un casting d'enfer, où on tire (beaucoup) après avoir discuté (un peu) du problème de livrer des armes quand l'un des assistants de l'acheteur a malmené la soeur d'un des sbires du vendeur...
Justine (Brie Larson)

Quatre irlandais, membres de l'IRA, rencontrent à New York, grâce à une intermédiaire, un trafiquant d'armes, pour lui acheter plusieurs caisses de M16. La transaction commence mal quand le client constate qu'il s'agit d'AR70. Mais ce n'est rien par rapport à ce qui va suivre...
Ord (Armie Hammer)

Lorsque le van transportant le lot complet de fusils automatiques rejoint le groupe d'interlocuteurs, le chauffeur reconnaît parmi les irlandais le mec qui a couché et blessé sa soeur la veille au soir. La tension monte d'un cran...
Stevo (Sam Riley)

Après que les intermédiaires des deux parties aient tenté de calmer tout le monde, est commis : le frangin tire sur l'irlandais et provoque alors une gigantesque fusillade dans cet entrepôt désaffecté.
Vernon (Sharlto Copley)

Bientôt, plus personne ne sait qui est avec qui, mais tout le monde est blessé, plus ou moins gravement. Les plus sages veulent surtout fuir l'endroit, d'autres sont résolus à régler leurs comptes, à récupérer les armes, l'argent... Au bout d'une heure trente, il n'en restera plus qu'un seul debout. Mais à quel prix !
Harry (Jack Reynor)

L'action se passe en temps réel et le cinéaste ne cache pas ses influences (Scorsese en premier, qui a d'ailleurs produit le film, mais aussi Peckinpah ou Tarantino avec Reservoir Dogs).

Free Fire est un pur exercice de style, une sorte de gun movie, sans héros, avec un argument-prétexte pour une séance de pétarade hallucinante. C'est régressif, minimaliste, mais brillamment exécuté (c'est le cas de le dire).

Pourtant, Wheatley a soigné la caractérisation - chacune de ces crapules est solidement campé, et les rôles de chacun réservent bien des surprises. Le scénario se déroule avec des rebondissements habilement disposés pour ne pas lasser, et comporte quelques scènes délirantes (Martin, joué par Babou Ceesay, qu'on croit mort rapidement, réinvestit l'action le temps d'une séquence à la fois hilarante et sidérante). 
Martin (Babou Ceesay)

Mais ce qui fait surtout la différence, c'est le côté pince-sans-rire de l'entreprise : entre la résignation des uns, la bêtise des autres, tous ces gangsters ont leur moment, leur scène, une ligne de dialogue sensationnels (Chris qui tente de se débarrasser de Ord en se plaignant de son parfum et l'intéressé qui précise que c'est l'odeur de sa lotion pour barbe ; Vernon dont Justine souligne qu'enfant il a été diagnostiqué par erreur comme génie, ce qui l'a traumatisé ensuite...).

La caméra manque parfois d'exploiter un peu plus la géographie de ce huis-clos, mais la confusion engendrée et entretenue par cette fusillade brouille finalement aussi bien les repères des acteurs que du spectateur, et donc, c'est bien vu.

Les acteurs, justement, sont tous formidables, du premier choix : Armie Hammer (fameux en king of cool), Brie Larson (loin de jouer la jolie poupée de service), Cillian Murphy (parfait en irlandais pointilleux), Sharlto Copley (grandiose en caïd crétin), Sam Riley (possédé en abruti junkie)...

Futur film-culte, je suis prêt à le parier !
*
Bonus track :

Cette fois, la publication de cette critique a fait moins de vagues, mais en trois réactions, la messe était dite. Premier à dégainer : Hips ! (un type remarquable par ailleurs, mais qui un poil cassant, et qui me fait le même effet que Lee Marvin - bref, quelqu'un qu'on n'a pas envie d'emmerder, mais si ça vous démange). Ce jour-là, il la joue désabusé, comme les grands tragédiens qui sont certains que le cinéma est mort (comme le rock'n'roll) - la preuve : il a détesté Valérian de Besson, mais de toute façon la cause était entendue, Besson l'insupporte comme individu et il avait envie de ne pas aimer le film.

Hips ! :

- J’ai trouvé l’idée ambitieuse mais l’exécution très pénible. C’est réalisé avec les pieds, aucune cohérence dans les directions de regard, on ne sait pas qui est où, c’est un bordel sans nom (et je ne pense pas que ce soit fait exprès. Au contraire, un film aussi chaotique se devait d’avoir une réal solide et carré)
Et à mon sens, pour qu’un film devienne culte il faut au moins qu’il innove, qu’il se distingue, soit sur la forme, soit sur le fond. Sur la forme, on a vu. Et sur le fond, ce film ne raconte rien de plus que “deux gangs de malfrats se tirent dessus dans un hangar“ basta cosi. Ca reste au ras-ras des pâquerettes. M’enfin, on va dire que c’est l’époque qui veut ça, du fun, du fun, surtout rien d’autre.

Puis, je vous le donne dans le mille, Zen Arcade (qui n'a pas vu ce film-là non plus) ajoute son grain de sel.

Zen Arcade :

- Ben Wheatley avait réalisé il y a quelques années un bon Kill list, sorte de variation post-moderne sur le thème du classique horrifique briton The Wicker man.
C'était roublard mais ça tenait bien la route. Et ça justifie bien le petit culte dont le film est aujourd'hui l'objet.
Malheureusement, comme c'est souvent le cas avec ce genre de petits malins, sa filmographie tend depuis à rapidement s'enliser, comme semble le laisser apparaître ce Free fire.

Puis Gilles C., un gars vraiment marrant, très philosophe et malicieux (même si certains interprètent ça comme de la condescendance... Avec laquelle il flirte parfois), tire le rideau.

Gilles C. :

- Sauf qu'il faut rarement croire UN forumer, et que ce film est qualitativement en réalité entre l' appréciation d'Hips et celle de Wildcard (et l'on remarquera que c'est souvent ici le cas.)

Ce post a déplu à Hips ! qui l'a qualifié d' "antilogie" peu après.

Mais cette hyper-réactivité, épidermique, et quelquefois alimenté par des gens, instruits mais n'ayant pas vu ce dont on parle, résume parfaitement l'ambiance d'un forum (surtout comme Buzzcomics) : on vous y fait croire que c'est un espace de discussions sympa, courtois, respectueux de l'autre, alors que c'est une arène.