mercredi 19 juillet 2017

THE QUESTION, de Rick Veitch et Tommy Lee Edwards


Je continue dans la série de héros déglingos animés par une équipe artistique d'exception avec la mini de 2005, écrite par Rick Veitch et dessinée par Tommy Lee EdwardsThe Question : Devil's in the details.

Imaginé par Steve Ditko après son départ de chez Marvel pour Charlton Comics à la fin des 60's, le personnage de Vic Sage est devenu célèbre par sa réinterprétation radicale par Alan Moore qui s'en est servi comme modèle pour Rorschach dans Watchmen. Journaliste grande gueule parti à la recherche d'une peau synthétique, le héros est ensuite devenu un justicier sans visage.

Denny O'Neill et Denys Cowan ont ensuite redéfini le personnage (citant d'ailleurs le Rorschach de Moore dans un épisode). Puis Vic Sage a trouvé la mort dans l'excellente maxi-série hebdo 52 où la flic Renee Montoya a pris sa succession.

Entretemps, donc, le vigilant a beaucoup changé depuis Ditko et la mini-série de Veitch et Edwards illustrent cette mutation dans une intrigue aussi hallucinée qu'hallucinante. 

Grosso modo, il est question de la construction d'une immense tour à Metropolis, financée par Lex Luthor, dont l'édification sert évidemment un plan chelou tandis que Superman sera occupé ailleurs. 
Vic Sage arrive en ville, depuis Chicago, après avoir remonté cette piste dans un affrontement contre un de ses adversaires, Psychopomp, qui est complice des malfrats de Metropolis. Superman tolère mal l'interventionnisme musclé de the Question sans savoir que Vic Sage a étudié le journalisme dans la même école que Lois Lane (qui cache - mal - à Jimmy Olsen avoir eu le beguin pour son charismatique camarade)...

Bon, il faut s'accrocher au pinceau car Veitch au scénar retire rapidement l'échelle et nous offre un vrai trip qui n'emprunte guère au mode super-héros traditionnel. Mais, pour peu qu'on se prête au jeu, le résultat vaut le détour.

The Question est ici envisagé sous un éclairage shamanique qui communie avec les villes, attend que la cité lui parle, le guide où se niche le crime. L'action est rare, on assiste à une déambulation envoûtante, traversée d'éclairs de violence (Vic Sage se débarrasse presto de ses adversaires et n'hésite pas à les couler dans le béton tout frais du building en construction!). 

De la même manière, les agissements du gang des "subterraneans" de Metropolis pour récupérer de la drogue et de l'argent via les conduites des sanitaires (!), l'architecture du gratte-ciel selon les principes du Feng-shui, et l'opposition philosophique entre Superman (qui ne fait que passer) et the Question procèdent d'un parti-pris détonant où Veitch ironise tout en soulignant le mysticisme du héros.

C'est assez équivoque donc. The Question monologue en permanence (sans que ça n'alourdisse la narration d'ailleurs : plus qu'un monologue, c'est comme un échange de réflexions avec le lecteur qui est mis à contribution dans l'enquête), il demande à Chicago puis Metropolis (puis plusieurs autres villes) de lui parler, de le guider.

Par ailleurs, il se vante franchement d'être un reporter réputé, pugnace, mais évite sans cesse Lois Lane (pour mieux la surveiller à l'occasion, avec un regard presque amoureux, c'est évident) et écarte tous les importuns qui le reconnaissent.

Donc, oui, la santé mentale de Sage est sujette à caution. Est-il vraiment sain d'esprit mais capable d'évoluer dans "deux mondes" (comme c'est plusieurs fois répété) ? Ou est-il complètement barjo, limite défoncé (comme le suggèrent ses visions - il est capable aussi bien de reconstituer visuellement un meurtre comme on rembobine un film, ou de percevoir les flux d'énergie mystique - et ses méthodes d'action radicales - un échange savoureux à la fin a lieu entre lui et Superman qui lui demande ce qu'il a fait des "subterraneans" et il répond à Superman qu'en vérité il ne veut pas le savoir...).

On est pas loin du procédé employé par Lemire dans Moon Knight avec le discours sur la perception d'un héros borderline.
C'est aussi la manière de faire de Mark Waid (sur Daredevil ou Black Widow, avec Samnee) : réduire au minimum le supporting cast pour entrer dans la tête du héros et inviter le lecteur à s'interroger à son sujet.

Mais le voyage vaut surtout pour l'extraordinaire apport graphique de Tommy Lee Edwards : cet artiste qui adore mixer les techniques s'en donne à coeur joie ici. Certaines images piquent franchement les yeux (la façon dont the Question "voit" Superman), d'autres sidèrent, parfois il vise l'épure maximum (the Question réduit à une silhouette noire sur fond jaune, ou alors une scène en "caméra objective"), il s'amuse avec les symboles (tout est signe dans une ville : les graffitis, les failles sur le sol...).
On peut regretter parfois que Edwards souligne davantage l'effet à la lisibilité, mais au moins il va au bout de ses idées et colle au délire de Veitch. Si vous appréciez les expériences, y a de quoi faire !

J'ignore la situation du personnage dans le DC Rebirth : est-ce toujours Montoya derrière le masque - ce qui augurerait peut-être de nouvelles aventures ponctuelles avec Kate Kane/Batwoman ? Ou, Ted Kord étant revenu, Vic Sage ressuscitera-t-il lui aussi (même si Morrison a revisité génialement les héros Charlton de Ditko dans l'épisode Pax Americana de Multiversity) ? En tout, the Question mérite d'être exploitée à nouveau.

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