jeudi 31 août 2023

ULTIMATE INVASION #3, de Jonathan Hickman et Bryan Hitch


Le (déjà) pénultième numéro de Ultimate Invasion prouve une fois encore la maestria de Jonathan Hickman quand il a les coudées franches. Si on ignore encore comment il va redéployer l'univers Ultimate, il a déjà réussi à redonner de l'intérêt à cet Terre parallèle qu'il avait lui-même effacée de la carte. Bryan Hitch prend un plaisir manifeste à illustrer de récit qui à l'image de son dessin est bigger than life.


De retour auprès de son fils Tony, Howard Stark lui révèle ce qui s'est passé après l'attaque contre la Cité du Créateur en Latvérie. Ce qu'il a appris des machinations de ce dernier lui déplaît et il a bien l'intention de les contrarier en agissant de l'intérieur...
 

Le mois dernier, je soulignais l'évidence que me paraissait revêtir une mini-série comme Ultimate Invasion, qui ressemble à travers le personnage du Créateur (Ultimate Reed Richards) à un autoportrait de Jonathan Hickman.


Cette impression se confirme encore davantage dans ce numéro où le point de vue de l'auteur se dédouble. En vérité, Hickman agit comme le Créateur en réinventant la Terre 6160 mais il nuance les manigances de ce dernier en montrant aussi ce qu'en pense Howard Stark (devenu Iron Man à la place de son fils Tony).


On a ainsi droit à une scène, assez longue, finement dialoguée, explicative, sur ce monde refaçonnée. Après l'attaque subie par la Cité du Créateur en Latvérie par des super-héros du futur, Howard fait plus ample connaissance avec les invités de marque ici présents.

On découvre avec Howard qu'il existe sept territoires majeurs, sept super puissances alliées au Créateur. Emmanuel da Costa (qu'on peut identifier comme le père de Roberto da Costa, le mutant Sunspot) désigne l'Union d'Amérique du Nord, la Société d'Amérique du Sud, la Coalition européenne, les Royaumes supérieur et inférieur, la République d'Eurasie, le Pays du Feu, et donc la Cité de Latvérie. Il demeure des territoires inconnues.

Suivant les plans du Créateur, pour assurer la paix dans ces différents territoires, chacun à tour de rôle joue le rôle de "l'ennemi" honni des autres. En créant artificiellement cet ennemi, chaque territoire s'assure la paix intérieure. Toutefois, pour le Créateur, la vraie menace ne vient pas de l'espace, au sens des territoires alliés au nom de cette convention, mais du temps et plus précisément du futur, d'où sont venus les assaillants. Il attend qu'en surgissent de nouveaux et c'est pour se tenir prêt à les repousser, voire à éviter de nouvelles incursions, qu'il souhaite la collaboration de Stark.

Stark ne représente pas de nation, de territoire, c'est un savant et un homme d'affaires. Le Créateur ne le considère pas comme un politique, un dirigeant mais une aide. Cependant s'il compte sur lui, il ignore que Stark est écoeuré par le cynisme de l'alliance et que, comme son fils, il souhaite y mettre fin car ce n'est pas juste, pas correct. C'est une union de puissants qui domine depuis leur Olympe personnel les faibles en leur mentant.

Hickman est un scénariste décidément fascinant à lire. D'aucuns le trouvent trop complexe, maniériste, et ironisent à bon compte sur ses tics formels, avec ses data pages, ses pages blanches qui ponctuent ses épisodes, ses diagrammes, etc. Mais il faut être bien idiot pour ne pas comprendre ce que raconte Hickman qui ne dit rien de si compliqué - au contraire tout est clairement exposé, expliqué.

C'est vrai qu'il est maniériste, mais c'est son style. Sachant comment il procède depuis maintenant un moment, chacun sait où il met les pieds en ouvrant un comic-book qu'il écrit et donc libre pour chacun de zapper ses séries. Mais ironiser dessus en prétendant que tout ça est trop élitiste, c'est affirmer que Hickman ne s'adresse qu'à des lecteurs choisis et méprise les autres.

Récemment, dans plusieurs critiques, j'ai pu dire à quel point j'étais parfois déçu du manque de substance des histoires produites, ce qui me conduisait soit à abandonner des titres, soit à différer leur critique pour les rédiger quand un arc entier était collecté en recueil. La narration décompressée ne me dérange pas mais disons que j'en ressens les limites sur le confort de l'expérience de lecture. Et souvent désormais j'ai l'impression que des auteurs jouent la montre pour aboutir à des arcs narratifs en six épisodes dont l'intrigue tiendrait en moitié moins d'épisodes.

Au moins avec Hickman (mais que lui), je trouve quelque chose à lire qui me fait ma journée et m'inspire des critiques qui vont au-delà du "j'ai bien/pas aimé". Je veux dire, en d'autres termes, que ce sont des épisodes qui, à chaque fois, font phosphorer, prêtent à des interprétations, donnent envie de lire le suivant. Je n'ai pas de regret à dépenser pour avoir quelque chose de substantiel comme ça.

Et cette réflexion vaut pour le dessin de Bryan Hitch. Si je n'aime pas une seule façon de dessiner, il faut reconnaître à Hitch qu'il vous en donne pour votre argent. Parfois, curieusement, il loupe un visage, abuse de certains angles de vue (ces fameux plans tangents en légère contre-plongée avec des groupes de personnages).

Mais on ne peut lui reprocher de donner tout ce qu'il a dans chaque plan, chaque page, chaque numéro. Là au moins, il y a des décors, précis, fournis. Là au moins, on a pas de copier-coller d'une image pour illustrer un dialogue. Le scénario est exigeant graphiquement et Hitch répond présent en montrant des machineries foisonnantes, des costumes redesignés, des valeurs de plan spectaculaires. C'est très agréable de voir un artiste répondre aux exigences d'un auteur aussi pointilleux. 

Surtout, on sent bien que Hitch, après quelques années difficiles (qu'il a lui-même abordées publiquement), est de retour et qu'il a en plus trouvé une méthode pour travailler plus rapidement sans sacrifier au sens du détail qui le caractérise. C'est une évolution assez étonnante pour être notée quand, le plus souvent, soit les artistes en vieillissant se contentent de composer sur leurs acquis, soit complexifient leur dessin et produisent moins, soit s'appuient sur des assistants ou une armée d'encreurs pour finir leurs planches.

Je n'ai volontairement rien dévoilé des dernières pages de cet épisode qui révèle l'identité de l'adversaire si redouté par le Créateur. Mais cela s'annonce passionnant pour la suite et fin le mois prochain (car Hickman me paraît être le seul scénariste en mesure de traiter ce vilain avec la démesure souhaitée).

mercredi 30 août 2023

Le tango mortel de Villanelle et Eve continue dans la saison 2 de KILLING EVE


Encore une série télé que j'avais incompréhensiblement abandonnée après une première saison pourtant formidable... Il y a 5 ans ! Je vais donc rattraper mon retard et pour commencer écrire aujourd'hui sur la saison 2 de Killing Eve, diffusée en 2019. Phoebe Waller-Bridge, qui avait adapté les romans de Luke Jennings, a passé les rênes à la talentueuse Emerald Fennel sans que la qualité s'en ressente.


Eve Polastri vient de poignarder Villanelle qui prend la fuite, mal en point. Eve, elle, est rappelée à Londres pour mener une enquête sur un nouveau meurtre attribué aux Douze. Villanelle réussit à regagner la Grande-Bretagne après un passage dans un hôpital parisien.


Eve fait la connaissance de sa nouvelle équipe au sein du MI6 mais, après avoir examiné le dossier du meurtre sur lequel elle doit investiguer, elle a l'assurance que ce n'est pas Villanelle qui l'a commis. Cette dernière a dupé un homme, Julian, pour qu'il l'héberge mais il la séquestre. Après quelques jours, encore convalescente, elle le tue et s'enfuit avec Raymond, son nouveau contact au sein des Douze.


Tandis que Eve et son équipe continuent leurs recherches sur le tueur surnommé le Fantôme, Villanelle reçoit l'ordre de Raymond de commettre un assassinat à la façon de son rival. Elle élimine sa cible mais laisse un indice pour Eve afin de lui signaler qu'elle est de retour. Niko, le mari de Eve, lui reproche de rester obsédée par Villanelle et de négliger leur vie de couple.


L'enquête sur le Fantôme fait apparaître un nombre croissant de victimes dans l'entourage de l'homme d'affaires Aaron Peel. Villanelle demande à Konstantin son aide pour ne plus dépendre de Raymond et des Douze et il lui propose un partenariat. Leur premier contrat les conduit à Amsteram où Villanelle exécute un homme de manière particulièrement sanglante en espérant attirer l'attention de Eve.


Les efforts de Eve et son équipe paient et le Fantôme est appréhendé mais elle refuse de livrer le nom de son commanditaire. Avec l'accord de sa supérieure, Eve lance un contrat sur sa propre tête afin d'approcher Villanelle mais au lieu de l'arrêter elle lui offre de travailler pour elle. Villanelle doit faire parler le Fantôme qui finit par avouer qu'elle exécutait des contrats pour Aaron Peel.


Niko quitte Eve et celle-ci se réfugie une fois encore dans le travail. Pour confondre Peel, le MI6 décide de continuer à s'appuyer sur les talents de Villanelle. Celle-ci approche la soeur de Aaron puis ce dernier qu'elle réussit à fasciner suffisamment pour qu'il l'invite à l'accompagner à Rome lors d'un voyage d'affaires.

 

Eve supervise l'opération au cours de laquelle Villanelle doit apprendre ce que va vendre Aaron Peel. Il reçoit divers clients dont il connaît tous les secrets et à qui il offre de tout savoir sur n'importe qui. Peel est également un voyeur psychopathe qui filme Villanelle à son insu et les meurtres qu'il commet pour son propre plaisir.
 

Lorsqu'elle avertit, au moyen d'un mot codé, Eve, Villanelle comprend que Peel savait tout de l'opération depuis le début. Elle le tue et prend la fuite avec Eve mais Raymond resurgit et s'interpose. Eve est obligée de le tuer pour sauver Villanelle. Les deux femmes ont conscience d'avoir été des pions dans un complot qui les dépasse. Mais quand Eve veut le mettre à jour, Villanelle lui conseille de partir avec elle. Face au refus d'Eve, elle lui tire dessus dans le dos.

J'ai un peu honte, je vous l'avoue, quand je me rends compte du nombre d'excellents séries que j'ai plantées après une saison. Sans doute, pour la plupart, les ai-je laissées tomber pour aller en découvrir d'autres, mais tout de même...

Malgré tout il y a souvent un vrai plaisir à renouer avec des intrigues délaissées. Il s'est passé cinq and depuis la saison 1 de Killing Eve, la série est désormais terminée, mais j'ai replongé sans difficulté dedans, car les personnages et leur histoire sont forts. C'est comme retrouver un vieil ami et reprendre une discussion.

Logiquement, après avoir fait la chronique de Fleabag, j'ai eu envie de revenir à Killing Eve que Phoebe Waller-Bridge avait adapté pour le petit écran d'après les romans de Luke Jennings. Sauf que cette saison 2 n'est plus pilotée par elle : déjà accaparée par d'autres projets, elle a confié le show à Emerald Fennell. Et c'est un choix évident.

Le nom de Emerald Fennell ne vous dit peut-être rien comme ça mais j'avais eu l'occasion de critiquer son film, Promising Young Woman, avec Carey Mulligan - un bijou noir sur une jeune femme qui s'était fixée comme mission de terroriser des hommes voulant profiter de filles vulnérables. Depuis, hélas ! Fennell n'a plus trop fait parler d'elle, sinon pour un projet de film sur Zatanna (la magicienne de DC Comics), dont il ne semble plus être question depuis la refonte du DCU chez Warner par James Gunn et son partenaire Peter Safran.

En tout Fennell accomplit un travail de reprise remarquable sur Killing Eve dont elle a su conserver les qualités tout en développant le matériau originel dans des directions imprévisibles et terriblement accrocheuses. L'action démarre quelques secondes après la fin de la saison 1 où Eve Polastri, la profileuse du MI6 qui traquait la tueuse à gages Villanelle, l'avait trouvée dans un appartement parisien. Allongées sur un lit côte à côte, Villanelle se figeait de surprise en découvrant que Eve lui avait plantée un couteau dans l'abdomen.

La saison 1 insistait sur la relation ambiguë entre Eve et Villanelle : il était évident que la profileuse était fascinée par cette tueuse excentrique qui cherchait à attirer l'attention. De là à imaginer une attirance sexuelle entre elles il n'y avait qu'un pas que la série franchissait sans équivoque mais sans le formuler clairement. Le téléspectateur lui-même s'identifiait à Eve car il existait un mélange d'effroi et de magnétisme suscité par Villanelle : ses actes étaient terrifiants, mais son pouvoir de séduction indéniable.

La confusion reste intacte dans ces huit nouveaux épisodes qui sont clairement découpés en deux actes. Pendant la première moitié de la saison, les chemins des deux héroïnes sont séparées par ce qui s'est passé à Paris et les conséquences du face-à-face final. Eve se voit confier une nouvelle affaire alors qu'elle reste obsédée par Villanelle et alors qu'elle a caché à tout le monde l'avoir poignardée (et peut-être tuée). Toutefois, sa nouvelle enquête va mobiliser toute son attention.

Elle et son équipe sont sur les traces d'une nouvelle tueuse aux méthodes diamétralement opposées à celles de Villanelle : c'est pourquoi elle est surnommée le Fantôme. Elle exécute ses contrats sans laisser d'indices, en éliminant ses cibles de manière quasi-indétectable. Eve dresse on profil (une femme donc, étrangère, agent d'entretien, avec des connaissances médicales) qui s'avère exact mais ne facilite pas son arrestation pour autant. Lorsqu'elle l'appréhendera, Eve aura la confirmation de ses soupçons : le Fantôme se rendra docilement et s'enfermera dans le silence, résistant à toutes les formes d'interrogatoire.

Les frasques de Villanelle lui coûteront cher : blessée, elle finit dans un hôpital dont elle se tire encore convalescente. Elle regagne l'Angleterre enfermée dans le coffre d'une voiture. Cherchant un pied-à-terre et des médicaments, elle ensorcèle un pigeon qui sera finalement plus retors que prévu. Puis s'en remet aux Douze, cette organisation qui l'emploie et l'exfiltre en la confiant aux bons soins de Raymond, décidé à lui serrer la vis. Finalement, elle s'en remet à Konstantin pour la sortir de là et scelle avec lui un partenariat qui va connaître une forme inattendue.

En effet, alors qu'elle cherche à attirer l'attention d'Eve en commettant des crimes spectaculaires, Villanelle est sollicitée pour l'exécuter. Il s'agit en vérité d'un piège car Konstantin, placé sous la protection du MI6, veut revoir sa famille et vend sa tueuse aux services secrets en échange. La situation aboutit donc à une association ahurissante entre Eve et Villanelle, réunies de la manière la plus étrange.

On entre alors dans la seconde partie de la saison. Et on va constater qu'entre le monde des tueurs et celui des espions, il n'y a pas une grande différence. Eve et Villanelle ne sont que des pions sur un échiquier où les commanditaires misent sur le long terme. Ainsi alors qu'elles pensent toutes les deux devoir coincer rapidement un affairiste désireux de vendre des données sensibles et privées, elles vont se voir manipulées pour savoir le contenu exacte de ces données, à qui elles seront vendues. Après quoi elles seront probablement sacrifiées. Mais évidemment tout ne va pas se terminer aussi simplement car Eve et Villanelle ne sont pas des oies blanches disposées à être plumées...

L'intrigue culmine dans les ruines romaines et un différend profond entre les deux alliées de circonstance. Les cartes sont complètement rebattues à l'issue de cette saison 2 conçue en miroir à la première. Cette fois, c'est Eve qui tombe de haut. Même si on sait qu'elle ne meurt pas (puisqu'il reste deux saisons), il n'empêche qu'on se demande ce que nous réserve la suite. 

Réalisés au cordeau, les épisodes défilent, sur un rythme implacable. Une tension permanente les traverse, avec une charge érotique intense. On rit aussi beaucoup grâce à des dialogues étincelants et une interprétation admirable. Sandra Oh est épatante dans le rôle de Eve qui, comme la prévient un psychiatre spécialisé dans les tueurs en série, risque de finir à l'asile ou en prison parce qu'elle ne renonce ni à arrêter les assassins ni à penser à Villanelle.

Pourtant, ce n'est pas mésestimer le talent de Oh que de dire que cette saison 2 de Killing Eve est un vrai festival Jodie Comer. La jeune comédienne britannique est extraordinaire de bout en bout. Elle incarne avec une malice incomparable cette tueuse redoutable et farfelue avec une expressivité d'une précision chirurgicale. Fashionista et imprévisible, glaçante et hilarante, Comer envoûte, fascine, et fait de ce show sa scène. Elle cabotine mais avec un tel génie qu'elle réussit à ne pas vampiriser la série. Du grand art.

Je ne sais pas si je vais enchaîner avec la saison 3 tout de suite, même s'il est difficile de résister. Mais en tout cas, une chose est sûre : je n'attendrai pas cinq ans pour écrire à nouveau sur Killing Eve.

lundi 28 août 2023

DONJONS ET DRAGONS : L'HONNEUR DES VOLEURS n'a vraiment pas eu le succès qu'il mérite


Sorti en Avril dernier en France, Donjons et Dragons : L'Honneur des Voleurs est l'adaptation du jeu de rôles sur table. Et bien que tous ceux qui l'ont vu aient loué ses qualités cinématographiques, ce film n'a pas été un succès commercial. Un échec inexplicable tant le résultat est jubilatoire, servi par une réalisation, une écriture et une interprétation impeccables;


Edgin Darvis fit partie de l'ordre des bardes qui traquait les magiciens rouges. Mais ces derniers se vengèrent en tuant sa femme. Dévasté, il élève seul sa fille Kira et s'allie à une bande de brigands, formée par Holga Kilgore, Forge Fitzwilliam, Simon Aumar et la mystérieuse Sofina. Jusqu'à ce qu'ils entreprennent de cambrioler un repaire des bardes et ne tombent dans un piège. Holga et Edgin sont arrêtés et jetés en prison tandis que Forge promet de s'occuper de Kira.


Après deux ans de détention, Edgin et Holga s'évadent et rejoignent Forge pour récupérer Kira. Mais leur ancien complice est devenu un seigneur avec l'appui de Sofina et surtout il a raconté à Kira que son père avait préféré l'abandonner pour faire fortune. Sofina fait arrêter Holga et Edgin pour qu'ils soient exécutés mais ils réussissent à s'échapper. 


Ayant appris que Forge va organiser des jeux du cirque auxquels il a conviés les puissants de plusieurs royaumes, Edgin veut le dépouiller à cette occasion mais il lui faut assembler une équipe. Avec Holga il retrouve Simon Aumar la magicien qui les convainc de recruter Doric, une métamorphe qui veut protéger les habitants de sa forêt contre l'armée de Forge.
 

Dans le butin de Forge se trouve une tablette de résurrection volée jadis au repaire des bardes et avec laquelle Edgin pourrait ramener sa femme à la vie et convaincre sa fille de partir avec lui. Mais la salle des trésors de Forge est protégé par un sort puissant que seul le casque de disjonction peut leur permettre de franchir. Ce casque est en possession de Xenk Yendar, un ancien magicien rouge devenu paladin qui accepte de le céder si Edgin reverse le trésor au peuple.


Mais une fois en possession du casque, Simon est incapable de l'utiliser correctement. Edgin imagine un plan B mais Forge et Sofina piège la bande et l'expédie dans l'arène lors des jeux du cirque où ils doivent éviter d'être dévorer par un griffon. Cependant, Forge fait transférer le trésor dans un bâteau et livre la ville à Sofina qui invoque un sort pour transformer les habitants en une armée de zombies. Edgin et ses amis réussissent à quitter l'arène et arrêter Forge.


Mais alors qu'ils prennent le large, ils voient le sort de Sofina s'abattre sur la ville et font demi-tour pour l'affronter. Au terme du combat, ils la tuent mais Holga est mortellement blessée. Edgin utilise la tablette de résurrection pour la sauver. Comme il l'avait promis à Xenk, le trésor est laissé à la population qui célèbre la bande comme des héros. Xenk lui envoie Forge en prison.

On devine que pour le studio Paramount Donjons et Dragons : L'Honneur des Voleurs représentait une opportunité pour bâtir une franchise de plusieurs longs métrages. Le jeu de rôles sur table commercialisé par Hasbro a connu un énorme succès à travers le monde et le projet d'adaptation cinématographique a d'abord failli se faire chez Warner.

Mais, inexplicablement, le public n'a pas suivi. Le film a remboursé son budget mais sans faire de gros profits (à peine 200 millions $ de recettes pour une mise de 150 millions $) et il paraît désormais très improbable qu'on ait droit à une suite. Quel dommage !

Je l'avoue, je n'avais pas prévu d'aller voir le film en salles mais ce qui m'a mis la puce à l'oreille, c'est que tous ceux qui en parlaient après l'avoir vu en disaient le plus grand bien, louant un divertissement très bien écrit, réalisé et joué. Comment alors justifier que les spectateurs n'aient pas été plus nombreux ?

C'est un vrai mystère auquel je n'ai pas la réponse. Tout démarre par une narration très accrocheuse : on est présenté à Edgin le barde et Holga la guerrière alors qu'ils plaident leur cause devant un jury qui doit décider s'ils peuvent être libérés de prison. Un flashback explique comment et pourquoi ils sont là et tout est rapidement expliqué. L'univers du récit est précisément posé et les personnages sont bien campés. Il y a là un mélange d'aventures médiévales, de fantasy et de heist movie franchement épatant. Puis Edgin et Holga s'évadent, sans entendre que le jury avait choisi de les relâcher.

Découvrant qu'un complice les a trahis, le duo planifie sa vengeance et recrute des alliés. Un magicien maladroit et une métamorphe se joignent à eux, et cette improbable équipe se met en route pour trouver une relique qui leur permettra de pénétrer une salle aux trésors protégée par un puissant sortilège. Le quatuor rencontre ainsi un ancien sorcier devenu paladin et l'aventure se poursuit de plus belle pour un troisième acte encore plus endiablé.

Il n'y a aucun temps mort, aucune faute de goût, aucune erreur de parcours dans ce script. Vraiment, comment ne pas être emballé par cette succession de péripéties où l'humour est malicieux à souhait, les protagonistes superbement caractérisés, les décors exotiques, l'action permanente, jusqu'à la dernière partie elle aussi irréprochable ? Les voies du box office sont impénétrables, plus encore que la salle des trésors de Forge Fitzwilliam.

Je n'ai jamais joué à Donjons et Dragons, les jeux de rôles ne m'intéressent pas, mais je me suis laissé entraîner sans aucun préjugé dans le film qui fonctionne sans que le spectateur ait besoin d'être un connaisseur. Au contraire, tout est formidablement accessible. La mise en scène (assurée comme le scénario) par le binôme Jonathan Goldstein et John Francis Daley est un modèle du genre, elle n'impose pas un montage haché ni des effets spéciaux bâclés : tout est soigné, cadré, c'est de la belle ouvrage, avec une sorte de classicisme qui fait penser davantage aux films de chevalerie comme ceux de Richard Thorpe et George Sidney - et peut-être que, pour certains, c'était la limite, cet aspect presque old school.

Mais vraiment, c'est regrettable. D'autant que le casting, même s'il ne comportait aucune vedette, était solide et présentait même le mérite d'une authentique fraîcheur, favorisant de bons acteurs, correspondant aux rôles. Chris Pine, par exemple, n'a jamais brillé à mes yeux, que ce soit dans Star Trek ou Wonder Woman, mais dans la peau de ce barde filou, il est fabuleux. Michelle Rodriguez trouve ici plus à jouer que dans la franchise Fast and Furious et son rôle de guerrière est épatant. Justice Smith, que j'avais beaucoup aimé dans Tous nos jours parfaits, est une fois encore parfait en magicien malhabile. Sophia Lillis, l'extraordinaire révélation de la série Netflix I'm not OK with this (hélas ! annulée au bout d'une saison), est la plus charmante des métamorphes avec ce côté piquant irrésistible. Quant à Regé Jean-Page, on regrette qu'il ne soit pas davantage présent. Et Hugh Grant excelle à jouer les méchantes fripouilles aux côtés de la flippante Daisy Head.

Il y a donc là matière à réfléchir sur les attentes du public en matière de films de divertissement. Non, définitivement, il n'y a pas de recettes pour attirer les spectateurs dans les salles. Mais ça n'empêche pas de s'en désoler quand un film comme celui-ci n'a pas eu l'accueil positif qu'il méritait.

samedi 26 août 2023

BIG GAME #2, de Mark Millar et Pepe Larraz


La couverture de ce deuxième épisode (sur cinq) de Big Game ne laisse aucune place au doute : c'est un bain de sang au programme. Mark Millar casse ses propres jouets avec une férocité étonnante et les forces du mal font la preuve de leur puissance. Pepe Larraz illustre ce carnage avec une intensité impressionnante. A moins que tout cela ne dissimule autre chose...


Edison Crane et Bobbie Griffin ont rendez-vous avec les Chrononautes Corbin Quinn et Daniel Reilly pour remonter le temps jusqu'en 1985 avant que la Fraternité n'anéantissent tous les super-héros et n'effacent leur souvenir de la mémoire collective. Un plan simple et malin mais qui va se heurter à une réalité sanglante...


La couverture, comme je l'écris plus haut, spoile allégrement une partie majeure de cet épisode puisqu'on y voit Nemesis avancer entre les cadavres reconnaissables à leurs uniformes des Ambassadors. Ils ne seront pas les seuls à être exterminés dans ce numéro qui est un vrai bain de sang et où Mark Millar s'est réjoui de briser les coeurs de nombreux fans.
 

Plus que le spectacle de ces massacres très violents, ce qui m'a davantage séduit dans cet épisode, c'est peut-être ce qu'il ne dit pas, ce qu'il pourrait suggérer sur la suite et l'issue de Big Game. Car si le scénariste ne fait pas mystère de sa volonté de mettre fin à certaines de ses propres séries via cet event, Big Game ne doit certainement pas se contenter d'être cela.


Mark Millar aime en effet les retournements de situation, parfois capillotractés, et s'il veut se débarrasser de beaucoup de ses propres personnages, c'est non seulement son droit, mais surtout un manifeste pour le futur de son univers de fiction.

Il semble acquis qu'il va créer de nouvelles franchises (après tout c'est pour cela que Netflix s'est payé son label) et certains de ses héros n'étaient plus actifs (au sens où leurs séries s'étaient arrêtées depuis un moment) depuis longtemps, donc sacrifiables.

Pourtant, dans sa manoeuvre, Millar s'auto-court-circuite car en ayant annoncé avant Big Game qu'il y aurait un troisième volume des aventures de Prodigy ou un deuxième des Ambassadors, on se doute bien qu'en assassinant les deuxièmes dès la couverture, c'est qu'il a préparé une sorte de plan B pour les ramener ou au moins permettre une suite aux six premiers épisodes de ce titre récent.

Il y aura donc des morts définitives dans les trois prochains épisodes restants, mais je suis également persuadé qu'on va avoir droit à des résurrections ou des sauvetages (à un niveau conceptuel au moins) pour que Big Game ne soit pas réduit à une opération de grand nettoyage.

A cet égard, le début de cet épisode pourrait fournir une piste puisqu'on suit les Chrononautes avec Edison Crane et Bobbie Griffin jusqu'en 1985 et on voit apparaître un homme volant (sans doute Utopian, le père des super-héros de Jupiter's Legacy). Si cette expédition dans le passé est très brève et connait un dénouement fulgurant, le nombre de pages qui lui est consacré me conforte dans l'idée que ce n'est pas une séquence pour rien. La réponse aux assauts de la Fraternité et Nemesis viendra certainement du passé (et sans doute du futur et de l'espace, voir de l'au-delà puisqu'on sait qu'à un moment où un autre les héros de séries comme Empress, Space Bandits, Sharkey the bounty hunter, Reborn, etc. vont être impliqués).

Toutes les cibles de la Fraternité ne tombent d'ailleurs pas comme prévu et si ces méchants sont très bien organisés et efficaces, on voit dans la scène qui réunit Hit Girl (de sa propre série et de Kick-Ass avant) et Eggsy (de Kingsman) que le camp des bons a des informations cruciales sur des séries de meurtres en cours.

Pepe Larraz a le loisir de briller dans un registre qui ne lui est pas familier, celui d'une ultra-violence à laquelle Millar ne s'était pas abandonné depuis quelque temps. L'artiste espagnol produit des pages débordantes d'énergie où le côté obscur fait l'étalage de sa puissance de feu et Nemesis de sa cruauté sans limite.

Est-ce dérangeant ? Un peu quand même. Parce que le dessin de Larraz a une force esthétique indéniable, la mise en scène de cette violence a quelque chose de séduisant. Millar ne lésine pas sur les dommages infligés aux héros, les combats sont d'ailleurs à sens unique, on sait tout de suite que les héros vont se ramasser et face à Nemesis, ils connaissent un sort terrible. La dernière page a cet aspect complaisant avec cette brutalité qui ne me paraît jamais justifiable, sinon pour souligner le bellicisme d'un personnage - sauf que ledit personnage n'a jamais fait preuve d'aucune indulgence envers ses ennemis, donc c'est inutile d'y revenir.

Ce qui est étonnant aussi, c'est la place accordé à Nemesis, comme si la Fraternité et Wesley Gibson le laissait seul monter au front et s'amuser. Il faut reconnaître que ça ne colle pas avec l'idée d'une organisation criminelle remplie de tueurs expérimentés qui devrait en tout logique ne pas laisser Nemesis faire tout le boulot, malgré son impressionnante efficacité. Peut-être que Millar se réserve des scènes de bataille de groupe pour quand le Fraternité devra affronter des puissance plus redoutables comme l'Ordre Magique ou Superior, qui incarnent une menace et une résistance autrement plus redoutables que les Ambassadors (qui étaient relativement inexpérimentés).

Mais ces bémols mis à part, on ne peut nier à Millar et Larraz un brio certain. La preuve en est que, arrivé à la dernière page, on se dit "déjà !". Big Game est donc un terrifiant page turner, qui fonce comme un train, à toute allure, sans aucune autre série du MillarWorld à côté, sans tie-in, devenant l'unique objet de notre attention. Après ce qu'on vient de voir dans cet épisode, on se demande vraiment jusqu'où ça va aller. Et ça, c'est parfait.

jeudi 24 août 2023

THE IMMORTAL THOR #1, de Al Ewing et Martin Coccolo

 

C'était un des lancements de série que j'attendais le plus : la reprise par Al Ewing et Martin Coccolo des aventures du dieu du tonnerre sous le titre The Immortal Thor. Après le run de Dinny Cates achevé par Torunn Gronnbeck, Marvel a préféré sans remettre à une valeur sûre parmi leurs auteurs et un talent prometteur. Une entrée en matière copieuse et prometteuse.



Après avoir repoussé une énième attaque des géants de glace, Thor comprend que Loki a négligé son trône dans le royaume de Jotunheim. Pour se faire pardonner, ce dernier reconstitue le Bifrost mais s'éclipse aussitôt après. Thor visite Midgard où une tempête le surprend. Mais il ne peut la repousser...


Après le (très) long passage de Jason Aaron sur le titre Thor, sa succession par Donny Cates m'avait laissé sur ma faim, jusqu'à ce que le scénariste cesse subitement de l'écrire. On a appris récemment qu'il avait été victime d'un grave accident de la route, expliquant ainsi pourquoi tous ses travaux (de commande ou en creator-owned) s'étaient arrêtés. Torunn Gronnbekk l'avait remplacé au pied levé sur Thor.


Marvel a donc logiquement cherché une valeur sûre pour relancer le titre et logiquement leur choix s'est porté sur Al Ewing qui, approché avant Cates, a eu le temps de réfléchir à son projet. Tout aussi naturellement, la série s'intitule The Immortal Thor, en référence à Immortal Hulk, précédent succès de Ewing.


Pour l'accompagner, l'éditeur mise sur Martin Coccolo, un artiste uruguayen, promu "stormbreaker" (ça ne s'invente pas)... Et qui avait justement mis en image un crossover Thor/Hulk écrit par Cates quand il était aux commandes des deux titres.

Mais pour parler de ce n°1, il faut sans doute commencer par la fin de l'épisode. Non, pas de spoiler, rassurez-vous : il s'agit ici de mentionner la postface d'Al Ewing.


Dans le texte qu'il a rédigé à la fin de ce premier épisode, Ewing revient sur sa jeunesse en Angleterre quand il a découvert les comics de super-héros. Un jour, il s'est procuré le troisième épisode de l'event Secret Wars de Jim Shooter et Mike Zeck, paru en 1985, et une scène l'a frappé. C'est celle qui figure sur la page ci-dessus, où, piégé sur la planète du Beyonder, les héros se sont réfugiés dans un bâtiment alors qu'à l'extérieur une super tempête fait rage. Un seul ose l'affronter : Thor, exultant face aux éléments déchaînés (ce qui fait penser à Mr. Fantastic qu'il entretient cette intempérie).

Comme le souligne Ewing, dans Secret Wars, Thor se distinguait des autres héros avec sa cape rouge, son marteau, son casque. Même Magneto reconnaissait qu'il était le seul à l'égaler en puissance. Surtout, c'est l'expression sur le visage de Thor qui a ému le futur scénariste : ce sourire réjoui face à la tempête, la puissance qu'il dégageait.

Presque quarante ans plus tard, Ewing a conservé cette image en tête et a voulu la reproduire : Thor n'est pas un super-héros comme les autres, ce n'est d'ailleurs pas un super-héros, c'est un dieu parmi les hommes, incroyablement fort, noble, sûr de lui, et pourtant aussi tourmenté, fils-héritier d'Odin le père de tout. Mais encore une fois, le Thor que voulait Ewing, c'était celui de Shooter Zeck : ce Thor qui souriait en bravant la tempête.

Il est même allé plus loin que ça en lui rendant le costume designé par Jack Kirby, son casque avec des ailes sur les tempes, Mjolnir intact. Ewing semble vouloir tourner une page et revenir aux fondamentaux : fini les relookings, les histoires de marteaux brisés, reconstitués, qui passent de main en main. Seul Thor Odinson est digne de brandir cette arme et fini l'esprit d'Odin enfermé dans le métal Uru. Rétrograde Ewing ?

Plutôt back to basics. Sans le dire, sans effacer ce qui a été fait avant lui ces dernières années, il affiche dans sa postface ses références : Kirby et Walter Simonson. Et c'est comme si, loin de revenir en arrière, on accordait une cure de jouvence au dieu du tonnerre. Pas besoin de réinventer, de changer l'apparence de ce qui fonctionnait depuis le début.

L'épisode est copieux : sa pagination généreuse (40 planches), des scènes à Asgard, la reformation du Bifrost, une intervention de Loki, l'apparition de Warriors Three, de Lady Sif, une visite à Midgard (la Terre, un adversaire impressionnant qui surgit, un complot dans l'ombre. On n'a pas le temps de souffler même si Ewing ne cherche pas à submerger le lecteur. Il l'invite plutôt à faire le tour du propriétaire, à reprendre ses marques, à l'embarquer dans ce qui s'annonce comme une intrigue épique. Et ce faisant il saisit parfaitement la singularité du personnage, le confronte à un défi de taille, nous accroche avec des mystères, opère des synthèses (son Loki est androgyne, comme si le Loki originel et Lady Loki avaient enfin adopté une forme définitive - là encore, la démarche est une sorte d'aboutissement pour Ewing, qui se présente comme un auteur queer, et qui a déjà auparavant écrit Loki dans Agent of Asgard puis les deux mini Defenders en jouant sur ces ambivalences identitaires et sexuelles).

Martin Coccolo avait du bon boulot sur le (grotesque) crossover Thor/Hulk de Cates, mais là, il franchit un nouveau palier. Visiblement il a eu le temps de travailler le personnage entre temps et pu prendre de l'avance sur la réalisation des épisodes. A voir s'il pourra enchaîner en maintenant cette qualité.

Mais il ne fait aucun doute que, si Ewing a puisé dans Kirby et Simonson, Coccolo, lui, est davantage inspiré par Olivier Coipel. Non pas qu'il imite le Thor taurin et massif du français, mais son trait est influencé par ce dernier. Comme il s'encre lui-même (comme de plus en plus d'artistes), il a la maitrise totale des images qu'il produit et il s'est investi pour sortir des planches démontrant son implication et son application.

Conformément au souhait d'Ewing, Thor apparaît comme un individu qui impose le respect immédiatement. La première scène contre le mage Skrymir le montre en action, sûr de lui, de sa force et de son statut de père de tout. Ensuite, son échange avec Loki souligne la complicité entre les deux demi-frères tout en suggérant que Loki reste cet être malicieux, trouble.

L'émerveillement de Thor devant le Bifrost reconstitué le rend plus attachant encore, presque enfantin. Quand il arrive sur Terre, Coccolo s'évertue à montrer le décalage entre ce colosse en costume et de simples quidams sans en faire quelqu'un de hautain, qui réclame la vénération des mortels. Juste avant que la super tempête ne le surprenne et que son adversaire ne se dévoile.

Les couleurs, superbement nuancées, de Matt Wilson rendent justice au travail graphique de Coccolo et achèvent de séduire un fan qui avait cessé de croire en un retour valable du personnage (à part la période avec Jane Foster durant le run de Aaron, je dois dire que ça faisait très longtemps que je n'avais pas pris un tel plaisir à relire Thor - sans doute pas depuis J.M. Straczynski et Olivier Coipel en fait).

Al Ewing a signé un run de 50 épisodes sur Immortal Hulk. Et j'ai l'impression qu'il a autant d'ambition pour ce The Immortal Thor. Si Martin Coccolo est aussi régulier que le fut Joe Bennett avec le géant vert, et que l'histoire suit, on est parti pour quelque chose de grand.

mercredi 23 août 2023

DARK KNIGHTS OF STEEL #12, de Tom Taylor et Yasmine Putri


21 (!) mois après le début de sa parution, Dark Knights of Steel est (enfin) terminé. Une fin sans surprise, sans éclat, qui ne comblera pas grand-monde à coup sûr. Tom Taylor donne au lecteur lambda ce que ce dernier veut, rien de plus, et se permet même de teaser une suite... Yasmine Putri produit de jolies planches mais on sent que de son côté aussi le coeur n'y est plus.
 

Protex et les martiens blancs ont scellé un pacte avec Amanda Waller qui leur fournit un moyen de percer les défenses autour du château des El. Mais Constantine, Lois et Harley Quinn ont prévu une parade dont le prince Bruce, Kal et Diana sont les fers de lance...


Il y a peu je rédigeai une critique groupée des derniers épisodes en date de Avengers et Guardians of the Galaxy pour pointer les faiblesses  de leurs scénaristes respectifs, incapables, selon moi, de produire de bons team-books, alliant une caractérisation de qualité et des intrigues originales et efficaces. 


Je n'épargnai pas Jed MacKay et le duo Jackson Lanzing - Collin Kelly mais Tom Taylor me semble aussi surcôté que ces trois-là. Je sens que je ne vais pas me faire beaucoup d'amis en disant cela parce que Taylor est populaire avec son run sur Nightwing, que je considère également surestimé. Mais tant pis, je le dis quand même : ce n'est pas bon.


Il me semblait pourtant que Taylor s'en sortait mieux dans le cadre d'histoires hors continuité. J'avais trouvé son premier arc de DCeased plutôt malin, mais avoir ajouté deux volumes à ce récit montrait bien un opportunisme regrettable.

Si Dark Knights of Steel avait été édité plus intelligemment (notamment en accordant un break substantiel à Yasmine Putri pour qu'elle puisse dessiner tranquillement des épisodes d'avances, ou en publiant cette mini-série bimestriellement par exemple), la lecture aurait sans doute été plus agréable; Mais en l'état, les retards fréquents ont eu raison de ma patience et de mon indulgence car, à chaque fois, que je découvrais un nouveau chapitre, je ne lisais rien qui justifiait que cela ait pris tant de temps pour l'écrire et le dessiner.

Entendons-nous bien : ce n'est pas mauvais. Yasmine Putri, cover-artist, s'avère une dessinatrice complète et douée, et j'aimerai la revoir sur un projet sans doute plus modeste, en tout cas moins énergivore - car, franchement, donner une histoire pareille à quelqu'un qui n'est pas habitué à livrer vingt pages par mois est une absurdité.

Tom Taylor n'est pas non plus un scénariste à jeter. En transposant le DCU dans une épopée médiévale teintée de fantastique, il a adapté parfois avec goût et imagination des personnages et des situations familières. Même si au bout du compte il a gadgetisé tout cela, soulignant plus les différences cosmétiques que thématiques.

Malgré tout, on achève la lecture de Dark Knights of Steel avec un sentiment de déception trop grand pour l'ignorer. Taylor a eu les yeux plus gros que le ventre, en voulant absolument caser des héros dont il n'a rien fait (comme Green Arrow, mutilé et rendu inutile, Black Canary, réduite à de la figuration, Poison Ivy, trop en retrait...). Il a sombré dans des clichés d'auteur de fanfic en créant très artificiellement un couple Supergirl-Wonder Woman (jamais développé), a fait de Batman un bâtard mi-humain, mi-kryptonien (sans que cela n'enrichisse le personnage).

Cette distribution pléthorique de personnages associée aux retards de parution a contribué à troubler le lecteur qui pouvait facilement ne plus se rappeler qui était qui. Et comme le noeud de l'intrigue reposait sur la présence de martiens métamorphes, usurpant l'identité de seconds rôles, tout devint vite confus. En route, des pans entiers de l'histoire sont passés à la trappe (notamment les plans de Etrigan/Ra's Al Ghul contre les Titans) quand d'autres se révélaient tardivement mais de manière trop attendue (la duplicité de Waller).

Le problème de Taylor est bien similaire à celui de MacKay et Lanzing - Kelly : il ne sait pas correctement caractériser ses protagonistes, bons ou méchants, et le lecteur a toutes les peines du monde à s'y attacher. Les intrigues et subplots sont maladroits, ne s'imbriquent pas avec fluidité, et n'aboutissent qu'à des conclusions faiblardes compte tenu des enjeux élevés avancés au début. En vérité, il veut à la fois créer un monde (ici donc un DCU médiéval avec une touche de fantasy) et des figures réinventées de façon mémorables. Il échoue sur les deux plans.

D'abord parce que cet univers parallèle qu'il invente n'est pas suffisamment bien défini : il ne suffit pas de placer des visages familiers et relookés dans des châteaux forts pour que cela suffise à convaincre de l'originalité du procédé. C'est juste exotique. Ensuite, il ne suffit pas davantage de redéfinir des relations entre des héros connus (comme faire de Wonder Woman et Supergirl un couple, de Superman et Batman des demi-frères) pour qu'on trouve ça très audacieux ou même original. C'est juste cosmétique, aussi choquant qu'un changement de costume ou de couleur de peau ou de sexe : les editors et auteurs devraient savoir que les lecteurs sont devenus plus difficiles à berner que ça.

Enfin, il y a, chez Taylor, un problème majeur : celui du vilain. Dans Nightwing, il a passé un nombre invraisemblable d'épisodes à photocopier l'antagonisme Daredevil-Kingpin en les remplaçant par Nightwing-Blockbuster, et quand il a rajouté à l'équation Heartless, il a totalement échoué à faire de ce dernier un méchant avec une présence consistante. Ici, c'est pareil : Protex et sa bande de martiens tombent trop facilement dans un piège qui plus est imaginé par Harley Quinn (!), la grande bataille qui promettait d'être incertaine est réglée en deux temps-trois mouvements. C'est piteux. Mais surtout le dit Protex n'a aucune personnalité et ses plans aucune originalité ni envergure : on sent, on sait qu'il va échouer.

Reste donc les planches de Yasmine Putri. Quand elle a été aux commandes, elle a rarement déçu. Elle manque certes d'expérience comme narratrice, mais pas de talent. Il aurait été surtout plus avisé qu'elle s'exerce sur une histoire moins ambitieuse et plus rigoureuse avant de s'engager dans une mini-série aussi longue et laborieusement écrite. Cela lui aurait évité de dessiner tant de cases dénuées de décors, pour gagner du temps, même si elle a eu la chance d'avoir un talentueux coloriste comme Arif Prianto pour l'aider.

Si Taylor, comme tout l'indique, écrit une suite, je n'en serai de tout façon pas. J'en ai définitivement soupé de ce mauvais écrivaillon dont la hype me dépasse. Peut-être est-ce surtout là l'enseignement de Dark Knights of Steel : arrêter de porter aux nues des auteurs qui sont si inégaux, arrêter d'en faire des pseudo-architectes quand ils n'en ont pas les capacités. D'ailleurs, arrêtez ces histoires de scénaristes-architectes et veillez à ce qu'ils écrivent d'abord de bonnes histoires avant de leur demander de réinventer la roue.

mardi 22 août 2023

La saison 2 de FLEABAG conclut la série magistralement

 

La saison 2 de Fleabag est arrivée sur le petit écran trois ans après la première, soit en 2019. Est-ce que Phoebe Waller-Bridge, sa créatrice et vedette, savait qu'elle conclurait son run pour avoir pris son temps ainsi ? Nul ne le saura, mais aujourd'hui encore beaucoup espère que la comédienne et scénariste ajoutera un troisième acte. Mais en l'état, cette fin est parfaite.



Après plus d'un an, durant elle a coupé les ponts avec sa famille, Fleabag assiste à un dîner en compagnie de sa soeur, du mari de celle-ci et leur père qui leur annonce qu'il va épouser leur belle-mère. Le prêtre qui célébrera leur union est également présent et attire l'attention de Fleabag. Lorsque Claire s'absente pour aller aux toilettes et y reste un peu trop longtemps, Fleabag découvre qu'elle fait une fausse couche mais refuse que quiconque le sache. Elle la couvre. Martin se moque d'elle et elle le frappe avant qu'il ne réplique. Les deus soeurs filent à l'hôpital.


A la surprise de Claire, les affaires de Fleabag et son café se portent bien. Mais elle lui annonce aussi que Martin pense à porter plainte contre elle après leur échange de coups lors du dîner. Pour le calmer, Claire compte su un de ses amis avocats pour défendre sa soeur. Fleabag profite aussi du cadeau d'anniversaire que lui a fait son père : une séance chez une psychanalyste à qui elle avoue son attirance pour le prêtre.



Fleabag joue les traiteurs pour sa soeur qui organise une remise de prix pour les femmes d'affaires. A cette occasion, elle présente son partenaire finlandais, Klare, à Fleabag, qui devine immédiatement qu'ils ont une liaison. Fleabag fait la connaissance de la lauréate, Belinda, avec laquelle elle échange sur la condition féminine et qui lui prodigie quelques bons conseils. Puis elle se rend à l'église du prêtre avec lequel elle flirte - et réciproquement.


Toutefois, Fleabag comprend qu'il ne rompra pas son célibat pour elle et cela la déprime. Elle revoit l'avocat que lui a présentée Claire et couche avec lui. Il la comble sexuellement mais pas sentimentalement - d'ailleurs elle ne souhaite pas s'engager avec lui. Elle se recueille à l'église et se remémore les obsèques de sa mère, lors desquelles, déjà, leur père subissait les avances de sa future belle-mère. Le prêtre, passablement ivre, la surprend et l'invite à se confesser. Troublé par ce qu'il entend, il l'embrasse. Puis la repousse.
 

Le prêtre réunit la famille et annonce aux futurs mariés qu'il ne pourra pas célébrer leur union, en racontant qu'il a une obligation personnelle. Claire se fait couper les cheveux mais le résultat est désastreux, sauf pour Klare qui la croise avec Fleabag, qui s'éclipse pour les laisser aller à un concert. De retour à son café, elle est attendue par Martin qui et convaincue que Claire va le quitter et implore l'aide de sa belle-soeur - qui la lui refuse. Le soir venu, le prêtre se rend chez Fleabag et lui avoue son attirance. Ils finissent la nuit ensemble.


C'est le jour des noces et le prêtre est finalement présent pour les célébrer. Claire rompt avec Martin et file rattraper Klare qui doit rentrer en Finlande. Après la cérémonie, à un arrêt de bus, Fleabag et le prêtre s'avouent leur amour mais il a choisi de continuer à servir Dieu. Ils partent chacun de leur côté.

Et c'est avec un ultime aparté, d'un signe de la main, que Fleabag nous fait ses adieux. Douze épisodes en tout et pour tout auront suffi à nous la rendre indispensable, mais elle ne reviendra pas. Son histoire est bouclée.

Après une première saison étincelante, on pouvait craindre que Phoebe Waller-Bridge ne fasse pas aussi bien. Il semble que la créatrice et actrice du show ait elle-même douté puisqu'elle a mis trois années à compléter cette suite. Mais le résultat est largement à la hauteur, aussi drôle, aussi émouvant, aussi inventif.

Comme en écho au temps passé entre les deux saisons, le premier épisode se situe plus d'un an après le dernier de la précédente cuvée. Fleabag a coupé les ponts avec sa famille. Sa belle-mère, toujours aussi détestable, va épouser son père. Sa soeur ne lui adresse plus la parole depuis qu'elle accusé Martin d'avoir voulu l'embrasser. L'ambiance est tendue et tout le monde autour de la table parie que Fleabag va encore trouver un moyen d'attirer l'attention de manière embarrassante.

Tout le monde sauf l'invité surprise du repas : un séduisant prêtre qui éveille bien entendu l'intérêt de tous. Car il a la langue bien pendue et devine que cette famille est dysfonctionnelle à souhait. Et que ce dîner pourrait servir de confession géante. Toutefois il est loin de se douter comment tout ça va finir. Une fausse couche plus tard, attribuée à la fausse personne, deux coups de poings dans le nez, et la réunion s'achève en effet de la pire des façons.

Pourtant, l'abcès est crevé. D'abord entre les deux soeurs : Claire découvre que Fleabag, comme elle l'a racontée, a du succès avec son café et s'est assagie dans ses relations avec les hommes. Même si, comme elle l'avouera à une psy, elle craque sur ce beau curé... Et couchera avec l'avocat chargé de la défendre contre la menace d'un dépôt de plainte par Martin (avec qui elle s'est empoignée au resto).

Le duo Claire-Fleabag est clairement au centre de cette saison : la première est coincée, névrosée, malheureuse en couple, mais brillante intellectuellement, avec une carrière professionnelle accomplie. Et entre temps, elle a rencontré son homologue finlandais, qui partage le même prénom qu'elle, Klare, et dont Fleabag comprend très vite qu'ils sont amants. Encore faudra-t-il un peu pousser la frangine à se défaire de Martin qui ment sur sa volonté d'arrêter de boire et prétend qu'il est odieux sans le faire exprès.

De manière générale, on observe dans cette saison que Fleabag interagit davantage avec ses proches, que le script organise des rapports en binômes pour ne plus se contenter du show Phoebe Waller-Bridge. Si rien ne change entre l'héroïne et sa belle-mère, en revanche, avec son père, une forme de rapprochement inattendu s'opère, avec l'aveu d'une fierté et d'un amour réciproque, mais aussi un jugement lucide sur chacun. Comme il le dit à sa fille, elle est douée pour le bonheur mais en a peur et c'est pour cela qu'elle échoue. Mais son courage l'empêche d'abdiquer.

Du courage, il lui en faudra avec le prêtre. D'abord loufoque, cette romance, forcément contrariée, aboutit à quelque chose de plus trouble et troublant sans que Fleabag ne passe pour une tentatrice qui cherche à détourner un homme de sa foi et de son serment. C'est aussi ce qui donne au dénouement de la série ce goût doux-amer, cruel et poignant, car si, d'aventure, ils avaient fini ensemble, ç'aurait été convenu. C'est triste pour elle, mais c'est aussi plus juste pour la série.

Il faut aussi noter que le prêtre remarque peut-être trop la singularité de Fleabag pour ne pas y succomber. En effet, à plusieurs reprises, il lui fait prendre conscience qu'elle brise le quatrième mur mais sans le formuler aussi clairement (il évoque des absences). Et Fleabag, on le sent bien, est dérangée qu'on voit cela. Nul doute que si une vie avait été possible avec l'homme d'église, elle aurait du se retenir, autant dire se réprimer, et elle sait pertinemment que ce n'est pas en renonçant à cette part d'elle qu'elle aurait été heureuse.

Encore une fois, l'interprétation est époustouflante. Andrew Scott (qui était la vedette d'un épisode, Smithereens, de la récente dernière saison de Black Mirror) est excellent en prêtre tourmenté. Olivia Colman est impériale en belle-mère haïssable au possible. Kristin Scott Thomas joue les guests de luxe dans l'épisode 3, dans le rôle de Belinda. Et bien entendu Pheobe Waller-Bridge est exceptionnelle, toujours juste, toujours irrésistible, toujours bouleversante.

Fleabag me manquera. Mais désormais, chaque fois que Phoebe Waller-Bridge sera créditée au générique, ce sera à surveiller, de près.

dimanche 20 août 2023

La saison 1 de FLEABAG vous fait rire... Aux larmes


Pas facile de trouver une bonne série après The Marvelous Mrs. Maisel... Alors, j'ai creusé et je me suis rappelé de Fleabag, diffusé en 2016, et sur lequel je n'avais jamais écrit. Cette série créée, écrite et incarnée par Phoebe Waller-Bridge, bien avant Killing Eve ou le dernier Indiana Jones, n'a connu que deux saisons, mais reste une oeuvre fulgurante, très drôle et poignante.
 

"Fleabag" est une jeune femme qui multiplie les aventures sexuelles sans lendemain, comme avec cet homme qu'elle laisse la sodomiser car c'est un fantasme qu'il n'a jamais pu réaliser avec d'autres filles. Le lendemain matin, elle croise le regard d'un passager dans le bus et celui qu'elle surnomme tout de suite "le rongeur" (à cause de sa denture) obtient son numéro après qu'elle lui a parlé de Harry, son copain qui l'a récemment quitté après l'avoir surprise en train de se masturber sur une vidéo de Barack Obama. A la banque, elle se voit refuser un emprunt pour son café qu'elle a ouvert avec son amie Boo. Puis elle retrouve sa soeur, Claire, à une conférence puis rend visite à son père et sa belle-mère (elles ne s'apprécient pas), à qui elle vole une petite sculpture de valeur qu'elle espère revendre un bon prix.


Fleabag demande au mari de Claire, Martin, de l'aider à revendre la sculpture en échange d'une commission de 10% pour lui. Harry revient à elle et propose, pour pimenter leur relation de se faire des surprises, mais quand il s'aperçoit qu'elle a maté du porno sur son ordinateur, il claque la porte. Pourtant, elle reste sûr qu'il le regrettera vite.


Fleabag aide Martin à trouver un cadeau d'anniversaire pour Claire. Elle invite "le rongeur" à la fête mais au moment de la remise de cadeaux, elle voit Martin offrir la sculpture à Claire. Plus tard dans la soirée, Martin, passablement ivre, tente, à l'abri des regards, de voler un baiser à Fleabag qui le repousse.


Claire et Fleabag profitent d'un week-end ensemble payé par leur père dans une retraite à la campagne où elles doivent faire voeu de silence. Mais les deux soeurs ne respectent pas la règle. Fleabag découvre à côté de la résidence où elles sont que des hommes suivent un stage parce qu'ils ont harcelé des femmes au travail. Elle aperçoit son banquier parmi eux et ils se confient l'un à l'autre sur leurs ratés existentiels. Claire révèle ensuite à Fleabag qu'elle a décroché une promotion mais doit partir en Finlande, ce qu'elle rechigne à faire car elle ne veut pas quitter Martin.


Pour l'anniversaire du décès de leur mère, Fleabag et Claire déjeunent chez leur père et leur belle-mère. Fleabag en profite pour remettre la sculpture, que Claire lui a rendue après avoir appris sa provenance, dans l'atelier de sa belle-mère. Celle-ci annonce qu'elle va exposer ses peintures et moulages dans une "sexposition", ce qui perturbe tout le monde. Claire re-dérobe la sculpture pour la redonner à Fleabag qui passe la nuit avec son amant amateur de sodomie, mais qui n'arrive plus à avoir d'érection avec elle.


Fleabag arrive à la "sexpo" de sa belle-mère qui l'humilie en lui demandant de jouer les serveuses. Elle croise Harry puis Claire lui annonce qu'elle ne partira pas en Finlande et l'accuse d'avoir voulu embrasser Martin à sa fête d'anniversaire. Tout cela renvoie Fleabag au suicide de Boo après qu'elle avait apprise que son copain l'avait trompée, ignorant qu'il avait couché avec Fleabag. Elle tente de se suicider mais son banquier l'en empêche et lui donne rendez-vous pour réexaminer sa demande de prêt.

Depuis 2016, Phoebe Waller-Bridge en aura fait du chemin : elle aura été l'auteur de séries comme Run et Killing Eve, aura été appelé en renfort sur le script de Mourir peut attendre, joué la nièce de Indiana Jones (dans le Cadran de la destinée), et va relancer la franchise Tomb Raider (Lara Croft) pour Prime Video (Amazon Studios). 

Mais tout a vraiment commencé avec Fleabag qui a débarqué sur la BBC : en six épisodes, la saison 1 de cette série aura tout balayé sur son passage, révélant une personnalité unique, audacieuse et piquante. Avec son héroïne sans identité, mais qui ne cesse de s'adresser en aparté au téléspectateur, l'auteur-comédienne s'imposait comme quelqu'un avec qui il faudrait compter.

L'écriture, parlons-en : rarement le format de 30' aura contenu un propos si dense, si singulier. On rit beaucoup dans Fleabag, en suivant les (més)aventures de cette trentenaire qui collectionne les amants sans vouloir se lier et en étant persuadé qu'ils reviendront toujours vers elle quand ils se sentiront seuls. Elle était en couple avec le malingre Harry jusqu'à la maladresse de trop, quand il l'a surprise en train de se caresser alors qu'elle regardait sur son ordinateur un discours de Barack Obama. Malheureusement, elle ne se doutait pas que cette fois-ci, elle était allée trop loin et que ce serait le début de la fin.

Car Fleabag, on va le découvrir à la toute fin de la saison, dissimule derrière son caractère affranchi et gaffeur une faute impardonnable. Avec sa meilleure amie Boo, qui était aussi sa co-locataire et co-propriétaire du café qu'elles avaient ouvert à Londres, elles fantasmaient sur le même garçon, leur séduisant voisin de palier. Boo sortit la première avec lui et entama une relation épanouie à ses côtés. Et puis un soir, Fleabag et lui se sont trouvés seuls et ont commis l'inexcusable.

Avouant son infidélité sans nommer avec qui il l'avait partagé, le copain de Boo lui inspira sans le vouloir un projet aux conséquences dramatiques. Elle voulut tenter de se suicider afin qu'il la retrouve à l'hôpital et la supplie de refaire leur vie ensemble. Mais Boo fut victime d'un grave accident et en mourut. Depuis Fleabag vit, mal, avec ce sentiment de culpabilité et tient seule, et mal là encore, le café.

Tout va de travers sans Boo : elle couche avec des amants indélicats ou gentils mais laids, son banquier lui refuse un prêt, son beau-frère la drague, sa belle-mère ne cache plus le mépris qu'elle lui inspire, sa soeur Claire ne comprend pas comment elle se débrouille pour toujours faire les mauvais choix ou ne pas accepter les siens. Tout ça lui explose en pleine figure un soir de vernissage où, humiliée, trahie, accusée, Fleabag craque, fond en larmes, et veut en finir à son tour.

Et là, la série bascule. Finie la comédie. L'émotion vous étreint comme rarement, comme ça, sans prévenir, mais avec une force peu commune. On se demandait juste avant pourquoi Fleabag subissait tout ça - cette belle-mère vacharde, ce père lâche, cette soeur distante, ces amants ingrats. Tout ça s'envole pour nous la montrer en proie à un désespoir cruel, terrible, face à un deuil qu'elle ne peut surmonter, une faute qu'elle ne peut se pardonner. Heureusement, une éclaircie se profile dans la dernière scène, après des aveux bouleversants. De quoi donner envie de vite enchaîner avec la saison 2.

Le casting est composé d'acteurs impeccables mais dont la popularité n'a pas dû franchir la Manche, à l'exception d'Olivia Colman, absolument magistrale dans la peau de cette belle-mère épouvantable, au sourire faux et aux manières fielleuses. Phoebe Waller-Bridge porte son show sur ses épaules avec une maîtrise extraordinaire.

La réalisation se doit d'être au cordeau pour suivre cette nature hors norme et cette écriture ciselée, avec ces fameuses adresses au public irrésistibles et imprévisibles (même après six épisodes, on se laisse encore avoir).

Un tour de force. Phoebe Waller-Bridger est dans la place. Et pour longtemps.