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mercredi 6 septembre 2017

MASTER OF NONE (Saison 2) (Netflix)


On attend toujours, au moins qu'une saison 2 d'une série télé soit aussi bonne que le première. On ne peut qu'être ravi en découvrant qu'elle est parfois supérieure, comme si ses créateurs, l'équipe qui l'a produite, franchissaient un niveau inattendu : c'est le cas de Master of None pour laquelle Aziz Ansari avec Alan Yang se sont vraiment surpassés.

Rappelez-vous : nous avions laissé Dev, le héros de la série, dans un avion qui l'emmenait en Italie où il comptait apprendre à confectionner la pasta après sa rupture avec Rachel, partie, elle, au Japon pour assouvir un rêve de gamine...
 Dev et son smartphone volé à Modene (Aziz Ansari)

Nous retrouvons Dev à Modene où il est l'élève d'une grand-mère italienne aussi sévère qu'hospitalière. Depuis deux mois, il n'a pas accompli de grands progrès mais s'est remis de sa séparation d'avec Rachel (quand bien même ils maintiennent le contact via des textos... Où ils ont de moins en moins de choses à se dire). Il a surtout fait la connaissance d'une bande de jeunes gens comme lui, parmi laquelle la petite-fille de la mamma qui l'instruit, la ravissante Francesca, promise à Pino. Sur ces entrefaites débarque Arnold, invité au mariage d'une de ses ex, et à que Dev va initier aux délices de la cuisine transalpine. 
Brian, Arnold et Dev (Kelvin Yu, Eric Wareheim et Aziz Ansari)

Shannon, l'agent de Dev, lui téléphone pour le convaincre de rentrer à New York où elle lui a décroché un job en or : le voici devenu animateur du Clash of Cupcakes, sur une chaîne du câble spécialisée dans les programmes culinaires. L'émission est un joli succès qui lui vaut les compliments de ses amis, Brian (dont le père, veuf, fréquente deux femmes à la fois pendant un moment) et Arnold (épanoui en collectionnant les aventures sans lendemain) mais surtout du "Chef" Jeff, la star du Network.  
Dev et le "Chef" Jeff (Aziz Ansari et Bobby Canavale)

Grâce à Jeff, Dev se voit proposer un contrat mirobolant... A condition qu'il signe pour animer son émission pendant les sept prochaines années ! Si cela le sécuriserait financièrement, il sait désormais ce qu'il ne veut pas et décline l'offre, non sans vendre une idée à Jeff : co-présenter avec lui un show, intitulé "Best Food Friends", où ils voyageraient pour faire découvrir au public les traditions culinaires d'autres pays. Vendu !
Thanksgiving chez la mère de Denise (Condola Rashad)

Entre temps, Dev confie à Arnold puis Denise, à l'occasion du repas de Thanksgiving chez la mère de cette dernière (une tradition à laquelle il a pris part depuis leur enfance commune et qui permit à Denise de faire son coming-out), ses sentiments envers Francesca qui vient d'arriver à New York avec Pino, auquel elle s'est fiancée. 
Francesca et Dev (Alessandra Mastronardi et Aziz Ansari)

La jeune italienne a une attitude ambiguë avec Dev qu'elle retrouve à la moindre occasion, quand Pino est accaparé par ses affaires et avec lequel elle n'est visiblement pas heureuse. C'est le seul homme qu'elle ait jamais connu et avec lequel elle s'apprête à s'engager pour le reste de sa vie. Dev n'ose lui déclarer sa femme pour ne pas briser leur couple mais traverse cette période douloureusement. Arnold lui conseille de rester à l'écart, mais il oblige Francesca à une explication. 
Francesca restera-t-elle à New York avec Dev ? Ou rentrera-t-elle se marier à Modene ?

Profitant d'un vol en hélicoptère au-dessus de New York, Dev avoue son amour à Francesca qui, troublée, lui demande un délai de réflexion puis explique à Pino son malaise à l'idée de rentrer à Modene. Que décidera-t-elle finalement tandis que Dev erre, l'âme en peine dans les rues de New York où croise fugacement Rachel (en notant qu'il n'a plus de sentiments pour elle) ?

Prodigieuse saison donc. A commencer par le premier épisode entièrement tourné en noir et blanc et conçu comme un hommage au Voleur de bicyclette (Vittorio de Sica, 1948) : d'autres épisodes font ainsi références à des classiques du cinéma de l'âge d'or italien, en particulier celui de Michelangelo Antonioni et L'Avventura (1960). L'esthétique très soignée de la série et ces renvois à la culture transalpine donnent le ton aux dix épisodes mélangeant avec excellence le drame et la comédie, la romance et les considérations socio-culturelles.

Pourtant, Ansari et Yang n'oublient pas d'ausculter, comme dans la saison 1, l'Amérique contemporaine : y sont abordés les phénomènes du speed-dating (dans un épisode au montage époustouflant), le quotidien des "minorités visibles" (l'épisode n°6 où la narration extraoordinaire passe du point de vue d'un portier d'un immeuble chic à celui d'une caissière de supérette sourde-muette à au chauffeur de taxi) et du coming-out (à travers de multiples Thanksgiving chez la mère de Denise, qui permet de découvrir l'ancienneté de son amitié avec Dev mais aussi la lucidité et les préjugés de la famille de la jeune femme). Cette manière de traiter ces sujets, subtilement, avec humour mais sans superficialité, confirme la qualité d'écriture de Master of None.

Un subplot est développé à partir de l'épisode 5 avec le personnage du "Chef" Jeff : d'abord montré comme un type sympa, chaleureux, bien qu'usant d'un langage plus grossier que truculent, il se nuance progressivement quand Dev découvre qu'il se comporte de manière déplacée avec toutes les femmes travaillant sous sa direction, les harcelant sexuellement. Bobby Canavale (la star de la série, depuis annulée, Vinyl, produite par Martin Scorsese et Mick Jagger) est formidable dans ce rôle : physiquement imposant, il offre un contraste avec Ansari très comique mais permet aussi à ce dernier de souligner le sens moral de Dev, par ailleurs, à ce moment-là, déchiré par son amour envers Francesca.

Cette romance contrariée, à la fois magique et poignante, aérienne et cruelle, est le vrai fil rouge de la saison et culmine dans l'épisode 9 dont la durée (57 minutes) explose le format de la série (et rappelle les expérimentations de The OA, où on avait droit à des chapitres de 30' à plus d'une heure). Il ne s'agit pas pour Yang et Ansari de transformer ça en tour de force, en morceau de bravoure, car cet épisode est aussi fluide que les autres, mais il est indéniable que les cadres de la sitcom (et ses clichés inhérents) ne sont pas de mise ici. On file alors tout droit vers le dénouement...

Et celui-ci est d'une épatante densité : tel un précipité, les situations s'enchaînent, au détriment de Dev, pour lequel on ne peut que compatir. Sans souligner ses effets, l'auteur-acteur-metteur en scène (même si Eric Wareheim/Arnold et d'autres signent occasionnellement la réalisation) communique parfaitement les états de son héros/double. Jusqu'à une chute équivoque à souhait... Et qui, d'ailleurs, depuis, agite le Net : flash-back (mais alors bourré d'anomalies si on détaille l'image) ? Flash-forward ? Fantasme ? Réalité ? Ansari et Yang ont expliqué avoir sciemment entretenu le mystère pour laisser à chacun le choix de l'interprétation.

Mais la réponse, quelle qu'elle soit, se fera attendre : en effet, à l'heure actuelle, si Aziz Ansari a promis qu'il y a aura (au moins) une troisième saison, il a aussi prévenu qu'il ne savait pas à quand il la produirait. Pour l'instant, il fait une pause, n'écrit plus, n'a aucune idée. Le fan n'a plus qu'à patienter, mais le brio des deux saisons de Master of None inspire confiance, malgré la frustration. 

mercredi 30 août 2017

MASTER OF NONE (Saison 1) (Netflix)

Allez, renouons avec l'exercice critique, que j'ai négligé ces derniers temps, et, pour l'occasion, un coup de coeur.

Récemment, en parlant avec une connaissance qui me questionnait sur les séries télé recommandables, je lui répondis humblement qu'il fallait se fier à son instinct et qu'il s'agissait en fait d'un "problème de riches" : il y a tant de shows d'excellente qualité, dans les genres les plus divers, aux formats variés, qu'il n'y a que se baisser pour ramasser. Au pire que risque-t-on ? Être déçu par un épisode et essayer un autre titre !

J'ai entendu parler de Master of None dans les pages du dernier numéro du magazine "Première" qui chantait les louanges de la deuxième saison. C'était parti pour découvrir la première : je ne l'ai pas regretté, c'est la merveille promise ! 
 Shannon et Dev (Danielle Brooks et Aziz Ansari)

Dans les dix épisodes de 25 minutes de cette première cuvée, on suit donc Dev, un acteur indien d'une trentaine d'années, qui tente de percer dans la profession grâce aux auditions que lui décroche son agent, Shannon. Mais, jusqu'à présent, il a dû se contenter de pubs ringardes ou, actuellement, d'un rôle secondaire dans un film d'horreur de série B : assez pour lui assurer un train de vie honnête mais frustrant pour ses ambitions.
Dev et Rachel (Aziz Ansari et Noël Wells)

Sentimentalement, Dev se débrouille mieux : sans être un apollon, il affiche un sens de l'humour séduisant, qu'il peut exercer avec ses trois meilleurs amis, Brian (également acteur, d'originie asiatique), Arnold (un géant, une minorité à lui tout seul) et Denise (une lesbienne black, spécialiste de la "tarte aux poils").
Dev et Benjamin (Aziz Ansari et H. John Benjamin)

Sur le tournage du film, il sympathise aussi avec Benjamin, habitué des petits rôles et des longs métrages minables, qui convainc Dev de relativiser sa situation professionnelle pour mieux réussir sa vie amoureuse. 
Dev, Rachel, Denise et Arnold (Aziz Ansari, Noël Wells, Condola Rashad et Eric Wareheim)

Passionné de cuisine, fin gourmet, Dev apprécie avec ses amis diverses questions existentielles : le fait d'être issu de la première génération d'immigrés (comme Brian), les différences culturelles entre ses parents (qui ont grandi dans la misère et dont le mariage fut arrangé), l'observation des modes de vie des autres communautés ethniques, les relations avec les grands-parents (via la mort du papy de Arnold ou sa rencontre avec la mamy de Rachel). 
Brian et Dev (Kelvin Yu et Aziz Ansari)

Sa romance avec Rachel connaît de multiples rebondissements : ils couchent une première fois ensemble mais l'expérience est un fiasco par la faute d'un préservatif usagé, elle renoue avec son ex, Dev a une aventure avec une femme mariée, puis ils se retrouvent enfin lors d'un week-end à Nashville. La jeune femme, agent artistique pour des musiciens de rock, qui a toujours rêvé de visiter le Japon, s'installe chez Dev.  
Dev, Rachel et les parents de Dev, Nisha et Ramesh (Shoukath et Fatima Ansari)

Au bout d'un an, elle s'étonne de n'avoir jamais été présentée les parents de son compagnon, qui craignait leur réaction. Mais tout se passe bien... Jusqu'à ce que Dev et Rachel assistent au mariage d'amis communs et s'interrogent sur la force de leurs sentiments et leur envie de s'engager.   
Rachel et Dev

Chacun va devoir prendre une décision cruciale pour leur couple...

Lancée en 2015, Master of None s'inspire largement de la propre vie d'Aziz Ansari qui a développé la série avec Alan Yang, et c'est cette authenticité qui séduit d'abord. Certes, il s'agit d'une sitcom mais réalisé en s'affranchissant des plus déplorables habitudes de ces productions en studio, souvent soulignées de rires pré-enregistrés horripilants (quoi de plus agaçant que cette injonction à rire, à appuyer la moindre mimique ou plaisanterie ?).

Ansari n'a pas besoin de ces béquilles ridicules : c'est une force comique remarquable, au regard d'une acuité formidable. Il traite de ses origines indiennes mais de manière intelligente, sans lamentations ou esprit de revanche : les interrogations qu'il soulève sont pertinentes - pourquoi deux indiens ne pourraient pas jouer ensemble dans une série ? Pourquoi les producteurs insistent pour qu'ils prennent un accent ? Une scène fabuleuse met en scène ce fossé : interceptant un mail raciste, Dev pense d'abord à organiser la fuite de ce message pour dénoncer l'attitude de son auteur. Quand ce dernier a vent de la menace, il cherche à acheter le silence du héros en le traînant dans des endroits chics. Dev croise Busta Rhymes à qui il se confie et le rappeur s'indigne de la situation qu'il a connu auparavant comme afro-américain. Finalement, il renonce à sa vengeance quand le responsable meurt subitement... Mais sa remplaçante lui offre alors un rôle encore plus caricatural d'indien immigré, tout en se vantant de vouloir initier des shows "progressistes" !

La différence prend bien des formes mais reste au coeur de la série : il peut s'agir de l'éducation (où Dev et son ami japonais Brian constatent que leurs parents sont aussi peu loquaces les uns que les autres, ne confessant rien de leur passé et de leurs sacrifices), de l'âge (la fugue de la grand-mère de Rachel parce que la vieille dame se sent dépérir dans sa maison de retraite et qu'elle se rappelle d'un anecdote croustillante dans sa jeunesse), de sexe (quelles chances pour un couple mixte comme Dev et Rachel ? Qui plus aux habitudes opposées - il est maniaque, elle bordélique...), d'amitié (Dev demande souvent l'avis de Denise pour les femmes au prétexte qu'elle est lesbienne et se vante de les faire jouir comme personne, mais s'en remet aux comparateurs d'opinions pour la moindre sortie - ce qui aboutit à des dénouements absurdes comme d'arriver chez un vendeur de tacos après 45 minutes de recherche).

La série ne se résume cependant pas à un one-man show d'Ansari, bien qu'il soit hilarant avec sa bouille irrésistible, ses punchlines et les péripéties qu'il traverse avec philosophie. Toute la distribution mérite des bons points, depuis Eric Wareheim (Arnold - qui réalise plusieurs épisodes, avec le cinéaste James Ponsoldt), Kelvin Yu (Brian), Condola Rashad (inénarrable Denise) et les propres parents d'Ansari dans leurs vrais rôles (Shoukath Ansari, accro à sa tablette, est génial). Et Noël Wells est craquante en Rachel (un prénom hommage à Jennifer Aniston dans Friends ?), archétype de la girl next door.

Master of None prouve en tout cas une nouvelle fois l'excellence de l'offre originale de Netflix (même si, au passage, je déplore que Gypsy ne connaisse pas de saison 2...). Rendez-vous bientôt pour la saison 2 et la quête de la pasta parfaite par Dev...