samedi 31 juillet 2010

Critique 156 : NEW AVENGERS 51 à 54 - SEARCH FOR THE SORCERER SUPREME, de Brian Michael Bendis, Billy Tan et Chris Bachalo










New Avengers : Search for the Sorcerer Supreme est le 13ème story-arc de la série écrite par Brian Michael Bendis et illustrée par Billy Tan et Chris Bachalo, rassemblant les épisodes 51 à 54, publiés par Marvel Comics de Mai à Août 2009.
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Les Nouveaux Vengeurs évoluent : Iron Fist se retire avant que Clint Barton/Ronin soit désigné chef de l'équipe (Ms Marvel devenant son second). La paranoïa engendrée par l'invasion Skrull a laissé des traces et chacun se démasque, y compris (après quelques hésitations, à cause du vieux contentieux qui l'oppose à Norman Osborn) Spider-Man (n'oublions pas que, bien qu'il ait révèlé sa double identité au public durant Civil War, cet évènement a été depuis effacé des mémoires par Méphisto dans la saga One More Day/ Brand New Day de la série Amazing Spider-Man...). Cette révèlation en amène une autre : Jessica Jones, Mme Cage, a fait ses études universitaires en même temps et au même endroit que Peter Parker, pour lequel elle avoue avoir eu le béguin (Luke Cage apprend ça sans plaisir...).
Cependant, le Dr Strange resurgit, en état de choc. Il révèle être à la recherche du nouveau Sorcier Suprême et avoir été attaqué par The Hood après avoir rencontré Wiccan (le magicien des Jeunes Vengeurs). Parker Robbins, possédé par le démon Dormammu, veut s'emparer de l'Oeil d'Aggamotto, mais les Nouveaux Vengeurs acceptent d'aider Strange dans sa quête.
Celle-ci les conduit jusqu'à la Nouvelle-Orléans où réside une vieille connaissance de Luke Cage, son ancien partenaire au sein des Défenseurs, le Fils de Satan, Daimon Hellstrom. The Hood devance les héros, persuadé que c'est lui qui a été désigné pour être le nouveau Sorcier Suprême.
Les Nouveaux Vengeurs sont attaqués par la complice de Robbins, Madame Masque, que neutralise Spider-Woman, puis prêtent main forte à Hellstrom contre Dormammu.
Contre toute attente toutefois, c'est Brother Vaudou que l'Oeil d'Aggammotto a élu comme son nouveau propriétaire et qui va écarter le démon avec l'aide de Strange et d'Hellstrom.
Profitant de la présence des caméras de télé sur place, Barton lance un nouveau défi à Osborn. Il réplique en rappelant les antécédents d'Oeil-de-Faucon (qui a débuté comme espion aux côtés de la Veuve Noire, avant qu'elle ne passe à l'Ouest).
Cette fois, c'en est trop pour le nouveau Ronin : il décide de tuer Osborn !
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Cette histoire démarre mollement pour s'achever en boulet de canon : Bendis a beaucoup à se faire pardonner, après le crossover Secret Invasion (trop long) et deux arcs des NA décevants (The Empire, également interminable, et Dark Reign : Power, anecdotique), et il se rachète en beauté en explorant un domaine inédit dans la série (la magie).
Le cas du Dr Strange avait été laissé en suspens depuis l'Annual 2 (à la fin de l'arc The Trust, NA #32-37) où il s'était retiré de la scène après avoir employé la magie noire. A cette époque, les Nouveaux Vengeurs avaient dû quitter le manoir du sorcier suprême et l'invasion Skrull allait être publiquement révèlée. On retrouve le personnage dans une situation propice à de nouveaux rebondissements puisqu'il doit trouver celui qui lui succèdera.
Bien entendu, The Hood n'est pas loin : celui qui est devenu la Némésis de nos héros tient ses pouvoirs d'un vieil ennemi de Strange, Dormammu, et figure comme un prétendant légitime, au milieu d'autres personnages (bons comme méchants). Le bon Docteur est naturellement inquiet car la tâche de sorcier suprême est délicate mais surtout parce qu'il craint que l'Oeil d'Aggammotto ne choisisse un héritier maléfique et aguerri.
Bendis fait planer la menace Fatalis mais y renonce rapidement - visiblement, il n'a jamais su quoi faire avec ce personnage, sinon le maltraiter et lui ôter sa superbe (comme dans ses Mighty Avengers et Dark Avengers), alors que Mark Millar en fera un être surpuissant dans ses épisodes des FF : cela trahit un manque de rigueur éditorial dommageable. Mais c'est un autre débat...
Au lieu de ça, le scénariste envoie ses héros à la Nouvelle-Orléans et donne la vedette à deux outsiders comme il les affectionne : l'ex-Défenseur Daimon Hellstrom (appelé à revenir dans le volume 2 de la série, qui vient de démarrer aux States) et surtout Brother Voodoo, entrevu lors de l'arc Revolution (NA # 27-31), alors qu'il avait été sollicité par Iron Man pour coincer... Les Nouveaux Vengeurs ! Le retour n'en est que plus savoureux et Bendis soigne la réapparition de ce personnage pour une bataille finale qui figure comme une des plus réussies de la série.
Des situations secondaires comme le démasquage de Spidey, la jalousie de Cage après que sa femme ait avoué en avoir pincé pour Peter Parker, fournissent l'occasion à l'auteur de signer quelques dialogues savoureux et très drôles.
L'équipe se dôte aussi d'un chef (et d'un sous-chef) officiel(s) en la personne de Clint Barton : son ancienneté comme Vengeur lui vaut le poste, malgré son sale caractère et le fait que Luke Cage soit l'âme du groupe depuis la mort de Steve Rogers au terme de Civil War. Bendis surprend le lecteur avec ce choix mais il prépare aussi le court terme : Barton veut engager une guerre contre Osborn, quitte à outrepasser le fameux "no kill". Son échec programmé renforcera la légitimité de Cage comme vrai leader de la formation tout en conservant la tension dramatique : ombrageux et direct, l'ex-Hawkeye, même s'il aurait pu s'adoucir en retrouvant Mockingbird, est un homme en colère, après avoir traversé des épreuves douloureuses (tué et ressucité par la Sorcière Rouge, dépossédé de son nom par Bullseye, incarnant la vengeance contre Osborn qui déshonore le nom des Vengeurs). Cette approche du personnage est en fait logique, même si elle a défrisé les puristes.
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Les dessins de Billy Tan sont efficaces à défaut d'être toujours renversants : un peu comme David Finch au début de la série, il fait le boulot et sait parfois se dépasser pour livrer de belles séquences, comme ici avec l'affrontement final contre Dormammu qui occupe la majorité de l'épisode 54. L'entrée en scène de Brother Voodoo est elle aussi fort bien exécutée.
Pour illustrer les scènes où Parker Robbins est harcelé par le démon, le titre accueille comme invité Chris Bachalo qui, dans son genre, signe des planches marquantes. Reste que je ne suis pas très friand de son travail, parfois à la limite du lisible.
Mais ces épisodes sont suffisamment enlevés pour que le plaisir de les lire ne soit pas gâché par un dessinateur de passage.
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Avant d'arriver au prochain "event", Siege, qui va redéfinir la gamme "heroes" de Marvel et par conséquent les titres Vengeurs, reste un arc : Power Loss. Et avec lui, l'arrivée du grand Stuart (Nextwave) Immonen, dont la contribution va porter la série sur des sommets graphiques...

Critique 155 : NEW AVENGERS 48 à 50 - DARK REIGN : POWER, de Brian Michael Bendis et Billy Tan








New Avengers : Dark Reign - Power est le 12ème story-arc de la série écrite par Brian Michael Bendis et publiée par Marvel Comics de Février à Avril 2009, rassemblant les épisodes 48 à 50, illustrés par Billy Tan (plus Bryan Hitch, David Aja, Michael Gaydos, David Lopez, Alex Maleev, Steve McNiven, Leinil Yu, Steve Epting et Greg Horn pour le n°50).
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Le grand bénéficiaire de la victoire des humains contre les envahisseurs est donc Norman Osborn, qui devient le nouveau super-flic du monde libre : il démantèle le SHIELD et fonde le HAMMER.
Toujours contraint à la clandestinité, après avoir refusé la loi de recensement de Tony Stark, les Nouveaux Vengeurs se rassemblent grâce à Bucky Barnes, le nouveau Captain America, qui les héberge dans sa planque. L'équipe est désormais formée par Wolverine, Spider-Man, Ms Marvel, Mockingbird, Ronin (Clint Barton) et le couple Luke Cage-Jessica Jones dont la fille, Danielle, a disparu avec le skrull ayant pris la place de Jarvis.
Pour retrouver leur bébé, Luke et Jessica font appel à leurs amis ainsi qu'à Iron Fist et les 4 Fantastiques. Ils se divisent pour inspecter la ville et attaquent divers super-vilains comme l'AIM, l'HYDRA et Electro, susceptibles d'aider le Skrull en cavale.
Ils finissent par trouver dans un bar un autre Skrull prétendant être un ancien agent du SHIELD mais avant qu'ils aient eu le temps de le faire parler, il est abattu par un autre ex-membre de l'organisation de contre-espionnage.
Désespéré, Luke Cage se tourne vers le seul homme capable de l'aider : Norman Osborn. Celui-ci obtient l'adresse de la cachette du kidnappeur en interrogeant avec Venom des Skrulls faits prisonniers dans les cellules du HAMMER, et Cage récupère son enfant. Mais il échappe peu après à Osborn.
De retour au repaire de Bucky, les Nouveaux Vengeurs découvrent à la télé la présentation des Vengeurs Noirs d'Osborn, lui-même équipé de l'armure d'Iron Patriot, et composé de criminels rebaptisés (Venom : Spider-Man, Nor-Varh : Captain Marvel, Daken : Wolverine, Moonstone : Ms Marvel, Bullseye : Oeil-de-faucon ; Arès, Sentry). Hors de lui, Clint Barton décide de riposter.
Spider-Woman propose de servir d'appât pour attirer les hommes d'Osborn dans un piège mais ce dernier envoie le gang de The Hood éliminer les Nouveaux Vengeurs. Ces derniers disposent d'un atout : un draineur de pouvoirs élaboré par Tony Stark et récupéré par Ms Marvel, mais court-circuité par Osborn (et qu'ils oublieront sur place - ce qui va leur causer de futurs ennuis...). Malgré tout, ils s'en sortent miraculeusement, au terme d'une bataille disputée dans les ruines du Hellfire Club.
Clint Barton défie alors Osborn en prononçant une déclaration à la télé où il rappelle qui sont les véritables héros et le passé douteux des Vengeurs Noirs...
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Ce récit dont la concision est le premier et meilleur atout est clairement là pour opérer une transition entre la fin du crossover Secret Invasion et la suite des aventures des New Avengers. Bendis utilise un argument assez faible, bien que chargé dramatiquement (l'enlèvement de la fille de Cage et Jessica Jones), pour promettre un affrontement entre ses héros et leurs nouveaux ennemis, les Vengeurs Noirs de Norman Osborn. Mais l'affrontement n'aura pas lieu : la série Dark Avengers entraînent ce nouveau groupe en Latvérie où le Dr Fatalis combat Morgane la fée et les New Avengers doivent une nouvelle fois faire face à The Hood et toute sa clique.
L'ensemble, s'il se lit sans ennui, déçoit quand même car Bendis échoue à faire naître le suspense, que ce soit dans la première partie (la recherche du bébé) que dans la seconde (le traquenard d'Osborn). Comme s'il était conscient de la faiblesse de son idée, le scénariste conclut la grande bagarre contre The Hood et ses sbires dans la précipitation, grâce à l'intervention de Ms Marvel et Spider-Woman (la vraie, qui réintègre l'équipe en se rachetant maladroitement).
La véritable finalité de cet arc semble n'être que le 50ème épisode de la série, un chapitre exceptionnellement plus long (d'une 40taine de pages), où plusieurs dessinateurs sont venus épauler Billy Tan.
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Billy Tan, qui est devenu le deuxième artiste le plus prolifique du titre après Leinil Yu (même s'il a aligné moins d'épisodes consécutifs), rend une copie honorable mais sans plus sur ces épisodes, comme s'il cherchait ses marques après avoir partagé le gâteau avec Jim Cheung durant l'arc précédent (The Empire, NA #40-47). L'encrage de Matt Banning est par ailleurs également très inégal (Tan étant meilleur quand il s'encre lui-même ou quand il est secondé par Danny Miki et compagnie - cf. Uncanny X-Men).
Les guest-stars du n°50 forment un brillant aréopage de la maison Marvel mais leurs pages sont de niveaux variables :
- Bryan Hitch ouvre le bal avec une double-page spectaculaire mais fouillie,
- David Aja est bien plus sobre et retrouve Iron Fist pour notre bonheur,
- Michael Gaydos se montre paresseux en s'occupant de Luke Cage,
- David Lopez signe une planche enlevée avec Mockingbird et Ronin,
- Alex Maleev a été plus impressionnant en animant Spider-Woman tout comme Steve McNiven avec Spider-Man,
- Leinil Yu est convaincant avec Wolverine,
- Steve Epting est en grande forme avec Captain America,
- Greg Horn réussit à se rater avec Ms Marvel.
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Comme un résumé de ce passage oubliable, l'histoire s'achève sur une scène à la fois expédiée et ridicule où Clint Barton provoque Osborn à la télé (comment a-t-il pu y accéder en étant recherché comme il l'est ? Mystère...). Si l'action du personnage colle parfaitement à son caractère, cet épilogue est trop grossière pour qu'on le pardonne à Bendis. Heureusement, l'auteur va vite se resaisir avec l'arc suivant. La page Secret Invasion est tournée : enfin !

vendredi 23 juillet 2010

Critique 154 : KICK-ASS, de Mark Millar et John Romita Jr


Kick-Ass est une mini-série en huit épisodes créée par Mark Millar au scénario et John Romita Jr aux dessins, publiée par Marvel Comics sous le label ("adulte") Icon. Ce premier volume devrait être suivi de deux autres (le premier épisode du Livre II est annoncé pour Août 2010).
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Il s'agit de l'histoire de Dave Lizewski, un adolescent vivant seul avec son père (sa mère est morte à la suite d'une rupture d'anèvrisme deux ans auparavant) et traînant avec sa bande d'amis qui partage sa passion pour les comics. Il est amoureux de sa camarade de classe Katie Deauxma (sans que cela soit réciproque).
Sa fascination pour les super-héros l'incite à en devenir un et il se procure deux matraques et un costume avec lesquels il commence à patrouiller en ville la nuit, lorsque son père travaille. Prenant à parti trois jeunes noirs, il est passé à tabac et poignardé avant d'être renversé par une voiture.
Hospitalisé pendant six mois, Dave se remet lentement de ses blessures. Rétabli, il apprend que son agression lui vaut de passer pour gay et il choisit de ne pas démentir la rumeur pour pouvoir se rapprocher de Katie.
Rapidement, il décide de redevenir justicier masqué et intervient contre une bande de porto-ricains tabassant à mort un homme en pleine rue. La bataille est rude mais, filmée par des passants et diffusée sur YouTube, va rapidement transformer ce personnage baptisé Kick-Ass en phénomène de société.
Acceptant la mission que lui confie une internaute sur sa page MySpace, Dave aborde un type louche qui harcèle son ex-fiancée. Mais à nouveau rudoyé, il ne doit son salut qu'à une fillette masquée, Hit-Girl, qui massacre ses assaillants avant de rejoindre son acolyte, Big Daddy. Ces deux-là sont en guerre contre le chef mafieux John Genovese.
Après cette rencontre, Dave croise un admirateur, Red Mist, avec lequel il va faire équipe. Hit-Girl, de son côté, convainc son père, Big Daddy, d'enrôler Kick-Ass pour leur prêter main-forte. Cette alliance va précipiter ces super-héros du réel dans un bain de sang dont aucun d'entre eux ne sortira indemne - et pour cause, un traître s'est glissé dans la partie...
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En s'attaquant aux RLSH (Real Life Super Heroes), ces sympathiques zozos qui jouent aux redresseurs de torts en Amérique, avec des déguisements et des pseudonymes souvent grotesques, Mark Millar frappe un grand coup et signe une oeuvre originale qui a tout pour horripiler ses détracteurs mais ravir ses fans - une habitude chez cet auteur à la fois amoureux des super-héros mais qui n'aime rien tant que les brutaliser.
Il est toujours délicat d'estimer l'ambition d'un scénariste quand il entreprend de déboulonner les codes du genre qui, par ailleurs, ont fait sa gloire. Chez Millar, la tâche est d'autant plus hardue qu'il s'emploie à vendre chacun de ses projets originaux à grand renfort de formules publicitaires tonitruantes, que beaucoup (trop) commentent d'avantage que le produit une fois fini. De là vient la réputation de Millar d'être plus un vantard bruyant se contentant d'effets de manche qu'un auteur s'appliquant à livrer des bandes dessinées abouties.
C'est vrai, il existe deux Mark Millar :
- d'une part, il y a le scénariste d'Authority, de la ligne "Ultimate" (Ultimates, U X-Men et U Fantastic Four) ou des FF classiques (dont la parution en vf vient de s'achever), le crossover Civil War, Old man Logan ;
- et de l'autre, il y a celui d'histoires exubérantes et provocatrices comme Wanted, ce Kick-Ass et bientôt Nemesis.
Le premier s'amuse avec les jouets de grosses firmes en développant des récits inégaux mais efficaces, où l'action domine tout en restant contenue (car les héros ne peuvent pas mourir dans cet univers-là). Le second anime des personnages dont les fantasmes se confrontent à une réalité dérangeante, devenant des criminels d'envergure ou des héros d'occasion.
Entre ces deux Millar, il y a celui, inattendu car étonnament sentimental, de la mini-série 1985, empruntant à la fois la mythologie de Marvel tout en l'observant d'une manière réaliste, et finalement son jeune héros, Toby Goodman, représente une sorte de passerelle entre la vraie vie et la fiction délirante.
Avec Dave Lizewski, Millar a imaginé un cousin de Toby Goodman avec lequel il partage la fascination des super-héros, la présence dans le "vrai" monde, mais qui comme le Wesley Gibson de Wanted va se perdre et se trouver en même temps en traversant le miroir (Gibson en devenant le successeur de son père, le plus grand des tueurs, Dave en devenant un super-héros).
Le credo du personnage est résumé dans ce dialogue du premier chapitre : "Why do people want to be Paris Hilton and nobody wants to be Spider-Man ?". La réflexion de Millar sur l'héroïsme, la célébrité, prend alors la forme du récit d'apprentissage, mais dans la douleur : son Kick-Ass passe de fait plus de temps à se faire "botter le cul" qu'à corriger les vilains qu'il croise, et lorsqu'il rencontre ses "homologues", il est également dépassé, avec d'un côté le duo Hit-Girl-Big Daddy qui n'hésite pas à tuer pour faire régner l'ordre et de l'autre Red Mist qui joue les héros avec cynisme.
L'histoire est ambitieuse et, soyons honnête, l'est parfois trop : la médiatisation de Kick-Ass, le rôle d'Internet, ou même l'influence du héros sur la communauté de geeks déguisés qu'il va inspirer, ne sont pas assez fouillés, et en les traitant sous l'angle de la pure comédie, Millar en atténue la force alors qu'il tenait là des pistes passionnantes à explorer. Mais peut-être, ayant conçu la série comme une trilogie, s'y penchera-t-il dans les Livres suivants (le prochain devrait, entre autres, examiner le retour à la vie normale de Hit-Girl).... Néanmoins on est un peu frustré sur ce plan.
En revanche, la frontalité avec laquelle Millar traite de la violence dans laquelle est entraîné Kick-Ass, et ce dès ses premiers pas, a le mérite de retirer tout romantisme au concept : soumis aux conditions du réel, on saisit tout à fait (si cela n'était déjà fait...) que la "carrière" de super-héros n'aurait rien d'un chemin de roses. Dave n'affronte pas de super-vilains mais des petites frappes et des gangsters sans pitié pour lesquels il n'est au mieux qu'un moustique à écraser, au pire qu'un hurluberlu qui fête encore Halloween. Rarement aura-t-on éprouvé à ce point la condition de corps en souffrance, en proie à tous les tourments, tous les supplices, qu'est celle d'un justicier : Millar insiste sur le mélange de masochisme, d'entêtement et même de stupidité qui motive pareil individu engagé dans une mission aussi énorme que ses moyens sont dérisoires.
A travers le couple Hit-Girl-Big Daddy, Millar décrit aussi cette Amérique obsédé par le sécuritarisme, le port d'armes (et la facilité effrayante avec laquelle on y a accès), tout en donnant au personnage du père une motivation désespérée.
L'astuce grâce à laquelle Big Daddy finance ses activités semble renvoyer le personnage à un double adulte de Kick-Ass : celle d'un vieil adolescent qui a cessé de faire la part des choses et entraîné sa fille dans un délire total. Gare cependant à ne pas confondre le discours du personnage avec la pensée de Millar : ce serait un raccourci aussi paresseux que douteux, tous les auteurs ayant créé des détraqués n'épousent pas leur vision du monde...
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La réunion de Mark Millar et John Romita Jr après leur run épique sur Wolverine (la saga Ennemi d'Etat) était l'autre attraction de l'entreprise et le résultat est décapant.
Romita Jr n'est peut-être pas le dessinateur le plus indiqué et le plus évident pour illustrer une histoire avec un héros adolescent. Il est vrai qu'il affiche quelques maladresses concernant les proportions et qu'on a le sentiment qu'il est parfois à l'étroit dans les scènes d'action. Son trait puissant et affranchi de tout réalisme est plus efficace dans des récits extraordinaires, aux scènes spectaculaires.
Mais il s'agit aussi de l'artiste emblématique de Spider-Man et celui-là excelle à représenter la ville, ses rues, ses toits, son ambiance. Ce qu'il perd en explosivité, il le récupère dans le sens du découpage à la fois simple et percutant : on sent vraiment l'impact des coups, l'âpreté des combats, la brutalité, et cela est parfaitement raccord avec le propos.
On pense parfois à Kirby quand on lit Romita Jr sur des projets "cosmiques" comme Eternals (avec Neil Gaiman). Mais il a su digérer des influences comme celles de Frank Miller ou Bruce Timm, où la somme des cases et des planches a plus d'importance que le soin particulier apporté à chaque vignette.
L'encrage un peu gras du vétéran Tom Palmer est celui qui convient le mieux à JR Jr aujourd'hui, dont le trait est devenu plus sommaire au profit d'un découpage plus direct. Et Dave Stewart a su, cette fois, ne pas en rajouter au niveau des couleurs, usant d'une palette peu nuancée et dont les effets n'empiètent pas sur l'encrage justement (comparez avec ce qu'il fait sur du Romita Jr encré par Klaus Janson, la différence est étonnante).
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Kick-Ass n'est pas la bd du siècle. Face à d'autres projets du même acabit, d'une ambition semblable, la farce sanglante de Millar et Romita Jr ressemble davantage à un jeu de massacre orchestré par deux sales gosses, brisant des icônes (comme Spider-Man). Mais c'est un divertissement rondement mené, durant la lecture duquel on ne s'ennuie jamais, qui vous bouscule et fait rire, devant lequel on hausse les sourcils à cause de son "hénaurmité" assumée. L'avenir dira quel impact réel ce comic-book peut avoir sur le genre qu'il violente. C'est la force et la limite de ce type de manifeste : il ouvre des portes, mais c'est aux lecteurs et à d'autres auteurs de choisir s'ils acceptent de franchir le seuil. En attendant que l'Histoire donne à Kick-Ass sa vraie place, c'est un tour dans le grand Huit garanti - et la source de discussions passionnées entre pro et anti !

mercredi 7 juillet 2010

Critique 153 : TOM STRONG - DELUXE EDITION, BOOK 1 (# 1-12), d'Alan Moore et Chris Sprouse

Tom Strong est une création originale du scénariste Alan Moore et du dessinateur Chris Sprouse, éditée sous le pavillon ABC (America's Best Comics) au sein du label Wildstorm de DC Comics. Depuis 1999, la série compte 36 épisodes (plus quelques numéros supplémentaires écrits par d'autres auteurs, et une suite rédigée par Peter Hogan, qui sort cette année). Ce volume 1 hardcover rassemble les 12 premiers chapitres, dont les deux derniers forment le prologue au spin-off de Tom Strong, la maxi-série en 12 volets Terra Obscura (idée de Moore, traitement de Peter Hogan, illustrations de Yanick Paquette).
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Tom Strong, le héros du titre, est l'archétype du "héros de la science" : il a grandi dans une chambre spéciale conçue par son père et a reçu une éducation vouée à faire de lui un surhomme. Ses parents étaient des excentriques, échoués sur l'île fictive d'Attabar Teru au large des "Indes de l'Ouest" (référence à celles que voulait découvrir Christophe Colomb). Recueilli, après la mort de ses parents, par les indigènes, Tom Strong a profité de leurs connaissances et de leur mode d'alimentation pour optimiser sa condition physique et son savoir. C'est un homme moderne, qui finira par épouser Dahlua et de ce métissage naîtra leur fille Tesla, la synthèse entre le monde tribal de sa mère et les racines occidentales de son père. A ce trio vient se greffer le robot Pneuman et le singe intelligent King Solomon, ce qui fait de la "Strong family" un ensemble hétéroclite mais dont chaque membre possède une identité forte et une complémentarité avec les autres, au service de la science et de la justice.

la série explore plusieurs lignes temporelles et différents univers, ce qui en fait un mix d'aventures, de comédie, d'action et de fantaisie, le tout écrit avec à la fois de la distanciation et une affection sans fards pour les genres abordés. Des références explicites sont formulées, évoquant le récit de guerre, le western, le fantastique, le burlesque...
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Les trois premiers volets sont réalisés par la paire Alan Moore (scénario)-Chris Sprouse (dessins) :
- 1 : How Tom Strong Got Started. Timmy Turbo reçoit son inscription des "Strongmen of America", avec une revue racontant les origines de Tom Strong. Pendant qu'il la lit, le héros met en échec une bande de malfaiteurs attaquant le métro aérien de Millenium City.
- 2 : Return of the Modular Man. Le Modular Man, un savant mégalomane que Tom a déjà vaincu en 1987, est de retour à Millennium City après que deux "nerds" lui aient permis accidentellement de prendre le contrôle d'Internet.
- 3 : Aztech Nights. Lorsqu'un mystérieux bâtiment aztèque se matérialise dans le parc de Millenium City, Tom découvre qu'il abrite des brutes fanatiques provenant d'une terre parallèle aux ordres d'un programme informatique inspiré de la divinité Quetzalcoatl.

Suit un récit en 4 actes (#4-5-6-7) :
- 4 : Swatiska Girls! (avec la participation aux dessins de Art Adams) - Ingrid Weiss et ses disciples nazies attaquent le domicile de Tom, le Stronghold. Le héros riposte en les poursuivant jusqu'à une forteresse volante où elles lui ont tendu un terrible piège... Entretemps, nous découvrons la première rencontre entre Ingrid et Tom à Berlin en 1945.- 5 : Memories of Pangaea + Escape from Eden! (avec la participation aux dessins de Jerry Ordway) - Envoyé dans le passé, aux origines du monde, Tom doit affronter l'unique habitant de cette époque où la terre n'avait qu'un seul continent : la Pangée... Entretemps, nous assistons au premier voyage que fit Tom en compagnie de Dhalua à cette période, dans les années 50.- 6 : Dead Man's Hand + The Big Heat? (Avec la participation aux dessins de Dave Gibbons) - Piégé par son ennemi de toujours, Paul Saveen, Tom doit encore faire face à une ultime manigance d'Ingrid... Entretemps, nous voyons la première confrontation entre Strong et Saveen dans les années 20.- 7 : Sons and Heirs + Showdown in the Shimmering City. (Avec la participation aux dessins de Gary Frank) - Face au tandem Saveen-Weiss et à son fils caché Albrecht, Tom parviendra-t-il à les vaincre ? Pas sans Dalhua... Entretemps, nous découvrons comment en 2050 Tom s'oppose à son fils.

Retour à des épisodes en un acte auxquels s'intègrent des mini-récits :
- 8 : Riders of the Lost Mesa + The Old Skool! + Sparks.
*Riders of the Lost Mesa (dessins de Alan Weiss) - Tom et Solomon enquêtent sur la mystérieuse disparition d'un ville en Arizona en 1849 et qui réapparait 150 ans après.
*The Old Skool ! - Timmy Turbo et d'autres jeunes membres des "Strongmen of America" sont piègés dans une dimension parallèle où sont appliquées des méthodes pédagogiques infernales. Tom vient à leur rescousse.*Sparks - Tesla Strong enquête sur l'éruption soudaine d'un volcan à San Mageo et fait à cette occasion une étrange rencontre.
- 9 : Terror Temple of Tayasal + Volcano Dreams + Flip Attitude!
*Terror Temple of Tayasal (dessins de Paul Chadwick) - En route pour rendre visite à sa femme et son beau-père à Attabar Teru, Tom Strong effectue une halte pour enquêter dans les ruines d'un temple Maya à Tayasal où l'attend une curieuse découverte.*Volcano Dreams - Tom Strong arrive donc en retard à Attabar Teru. Dhalua évoque un rite initiatique qu'elle expérimenta dans sa jeunesse, bravant l'autorité paternelle.
*Flip Attitude ! - Tesla Strong affronte Kid Tilt, fille du criminel scientifique King Tilt arrêté par Tom Strong et qui croupit en prison : le combat est littéralement renversant !
- 10 : Tom Strong and his Phantom Autogyro + Funnyland! + Too Many Teslas?
*Tom Strong and his Phantom Autogyro (dessins de Gary Gianni) - En 1925, Tom réalise un voyage au pays des morts grâce à la dernière invention de feu son ami Foster Parallax : l'occasion de découvrir comment ses parents se sont rencontrés, une révélation dérangeante.*Funnyland ! - Après sa visite dans la dimension aztèque (épisode 3 : Aztech Nights), Tom construit une planche de surf permettant d'explorer de nouveaux mondes comme celui où habitent des versions animalières des terriens et donc son propre double, le lapin Warren Strong.*Too Many Teslas ? - Outrepassant les mises en garde de son père, Tesla teste les machines du laboratoire de Tom et déclenche l'apparition de plusieurs doubles d'elle-même en provenance de dimensions parallèles ayant eu la même idée qu'elle.

Et enfin, un récit en deux actes qui sert d'introduction au spin-off de Tom Strong, Terra Obscura, entièrement dessiné par Sprouse :
- 11 : Strange Reunion. - Tom reçoit la stupéfiante visite d'une vieille connaissance, le Docteur Tom Strange, héros de Terra Obscura, une terre alternative située à l'autre bout de la Voie Lactée, qu'il découvrit en 1969 et qui est désormais en grand danger...
- 12 : Terror on Terra Obscura ! - Tom Strong et Tom Strange retournent sur Terra Obscura pour y affronter une terrible menace et y libérer d'autres héros pris au piège depuis ces trente dernières années.
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Tom Strong est à contre-courant : c'est une entreprise à la fois référentielle, qui s'inspire de bandes dessinées antérieures, dans les genres de la science-fiction et plus généralement du récit d'aventures, et pourtant d'une grande modernité, car écrite avec beaucoup de liberté (mixant humour, drame, parodie, réflexion) et abordant les thèmes les plus variés (le rapport de l'homme à la science, l'héroïsme, l'amour multi-racial, le tribalisme face à la civilisation). Comme souvent chez Moore, c'est un "produit" d'une richesse étonnante mais qui est surtout soucieux d'être accessible à tous, un comic-book à la fois dense, profond, qui réfléchit sur sa forme, joue avec les codes, mais qui demeure divertissant. C'est, enfin, une leçon de storytelling servi par un graphisme exceptionnel, fidèle à la rigueur du script d'un conteur prodigieux, qui rend un hommage vibrant à l'un des maîtres du 9ème Art : Winsor McCay (Little Nemo in Slumberland).
Alan Moore, avec des oeuvres-phares comme Watchmen ou From Hell, est entré dans la légende en livrant des histoires aux constructions et aux enjeux ambitieux. Cela en a fait un auteur auquel on associe encore aujourd'hui, malgré la variété de sa production, le style "grim'n'gritty", ces récits sombres et complexes, peuplés de personnages névrosés au coeur d'intrigues à tiroirs. Peut-être est-ce d'abord pour contredire sa propre légende que Moore a créé Tom Strong qui semble être sa création sa plus lumineuse, la plus sympathique, la plus abordable. Mais les bandes dessinées d'Alan Moore n'ont pas seulement figé leur auteur dans cette tendance, elles ont aussi conditionné tout ou partie des comics en les transformant parfois en caricatures de ses premiers chefs-d'oeuvre (V pour Vendetta, Watchmen) : de fait, avec Frank Miller (dont l'étoile a cependant bien plus pâli que celle de son homologue britannique), Moore a définitivement altéré notre vision des comics et avec celle des lecteurs, celle d'une génération entière d'auteurs qui ont imité son écriture ou du moins ses effets narratifs (déconstruction, ambiances, caractérisation...).
Et Dieu sait que les héros peuvent être gratuitement compliqués et sinistres aujourd'hui : leurs attitudes et leurs motivations sont de plus en plus sombres, à la mesure des aventures qu'ils traversent et les malmènent comme jamais. Aussi la première question à se poser avant d' "essayer" Tom Strong serait : êtes-vous prêts pour suivre un héros sans ce genre de bagages ? Si oui, si vous voulez vraiment lire un comic-book à la fois léger et palpitant, alors vous trouverez votre bonheur ici !
Au sein de la gamme ABC qu'il a créée, Alan Moore a imaginé Tom Strong comme un véritable antidote au tout-venant en revenant aux fondamentaux, mais sans oublier la singularité de ses meilleurs travaux. Les aventures du protecteur de Millenium City et de son étonnante galerie d'ennemis trouve en effet sa source dans les récits fondateurs de séries du "golden age" comme Doc Savage, Flash Gordon, Tarzan, Allan Quatermain (par ailleurs un des protagonistes de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires) : c'est donc un surhomme aux aptitudes physiques supérieures mais également un savant, soit la définition du "science hero", cet archétype cher à Alan Moore - un être dont les qualités phénomènales sont le produit d'expériences scientifiques et qui les met au service du Bien.
Tom Strong représente la figure classique du brave et du sage : il est taillé comme une armoire à glace, séduisant, mais ses tempes blanchies, son statut d'époux, de père de famille, d'explorateur et de justicier, ajoutent de l'épaisseur à ce qui ne serait autrement qu'une énième version de l'aventurier sans peur et sans reproches, à la noblesse surréaliste. Alan Moore s'emploie à révèler les failles de ce héros en le confrontant à des dangers vraiment menaçants, à des situations troublantes, et en faisant graviter autour de lui un entourage parfois bienveillant mais qui l'humanise (sa femme, sa fille), parfois malveillant et qui le fragilise en étant diablement retors (sa némésis Paul Saveen, Ingrid Weiss et leur fils Albrecht).
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Cet ouvrage de très belle facture (couverture dure, format plus grand que les recueils traditionnels, bonus appréciables sur les coulisses graphiques de la série) s'ouvre avec une "Histoire" en deux pages de Tom Strong et sa relation avec Millenium City, comme si, malgré l'excentricité du propos, Moore voulait inscrire son héros et le lieu principal de l'action dans une réalité propre, un passé, des étapes biographiques (il a utilisé le même procédé pour Top Ten).
Cette préface procure une entrée formidable pour cette collection des 12 premiers chapitres de la série. Tout commence en 1899 lorsque les parents de Tom Strong échouent sur l'île d'Attabaar Teru où ils vont mener leur projet scientifique, à l'écart de l'influence de la société civilisée. Tom naît sur l'île et grandit dans une chambre spéciale, conçue pour améliorer sa force et son endurance, bâtie dans le cratère d'un volcan éteint. Ses parents meurent quelques années plus tard lors d'un tremblement de terre et il vit ensuite en compagnie des indigènes.
Cent ans plus tard, Tom Strong est devenu une légende vivante, établie à Millenium City où il mène des recherches scientifiques dans plusieurs domaines tout en garantissant la sécurité de la ville contre les criminels les plus variés. Il a épousé Dhalua, son amour de jeunesse à Attabar Teru, dont la beauté n'a d'égale que son intelligence, avec laquelle il a eu une fille, Tesla, et ils sont entourés par le robot Pneuman et le gorille intelligent, King Solomon. Tom Strong a fort à faire à Millenium City, quand il ne s'accorde pas avec sa famille quelques congés à Attabar Teru : il affronte des psychopathes comme Paul Saveen, des créatures comme l'Homme Modulaire, ou la dominatrice nazie Ingrid Weiss. Comme si cela ne suffisait pas, il découvre également des univers parallèles où existent des versions alternatives de lui-même, des siens et de ses adversaires.
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Chacune de ces douze aventures est l'occasion pour Moore et Sprouse (plus quelques guest-stars comme Art Adams, Dave Gibbons, Paul Chadwick, Gary Frank, et d'autres, illustrant des flash-backs et flash-forwards) de relever de nouveaux challenges, d'explorer de nouveaux territoires, de manier différentes tonalités - offrant à chaque fois un angle unique à la narration comme au dessin. C'est ainsi que les deux auteurs peuvent tout se permettre, jusqu'à revisiter l'univers des Looney Tunes avec la version Bugs Bunny de Tom Strong : un Funnyland détonant et drôlissime !
A l'opposé, on suit également le héros jusque dans le pays des morts lorsqu'il expérimente son véhicule, le Necro-Gyro, et assiste à la rencontre de ses parents : là encore, le soin apporté aux couleurs, au lettrage, au style visuel, témoigne de l'intelligence avec laquelle le fond est sublimé par la forme.
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Cette édition "deluxe" est donc un pur régal à lire. On y trouve, à la fin, un sketchbook de 10 pages révèlant les étapes des dessins de Chris Sprouse, de l'esquisse jusqu'à l'encrage et la mise en couleurs : des coulisses comme on aimerait en lire dans tous les recueils. N'hésitez pas à vous procurer ce beau livre qui vaut son prix - et qu'on peut d'ailleurs acquérir pour une vingtaine d'Euros. C'est une pièce de collection, mais surtout l'occasion de découvrir un comic-book enchanteur et addictif !

Critiques 152 : REVUES VF JUILLET 2010

ULTIMATE AVENGERS 2 :

- Ultimate Avengers (Vol. 1) : La jeune génération (3 & 4/6).

Avec ces deux nouveaux épisodes, où entrent en scène les fameux Ultimate Avengers, l'histoire franchit un cap en résolvant une partie de l'intrigue : nous avons appris précédemment que Captain America avait un fils, le terroriste Crâne Rouge, ce qui a conduit le héros à prendre la fuite pour le retrouver. Avant donc de s'occuper du rejeton, le SHIELD confie à Nick Fury la mission de capturer le père et, pour cela, il fait appel au frère de Tony Stark, Gregory, pourvoyeur d'armes humaines.

Successivement, War Machine, la Guêpe Rouge, un clone de Hulk et une nouvelle Veuve Noire (ex-femme de Fury) sont envoyés à Paris pour y coincer Captain America. Pendant ce temps, Crâne Rouge est en Alaska, au QG de l'AIM, où est créé un nouveau cube cosmique...

Soyons direct : ces deux chapitres laissent un sentiment curieux. Mark Millar offre un scénario bourré d'action, riche en scènes spectaculaires et en personnages borderline - autant de domaines où il excelle et qui résume de plus en plus ses travaux (personnels ou de commande) récents (autant d'occasions d'explorer l'hyper-violence, ce qui la cause, ce qu'elle provoque).

Son art de la caractérisation est jubilatoire : ses Vengeurs n'ont rien de gentils justiciers, ce sont tous des mercenaires, ex-terroristes, monstres de foire, grandes gueules, qui se tolèrent plus qu'ils ne se supportent. Cela permet à Millar de leur faire commettre des exactions plus que de nobles gestes, ne reculant pas devant une absurdité certaine (ces agents formés pour des "blacks ops" ne sont pas discrets pour un sou et n'hésitent pas à dévaster Paris pour neutraliser leur cible). Il y a un plaisir volontiers régressif (d'aucuns diraient "plaisir coupable") à lire ce Millar en pilote automatique, s'amusant à casser les jouets de Marvel, à animer des personnages anitpathiques, à en faire trop... Sans doute parce qu'il sait que ses fans l'aiment pour ça. Et qu'il n'a plus envie de s'épuiser à convaincre ses détracteurs.

Là où la fête est un peu gâchée, c'est avec la partie graphique : le talent de Carlos Pacheco est encore éclatant, comme en témoigne son sens de la composition (il suffit de voir avec quel aisance il emploie la perspective pour jouer avec la profondeur de champ) ou du découpage (une majorité de panoramiques, très cinématographiques, mais qui donne du rythme au récit - on dévore ces 48 pages).

En revanche, l'encrage confié successivement à des hommes aussi différents que Danny Miki, Allen Martinez puis Dexter Vines, a parfois un résultat désatreux sur le crayonné de Pacheco, le rendant quasi-méconnaissable (notamment dans les gros plans - cf. le n° 4 et le visage de Gregory Stark devant l'hologramme du cube cosmique). Il est à la fois regrettable que l'éditeur n'ait pas trouvé un seul et même encreur pour tous les épisodes, mais surtout un encreur qui respecte le trait souple et élégant de Pacheco. Espérons que cela s'arrangera (le vétéran Tom Palmer est, je crois, de la partie pour la suite et fin)...

Bilan : un bon moment, un peu terni par un graphisme maltraité.

MARVEL ICONS HORS-SERIE 17 : CAPTAIN AMERICA - RENAISSANCE (1/2).

- Captain America : Renaissance (Prologue + 1 à 3/6).

Panini débute donc la parution de la mini-série évènement (suite et fin en Septembre) consacrant le retour attendu de Captain America. De l'aveu même d'Ed Brubaker, son scénariste, cette "renaissance" aurait dû s'effectuer plus tôt, mais la série du Vengeur étoilé après sa mort a si bien fonctionné et le passage de bouclier à Bucky Barnes a été si bien accepté par les lecteurs que tout a été différé... Et aboutira avec le début du prochain crossover Marvel, Siege, dans lequel Steve Rogers est promis aux premiers rôles.

L'équipe mise à contribution pour la réalisation du projet promettait beaucoup puisqu'en plus de Brubaker, Bryan Hitch (parti des FF de Mark Millar avant la fin) et Butch Guice assurent la partie graphique.

Dans ce numéro hors-série de "Marvel Icons", nous avons droit à un prologue d'une dizaine de pages (illustrée par Luke Ross) et aux trois premiers volets de la saga. Le contenu est copieux (trente pages par épisode) mais le résultat plutôt déconcertant.

Aux ingrédients typiques des productions de Brubaker, entre série noire et récit d'espionnage, vient se greffer de la science-fiction puisqu'entre les manoeuvres de divers héros (Bucky, la Veuve Noire, Hank Pym, le Faucon, la Vision) pour récupérer une machine conçue par Arnim Zola et Crâne Rouge et détenue par Norman Osborn, on assiste à des flashbacks sur des moments forts de la carrière de Captain America, conscient de revisiter son passé. L'esprit du justicier est coincé dans l'espace-temps et c'est à qui trouvera le plus rapidement le moyen de le ramener dans notre réalité...

Le sentiment qui se dégage de cette première partie est mitigé : l'histoire avance doucement mais sûrement (quoiqu'un peu trop doucement quand même...), mais ses morceaux de bravoure se situent plutôt dans l'énième exposition des faits d'armes du héros. Bref, rien qu'on ne sache déjà, mais où on se demande quand même comment cela va être détricoté : des "grosses têtes" du Marvelverse sont convoqués pour cela (Pym mais aussi Reed Richards), on devine donc que la solution sera complexe.

Brubaker n'a visiblement pas choisi la voie la plus facilee et évidente pour ramener Steve Rogers : c'est louable, mais cette option joue un peu contre le récit, qui suggère beaucoup sans donner finalement énormèment. Le lecteur est sciemment frustré, mais je fais confiance à l'auteur dont le sens des dénouements est rarement pris en défaut - il faudra juste être patient, jusqu'en Septembre...

Visuellement, en revanche, l'attente suscitée par l'association Hitch-Guice ne déçoit pas, même si, là aussi, c'est parfois déroutant : Hitch est un produit de l' "école" Neal Adams-Alan Davis et Guice est plus influencé par Joe Kubert-Jim Holdaway, le mélange des deux aboutit parfois à des images où le style de l'un l'emporte sur celui de l'autre. Mais après la valse malheureuse des encreurs qu'il a eue sur les FF, voir Hitch embelli par un pro aussi affuté que Guice est un bonheur, et rien qu'une séquence comme celle avec Namor suffit à convaincre les nostalgiques de l'artiste des Ultimates.

A mi-chemin, tout (ou presque) reste donc à faire : come-back gagnant ? Ou entreprise inutilement tarabiscotée ? En v.o., Steve Rogers a déjà repris une place d'envergure. Souhaitons, en v.f., qu'il ait été ramené avec imagination et panache.

MARVEL ICONS 63 :

- Fantastic Four 569 : Le Maître de Fatalis (4).

Mark Millar (sans Bryan Hitch, parti dessiner Captain America : Renaissance) achève avec cet épisode son run sur la série. Un run inégal mais qui se termine en feu d'artifices tout en en résumant les qualités et les défauts.

Le récit n'est pas compliqué à résumer : on assiste à l'affrontement final entre les 4F et le Marquis de la Mort et son apprenti, les mentors du Dr Fatalis. L'issue du combat a sa clé en la personne du surpuissant mutant Clyde Wincham, le deus ex machina de la mini-série 1985, confié aux soins de Reed Richards.

Par ailleurs, on apprend pourquoi n'a pas eu lieu le mariage de la Chose avec Debbie Green, ce qui était suggéré à la fin de l'arc précédent.

Millar est, semble-t-il, arrivé sur la série avec une double intention : d'abord, y réinjecter de l'action, et ensuite, y greffer des éléments originaux (entendez des éléments de sa création). C'est ainsi qu'il a inventé Nu-Earth, les nouveaux Défenseurs, le cousin de Reed, Debbie Green, et ce fameux Maître de Fatalis. Lorsqu'il a traité cela, Millar a été plus inspiré dans le registre du grand spectacle et de l'action qu'en explorant l'intimité de ses personnages : ce final ne déroge pas à la règle. La partie "bagarre king-size" est réjouissante, tient toutes ses promesses (même si les raisons avancées pour expliquer la survie de Fatalis sont plutôt légères). En revanche, l'épilogue "sentimentale" est aussi expédiée qu'oubliable, comme si le scénariste ne savait plus comment résoudre le "problème" (en même temps, le mariage chez Marvel est décidèment tabou...).

Ce sentiment de verre à moitié plein (ou vide, c'est selon) est renforcé par le fait que depuis le n° précédent Millar a laissé à Joe Ahearne la rédaction des dialogues, un exercice dans lequel il est pourtant à son avantage (en tout cas pour ses fans). L'auteur a-t-il négligé la fin de son run en voyant son complice Hitch partir sur un autre projet ? Ou l'insuccés de son passage sur la série l'a-t-il démotivé (alors qu'il est beaucoup plus impliqué dans ses creator-owned) ?

Millar semble surtout n'avoir jamais été complètement à l'aise dans l'univers Marvel classique, avec cette version des FF, où il a sciemment peu fait référence au "Dark Reign" - et la réciproque est vraie aussi puisque dans le même temps Fatalis, par exemple, a été réduit à un pantin dans la Cabale d'Osborn (alors qu'ici il devient un personnage surpuissant). Le scénariste est bien meilleur dans la ligne "Ultimate" ou dans des récits alternatifs comme Old Man Logan.

Non, la vraie réussite de cet épisode (d'une 40taine de pages), ce sont ses dessins qui, et c'est cruel pour la prestation en demi-teinte d'un Hitch tout aussi empruntée que celle de Millar, sont assurés par un intérimaire de luxe : Stuart Immonen. La performance de l'artiste est d'autant plus sidérante qu'en examinant les dates de parutions originales, on se rend compte qu'il a illustré ce chapitre alors qu'il débutait New Avengers avec Bendis ! Immonen déploie toute son ahurissante palette en s'emparant de personnages et d'une histoire qu'il semble avoir en mains depuis longtemps : splash-pages explosives, double-page éclatante, découpage d'une énergie permanente et d'une efficacité optimale, c'est un vrai récital, une leçon à montrer à tous les apprentis (et même à quelques pros !).

Frustrant, oui. Mais musclé quand même. On verra comment Jonathan Hickman et Dale Eaglesham reprendront l'affaire...

- Iron Man 17 : Dans la ligne de mire (10).

Déjà 10 mois que cette histoire se déroule ! Matt Fraction essaie-t-il d'écrire le story-arc le plus long ? J'ai décroché depuis longtemps. Et, de toute façon, aussi mal dessinée, la série ne donne pas envie de s'y plonger.

Allez, on zappe.

- Les Nouveaux Vengeurs 57 : Panne sèche (3).

Plus que jamais, Brian Bendis malmène ses héros avec cet arc où ils ont été rétamés par les anciens associés de Hood, drivés par le Dr Harrow. Mais la situation n'est pas plus brillante pour les Vengeurs Noirs, jusqu'à ce que Norman Osborn/Iron Patriot ne négocie avec cet adversaire désirant d'abord réviser les termes de leur partenariat...

Mockingbird intervient pour aider les siens mais cette évasion sera de courte durée et Luke Cage prend une décision à l'allure de sacrifice pour sauver ce qui peut encore l'être...

L'épisode est découpé en deux actes distincts, l'un centré sur Osborn, contraint de composer avec plus malin que lui, l'autre sur Cage, qui bien que n'ayant pas admis être le chef des Nouveaux Vengeurs (laissant ce rôle à Clint Barton) agit pourtant comme tel. Bendis clôt ce chapitre sur une note inquiètante, la position du groupe étant très compromise. Le tout est mené sans temps mort, avec même une note d'humour ("l'infirmière de nuit et le Dr Strange. Bon sujet de série télé." remarque Mockingbird). C'est brillant et toujours aussi décalé, si l'on considère à quel point ces héros n'ont que rarement l'avantage (une constante depuis le début de leur formation).

Stuart Immonen continue de nous enchanter : on est vraiment gâté ce mois-ci. La variété des cadrages, leur justesse, l'explosivité des scènes d'action (sacré double-page avec le quinjet : on se croirait revenu au temps de Shockrockets), c'est juste éblouissant. Avec pareil artiste, les comics sont euphorisants.

Vite, la suite !

- Captain America 600 : In Memoriam.

Pas grand'chose à dire et à retenir de cet "extra" lié au n° 600 de la série : une douzaine de pages anecdotique, écrite par un Roger Stern transparent, et dessiné plutôt mochement par Kalman Andrasofsky.

Bilan : un festival "Immonenien", avec Millar sur le départ et Bendis au top. De quoi vous faire oublier un bonus de Cap' oubliable et ce pauvre Iron Man...

X-MEN 163 :

- X-Men Legacy Annual 1 + 228 à 230 : Le diable au carrefour.
Parce que la revue propose ce mois-ci une histoire complète, illustrée qui plus est par un artiste que j'apprécie (même s'il est inégal dans sa production), je me la suis procurée... Et je dois avouer que je n'ai pas été déçu.

Devil at the crossroads est un récit en quatre parties (un annual et trois épisodes de la série annexe X-Men Legacy) : le "diable" du titre est le mutant Emplate dont le pouvoir consiste à saper par contact manuel (ses paumes révèlent des bouches aux dents acérées) l'énergie des autres mutants, et qui vient se sustanter entre deux séjours dans la dimension parallèle où il se réfugie en compagnie de D.O.A., un gnome à ses ordres.
Découvrant, alors que des ouvriers y font des travaux, que l'institut Xavier a été rasé, il localise la nouvelle base des X-Men (suite aux évènements relatés dans le - mauvais - crossover Utopia, ils se sont concentrés au large de San Franscisco sur l'astéroïde M) et enlève une des leurs, Bling.
Grâce à Hope Habbott alias Trance dont elle absorbe le pouvoir, Malicia est chargée par Cyclope d'aller retrouver la captive d'Emplate dans sa dimension pour mieux le pièger ensuite...
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Mike Carey, pour ce que j'ai lu de ses scénarios sur X-Men Legacy, de loin en loin donc, ne m'a jamais convaincu et ses épisodes tie-in à Utopia ne faisaient que souligner la médiocrité du projet et de son inspiration.
Pourtant, il a le mérite de s'intéresser à des mutants moins employés que les stars de la communauté (comme Wolverine, Emma Frost, Cyclope, etc) et cela rend quand même son travail intrigant, sinon intéressant. Parmi ces héros marginaux, son vrai porte-voix est Malicia, une des créations les plus originales de Chris Claremont (et que Paul Smith dessina comme personne) : personnage féminin complexe, au parcours aussi tortueux que son pouvoir est handicapant, elle a une place à part dans le coeur des lecteurs, et fut même au centre du premier film X-Men de Bryan Singer.
Aujourd'hui encore, son statut est singulier : elle est devenue un des soldats de la cause mutante, et maîtrise depuis peu son pouvoir, ce qui la place comme une des leaders. Face à un adversaire comme Emplate qui se nourrit de ses congénères, elle était le personnage idèale pour animer cette saga.
Carey aime visiblement cette héroïne et cette affection nourrit son écriture : le déroulement de l'intrigue est si bien rythmée qu'on a du mal à croire qu'il s'agit du même auteur que celui qui a signé les épisodes récents mentionnés plus haut. L'affrontement mis en scène est, sans être non plus renversant, très divertissant, jamais on ne s'ennuie durant ces 96 pages.
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Bien entendu, la contribution de Daniel Acuna n'est pas étrangère à cette réussite : parfois à la limite du bâclé, le dessin de l'espagnol est ici proche de son meilleur niveau (comme à l'époque de son passage sur Uncle Sam & The Freedom Fighters ou Eternals).
Ses détracteurs lui reprocheront son usage de la couleur directe avec une palette volontiers psychédélique. Il est vrai que c'est assez bariolé et que cela tranche avec le tout-venant. Mais en même temps, c'est à cela aussi qu'on distingue un artiste.
Et, outre cela, son découpage est très vif, dynamique, à la fois élégant et nerveux : on tourne les pages avec plaisir, sans voir le temps passer.
Mirco Pierfederici le supplée pour les trois ultimes pages de l'épilogue, dans un style si proche qu'on se demande si ce n'est du plagiat - mais, à défaut d'être personnel, cela rend l'ensemble homogène, donc je serai indulgent.
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Bilan : une très bonne surprise pour un numéro de transition - en effet, le mois prochain, les X-Men démarrent une nouvelle saga, Nation X, avec Fraction, Land et (un peu de) Dodson ; les Nouveaux Mutants reviennent (avec un nouveau dessinateur) et Paul Cornell et Leonard Kirk proposent la mini-série des X-Men Noirs.