mercredi 21 avril 2010

Critique 144 : BULLET POINTS, de J. Michael Straczynski et Tommy Lee Edwards


Bullet Points est une série limitée en cinq épisodes publiée par Marvel Comics en 2007, écrite par J. Michael Straczynski et dessinée par Tommy Lee Edwards. Conçue dans le cadre de la collection Marvel Knights, cette série examine les conséquences sur l'univers Marvel si le Dr Erskine avait été tué avant de donner à Steve Rogers le sérum du super-soldat qui a fait de lui Captain America et si Ben Parker avait été tué avant que son neveu Peter Parker, alias Spider-Man, ne le connaisse.
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L'histoire débute le 8 Décembre 1940 lorsque le Dr. Abraham Erskine est assassiné par un espion nazi, en même temps que le soldat censé le protéger, Benjamin Parker, mais avant qu'il ait eu l'opportunité d'utiliser le sérum du super-soldat dans le cadre du Projet : Renaissance (à l'orgine de la création de Captain America).
Ce meurtre annule de fait le Projet et le gouvernement américain active alors son "plan B", le Projet : Iron Man, pour lequel Steve Rogers accepte d'être cobaye. Il subit une lourde opération qui va alors le lier définitivement à l'armure et lui permettre de participer aux combats durant la seconde guerre mondiale. Il est suivi médicalement par le Dr Reed Richards.
Cependant, privé du modèle qu'aurait incarné son oncle Ben, Peter Parker grandit en devenant un adolescent rebelle. C'est ainsi qu'en tombant en panne avec des amis, il part à la recherche d'une staton-service dans une zone désertique servant en vérité pour des tests de l'armée.
Il est témoin de l'explosion de la bombe Gamma qui va l'irradier et, à terme, le transformer en Hulk. Devenu un danger pour la sécurité civile, il ne va pas tarder à croiser Iron Man envoyé pour l'arrêter. Leur affrontement connaîtra une issue tragique.
De son côté, Reed Richards avec Ben Grimm, Sue Storm et Johnny Storm, s'envolent pour l'espace afin d'y étudier l'influence des rayons cosmiques. Mais leur fusée est sabotée et se crashe : Ben, Sue et Johnny sont tués, Reed perd un oeil. Accablé par cet échec, il est abordé par l'agence de contre-espionnage du SHIELD pour en prendre la tête. Il accepte et la transforme en une agence extrèmement efficace, enrôlant Stephen Strange, Tony Stark et Bruce Banner.
Ce dernier, s'estimant responsable de la création de Hulk puisqu'il avait élaboré la bombe Gamma, étudie les conséquences des radiations sur une araignée trouvée sur le site de l'explosion, mais se fait piquer par l'insecte. Il se transforme alors en une créature hybride, mi-homme, mi-arachnée, et après une cavale désespérée, rejoint les rangs du SHIELD.
Qu'est-ce qui peut provoquer la renaissance d'Iron Man, le retour de Hulk, et l'intervention de Spider-Man, du SHIELD et tous les méta-humains de la terre ? Une menace venue de l'espace, mettant en péril la planète entière : Galactus. Les héros de cet univers parallèle en viendront-ils à bout ? Et si oui, à quel prix ?
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Souvent raillé pour quitter brusquement des séries à succès (parfois contre son gré, à cause de pressions éditoriales - comme sur Amazing Spider-Man ou Thor) ou tardant à achever ce qu'il entreprend (The Twelve), J. Michael Straczynski en étonnera plus d'un avec cette production de seulement cinq épisodes, où libéré de toutes contraintes il nous propose une version alternative de l'univers Marvel.
Bullet Points est d'abord une passionnante relecture de personnages familiers jouant des rôles forts différents de ceux dans lesquels on les connaît. Si le procédé vous rappelle quelque chose, ne cherchez plus : c'est celui des "What if ?" (Et si ?), qui firent les beaux jours de revues comme Spidey chez Lug dans les années 70-80.
Là où JMS tire le meilleur parti de ces variations se situe lorsqu'il réussit à conserver aux protagonistes les caractéristiques qui leur sont propres tout en leur faisant camper le rôle d'un autre. Ainsi, il semble que Steve Rogers soit toujours, quelles que soient les circonstances, un jeune homme sacrifiant tout pour sauver sa patrie, tout comme Bruce Banner reste un scientifique imprudent et payant le prix fort pour cela.
Mais ces variations aboutissent également à des surprises intéressantes comme dans le cas de Peter Parker qui, sans l'influence de son oncle, devient un révolté frappé par le sort et qui consentira à un grand sacrifice pour protéger sa tante d'abord puis sauver l'humanité ensuite.
Toutefois le "cas" le plus intriguant reste celui de Reed Richards à qui JMS donne ici le rôle qu'occupe Nick Fury dans le Marvelverse classique : le savant le plus brillant devient le patron du SHIELD mais surtout un homme hanté par la perte de ses amis, à la fois pragmatique et rongé par ses démons intimes. De toutes les inventions de cette mini-série, c'est sans nul doute celle-ci que j'ai trouvé la plus originale.
Avec Bullet Points, le scénariste parvient à restituer ce parfum d'étrangeté et ce sens de l'intrigue qui a donné son identité aux canons de l'univers Marvel et les a rendus si populaires dans ses premières années. Les héros y montrent du coeur, malgré leurs failles, et JMS excelle dans cet exercice sans recourir à la narration décompressée mais au contraire en conférant une densité épatante à son récit.
Si bien qu'on n'a qu'un regret en vérité, et c'est en quelque sorte un comble : cette version des faits aurait mérité d'être plus amplement exploitée, ou pourquoi pas d'inspirer les auteurs de l'univers classique...
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La qualité du projet tient aussi à la présence de son illustrateur, un habitué des productions atypiques : Tommy Lee Edwards. Comme pour le 1985 de Mark Millar, il nous offre ici une prestation de haut vol, unique dans son genre : son trait vif, très personnel, hisse le niveau de cette mini-série au-dessus du simple exercice de style pour en faire un livre au graphisme inoubliable.
Il y livrait déjà une vision mémorable de Hulk, à qui il donne une dimension tragique superbe. Travaillant avec des feutres, des marqueurs, au pinceau, il mixe ces techniques frustres avec des traitements informatiques pour la couleur qui n'étouffent jamais la spontanéité de son trait mais installe une atmosphère à la fois sombre et décalée correspondant idéalement à ce genre d'histoires.
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Bullet Points cache sous son allure anecdotique une grande richesse, soutenue par une écriture précise et un esthétisme incomparable. C'est donc typiquement le genre de bouquin qui, en employant des éléments familiers, vous en offre une (re)lecture saissante.

mardi 13 avril 2010

Critique 143 : SHOCKROCKETS, de Kurt Busiek et Stuart Immonen

Shockrockets est une série originale co-créée par Kurt Busiek, qui signe le scénario, et Stuart Immonen, qui réalise les dessins, publiée par Image Comics puis Dark Horse Comics. Prévue pour connaître une suite, elle s'est arrêtée au bout des six épisodes contenus dans ce recueil.
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Les ShockRockets sont des engins volants élaborés à partir d'une technologie extra-terrestres, celle des Fermeki, qui tentèrent d'envahir la Terre quelques années avant le début de l'histoire.
La victoire fut possible en grande partie grâce au Colonel (devenu Général) Emilio Korda, mais celui-ci estimant qu'on l'avait mal récompensé est depuis devenu le nouvel ennemi du gouvernement mondial et a formé sa propre armée pour se venger et conquérir la planète.
Lorsque Kiel Buchheim, l'un des pilotes des ShockRockets, périt en mission, le jeune Alejandro Cruz, un civil présent sur les lieux, décide de piloter son appareil et, contre toute attente, y accomplit des prouesses.
La technologie des ShockRockets lie le pilote à l'engin et Alejandro est enrôlé d'office à l'escadron. Il doit alors se faire accepter des autres membres de l'équipe, de leur hiérarchie et s'imposer lors de batailles de plus en plus périlleuses, sans compter la désapprobation de sa famille.
Son intégration se heurte aussi à l'hostilité du sous-lieutenant Althea Wilde, qui aurait dû succèder à Buchheim, et à celle du lieutenant Melina Zahos, la fiancée du pilote défunt, qui le tient pour responsable de sa mort.
D'autre part, dubitatif sur ses tests de pilotage médiocres, Alejandro pense que les ShockRockets conservent une empreinte psychique de chaque personne les ayant manouevrés.
Lorsqu'il démontre son hypothèse à Melina, la base de Terr-Sec est attaquée et coulée. A l'évidence, un traître a permis cette offensive de Korda. Mais qui est-ce ? Et qui est ce mystérieux Sable, si bien informé sur l'ennemi et qui détient peut-être la clé de la revanche pour les Shockrockets ?
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Shockrockets est une production à l'image de Kurt Busiek et Stuart Immonen : un récit très efficace, aussi habilement écrit que superbement illustré, totalement dépaysant et dont les références (à Buck Danny, Dan Dare...) réjouiront le fan sans égarer le néophyte.
C'est un mini "space opera" qui a le rythme endiablé d'un cartoon et le piment d'une critique sur la guerre, l'armée, et la politique à l'oeuvre dans ce genre de situation. Comme souvent dans les comics les plus personnels de Busiek, l'histoire possède une dimension à la fois divertissante irrésistible et une autre qui réfléchit sur les codes, les archétypes du genre abordé (un mix qui a trouvé son aboutissement dans son chef d'oeuvre, Astro City).
Le récit démarre selon le point de vue d'Alejandro, un jeune feu follet aspirant à sortir de sa condition et qui profitera de la première occasion qui se présente pour s'engager dans une existence plus excitante même si plus dangereuse. Busiek retranscrit parfaitement l'exaltation de son héros, mais ne s'arrête pas là.
En effet, chaque épisode est narré par un protagoniste différent et souvent suprenant, offrant au lecteur l'opportunité de vivre l'histoire sous des angles divers et toujours passionnants, sans jamais céder sur le spectacle ni le suspense.
Arrivée à son terme, l'intrigue offre même une surprise de taille lorsqu'avec Alejandro nous découvrons les magouilles des dirigeants du monde libre.
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Pour ceux qui ont découvert récemment le travail de Stuart Immonen, la lecture de Shockrockets constituera un choc esthétique : moins pour la virtuosité avec laquelle ce prodigieux dessinateur illustre ce récit que pour le style qui était alors le sien, d'une facture plus classique et réaliste qu'aujourd'hui.
Pour élaborer les vaisseaux, Immonen a utilisé l'informatique et inséré parfois directement les images numériques sur ses planches, quasiment sans retouches. Il a depuis renouvelé ce procédé mais en l'améliorant au point qu'on ne le distingue plus et surtout en l'adaptant à un graphisme plus audacieux (comme sur l'hilarant Nextwave). Quoiqu'il en soit, hier comme aujourd'hui, le résultat reste sidérant d'inventivité, d'énergie et d'efficacité.
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Shockrockets manie les clichés avec tant de brio que ses six épisodes forment un tout indémodable, imparable. Il semble impossible de ne pas être conquis par cette BD qui se dévore plus qu'elle ne se lit et a la forme d'un mini classique.

vendredi 9 avril 2010

Critique 142 : NUMBER OF THE BEAST, de Scott Beatty et Chris Sprouse

Number of the Beast est une série limitée de huit épisodes, écrite par Scott Beatty et dessinée par Chris Sprouse (avec Simon Coleby, Leandro Fernandez et Neil Googe pour le dernier chapitre). Cette production s'inscrit dans une trilogie ( avec Armageddon et Revelations), qui aboutit au relaunch de plusieurs titres Wildstorm, un des labels de DC Comics.
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Imaginez que des équivalents de la JLA, des Vengeurs et quelques super-vilains comprennent plus de soixante ans après la seconde guerre mondiale qu'ils ont été enfermés dans un bunker souterrain dans le Nevada par l'armée et qu'ils évoluent dans un vaste programme informatique simulant la fin du monde, un entraînement virtuel pour l'éviter...
C'est ce qui est arrivé aux Paladins, historiquement les premiers méta-humains de l'univers Wildstorm, et à leurs ennemis, les Crime Corps. Mais cette "salle des dangers" géante finit par se détraquer à cause du trop grand nombre de suppléments apportés au programme au fil des années et les héros comme les vilains veulent désormais recouvrer leur liberté.
Evidemment, les responsables de l'opération "Number of the beast", et le Général Zebulon McCandless en premier à son origine, ne l'entendent pas de cette oreille : et si, pour arrêter tout cela, il fallait vraiment provoquer la fin du monde ?
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Number of the Beast est un curieux objet quand on le découvre sans avoir suivi les évènements du Wildstorm Universe : conçu pour conclure un tryptique de l' "Armageddon" et établir un nouveau statu quo à toute une gamme, son histoire est à la fois connectée à des faits qui échapperont au profane (comme en attestent des références à d'autres ouvrages), présente une foule de nouveaux personnages et se termine d'une manière à la fois étrange et spectaculaire. Pourtant, c'est aussi un album qui reste compréhensible, riche en péripéties, en héros attachants au potentiel évident, très bien écrit et somptueusement dessiné.
L'atout majeur de cette entreprise est son équipe de super-justiciers, les Paladins, introduits comme les premiers super-héros de cet univers. Il s'agit d'un mix bigarré et séduisant évoquant la JLA (avec en lieu et place de Superman, The High alias John Cumberland, dont le destin fut évoqué dans un autre titre Wildstorm bien connu, le génial Planetary de Warren Ellis et John Cassaday - le Dr Axel Brass et Elijah Snow l'ont rencontré), les Vengeurs (Engine Joe est une version alternative du Iron Man originel) et de personnages censés avoir inspiré des équipes modernes de la gamme Wildstorm (comme la Midnight Rider pour le Midnighter d'Authority, qui intervient d'ailleurs une apparition à la fin de l'histoire).
Scott Beatty et Chris Sprouse ont élaboré des protagonistes aux caractères, pouvoirs et designs, vraiment brillants, témoignant davantage du respect pour les classiques du genre super-héroïque que de la parodie ou de la critique (alors qu'Authority, par exemple, avait été imaginé comme une réponse transgressive à la JLA).
Du coup, on regrette que cette galerie de héros n'ait pas été inventée pour alimenter une histoire indépendante, auto-suffisante, plutôt que pour servir d'ingrédients à une refonte des titres d'un label.
Le concept du récit, articulé autour du programme "Number of the Beast", s'inspire sans subtilité de la trilogie cinématographique Matrix, avec ces personnages prisonniers d'une réalité virtuelle. Comme les films des frères Wachowski, l'histoire multiplie les références bibliques, à commencer par son titre (le nombre de la Bête, donc du Diable, est le 666) et Beatty ponctue les chapitres d'extraits de versets, supposés donner une profondeur philosophique à un sujet qui n'en demande pas tant.
Bien entendu, la Révélation sera suivi d'une Apocalypse digne de ce nom, sacrifiant bêtement des personnages auxquels on s'est attaché sur l'autel du spectacle : c'est la partie la moins réussie et la plus discutable. Que ceux qui se plaignent des crossovers Marvel et DC mesurent à quel point on peut faire encore pire en lisant cette BD où une époque, des héros, un enjeu ne sont créés juste pour permettre à d'autres personnages d'exister et de se trouver de nouvelles campagnes à mener.
Dans ces premiers chapitres, NOTB demeure une excellente surprise : on est intrigué par ces scènes où quelques hommes semblent assurer la maintenance d'une base secrète tout en épiant les faits et gestes des Paladins dans une ville étrangement dépeuplée.
Beatty se montre adroit dans la caractérisation, affuté dans les dialogues (avec des passages d'un humour noir inattendu, comme lorsqu'une soucoupe volante écrase une grand'mère) et habile pour ménager le mystère. Cette atmosphère singulière culmine lors d'une séquence où The High essaie de quitter la ville, sans comprendre pourquoi il n'y arrive pas, et où les personnages comme le lecteur saisissent que tout cela n'est qu'une gigantesque manipulation.
Ensuite, cela se gâte un peu : le complot militaire (évidemment) est révèlé, et comme les Paladins, on se sent abusés. Quand, enfin, il est clair que cela va très mal finir, que beaucoup vont rester sur le carreau et, surtout, que tout ce qu'on nous a racontés sert surtout à réinstaller d'autres héros, d'autres histoires, la déception le dispute à la colère.
J'aurai franchement préféré qu'une fois sortis de leur bunker, les Paladins, après avoir croisé le fer avec the Authority, gagnent le droit de continuer à vivre, sans qu'on ait droit à l'affrontement final avec les clones de The High et le désastre (ridiculeusement outrancier) que cela entraîne. Cela aurait ouvert la porte à une future série avec les Paladins et leur réintégration à l'époque moderne, par exemple.
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Heureusement, cette mini-série nous permet de profiter de Chris Sprouse, cet immense artiste au trait si élégant et épuré, maître du découpage, et génie du design. Le tpb nous offre à la fin du récit plusieurs pages de bonus, des dessins où l'on peut admirer l'art de Sprouse pour inventer des personnages au look à la fois rétro et irrésistible, conçus à la fois comme des hommages à des icones du genre (Hotfoot par rapport à Quicksilver, Johnny Photon par rapport au Two-gun kid, Honeybee et The Mite par rapport à The Wasp, The Aeronaut par rapport à Tony Stark, etc) tout en témoignant d'une vraie créativité.
C'est un pur régal, qui justifierait presqu'à lui seul l'achat de cet album.
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Production inégale mais pourtant brillamment réalisé, Number of the beast est une curiosité : de la chair à canon mais préparée comme un mets de choix par de grands chefs.

mardi 6 avril 2010

Critique 141 : GOTHAM CENTRAL - DEAD ROBIN, d'Ed Brubaker, Greg Rucka, Kano, Stefano Gaudiano et Steve Lieber

Gotham Central : Dead Robin est le dernier recueil de la série, rassemblant les épisodes 33 à 40, écrits par Ed Brubaker et Greg Rucka, et dessinés par Kano, Stefano Gaudiano et Steve Lieber
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- Dead Robin (Gotham Central 33 à 36) est la dernière histoire co-écrite par Ed Brubaker et Greg Rucka. Les dessins sont assurés par Kano et l'encrage par Stefano Gaudiano.
Le corps d'un adolescent vêtu du costum de Robin, le sidekick de Batman et leader des Teen Titans, est trouvé mort dans une ruelle. La Major Crimes Unit doit s'assurer qu'il ne s'agit pas du justicier et, en attendant d'en être sûr, Batman devient l'un des suspects... Jusqu'à ce qu'un autre cadavre, pareillement vêtu, ne soit découvert. Les rapports entre le commissariat et la presse sont au coeur de cette intrigue.
- Sunday Bloody Sunday (Gotham Central 37) est écrit par Greg Rucka et illustré par Steve Lieber (son dessinateur sur le creator-owned Witheout).
Lié aux évènements du crossover Infinite Crisis, cette histoire raconte comment Renee Montoya et surtout Crispus Allen, au coeur d'un Gotham ravagé, tentent de rentrer auprès de leurs proches. Captain Marvel y fait une apparition, tout comme le Spectre, et on assiste à la mort du vilain The Fisherman.
- Corrigan II (Gotham Central 38 à 40) est la suite et fin de l'arc entamé dans The Quick and the dead mais aussi l'épilogue de la série, écrite par Greg Rucka et dessinée Kano & Stefano Gaudiano.
Crispus Allen, ayant appris comment sa partenaire Renee Montoya avait empêché le flic ripou Jim Corrigan de le couler, entreprend de le pièger. Projet à l'issue dramatique et qui conduira Montoya à quitter le G.C.P.D..
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L'enseignement majeur à retirer de Gotham Central est la mise en valeur de la dichotomie dans le mythe Batman : d'un côté, il y a ce personnage extravagant et mystérieux à la fois de justicier solitaire, faisant sa loi sans se soucier des forces de police, et de l'autre, il y a ces détectives qui doivent faire règner l'ordre dans une ville où des psychopathes sèment la terreur.
Deux familles se partagent Gotham : la "Bat-family" (Batman, Robin, Alfred, l'ex-commissaire Jim Gordon) et le G.C.P.D. (en particulier la MCU). Batman était supposé être un vigilant sans licence agissant avec l'accord tacite de Gordon. Le commissaire remplacé et quelques officiers morts sur le terrain plus tard, la situation a totalement changé : Batman est progressivement devenu un ennemi pour les flics de Gotham qui le tiennent pour responsable de la mort de leurs collègues, de la recrudescence de la criminalité, et finalement le considèrent comme un délinquant.
La série Gotham Central, écrite par Greg Rucka et Ed Brubaker à la suite du crossover Officer Down au cours duquel Jim Gordon prit sa retraite, a offert n nouveau point de vue sur le "Batverse" et son héros. Jim Gordon parti, l'union sacrée et implicite entre le justicier et les policiers a rapidement volé en éclats et les membres de la Major Crimes Unit ont alors jugé Batman comme un obstacle, et même un handicap.
Tel que montré du point de vue de la police de Gotham, Batman est un électron libre dangereux plus qu'un allié fiable, et la série nous livre finalement un des meilleurs portraits du genre : pourr de simples mortels, les super-héros finissent par devenir davantage des menaces que des éléments rassurants. Pire : ils semblent plus attirer les problèmes, les alimenter, que les résoudre durablement.
Au cours des 40 épisodes de la série, Rucka et Brubaker ont fourni bien des prétextes à la police de Gotham d'avoir du ressentiment pour Batman. Dans une demi-douzaines de dossiers traités, Batman a été plus efficace que tous les détectives pour stopper Mr. Freeze et Two-Face, il a mis fin aux attentats du Joker et résolu l'affaire des Robin morts (qui ouvre ce volume). Et c'est en mentionnant le justicier que l'officier Josie MacDonald a empêché le détective déchu Harvey Bullock de se suicider dans l'album Unresolved Targets.
Lorsque Batman a failli, les enquêtes se sont terminées tragiquement, comme on l'a vu dans The Quick and the Dead, où l'officier Peak a dû abattre son partenaire, Kelly, changé en monstre. Et quand le vigilant est carrèment absent, comme dans le récit Corrigan II de ce Dead Robin, un autre détective le paie de sa vie.
Les membres du G.C.P.D. ne réagissent pas tous de la même façon vis-à-vis de Batman. Dans The Quick and the Dead, où le commissaire Michael Atkins décide de couper les ponts avec le justicier et le déclare même hors-la-loi, Allen et Montoya débatent sur le rôle de Batman : Allen, qui vient de Metropolis (la ville de Superman), croit que les méthodes de la Chauve-Souris sont à l'origine du chaos qui règne sur la cité, alors que Montoya, qui a toujours vécu à Gotham, doit sa vocation à Batman. L'attitude du détective Marcus Driver, un des premiers personnages-vedettes de la série, a beaucoup évolué depuis le début : dans l'histoire In the Line of Duty, Driver reproche à Batman la mort de son partenaire, tué par Mr. Freeze, avant de coomprendre le plan du justicier pour appréhender le criminel. Et quand la girlfriend de Driver, la détective Romy Chandler, tire sur Batman au cours de l'arc Dead Robin, Marcus lui résume ainsi la situation du justicier : "on our side, in his own way." ("de notre côté, à sa manière"). Driver, encore, obtiendra d'Akins qu'il demande l'aide de Batman pour le dossier Dead Robin, et plus globalement la description de la relation amour/haine de Marcus pour Gotham est la synthèse des sentiments qu'éprouvent tous les policiers de la ville envers leur protecteur.
Une des raisons de la défiance de la police de Gotham envers Batman tient justement à son statut d' "agent indépendant". Or, un des thèmes de Gotham Central est l'importance du partenariat, comme celui de Marcus Driver et de feu Charlie Fields, ou lors du sacrifice de Nate Patton pour sauver Romy Chandler, ou encore l'acharnement de Renee Montoya pour réhabiliter Crispus Allen après les manigances du flic corrompu Jim Corrigan.
Batman représente a contrario une entité indépendante et ce motif est au centre de l'intrigue de Dead Robin, quand la police doit le considérer comme un suspect : Allen note alors que "dans n'importe quel autre cas, le complice de la victime serait jugé comme tel".
Pourtant la résolution de cette affaire, tout comme celle de Corrigan II, est moins convaincante et satisfaisante qu'à l'accoutumée : sans doute à cause de l'annulation programmée de la série durant l'écriture de ces deux arcs, Brubaker et Rucka puis Rucka seul expédient le dénouement de ces enquêtes - surtout celle de Corrigan.
La fin de cette production laisse un goût amer d'inachevé, d'abord parce que la série était d'une qualité rare et que ses méventes font enrager, et ensuite parce que son héroïne principale quitte la police sur un constat d'échec (Renee Montoya deviendra détective puis justicière).
En outre l'apparition des Teen Titans avec leurs costumes bariolés (en particulier Starfire) et la liaison avec le crossover Infinite Crisis font un peu tâche dans le tableau d'une série dont le réalisme terre-à-terre et la sobriété visuelle étaient les atouts majeurs.
En revanche, le destin d'Allen et la déchéance de Montoya forment deux séquences très fortes, renouant avec ce que la production a offert de meilleur, de plus poignant, depuis ses gloriex débuts. Gotham Central s'y affirme comme une série animée par de grandes amitiés, puissament évoquées, et des tragédies intimes : elle s'achève sur une note très sombre, désabusée, digne des séries noires classiques.
On se rappelle alors les paroles de Jim Gordon dans la toute première histoire, In the Line of Duty, lorsqu'il déclarait : "quoique vous fassiez... Vous devez faire la différence". Cela rassemble à l'exergue parfaite pour cette série et ses héros : un comic-book exemplaire en termes de caractérisation, d'intrigue, de graphisme (Kano et Gaudiano y signent de superbes pages, dans la veine d'un Darwyn Cooke, et le passage de Lieber ne gâche pas la vue non plus).
Malgré son insccés commercial, c'est un regard unique sur la mythologie de Batman et du DCverse. Assurèment une des BD à redécouvrir d'urgence !

dimanche 4 avril 2010

Critiques 140 : REVUES VF AVRIL 2010

ULTIMATE SPIDER-MAN 1 :

- Ultimate Comics : Spider-Man 1 & 2 : Le nouveau monde selon Peter Parker (1 & 2).
Bien qu'ayant été déçu par les previews, j'ai voulu donner sa chance à ce volume 2 d'USM, puisque la série a été renumérotée après le crossover Ultimatum (une idée plutôt saugrenue au demeurant), en jugeant sur deux épisodes plutôt que sur quelques planches.
Le fond d'abord : à l'issue du run dessiné par Stuart Immonen, dans un épisode mémorable (car entièrement muet), on pouvait croire Spider-Man mort dans le raz-de-marée ayant déferlé sur New York. Un numéro hors-série, Ultimate Spider-Man : Requiem, nous révèlait que le tisseur était retrouvé vivant, sous les décombres par Captain America. Et c'est donc six mois après ces évènements que Brian Bendis reprend son récit.
Les choses ont bougé : Peter Parker sort désormais avec Gwen Stacy, Kitty Pryde (comme tous les mutants) n'ont plus le droit d'utiliser leurs pouvoirs en public, Johnny Storm débarque chez Peter et sa tante May avant de s'évanouir... Et de nouvelles menaces apparaissent déjà : Mysterio tue le Caïd et encourage chacun à se lancer dans le grand banditisme. Premières à se lancer : un duo mère-fille, les Bombes !
La forme ensuite : Bendis réussit, grâce à son ellipse initiale, à recadrer sa série fêtiche en redisposant ses acteurs et donc les enjeux du récit. Il lance de multiples pistes intrigantes : qu'a fait Johnny Storm pour arriver à bout de forces chez les Parker ? Qui est Mysterio et que prépare-t-il ? Qui est ce nouveau justicier ayant neutralisé trois braqueurs ? Comment les Bombes ont-elles acquis leurs pouvoirs ?
C'est presque trop pour un redémarrage, mais le scénario est mené sur un tel rythme qu'on ne s'ennuie pas une seconde, et il reste bien des points à éclaircir (sur les situations de MJ, Kitty). Ce diable de Bendis nous donne vraiment envie d'en savoir plus.
Graphiquement, après le très long run de Mark Bagley (plus de 100 épisodes) et le passage époustouflant d'Immonen, le jeune espagnol David Lafuente a fort à faire pour s'imposer. D'un côté, il est louable de confier à un artiste peu connu un titre aussi fameux. De l'autre, la comparaison avec ses prédécesseurs est cruelle.
En effet, s'il est capable de découper ses pages avec une belle énergie, d'un trait élégant et expressif, en soignant les décors (intérieurs comme extérieurs), Lafuente échoue parfois complètement quand il dessine les personnages, répétant les mêmes mimiques, foirant les proportions ou abusant de gimmicks irritants (Spidey et sa tête ovale comme un ballon de rugby aux yeux surdimensionnés, les filles ayant toutes le même visage, des copier-coller un peu systématiques...).
C'est à l'évidence un gaphiste prometteur, mais encore en devenir.
Heureusement, il a pour l'aider un fabuleux coloriste en la personne de Justin Ponsor.
Un "relaunch" agréable qui peut déboucher sur le meilleur comme le pire. A suivre, donc - même si je ne sais pas encore si j'irai plus loin.
MARVEL ICONS 60 :
- Les Nouveaux Vengeurs 54 : Bas les masques (4).
Le dénouement de cet arc est une réussite : Jericho Drumm alias Frère Vaudou a été choisi par l'Oeil d'Agammoto pour succèder comme Sorcier Suprême au Dr Strange et il doit donc avec ce dernier, Daimon Hellstrom et les Nouveaux Vengeurs neutraliser the Hood et Dormammu au coeur de la Nouvelle-Orléans.

Brian Bendis a finalement mené cette histoire en peu d'épisodes et en nous offrant de l'action : d'abord peu à l'aise avec les éléments magiques de l'intrigue, il en a fait un récit initiatique explosif, avec des dialogues bien tournés.
Je ne sais pas s'ils font partie des meilleurs épisodes de la série mais certainement des plus plaisants : l'équipe n'a pas bougé, un personnage emblématique a cédé sa place à un autre, beaucoup moins connu, et le méchant de service connaît une fin (provisoire ?) spectaculaire.
Si Bendis garde ce cap pour les futures séries Avengers et New Avengers (volume 2), c'est très prometteur.

Graphiquement, Billy Tan est lui aussi inspiré : progressivement, cet artiste souvent inégal mais efficace a réussi à produire des pages percutantes. Son parcours est un peu l'inverse de celui de Leinil Yu, qui avait démarré fort puis s'était épuisé, alors que Tan s'est à mon sens amélioré au fur et à mesure.

Mais bien sûr, le mois prochain, ce sera sacrèment plus rock'n'roll puisque le génial Stuart Immonen va arriver...

- Iron Man 14 : Dans la ligne de mire (7).
J'ai commencé à lire la revue en commençant par cet épisode, comme on se débarrasse d'une corvée...

Mais bon, j'ai juré de ne plus m'acharner sur ce titre, donc j'en resterai là pour éviter d'être méchant.

- Fantastic Four 567 : Le Maître de Fatalis (2).
Mark Millar et Bryan Hitch montent en puissance avec la suite de leur ultime arc, qui s'annonce comme un bouquet final assez grandiose.

Fatalis défie ses Maîtres. Il croit les défaire mais la vérité est cuisante et l'issue de cet épisode fait frémir : les FF vont avoir chaud...
Le scénario joue avec le lecteur en nous embarquant dans une direction aussi brusque que surprenante avant de nous prendre à revers : Millar écrit comme on pilote un bolide, droit devant, à toute allure, plein les yeux. Encore une fois, ses détracteurs auront de quoi se déchaîner. Mais si on aime, ce "grand huit" vaut le détour : avec lui, les FF déménagent méchamment !

Hitch nous gratifie de planches éblouissantes (ah, cette double page dans la bibliothèque !) et restitue mieux que quiconque l'intensité et la puissance des scènes. C'est tout simplement fabuleux !

Et cette fois, bien qu'il y ait quatre encreurs mis à contribution, les finitions sont impeccables.

- Captain America (vol.5) 50 : Passé décomposé.
Avant de se poursuivre avec une nouvelle numérotation et un numéro spécial le mois prochain, Ed Brubaker et Luke Ross fêtent l'anniversaire de Bucky d'une manière plutôt musclée.

Alternant les scènes du passé de Bucky Barnes, durant la 2ème guerre mondiale et ensuite (lorsqu'il est devenu le Soldat de l'Hiver), et du présent, où le nouveau Captain America affronte des patriotes fanatiques, c'est l'occasion pour le Vengeur étoilé de faire le bilan et d'assumer son nouveau statut.

Le scénario est classique, et même convenu, mais tellement fluide qu'on ne songerait pas à le reprocher à Brubaker : l'auteur tient parfaitement son sujet et c'est un plaisir à lire.
Luke Ross produit des pages à l'encrage parfois un peu lisse et à la colorisation un peu chargée, mais le plus souvent élégantes et bien découpées. Je suis un peu déçu que cet épisode n'ait pas été illustré par Steve Epting, mais la série conserve une qualité visuelle épatante.

Bilan : un très bon numéro. En Mai, pas de FF (pour cause de spécial Captain America) - évidemment, Panini ne pouvait pas nous dispenser d'Iron Man (soupir)...
X-MEN 159 :

- X-Men / Dark Avengers + X-Men 513 : Utopia (1 & 2/5).
Le "Dark Reign" touche aussi les titres mutants avec ce crossover X-Men/Vengeurs Noirs, pour lequel il faudra acheter cette revue et en Mai et Juin le mensuel Dark Reign.
L'intention est louable de re-connecter les mutants au reste du Marvelverse... Mais le début de cette histoire ne convainc pas vraiment.

Suite à des émeutes à San Francisco entre les militants du "mutophobe" Simon Trask et les X-Men, Osborn déploie d'abord ses Vengeurs Noirs pour rétablir l'ordre avant de nommer à la tête d'un nouveau groupe Emma Frost (membre de sa Cabale) : les Dark X-Men...

Matt Fraction a développé deux idées intéressantes depuis son arrivée sur le titre : d'une part, la quête de son Club X pour relancer la natalité mutante (voir le précédent numéro), et d'autre part, l'évolution de la communauté mutante à San Francisco, la Nation X. C'est sur ce dernier point que s'articule cette mini-saga.

Les deux premiers volets donnent la part belle à l'action avec un climat de tension plutôt bien rendu, mais la surabondance de personnages nuit quand même au plaisir en brouillant la lisibilité : entre les mutants pacifistes, les rebelles, les humains anti-mutants, les humains pro-mutants, les Vengeurs Noirs et maintenant les Dark X-Men, ça fait quand même beaucoup de monde, beaucoup d'idées à brasser... Et il faudrait que Fraction fasse des prodiges pour bien traiter tous ses aspects.
Or s'il n'est pas maladroit quand il le veut, Fraction touche aux limites de son concept de Nation X avec une histoire aussi ambitieuse, où il ne faut pas oublier de "faire le show". Personnellement, je le préfère avec son Club X, plus modeste mais plus original.

Graphiquement, c'est globalement médiocre : le premier épisode (d'une trentaine de pages) est soit-disant dessiné par Marc Silvestri. Sauf qu'il est accompagné de pas moins de quatre assistants (dont aucun ne relève le niveau) et de neuf (!) encreurs : à ce stade-là, on se demande bien qui fait quoi...
Puis Terry Dodson prend la relève : c'est un peu mieux, mais très en-deçà de ce que peut réussir cet artiste, qui ne trouve pas sa place sur cette série - et que j'espère voir ailleurs dans le futur, avec un projet à la fois plus surprenant et singulier.

- New Mutants (vol.3) 2 : Le retour de la Légion (2).
Ce nouveau chapitre confirme tout le bien de l'entreprise de Zeb Wells : les cadets mutants découvrent progressivement ce qui est arrivé à Karma, retrouvent Légion et affrontent la population hostile d'un bled...

Wells est décidemment le scénariste à suivre en ce moment : son scénario possède une énergie électrisante, son intrigue est étonnante, et il excelle à animer des personnages savoureux. On ne s'ennuie pas une seconde : meux, on attend la suite avec impatience.

Diogenes Neves est lui aussi une révèlation : son trait est à la fois dynamique et élégant, son découpage fluide et inventif, le tout réhaussé par un encrage et une colorisation superbes. Un sans-faute épatant.

- Diablo : Diversion + Emma Frost : La faille.
Ces deux courts récits concluent la revue : aussi vite lus qu'oubliés, ils ne sont, il est vrai, ni bien écrits, ni bien dessinés (surtout le second).
Bilan : un crossover qui démarre moyennement, mais les Nouveaux Mutants sont une réussite à ne pas zapper.

samedi 3 avril 2010

Critique 139 : GOTHAM CENTRAL - THE QUICK AND THE DEAD, de Greg Rucka, Michael Lark, Stefano Gaudiano, Kano et Gary Amaro

Gotham Central : The Quick and the dead est le quatrième receuil de la série rassemblant les épisodes 23 à 25 et 28 à 31, tous écrits par Greg Rucka et illustrés par Michael Lark (pour la dernière fois), Stefano Gaudiano, Kano et Gary Amaro.
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- Corrigan (Gotham Central 23-24) est écrit par Greg Rucka et dessiné par Michael Lark et Stefano Gaudiano.
Le détective Crispus Allen fait l'objet d'une enquête de la police des polices après que l'agent de la brigade scientifique corrompu Jim Corrigan ait dérobé une preuve sur une scène de crime. La mort du super-vilain Black Spider et l'implication d'une vieille collectionneuse sont les clés de cette affaire que Renee Montoya, la partenaire d'Allen, va aider à résoudre en révèlant sa nature violente (un élément amené à être développé ultérieurement).
- Lights Out (Gotham Central 25) est réalisé par la même équipe (Rucka, Lark et Gaudiano).
Sur ordre du commissaire Akins, le Bat-Signal est enlevé du toit du commissariat central. Le justicier masqué est déclaré hors-la-loi : c'est le point culminant du conflit entre les policiers et le vigilant, après les morts de plusieurs agents (Charlie Fields, Nate Patton et Ron Probson) contre Mr Freeze et le Joker.- Keystone Kops (Gotham Central 28-31) est écrit par Greg Rucka et dessiné par Stefano Gaudiano, encré par Kano.
Un agent en uniforme est transformé en monstre après une intervention l'ayant conduit dans un laboratoire abandonné par un des ennemis de Flash, le Dr Achemy. Or celui-ci est incarcéré à Keystone et prétend être le seul capable de sauver le policier. Malgré la mise en garde de Batman, conseillant de ne pas négocier avec le criminel, le G.C.P.D. échoue à guérir leur collègue, mais pour Renee Montoya, c'est l'occasion de se rabibocher avec son père, indirectement lié à l'affaire.
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En l'absence d'Ed Brubaker, bien que la série reste d'un niveau remarquable, elle perd quand même de sa force et cet album est en deçà des deux précédents (In the line of duty et Unresolved targets).
Greg Rucka seul aux commandes, cela révèle la particularité de chacun des deux scénaristes : Brubaker est indéniablement celui qui soigne les intrigues, construit les enquêtes, tandis que son partenaire est plus concentré sur l'étude de caractères, la caractérisation des personnages.
Les trois histoires de ce recueil atteste des préférences de Rucka : négligeant le suspense (sans toutefois bâcler le déroulement des récits), il nous gratifie de grands moments avec ses personnages favoris, en particulier la détective Renee Montoya qui n'hésite pas à faire le coup de poing avec le ripou Jim Corrigan pour innocenter son collègue Crispus Allen, ou le commissaire Akis défiant Batman dans le parking du G.C.PD. après avoir fait retirer le Bat-signal du toit de l'immeuble en affirmant que ses hommes meurent à cause du justicier et de ses ennemis.
Rucka sait aussi écrire avec une admirable subtilité et une étonnante économie narrative le rejet puis le rapprochement du père de Montoya avec sa fille (dont il désapprouve le lesbianisme). Deux scènes lui suffisent pour décrire sobrement mais puissamment ces situations : une vraie leçon de storytelling.
Cela dit, même mineur, The Quick and the Dead démontre que Gotham Central doit surtout être considéré comme un ensemble, une oeuvre globale, qui s'apprécie vraiment au-delà des forces et faiblesses, des pleins et des déliés, des sommets et des creux de chaque arc ou même de chaque épisode.
Il est aussi assez troublant de constater à quel point chacun de ses deux auteurs a marqué son territoire à travers certains des protagonistes : Ed Brubaker s'exprime clairement via Marcus Driver tandis que Greg Rucka a choisi Renee Montoya comme porte-voix. Il a fait d'elle une des héroïnes de comics les plus passionnantes de ces dernières années, en se jouant des clichés (la fliquette déterminée, rongée par une colère intérieure croissante, et homosexuelle) : jamais il ne cède à la facilité en étant complaisant sur l'intimité de la jeune femme ou sur sa caractérisation vis-à-vis des autres personnages.
Mais la contrepartie de ce soin particulier accordé à la détective, c'est qu'on a le net sentiment que cette attention s'effectue un peu au détriment de la série elle-même : Rucka aime tellement "sa" Montoya qu'il néglige le reste du commissariat et le travail de ses agents. C'est visible dans une scène dramatique comme celle où Montoya et son partenaire Crispus Allen négocient avec le Dr. Alchemy pour sauver la vie d'un auute officier du G.C.P.D. : en échange de son aide, le vilain réclame (et obtient) des confidences sur l'intimité de la jeune femme, dont il se moque. Allen est réduit alors à un rôle immérité de figurant.
Le favoritisme de Rucka l'empêche de traiter avec la même rigueur le personnage d'Allen comme tous les autres dès qu'ils apparaissent dans la même scène que Montoya. Il n'est donc pas étonnant que le scénariste ait continué à explorer la progression de son héroïne par la suite, une fois Gotham Central annulé, et The quick and the dead peut être considéré comme le vrai point de départ de la mutation du personnage telle que décrite dans 52 (puis la back-up de Detective Comics/Batwoman) où la policière deviendra le successeur de la Question.
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Malgré ces réserves sur le script, cet album reste indispensable, ne serait-ce que parce qu'il contient les ultimes épisodes dessinés par la paire Michael Lark-Stefano Gaudiano (23 à 25) : ce sont de nouvelles planches superbes, jusqu'à la dernière séquence dans le parking avec Akins et Batman d'une intensité fabuleuse malgré un découpage finalement très simple. Du grand art !
Puis Gaudiano signe un chapitre seul : le résultat n'est pas déshonorant mais un ton en dessous.
Lorsque Kano (puis, pour un épisode, Gary Amaro) vient le seconder à l'encrage, on obtient à nouveau des pages de belle facture, évoquant encore et toujours l'immense Mazzucchelli, dont l'influence graphique hante la série depuis le début.
Dans le recueil suivant (Dead Robin), les rôles s'inverseront avec encore plus de bonheur (Gaudiano encrant Kano). En tout cas, Gotham Central bénéficie d'une cohérence esthétique notable car rare chez DC, où trop souvent les équipes créatives tournent trop fréquemment.
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C'est un peu un volume de transition : décevant peut-être, mais on aimerait être déçu comme ça plus souvent car cela reste tout de même au-dessus de la moyenne... Et surtout la suite (et fin) va prouver que la série a encore beaucoup de belles choses à offrir !