mercredi 21 avril 2010

Critique 144 : BULLET POINTS, de J. Michael Straczynski et Tommy Lee Edwards


Bullet Points est une série limitée en cinq épisodes publiée par Marvel Comics en 2007, écrite par J. Michael Straczynski et dessinée par Tommy Lee Edwards. Conçue dans le cadre de la collection Marvel Knights, cette série examine les conséquences sur l'univers Marvel si le Dr Erskine avait été tué avant de donner à Steve Rogers le sérum du super-soldat qui a fait de lui Captain America et si Ben Parker avait été tué avant que son neveu Peter Parker, alias Spider-Man, ne le connaisse.
*
L'histoire débute le 8 Décembre 1940 lorsque le Dr. Abraham Erskine est assassiné par un espion nazi, en même temps que le soldat censé le protéger, Benjamin Parker, mais avant qu'il ait eu l'opportunité d'utiliser le sérum du super-soldat dans le cadre du Projet : Renaissance (à l'orgine de la création de Captain America).
Ce meurtre annule de fait le Projet et le gouvernement américain active alors son "plan B", le Projet : Iron Man, pour lequel Steve Rogers accepte d'être cobaye. Il subit une lourde opération qui va alors le lier définitivement à l'armure et lui permettre de participer aux combats durant la seconde guerre mondiale. Il est suivi médicalement par le Dr Reed Richards.
Cependant, privé du modèle qu'aurait incarné son oncle Ben, Peter Parker grandit en devenant un adolescent rebelle. C'est ainsi qu'en tombant en panne avec des amis, il part à la recherche d'une staton-service dans une zone désertique servant en vérité pour des tests de l'armée.
Il est témoin de l'explosion de la bombe Gamma qui va l'irradier et, à terme, le transformer en Hulk. Devenu un danger pour la sécurité civile, il ne va pas tarder à croiser Iron Man envoyé pour l'arrêter. Leur affrontement connaîtra une issue tragique.
De son côté, Reed Richards avec Ben Grimm, Sue Storm et Johnny Storm, s'envolent pour l'espace afin d'y étudier l'influence des rayons cosmiques. Mais leur fusée est sabotée et se crashe : Ben, Sue et Johnny sont tués, Reed perd un oeil. Accablé par cet échec, il est abordé par l'agence de contre-espionnage du SHIELD pour en prendre la tête. Il accepte et la transforme en une agence extrèmement efficace, enrôlant Stephen Strange, Tony Stark et Bruce Banner.
Ce dernier, s'estimant responsable de la création de Hulk puisqu'il avait élaboré la bombe Gamma, étudie les conséquences des radiations sur une araignée trouvée sur le site de l'explosion, mais se fait piquer par l'insecte. Il se transforme alors en une créature hybride, mi-homme, mi-arachnée, et après une cavale désespérée, rejoint les rangs du SHIELD.
Qu'est-ce qui peut provoquer la renaissance d'Iron Man, le retour de Hulk, et l'intervention de Spider-Man, du SHIELD et tous les méta-humains de la terre ? Une menace venue de l'espace, mettant en péril la planète entière : Galactus. Les héros de cet univers parallèle en viendront-ils à bout ? Et si oui, à quel prix ?
*
Souvent raillé pour quitter brusquement des séries à succès (parfois contre son gré, à cause de pressions éditoriales - comme sur Amazing Spider-Man ou Thor) ou tardant à achever ce qu'il entreprend (The Twelve), J. Michael Straczynski en étonnera plus d'un avec cette production de seulement cinq épisodes, où libéré de toutes contraintes il nous propose une version alternative de l'univers Marvel.
Bullet Points est d'abord une passionnante relecture de personnages familiers jouant des rôles forts différents de ceux dans lesquels on les connaît. Si le procédé vous rappelle quelque chose, ne cherchez plus : c'est celui des "What if ?" (Et si ?), qui firent les beaux jours de revues comme Spidey chez Lug dans les années 70-80.
Là où JMS tire le meilleur parti de ces variations se situe lorsqu'il réussit à conserver aux protagonistes les caractéristiques qui leur sont propres tout en leur faisant camper le rôle d'un autre. Ainsi, il semble que Steve Rogers soit toujours, quelles que soient les circonstances, un jeune homme sacrifiant tout pour sauver sa patrie, tout comme Bruce Banner reste un scientifique imprudent et payant le prix fort pour cela.
Mais ces variations aboutissent également à des surprises intéressantes comme dans le cas de Peter Parker qui, sans l'influence de son oncle, devient un révolté frappé par le sort et qui consentira à un grand sacrifice pour protéger sa tante d'abord puis sauver l'humanité ensuite.
Toutefois le "cas" le plus intriguant reste celui de Reed Richards à qui JMS donne ici le rôle qu'occupe Nick Fury dans le Marvelverse classique : le savant le plus brillant devient le patron du SHIELD mais surtout un homme hanté par la perte de ses amis, à la fois pragmatique et rongé par ses démons intimes. De toutes les inventions de cette mini-série, c'est sans nul doute celle-ci que j'ai trouvé la plus originale.
Avec Bullet Points, le scénariste parvient à restituer ce parfum d'étrangeté et ce sens de l'intrigue qui a donné son identité aux canons de l'univers Marvel et les a rendus si populaires dans ses premières années. Les héros y montrent du coeur, malgré leurs failles, et JMS excelle dans cet exercice sans recourir à la narration décompressée mais au contraire en conférant une densité épatante à son récit.
Si bien qu'on n'a qu'un regret en vérité, et c'est en quelque sorte un comble : cette version des faits aurait mérité d'être plus amplement exploitée, ou pourquoi pas d'inspirer les auteurs de l'univers classique...
*
La qualité du projet tient aussi à la présence de son illustrateur, un habitué des productions atypiques : Tommy Lee Edwards. Comme pour le 1985 de Mark Millar, il nous offre ici une prestation de haut vol, unique dans son genre : son trait vif, très personnel, hisse le niveau de cette mini-série au-dessus du simple exercice de style pour en faire un livre au graphisme inoubliable.
Il y livrait déjà une vision mémorable de Hulk, à qui il donne une dimension tragique superbe. Travaillant avec des feutres, des marqueurs, au pinceau, il mixe ces techniques frustres avec des traitements informatiques pour la couleur qui n'étouffent jamais la spontanéité de son trait mais installe une atmosphère à la fois sombre et décalée correspondant idéalement à ce genre d'histoires.
*
Bullet Points cache sous son allure anecdotique une grande richesse, soutenue par une écriture précise et un esthétisme incomparable. C'est donc typiquement le genre de bouquin qui, en employant des éléments familiers, vous en offre une (re)lecture saissante.

Aucun commentaire: