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lundi 3 août 2015

Critique 679 : CHIENS DE PRAIRIE, de Foerster et Berthet


CHIENS DE PRAIRIE est un récit complet écrit par Philippe Foerster et dessiné par Philippe Berthet, publié en 1996 par Delcourt.
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Dans une lettre qu'elle écrit à sa fille Janey, Calamity Jane évoque la dernière aventure de son ami J. B. Bone, bandit de grand chemin qui, après un braquage à Ogallala durant lequel son complice Ben Donnegan a été tué, transporte sa dépouille pour l'enterrer auprès de celle qu'il aimait, Alabama Lightingale. 
Martha Jane Canary oublie un des orphelins qu'elle convoie à Rapid City et c'est ainsi qu'au matin Bone se trouve flanqué d'un gamin sourd et muet, Moïse.
Leur voyage est semé d'embûches car la tête de Bone est mise à prix, attirant à ses trousses plusieurs chasseurs de primes dont le redoutable fanatique religieux Salomon Wallace et sa soeur Moïra ou Tulsa Jake Black. Il se dit aussi que dans le cercueil de Donnegan se trouve le magot amassé par les deux malfrats.
Pourtant, à la fin de ce périple sanglant, de stupéfiantes et sordides révélations éclaireront d'un jour nouveau les motivations des Wallace et la situation du petit Moïse tandis que Bone rencontrera son destin...

Dans les années 70, à Bruxelles, plusieurs jeunes futurs auteurs de bande dessinée se rencontrèrent au sein de l'Institut Saint Luc, parmi lesquels Philippe Foerster et Philippe Berthet, formés par Claude Renard puis Eddy Paape. Les deux élèves travailleront une première fois ensemble en 1988 sur l'album L'oeil du chasseur.

En 1994, la carrière de Berthet prend une nouvelle dimension grâce à la série que lui écrit "sur mesure" Yann, Pin-Up. C'est entre les deux premiers cycles de ce titre, en 1996, que Berthet s'accorde une parenthèse en collaborant à nouveau avec Foerster sur un projet qu'il lui soumet : Chiens de prairie, édité par Delcourt.

Pour le dessinateur, c'est un défi car il aborde un genre auquel il n'a jamais touché auparavant, le western, modifie sensiblement son style de dessin, y expérimente un nouveau type d'encrage (à la plume), est colorisé par sa propre épouse (Dominique David).

Trop de changements ? En tout cas, l'album sera un échec commercial que l'artiste admettra avec lucidité, estimant que les fans de Pin-Up ne l'attendaient certainement pas là, ne l'avaient peut-être même reconnu.

Comme Pin-Up, j'avais lu cet ouvrage au moment de sa parution, il y a donc une vingtaine d'années, et j'étais curieux de voir s'il avait bien vieilli, s'il méritait ou non sa sanction. Par ailleurs, j'ai toujours apprécié le western en bande dessinée, c'est même le genre qui m'a fait aimé le 9ème art (avec Lucky Luke, puis plus tard Blueberry, Comanche...). Et j'ai conservé de la bienveillance pour la production de Berthet, dessinateur humble et discret mais accompli, immédiatement identifiable.

Chiens de prairie n'est pas un navet indigne, mais ce n'est tout de même pas bon. C'est assez fidèle au souvenir que j'en avais : un album plus mémorable pour ses auteurs que pour son contenu. Le scénario de Foerster veut fréquemment provoquer le lecteur en accumulant des moments chocs, volontiers glauques, mais l'effet qui en résulte donne justement trop le sentiment d'une écriture facile et complaisante. 

Le personnage de JB Bone qui traîne le cercueil de son ami ne suscite jamais la moindre sympathie : ce n'est pas dérangeant en soi, mais l'effet est forcé et des scènes se produisent gratuitement sans rien ajouter au récit (le sommet du morbide étant atteint quand ledit cercueil dévale une pente rocheuse, libérant le cadavre en putréfaction de Donnegan, que vont récupérer Bone et Moïse dans une nuée de mouches).

De la même manière, Foerster convoque des références historiques et bibliques avec une lourdeur qui devient vite grotesque : le fait que l'histoire soit narrée via une correspondance par Martha Jane Canary n'apporte aucune perspective supplémentaire (pas plus que de citer Wild Bill Hicock en montrant son assassinat), c'est plus un moyen pour introduire Moïse (le gamin surgissant de nulle part aurait fait gagner en mystère à l'intrigue) ; avoir d'ailleurs prénommé cet orphelin Moïse n'est pas d'une grande subtilité ; et la caractérisation des Wallace avec leur lot de perversions (inceste, fanatisme religieux, vengeance) est d'une ridicule achevé.

On comprend bien que Chiens de prairie veut marcher dans les pas de Impitoyable, le western crépusculaire et tellement plus impressionnant réalisé et interprété par Clint Eastwood, mais la comparaison n'est pas flatteuse pour Foerster qui ne parvient jamais à atteindre la puissance dramatique et funèbre du long métrage : son récit ressemble à une pâle copie d'un chef d'oeuvre, comme Durango (la série de Yves Swolfs) singe piteusement les codes du western italien. Il n'y a pas grand-chose à sauver dans ce naufrage.

Que Berthet ait été attiré par le challenge de dessiner un western est évident, même s'il expliquera que la tâche ne fut pas facile, intimidé par ses illustres pairs qui l'ont devancé dans ce genre (Jijé, Giraud). L'artiste a travaillé d'après un scénario dialogué mais non découpé, ce qui lui a permis d'organiser ses pages avec liberté et d'aboutir à de belles compositions. Mais ses efforts tournent un peu dans le vide.

Pour rajouter à ces difficultés, Berthet, pour la première (et dernière) fois, a encré à la plume, technique qu'il maîtrisait mal (alors qu'il utilise le feutre d'habitude). La représentation des personnages s'écartent légèrement du réalisme "ligne claire" de Pin-Up, sans pourtant s'en écarter autant que l'artiste l'estimait (dans un entretien donné à "DBD : les Dossiers de la Bande Dessinée"). Néanmoins, son trait élégant et fluide se prête mal au western où les meilleurs dessinateurs usent de détails abondants, de hachures : là, c'est trop beau, trop propre, trop net, surtout pour une histoire aussi rugueuse, brutale, malsaine. Reste des décors, majoritairement en extérieur, plus réussis.

Rien ne fonctionne dans ce one-shot : relire certains albums n'est pas toujours heureux, ils ont beau être faits par des gens talentueux, on ne peut que constater que leur échec commercial procède d'une cruelle logique.    

mardi 21 juillet 2015

Critique 671 : PIN-UP, EDITION INTEGRALE CYCLE 3, de Yann et Berthet


PIN-UP : EDITION INTEGRALE CYCLE 3 rassemble en un seul volume le tomes 7 à 9 de la série, écrits par Yann et dessinés par Philippe Berthet, publiés par Dargaud.
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PIN-UP : LAS VEGAS est le 7ème tome de la série (et le premier du 3ème cycle), écrit par Yann et dessiné par Philippe Berthet, publié en 2001 par Dargaud.
Cette histoire se termine dans le tome 8.
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Dottie est devenue physionomiste au casino "Flamingo", tenu par Gus Greenbaum, à Las Vegas. En coulisses, les propriétaires de ces établissements, financés par la mafia, s'organisent pour dissuader Hugh Hefner, le patron du magazine de charme "Playboy", de lancer le "Golden Rabbit" dans les murs de l'ancien "New Frontier".
Dottie est harcelée par Frank Sinatra, qui se produit au "Sands", et doit composer avec les accès suicidaires de sa co-locataire, Millicent, fille du défunt parrain Bugsy Siegel, dont le mythique magot caché attise encore les convoitises. 
Sinatra provoque le renvoi de Dottie qui est alors approchée par Pinky, la maîtresse de Hefner, pour devenir la future directrice du "Golden Rabbit". Mais la tâche s'annonce délicate à cause la jalousie de Pinky, les happenings de militantes féministes et les manoeuvres de la pègre...

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PIN-UP : BIG BUNNY est le 8ème tome (et le 2ème du 3ème cycle) de la série, écrit par Yann et dessiné par Philippe Berthet, publié en 2002 par Dargaud.
Ce tome conclut l'histoire débutée au tome 7.
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"Snaky", un GI de retour du Vietnam, assiste aux obsèques de sa fiancée, une des playmates de Hugh Hefner dont l'assassin court toujours. Dottie fait sa connaissance à cette occasion et ils ne tardent pas à devenir amants.
Gus Greenbaum, croyant capturer Dottie, kidnappe Pinky et en profite pour la mutiler afin d'obtenir d'Hefner qu'il renonce à son projet de casino. Au même moment, Virginia Hill, qui fut la maîtresse de Bugsy Siegel et qui gère désormais les affaires d'Hefner à Chicago, arrive à Las Vegas en espérant y retrouver le butin de son défunt amant - ce qui l'opposera fugacement mais violemment à Dottie, qu'elle confond avec Millicent.
"Snaky" fausse subitement compagnie à Dottie quand il apprend à la télé que Jane Fonda participe à une manifestation pacifiste à Los Angeles : il veut la tuer après avoir échoué dans ce projet au Vietnam car il estime qu'elle trahit l'engagement de l'Amérique.
Gus Greenbaum, désormais débarrassé de Hefner, tente de convaincre Dottie de revenir au "Flamingo" mais elle refuse - et pour ne plus être ennuyée, elle le dénonce à la brigade des stupéfiants après l'avoir piégé.
Puis la jeune femme part loin de Las Vegas, après avoir vendu sa voiture à un joueur : direction Hawaï.
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PIN-UP : VENIN est le 9ème tome (et le dernier du 3ème cycle) de la série, écrit par Yann et dessiné par Philippe Berthet, publié en 2005 par Dargaud.
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Dottie réside désormais à Hawaî où, pour se protéger de la mafia, elle circule sous une fausse identité. Pour vivre, elle chasse les serpents aquatiques dont elle extrait le venin revendu à un laboratoire pharmaceutique. Mais cela ne suffit pas à semer la tueuse lancée à ses trousses : Dottie trouve alors refuge parmi une étrange communauté formée par des kanaks adeptes et dessinateurs de tatouages…

Cette troisième Intégrale diffère des deux précédents puisqu'elle ne propose pas un seul récit en trois épisodes mais d'abord un diptyque et un one-shot : c'est là un signe frappant de l'évolution éditoriale de la série après l'accueil critique et public mitigé du 2ème cycle. On notera aussi que si les tomes 7 et 8 ont été réalisés en 2001 et 2002, le tome 9 n'aura été livré qu'en 2005 - désormais le titre ne se déclinera plus qu'en récit complet d'un épisode et à intervalles de plus en plus irréguliers, les auteurs s'engageant dans d'autres projets (nombreux et très inégalement intéressants pour Yann, plus sélectifs pour Berthet).

L'aventure de Las Vegas est une heureuse surprise : on y renoue avec le meilleur de Pin-Up. Le cadre et l'époque étaient parfaitement désignés pour une série comme celle-ci puisque l'intrigue est construite autour du patron du magazine de charme "Playboy" : Hugh Hefner. A la sortie du tome 7, Yann ne cachait pas le plaisir qu'il avait pris à imaginer ce récit et à se documenter sur ce qui le compose (on le comprend, et quand on s'y intéresse à son tour, on découvre que cela dépasse le simple attrait érotique).

Las Vegas, c'est aussi une manière de convoquer toute une mythologie américaine ayant connu une sorte d'âge d'or dans les années 60, avec les casinos, les crooners qui s'y produisaient et les liens que les établissements et les vedettes entretenaient notoirement avec la mafia. Logiquement, Yann fait de Frank Sinatra, figure emblématique de l'époque, un des seconds rôles mémorables de cette histoire en le faisant courir après Dottie : le portrait qu'en dresse le scénariste n'est pas tendre, il préfère mentionner la muflerie du chanteur-acteur que ses talents de performer, et le procédé rappelle le traitement infligé à Milton Caniff et Howard Hughes précédemment. Mais c'est amusant et l'impact sur la trajectoire de Dottie est astucieux.
Frank Sinatra devant la façade du casino "Sands".

Dottie elle-même, si elle ne vieillit miraculeusement pas physiquement, s'est considérablement endurcie depuis sa première apparition et il est évident qu'à travers elle, c'est désormais Yann, le cynique à la langue bien pendue, qui parle, à coups de répliques vachardes, souvent savoureuses. Le contraste entre l'extrême beauté de l'héroïne et son caractère féroce en fait une des créatures les plus irrésistibles et puissantes de la BD moderne : pas besoin dans ces circonstances d'affirmer que les auteurs n'ont pas voulu la réduire à une belle plante, elle n'a peur de rien et calme tous les mâles en quelques mots, quand ils ne sont pas envoûtés par elle.

L'intrigue est très plaisamment développée avec l'ambition d'Hefner (nabab équivalent à Howard Hughes, mais envers lequel Yann se montre bien plus indulgent : n'a-t-il pas déclaré qu'il aurait aimé être soit Walt Disney, soit le boss de "Playboy" ?) de diriger son propre casino en toute indépendance, contre donc la mafia qui avait la main basse sur ces établissements. Le scénario sait rester à distance raisonnable de ce qui aurait été un argument facile pour attirer les lecteurs les plus voyeurs en ne montrant guère les playmates et toutes les parties à la Playboy Mansion, préférant animer une authentique modèle du magazine dans un registre souvent humoristique avec Pinky - qui est inspirée de Barbi Benton (alias Barbara Klein), miss Juillet 1969.
La playmate Barbi Benton, le modèle de Pinky.

A la fin de Big Bunny (référence au jet privé de Hugh Hefner, rebaptisé ici "Bunny One" comme le "Air Force One" des présidents américains), Dottie prend la direction d'Hawaï. Et il faut bien admettre que ce qu'elle va y vivre est moins intéressant, même si le tome 9 conserve une originalité certaine. 

Il est d'ailleurs troublant de remarquer que Pin-Up est une série où le graphisme et les scripts ont évolué de façon inverse : le trait de Berthet n'a cessé de gagner en sensualité, en finesse, avec une colorisation subtile (désormais due à Bernard Denoulet), au point de devenir l'argument de vente principale du titre et de ses dérivés dans le merchandising, quand les histoires de Yann, sont passés de sagas d'envergure à des oeuvres de moins en moins cohérentes, dont Venin est le symbole criant.

En inscrivant sa série dans une temporalité soulignée, au gré des conflits armées et d'autres événements historiques, Yann n'a pas su éviter le piège d'animer une héroïne qui ne vieillit pas physiquement malgré les années qui défilent. De plus, alors que les premiers tomes de Pin-Up séduisaient par leur mélange de fantaisie et de documentation, ce 9ème opus se complaît dans une collection de clichés exotiques pour un récit capillotracté.

Passe encore que Dottie ait été tour à tour ouvreuse de cinéma, modèle pour un comic-strip, épouse d'espion, physionomiste, mais la voilà désormais pêcheuse de serpents. Si on accepte cet aspect complètement invraisemblable, c'est encore assez savoureux, mais sinon, on peut s'interroger sur la tentation parodique de l'auteur.

Encore une fois, c'est visuellement que l'album gagne à être lu : Berthet, aussi à l'aise dans la Sin City que dans les décors paradisiaques des îles de la Polynésie, produit des planches somptueuses où son héroïne irradie. 

Le méchant de l'affaire, très inspiré par le Docteur No de James Bond, ou la rivale manchot sont plus amusants qu'inquiétants, mais le savoir-faire de l'équipe créative suffit à ce que le lecteur tourne les pages sans jamais décrocher.

Et après ? Il y aura la brêve tentative d'une série futuriste, injustement incomprise, Yoni (deux tomes parus), et le spin-off  Les exploits de Poison Ivy. Yann et Berthet attendront 2011 pour revenir à leur Pin-Up, reconvertie en détective amateur, dans un album intitulé Le dossier Alfred H. (comme Hitchcock). 

lundi 20 juillet 2015

Critique 670 : PIN-UP, EDITION INTEGRALE CYCLE 2, de Yann et Berthet


PIN-UP : EDITION INTEGRALE CYCLE 2 rassemble en un seul volume le tomes 4 à 6 de la série écrite par Yann et dessinée par Philippe Berthet, publié par Dargaud.
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PIN-UP : BLACKBIRD est le 4ème tome (et le premier du cycle 2) de la série, écrit par Yann et dessiné par Philippe Berthet, publié en 1998 par Dargaud.
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Francis Gary Powers était aux commandes de son U2 Grevdlosk pour y photographier, pour la CIA, la base russe de Mchanina quand il est abattu en vol. Il s'éjecte de son appareil plutôt que de mourir lors du crash et il est fait prisonnier.
Aux Etats-Unis, le milliardaire Howard Hughes apprend la nouvelle et charge Jeff Chouinard de savoir si Powers a survécu. Le détective lui révèle que le pilote est marié à Dorothy "Dottie" Partington, l'ancien modèle des comic-strips de "Poison Ivy".
La jeune femme est accablée par la disparition de son mari et le comportement de son beau-fils, Rusty, qui la déteste et fugue.
De son côté, Milton, le dessinateur de "Poison Ivy", qui anime désormais la série "Steve Canyon", espère aussi tirer parti de la situation, harassé par sa femme Tallulah et leur fille (prénommée Dottie).
Gary comprend que les russes veulent connaître l'altitude maximale que peut atteindre un U2 afin de peaufiner la portée de leurs missiles, mais s'il a été touché, c'est parce que son engin a été saboté. Par qui ?
Dottie récupère Rusty dans la zone 51, une base militaire du Nevada. Sur le route du retour, ils s'arrêtent au Bates Motel. Dans la nuit, elle est enlevée par plusieurs hommes qui l'emmènent chez Howard Hughes : le milliardaire promet de faire libérer Gary si elle consent à tourner un film et à coucher avec lui...
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PIN-UP : COLONEL ABEL est le 5ème tome (et le 2ème du cycle 2) de la série, écrit par Yann et dessiné par Philippe Berthet, publié en 1999 par Dargaud.
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Dottie a entamé le tournage de l'adaptation des aventures de Poison Ivy produite par Howard Hughes, avec Robert Mitchum comme partenaire.
Le colonel Abel, chef du réseau des espions russes sur le sol américain, confie à Gladys la mission d'éliminer plusieurs de ses éléments soupçonnés de trahir leur pays. Elle loge Hayhanen mais il lui échappe en la blessant.
En Russie, Gary est condamné à une peine de dix ans de prison, au lieu de la peine capitale, grâce à l'influence de Howard Hughes auprès de Khroutchev. Dottie, qui a assisté au procès, rentre aux Etats-Unis, désespérée. Mais l'avion de la TWA à bord duquel elle se trouvait avec Chouinard s'écrase et elle est portée disparue.
Milton, de son côté, s'inspire de la mésaventure de Gary pour le comic-strip de "Steve Canyon", ce qui lui attire les foudres des autorités et sa mise sous surveillance par Gladys...  
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PIN-UP : GLADYS est le 6ème tome (et le dernier du cycle 2) de la série, écrit par Yann et dessiné par Philippe Berthet, publié en 2000 par Dargaud.
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L'agent Hayhanen a négocié son impunité avec la CIA et, en échange, il leur livre le colonel Abel. L'arrestation de ce dernier provoque l'arrivée en Amérique de l'agent Lioubov, précédemment chargée de la garde de Gary (qui a trompé Dottie avec elle), et de Likhoï pour prêter main forte à Gladys dans le "gel" du réseau.
Chouinard, qui a aussi survécu au crash, retrouve Dottie en suivant Milton qu'elle a contactée pour lui demander de l'argent : le détective ne veut plus travailler pour Hughes qui l'a trop humilié mais veut aider la jeune femme qui lui remontait le moral à Iwo Jima via les comic-strips de "Poison Ivy". Mais Angell, le bras-droit de l'enquêteur, le trahit pour empocher la récompense promise par le milliardaire. Dottie réussit à s'échapper et Chouinard se sacrifie pour elle.
Gladys comprend que Lioubov la supprimera quand le réseau sera décimé et préfère se suicider.
Dottie retourne chez Hughes et lui accorde une faveur sexuelle afin qu'il tienne sa promesse de faire rentrer Gary. Mais elle découvre au même moment son mari à la télévision de retour en Amérique et embrassant Lioubov, qui coopère désormais avec la CIA...

Ce deuxième cycle de la série a suscité des commentaires moins flatteurs de la critique et du public, qui l'a d'ailleurs moins acheté que les trois premiers tomes : on a reproché à Yann et Berthet une intrigue trop complexe et une certaine complaisance dans l'exploitation de l'érotisme du titre - blâmes qui ne sont pas complètement infondés, quoiqu'un peu sévères. Mais cela a impacté notablement la série, dont le cycle suivant ne comportera que deux épisodes, rompant aussi avec des éléments et personnages familiers.

Après avoir pris pour cadre la seconde guerre mondiale et les années 40, ces trois nouveaux chapitres se situent entre la fin des années 50 et le début des années 60, au coeur de la guerre froide, lorsque les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et l'URSS étaient au plus mal et qu'un conflit nucléaire menaçait le monde à cause de cela.

Yann ne s'embarrasse pas de précisions sur la politique et le contexte historique, il se contente de l'évoquer à grands traits comme pour inviter/forcer (selon l'humeur avec laquelle on aborde sa méthode) le lecteur à s'informer tout seul de son côté pour en savoir davantage. C'est audacieux mais guère confortable si on n'a pas révisé cette période. Il procède de la même manière, très elliptique, pour disposer ses personnages, et c'est encore plus frustre car on retrouve Dottie dans une situation tout à fait différente de celle où on l'avait quittée à la fin du tome 3 : la voilà mariée à un pilote espion de la CIA avec un beau-fils qui la déteste (alors qu'au terme du cycle 1, elle renouait avec Joe Willys, qui se contente d'une apparition dans ce nouveau récit).

Rétrospectivement, on peut donc comprendre que les fans de la "saison 1" de la série n'aient que peu apprécié cette entrée en matière, et guère plus son développement, menée certes tambour battant mais sans préparation. Le vrai problème qui va se poser ensuite, c'est qu'on a souvent le sentiment de lire moins les nouvelles aventures de l'ex-pin-up, quand bien même son passé lui revient en pleine figure d'une façon perverse, qu'une affaire d'espionnage typique des années 50, avec une collection de seconds rôles inégalement exploités.

Ce qui fonctionnait superbement dans le premier cycle, avec deux ou trois niveaux de narration (la carrière de Dottie, la guerre vécue par Joe, la mise en abyme avec le comic-strip de "Poison Ivy" par Milton), est beaucoup moins fluide ici et de nombreux effets semblent forcés. Le plus notable de ces problèmes réside dans l'utilisation de l'érotisme : quand les trois premiers tomes s'en servaient de manière suggestive, ludique et justifiée ; là, même si Berthet s'en est défendu, on ressent une complaisance certaine quand plusieurs personnages succombent au charme d'autres, aboutissant à des représentations dénudées trop répétitives.

Gary trompe bien vite Dottie avec Lioubov, Milton est toujours aussi obsédé par Dottie (au point d'avoir donné son prénom à sa fille - un artifice lourdingue), Dottie est convoitée par Howard Hughes, a provoqué la mutilation de Chouinard, s'abandonne dans les bras de Gladys... Certaines scènes frisent le ridicule comme l'étreinte entre la pin-up et la tueuse sous la douche. Et sur bien des points, les invraisemblances plombent le récit (Gladys avec son physique de mannequin, noire et russe à la fois). 
Quant à Howard Hughes, même si le personnage était, c'est avéré, aussi névrosé en réalité que ce qu'écrit Yann, il n'est en vérité que la déclinaison du motif libidineux incarné par Milton dans le premier cycle, l'effet de surprise en moins, les machinations et la fortune en plus : il y avait moyen d'employer cette figure mystérieuse et célèbre de meilleure façon, mais le scénariste n'a pas su trouver la bonne distance pour le faire (tout comme sa manière d'employer Milton Caniff en le réduisant à un éternel soupirant pathétique devient embarrassante à cause du mépris qu'il lui inspire - on a le droit de ne pas aimer un artiste, fusse-t-il génial, mais à ce point, ça devient de l'acharnement et ce n'est même plus traité avec humour).

Voilà en somme un des travers de Yann : c'est un conteur très habile, documenté, qui distribue des rôles bien sentis dans des bandes dessinées qui ne manquent que rarement de caractère. Mais c'est aussi un auteur qui ne ménage personne, ni ses créatures, ni ses têtes de turc, ni ses lecteurs (encore moins les critiques), et cela peut vite passer pour une forme de suffisance, qui déteint sur sa production. Pin-Up est certainement un de ses titres les plus aimables, mais il a peu gâché son affaire avec ces trois tomes qui suintent d'une étrange agressivité : on a l'impression d'un type finalement peu satisfait du succès des débuts de sa série et qui s'échine à la rendre antipathique.

Pourtant, quand à la fin du tome 6, toutes les pièces du puzzle sont assemblées et dessinent cette nouvelle saga, on se rend compte que, hormis quelques facilités et une décompression narrative un peu trop visible (effectivement, deux épisodes seulement auraient atténué ces défauts), c'est efficace, original, ambitieux : séduisant donc, malgré tout.

Philippe Berthet ne souffre pas de critique comparable dans sa partie : sa prestation est remarquable et permet d'apprécier de nouveaux atouts. Dès les premières pages de cette histoire, l'artiste affiche d'épatantes dispositions pour représenter les avions, notamment le fameux U2 au centre de l'intrigue. Il ne fait pas que bien le dessiner, il s'en sert comme d'un objet iconique au moyen duquel il effectue des enchaînements inspirés (l'engin de Gary s'écrase, le jouet de son fils Rusty brise le verre d'une vitre).

A plusieurs reprises, Berthet va découper ses planches en jouant sur les transitions spatiales grâce à la lumière qui fait place aux ténèbres, à la ville qui cède la place au désert (de la zone 51) ou la campagne (où se crashe l'appareil de la TWA), de la torture subie par Gary aux assauts sexuels de sa geôlière Lioubov, etc. Tout se meut autour de contrastes forts (la peau blanche de Dottie et celle noire de Gladys, la réalité en couleurs et le noir et blanc du film produit par Hughes, le jour du dehors et l'obscurité de la chambre du milliardaire).

Les cases sont parfois audacieusement placées et détonent avec le découpage classique du premier cycle : par exemple, une scène avec Gary dans une cellule de prison russe est disposée selon un plan général dans lequel sont insérées six vignettes latérales (trois à droite, trois à gauche), signifiant le cheminement de sa réflexion à cet instant et sa réaction. Berthet qui aligne les pages en trois bandes triche avec ses propres règles en en superposant parfois quatre, voire cinq, mais dans une composition d'ensemble qui ne rend pas tout de suite sensible cet empilement. 

Ces constructions graphiques répondent à une narration dont j'ai souligné l'étonnante brusquerie. Mais l'effet est atténué par la représentation des personnages, toujours aussi élégante et racée, avec un trait égal, mais des à-plats noirs plus importants (là aussi en rapport avec l'ambiance plus lourde). Trois femmes dominent la distribution : l'agent Lioubov avec ses cheveux blonds et son visage qui masque à peine le feu sous la glace ; Gladys dont la couleur de peau atypique par rapport à son origine dégage une surprenante délicatesse dans son rôle de tueuse lesbienne ; et bien entendu il y a toujours Dottie, dotée d'une nouvelle coupe de cheveux mais à la classe intacte, avec cette détermination irrésistible.

Ces trois créatures éclipsent les hommes qu'elles croisent, comme le falot Gary (dont on n'arrive jamais à croire qu'il puisse inspirer un tel dévouement chez Dottie), Howard Hughes (trop détraqué et sans nuances pour qu'on éprouve la moindre sympathie à son égard), ou Robert Mitchum ("guest" de luxe mais un peu gadget, et Berthet loupe complètement). Seul Jeff Chouinard (malgré son nom grostesque) sort du lot, avec une évolution intéressante.

Ce deuxième cycle est donc globalement décevant : ses qualités narratives et visuelles ne rattrapent jamais suffisamment ses défauts, même si sa lecture n'est pas déplaisante. C'est la promesse de nouvelles aventures à Las Vegas, annoncées en dernière page du tome 6, qui convainc de suivre encore la Pin-Up la plus craquante de la BD franco-belge.            

lundi 13 juillet 2015

Critique 664 : PIN-UP,EDITION INTEGRALE CYCLE 1 - REMEMBER PEARL HARBOR & POISON IVY & FLYING DOTTIE, de Yann et Berthet


PIN-UP : EDITION INTEGRALE CYCLE 1 rassemble en un seul volume le trois premiers tomes de la série, écrits par Yann et dessinés par Philippe Berthet, publiés respectivement en 1994 et 1995 par Dargaud.

PIN-UP : REMEMBER PEARL HARBOR est le premier tome du premier cycle de la série, écrit par Yann et dessiné par Philippe Berthet, publié en 1994 par Dargaud.
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L'attaque de l'aviation japonaise contre la base américaine de Pearl Harbor le 7 Décembre 1941 déclenche l'engagement des Etats-Unis dans la seconde guerre mondiale.
En Juillet 42, une partie de l'armée américaine combat dans le Pacifique sur l'île de Guadalcanal contre les nippons. Parmi ces soldats loin de chez eux se trouve Joe Willys, dont la fiancée, la belle ouvreuse de cinéma Dorothy "Dottie" Partington l'attend, éplorée, au pays. Ils partagent un tatouage sur l'épaule droite : "R.P.H." ("Remember Pearl Harbor").
Dottie a pour amie Tallulah, brune au tempérament de feu, grande séductrice et entraîneuse au "Yo-Yo Club", qui lui propose de venir y travailler après qu'elle ait perdu son emploi et bientôt sa chambre, dont le propriétaire lui réclame le paiement en nature de plusieurs mois de loyer.
La jeune femme vend des cigarettes au club où elle est courtisée par un aviateur, Earl McPherson, dont elle repousse les avances, avant que Tallulah ne lui présente le dessinateur de comic-strips Milton. Il lui offre de devenir son modèle pour une nouvelle série, destinée à remonter le moral des troupes, "Poison Ivy".
Quand Tallulah et Joe découvrent le nouveau job de Dottie, à plusieurs milliers de km de distance, ils rompent avec elle. Désespérée, elle préfère alors ne plus collaborer avec l'artiste, dont elle est devenue plus que la muse : le fantasme... 
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PIN-UP : POISON IVY est le deuxième tome du premier cycle de la série, écrit par Yann et dessiné par Philippe Berthet, publié en 1995 par Dargaud.
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Dottie, qui a préféré ne plus jouer "Poison Ivy" pour le comic-strip de Milton, a rejoint les rangs des femmes de soldats pour participer à l'effort de guerre dans les ateliers Mitchell où sont construites les forteresses volantes de l'USAF.
Elle apprend par hasard que Tallulah a quitté le "Yo-Yo Club" pour camper la nouvelle héroïne de Milton, "Texas Lady". C'est alors que le colonel Eigrutel du service de propagande de l'armée vient lui demander de reprendre du service auprès de l'artiste. Elle accepte en espérant reprendre contact avec Joe dont elle veut se venger. Tallulah consent à laisser sa place de modèle si Milton l'épouse, ce qu'elle l'oblige à faire car elle entend leur enfant.
Pendant ce temps, Earl McPherson, toujours obsédé par Dottie dont il a fait peindre le portrait sur la carlingue de son bombardier, doit raisonner ses hommes prétendant être victimes d'une malédiction à cause des pin-ups sur leurs avions. Peu après, le pilote est abattu en plein vol...
Fait prisonnier par les japonais, Joe rencontre le dessinateur anglais Ronald Searle puis s'évade. Hospitalisé, il remporte un concours relatif à la publication des strips de "Poison Ivy" dont le prix est une soirée avec son modèle...
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PIN-UP : FLYING DOTTIE est le troisième et dernier tome du premier cycle de la série, écrit par Yann et dessiné par Philippe Berthet, publié en 1995 par Dargaud.
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Après le largage de la première bombe atomique américaine sur Hiroshima le 6 Août 1945 et d'une seconde sur Nagasaki le 9, le japon capitule et la seconde guerre mondiale s'achève.
Dottie n'a plus à poser pour Milton mais doit se résigner à le faire pour le photographe fétichiste Irving Klaw. Amère et sombrant dans l'alcool, elle accepte contre un peu plus d'argent des clichés de bondage encore plus humiliants.
Pendant ce temps, un mystérieux serial killer s'en prend aux filles ayant travaillé au "Yo-Yo Club", détruit dans un incendie. Le photographe à sensations Wee Gee et l'inspecteur Vargas conviennent d'une alliance pour résoudre cette affaire.
Milton, lui, n'a pas renoncé à posséder Dottie et lance à sa recherche Eigrutel devenu détective privé - mais aussi l'amant de Tallulah.
La soeur et assistante d'Irving Klaw, Paula, retrouve Joe Willys, désormais aveugle et clochard, et tente de le convaincre de renouer avec Dottie. Le tueur en série est d'ailleurs sur le point d'attaquer la jeune femme...

Cela faisait un moment que j'avais envie de relire la série Pin-Up et d'en rédiger quelques critiques : c'est un titre que j'ai découvert au moment de sa publication il y a maintenant une vingtaine d'années et que j'ai suivi jusqu'à son huitième tome. Après, un peu lassé et investi dans d'autres BD, j'ai lâché l'affaire, mais il n'est pas dit qu'un jour je ne rattrape pas mon retard (deux autres épisodes sont parus depuis).

J'étais tellement fan à une époque que j'avais fait l'acquisition d'une collection de cartes et d'une lithographie, avant de me procurer le n°21 de la revue DBD (Les Dossiers de la Bande Dessinée) entièrement consacré au dessinateur Philippe Berthet : dans un très long entretien mené par Frédéric Bosser, richement illustré, il revenait sur sa carrière et, bien entendu, une large part était consacrée à la réalisation de Pin-Up.

Le projet a démarré à l'initiative de Yann (alias Yann Le Pennetier), que Berthet fréquentait depuis le début des années 90 : ce scénariste, réputé pour son caractère cynique, est aussi connu pour proposer des idées sur mesure en fonction des artistes avec lesquels il a envie de collaborer. Bien que le dessinateur n'était pas spécialement fan des pin-ups, son talent pour représenter les belles femmes avait tapé dans l'oeil de son ami, qui avait remarqué la métisse du récit complet Halona (1993, chez Dupuis).

Il s'agissait de parler de ces filles qui avaient posé pour figurer sur des bombardiers lors de la seconde guerre mondiale, puis pour des illustrations de calendriers et de publicités, et dont certaines ont connu la célébrité (au cinéma notamment). Qui étaient-elles vraiment ? Comment vécurent-elles cette étrange notoriété ? Nous le découvririons à travers le personnage de Dottie, une "greluche" amoureuse d'un soldat et qui allait obséder plusieurs hommes, voulant ensuite se débarrasser de sa panoplie de pin-up.

Dans ce premier cycle de la série, qui compte trois chapitres, l'action se déroule de 1943 à 1945 et il y est autant question de l'implication des Etats-Unis dans la guerre du Pacifique que du parcours de l'héroïne qui d'ouvreuse de cinéma devient vendeuse de cigarettes dans un club puis modèle pour un dessinateur de comic-strips et un photographe fétichiste. Le scénario possède une envergure romanesque irrésistible, passant de la grande à la petite Histoire, sur un rythme soutenu par des dialogues piquants (un des nombreux talents de Yann, qui a la langue aussi bien pendue que ses héros).

Même si la série ne court pas après un réalisme trop poussé, il est à noter que son auteur la situe précisément, en utilisant une astuce simple mais efficace (les films d'actualité qui étaient diffusés dans les cinémas). Les conséquences du conflit armé sont montrées sans détour avec des soldats américains blessés, mutilés, longtemps dominés par leurs adversaires japonais, dépeints comme des combattants féroces et fanatisés. Yann se fait volontiers plaisir en adoptant le point de vue non pas d'un chroniqueur objectif, reprenant le fil des événements avec du recul, mais tel qu'un scénariste américain l'aurait commenté à l'époque, d'où la description peu nuancée de l'ennemi nippon.

Pourtant, le portrait qu'il dresse des troufions US n'est pas très flatteur non plus : arrogants et obsédés par le sexe, ils sont superstitieux machistes et revanchards. Les hommes ne sont pas sympathiques dans cette série où les personnages féminins dominent la scène. Cela n'empêchera pas un malentendu durable entre une partie du public, de la critique, des vendeurs et les auteurs car Pin-Up fut longtemps considéré comme une série essentiellement érotique, voire pornographique, vulgaire - et donc rangés dans les rayons des BD pour adultes !

Pourtant, il est évident que ni Yann ni Berthet n'ont voulu produire une oeuvre racoleuse ni profiter du buzz autour des pin-ups : tous les épisodes de ce premier cycle (et des suivants) dégagent un parfum coquin inoffensif, au charme rétro, qui ne départit d'une exigeante élégance - rien de tendancieux ni dans la démarche ou le résultat final mais bien plutôt un hommage aux femmes, à leur beauté et aussi à leur détermination. 

L'évolution de Dottie témoigne de l'originalité de l'entreprise puisqu'elle passe de la vraie gourde à la femme de tête, éprouvant des sentiments de midinette avant de devenir cynique, éprouvée par de multiples épreuves qui forgeront son caractère et lui donneront un relief comparable à ses affolantes courbes. On comprend tout à fait pourquoi elle rend les hommes fous tout en étant touché par les humiliations, les dangers, qu'elle traverse.

L'intérêt de cette figure et de ses péripéties se double d'un récit dans le récit, une sorte de méta-texte très malin quand Dottie devient Poison Ivy, la créature (rebelle) de Milton, dont les strips sont un commentaire à la fois absurde et fantasmatique de la guerre militaire et sexuelle qui agit les hommes. Yann et Berthet ponctuent leur histoire avec les aventures de Poison Ivy qui forment un ensemble parallèle à l'intrigue principale, lequel obtiendra un tel succès auprès des fans qu'il incitera les auteurs à en concevoir des inédits pour l'édition intégrale du cycle 1. La manière dont, par ailleurs, ils concluent ce dispositif est une merveilleuse trouvaille narrative.

Les strips fournissent aussi l'occasion à Yann d'évoquer le modèle qui a servi au personnage de Milton : Milton Caniff, le célèbre auteur de Terry et les pirates, Steve Canyon et Male Call (cette dernière bande ayant été réalisée dans le cadre de l'effort de guerre pour soutenir les soldats américains au front). Physiquement, Berthet s'est inspiré de l'artiste et Yann l'a doté d'un caractère odieux, d'une muflerie jubilatoire, qui évite tous les pièges de l'éloge panégyrique : savoureux et iconoclaste.

Les dessins de Berthet sont magnifiques : à l'époque où il s'engage dans la série, il est déjà dans le métier depuis une dizaine d'années et une quinzaine d'albums (dont les séries Le Marchand d'idées et Le Privé d'Hollywood) et a été formé par Eddy Paape (le dessinateur de Luc Orient, Jean Valhardi), mais son style s'inscrit davantage dans la ligne claire à tendance réaliste.

L'évolution de son trait est subtile au fil des trois tomes de ce premier cycle, et pour la saisir, il faut connaître la façon dont Berthet adaptait visuellement les scripts de Yann. Comme il l'a expliqué à DBD, au début, il recevait en plus du découpage écrit un autre dessiné de manière humoristique très expressif destiné à le guider. Mais cette méthode, si elle encadrait le déroulement de l'histoire, bloquait aussi l'artiste qui demanda à procéder différemment assez vite. Il obtint alors de pouvoir découper graphiquement lui-même le script (jusqu'à prendre ensuite des libertés avec les indications de mise en scène et des cadrages).

De fait, dans un premier temps, on peut observer que Berthet produit des planches avec un nombre de plans élevé (jusqu'à une douzaine). Durant le tome 3, la moyenne a sensiblement baissé (8-9 plans), donnant des images aux compositions à la fois plus aérées et atmosphériques (notamment avec des scènes nocturnes aux à-plats noirs plus présents). La variété des angles de vue, de valeurs de plans, se fait croissante au fur et à mesure, et les décors traduisent la tonalité plus sombre de la fin de l'aventure.

Les personnages ont toujours une allure folle sous le crayon, encré au feutre, de Berthet : ses hommes ne manquent pas de classe, exhalant une virilité à l'ancienne qui colle bien avec l'époque où se déroule l'action. Mais bien sûr, ce sont les femmes qui sont les plus inoubliables : Tallulah est l'incarnation de la garce revenue de tout, manipulatrice, visiblement inspirée par Joan Crawford, l'archétype de la brune vénéneuse. Et puis il y a Dottie, sublime rousse, digne de Rita Haymorth et Maureen O'Hara, mélange parfait d'ingénuité et d'érotisme, dont la silhouette devient outrageusement sexy en brune Poison Ivy inspirée de Bettie Page. Pourtant, Berthet réussit l'exploit de ne pas en faire qu'une créature désirable et l'anime avec raffinement, ses scènes dénudées ne sombrant jamais dans le voyeurisme.      

Les couleurs, également en à-plats, de Topaze participent au charme unique de la série en lui donnant une palette dominée par les teintes chaudes (des camaïeux orange, jaune, brun, rouge) culminant sensuellement et dramatiquement à la fin du cycle lorsque l'identité du serial killer est révélée.

Cette première Intégrale permet de (re)découvrir une série qui a fait date - au point d'être, un peu comme les pin-ups sur les bombardiers de la compagnie d'Earl McPherson, une quasi-malédiction pour Yann et Berthet dont tous les autres projets communs (Yoni ; Les exploits de Poison Ivy) n'ont jamais connu de semblables succès !