vendredi 31 mars 2023

ACTION COMICS #1053, de Philip Kennedy Johnson et Rafa Sandoval, Dan Jurgens et Lee Weeks, Leah Williams et Marguerite Sauvage


Ce mois-ci, Action Comics se déleste de sa première back-up story puisque c'est le dernier volet de Power Girl Reborn (qui reviendra dans un n° spécial) par Leah Williams et Marguerite Sauvage et qui sera remplacé le mois prochain par Steel Engineer of Tomorrow. La série-titre continue son intrigue sur un rythme toujours soutenu, tandis qu'on se régale surtout avec Lois & Clark 2 grâce au dessin de Lee Weeks.



- ACTION COMICS (Philip Kennedy Johnson/Rafa Sandoval) - John Henry Irons est attaqué par les nécro-drones de Metallo au siège de SteelWorks, mais l'un d'eux est capturé vivant après avoir blessé Supergirl. Metallo comprend, lui, que ce n'est pas sa soeur Tracy qui communique avec lui. Et Jon Kent doit composer avec Otho et Osul alors qu'une manif de Blue Earth a lieu...
 

On n'a pas le temps de s'ennuyer avec l'intrigue concoctée par Philip Kennedy Johnson, construite sur des scènes courtes et rapides, qui multiplient le problèmes pour Superman et sa super-famille, entre les assauts de Mentallo et ceux du mouvement Blue Earth. 

Toutefois, ce morcellement de l'histoire finit par devenir de plus en plus frustrant - est-ce parce que ce découpage rompt avec la tradition des épisodes de 20 pages/mois ? Sans doute. Mais aussi parce qu'on a l'impression d'assister un peu à une sorte de zapping où les personnages n'ont pas le temps d'être creusés, où les événements sont survolés. A surveiller.

En revanche, rien à redire concernant la partie graphique où Rafa Sandoval et son coloriste Matt Herms accomplissent un excellent boulot, très énergique, avec des scènes d'action très percutantes. Mais aussi des moments qui reposent davantage sur les ambiances (entre Metallo et "Tracy"), très intenses. 

C'est solide mais un chouia trop fragmenté.


- LOIS & CLARK 2 (Dan Jurgens/Lee Weeks) - Superman parti secourir Jon, revient en catastrophe à la ferme où Lois est surprise par Lloyd Crayton/Doombreaker. Jon, lui, a disparu avec la princesse Glyanna, reconduite sur P'luhnn par le robot lancé à ses trousses...

On ne va pas se le cacher : même si Lois & Clark 2 n'est pas désagréable à lire, c'est d'abord pour les dessins, somptueux, de Lee Weeks, superbement mis en couleurs par la géniale Elizabeth Breitweiser, qu'on lit ce titre. Encore une fois, la maîtrise de l'artiste pour la narration transcende un script très banal de Dan Jurgens.

L'idée même de revenir sur le séjour des Kent avec leur fils à la ferme (comme au tout début de l'ère Rebirth) donne le sentiment d'une histoire gadget, juste là pour nous rappeler l'adorable gamin que fut Jon Kent (avant que Bendis ne le fasse précocemment vieillir). Jurgens ajoute donc une historiette à cette période, en faisant référence à Doombreaker (créé à l'occasion des 30 de la parution de La Mort de Superman, écrite par... Jurgens - on n'est jamais mieux servi que par soi-même).

J'aurai préféré un exercice moins nostalgique et sentimental - surtout pour Weeks, dont je rêve que Tom King lui écrive une mini-série pour le DC Black Label.


- POWER GIRL REBORN (Leah Williams/Marguerite Sauvage) - Après avoir tenté de traiter Beast Boy et Supergirl, Omen a l'idée de faire appel à Jon Kent pour qu'elle et Power Girl sondent son cerveau. Elles vont y découvrir qui mène ses attaques contre leurs patients...

En revanche, j'aurai bien aimé que se poursuive Power Girl Reborn, modèle de back-up story fondée sur des personnages redéfinis de manière intelligente et une intrigue accrocheuse. Leah Williams a réussi en trois petits épisodes à me captiver avec le duo Omen-Power Girl reconvertis en thérapeutes pour super-héros. L'identité du méchant qui s'attaque à leurs patients pour atteindre PG fait son petit effet et renvoie aux meilleures aventures de la JSA.

Qui plus est, c'est toujours un plaisir de lire les planches merveilleusement belles de Marguerite Sauvage, qui représente les plongées dans l'esprit avec une imagination visuelle débridée et d'une élégance folle. Sauvage mérite vraiment plus de crédit, mais, je ne sais si c'est son choix de ne pas se fixer sur une ongoing ou un manque de confiance des editors qui la sollicitent, elle ne reste jamais suffisamment longtemps pour qu'on profite durablement de son talent.

Cette histoire se poursuivra dans un n° spécial Power Girl, par la même équipe créative, de 50 pages, à paraître fin Mai. Je serai au rendez-vous - en espérant que DC, Williams et Sauvage n'en resteront pas là.

jeudi 30 mars 2023

THE AMBASSADORS #1, de Mark Millar et Frank Quitely


C'est déjà un énorme carton puisque, à peine sorti, le premier épisode de The Ambassadors est déjà sold out ! Mark Millar a encore fait parler la poudre avec son nouveau projet, une mini-série en six épisodes, avec à chaque fois un artiste de premier plan différent au dessin. A commencer par Frank Quitely, de retour après six ans d'absence (dont deux rien que pour compléter ce chapitre !).


Le gouvernement américain avait développé durant la guerre froide un programme pour créer un Superman, d'abord pour la propagande, puis plus sérieusement, pour intimider les russes. Aujourd'hui, une chercheuse sud-coréenne, Choon-En Chung, a décrypté le super-génome et acquis des super-pouvoirs, mais elle ne veut pas partager sa découverte avec une armée, préférant assembler sa propre équipe, avec des membres qui le méritent...


2023 sera une grosse année pour le Millarworld, avec dans le viseur le premier event/crossover indépendant du scénariste, Big Game (qui sera dessiné par Pepe Larraz et sera publié cet été). Avant cela, le quatrième volume de The Magic Order sera achevé, et depuis hier débute The Ambassadors.


En vendant ses créations passées et à venir à Netflix, Mark Millar explique qu'il a pu se mettre à l'abri financièrement tout en continuant à développer des concepts pour la plateforme de streaming. En analysant le marché de son employeur, il a compris qu'il y avait des territoires à conquérir, des lecteurs à séduire, des histoires différentes à concevoir. C'est la base de The Ambassadors.


Ainsi les Etats-Unis ne sont plus devenus qu'une partie comme les autres du monde, et Millar a saisi qu'il y avait un lectorat considérablement négligé par les comics, dans les pays d'Asie, d'Afrique, d'Amérique du Sud, d'Europe. En termes plus concrets, cela signifie que les héros de ses histoires n'ont plus besoin d'être seulement nord-américains. Et c'est tout un nouveau champ des possibles qui doit être exploité.

Exposé ainsi, on se dit qu'il ne s'agit plus vraiment d'art, de BD, mais de commerce. Mais on peut rétorquer que les comics n'ont jamais distingué le lecteur du consommateur, et que les mangas doivent leur succès croissant et écrasant à ce refus de différencier les deux catégories. Millar, qui avoue lire désormais plus de mangas que de comics, l'a intégré et en fait la matrice de The Ambassadors.

Ainsi on peut envisager que si, aujourd'hui, les super-héros devenaient une réalité, ils n'apparaîtraient pas forcément aux Etats-Unis, mais plutôt en Asie, plus exactement en Corée du Sud comme c'est le cas ici, grâce aux ressources colossales d'une femme d'affaires et chercheuse qui aurait décrypté un super-génome, comme l'héroïne Choon-En Chung.

Lorsque celle-ci révèle sa découverte au monde, cela intervient après un flashback qui ouvre l'épisode où on plonge dans des documents datant de la guerre froide quand les américains fabriquaient une propagande pour impressionner les russes en faisant croire à la naissance d'un Superman, puis ensuite quand un programme scientifique tenta de créer un authentique surhomme. Aujourd'hui, la rumeur court que ce rêve est en passe de devenir réalité et qu'une base secrète abriterait cet achèvement.

Mais le plus surprenant reste à venir quand Choon-En Sung explique qu'elle n'entend pas partager ses pouvoirs avec une armée ou un pays : son projet, c'est de recruter cinq individus dans le monde en les jugeant sur leur mérite à recevoir des super-pouvoirs et à aider leur prochain...

Maître dans l'art de la formule marketing, Millar a présenté The Ambassadors en disant que c'était Willy Wonka (le héros de Charlie et la chocolaterie, le roman de Roald Dahl) chez les super-héros. Et c'est littéralement ça, tel qu'écrit dans un dialogue. L'approche est savoureuse, roublarde et efficace en diable. L'épisode se lit sans temps mort, on est immédiatement accroché, c'est un concentré de tout ce qu'on aime (ou déteste) chez Millar. Mais reconnaissons-lui au moins une chose : le bonhomme sait vendre ses histoires. Et il sait aussi les écrire.

Millar, c'est aussi un formidable aimant à artistes. Qui n'a-t-il pas séduit, avec ses avantageux contrats (qui garantissent à chacun la moitié des bénéfices) et ses pitchs imparables ? La liste des six dessinateurs attachés à cette mini-série a de quoi impressionner : Karl Kerschl, Travis Charest, Olivier Coipel, Matteo Buffagni et Matteo Scalera. Et pour commencer en force : Frank Quitely !

Depuis six ans (et la fin du deuxième volume de Jupiter's Children), le génial Quitely se faisait très (tgrop) discret, ne gratifiant ses fans que de quelques variant covers par-ci, par-là. Pourquoi en faire plus quand on a, grâce à Millar, de quoi voir venir ? Le scénariste travaille sur ce projet depuis 2018 et il a suivi toutes étapes, en donnant le temps nécessaire à chacun de ses collaborateurs pour travailler leur épisode, réécrivant des scènes au besoin (chose qu'il ne fait d'habitude jamais).

Quitely a révélé avoir commencé à dessiner ce numéro durant le premier confinement en 2020, et, lui aussi, pour la première fois, a pu profiter du luxe de recommencer des planches entières quand il n'était pas satisfait à 100%, en assumant l'encrage et même la colorisation (avec son fils Vincent). 

N'en doutez pas : le résultat est à la hauteur. On retrouve tout ce qu'on adore et admire chez ce génial dessinateur, ses compositions de plans incroyablement chiadées, ce découpage au cordeau, les personnages expressifs jusque dans les moindres nuances, des designs d'une méticulosité maniaque. Mais même en s'y attendant, on reste bluffé, comme, par exemple, par l'art incroyable de Quitely à suggérer le mouvement, les impacts, sans aucun trait de vitesse. Par la finesse ahurissante du trait, qui se lit dans les décors, les véhicules, les figures. C'est franchement à tomber à la renverse.

Il est toujours délicat à la fois de crier au chef d'oeuvre seulement après un épisode et aussi parce que Millar ne prétend jamais réinventer la roue (mais plutôt délivrer le divertissement ultime). N'empêche, The Ambassadors démarre puissamment, et vu ce que promet la suite, avec les artistes qui vont défiler, difficile de ne pas s'emballer.

mercredi 29 mars 2023

DARK KNIGHTS OF STEEL #10, de Tom Taylor et Yasmine Putri


Désormais publiée bimestriellement jusqu'à son dernier épisode (ce qui nous projette en Juillet prochain), Dark Knights of Steel se rappelle à notre souvenir comme une histoire qu'on oublierait presque dans le flot des sorties. Mal éditée donc, la saga de Tom Taylor et Yasmine Putri reste toutefois une bonne lecture.


L'écuyer de Maître Bruce, Alfred, a révélé sa véritable nature : il est un martien, celui désigné par la prophétie de John Constantine comme l'Homme Vert, susceptible de provoquer le chaos. Appelé à raconter son histoire, J'onn J'onzz se défend en accusant son compatriote, le martien blanc, Protex, comme celui dont il faut vraiment se méfier...


Il y a quelque chose de regrettable dans la manière dont Dark Knights of Steel a été édité. Dans l'organigramme des comics, il y a un poste-clé, celui de l'editor, qui est en quelque sorte chargé de veiller à la production des séries. Il sert de correcteur auprès du scénariste, de superviseur auprès de l'artiste, et veille à ce que les épisodes sortent à l'heure dans un calendrier validé par la maison d'édition.


Le DC Black Label permet aux auteurs une plus grande souplesse dans les délais de production, et on peut mesurer le sérieux des editors des titres à la manière dont il organise la mise sur le marché des épisodes. De ce point de vue, The Human Target, de Tom King et Greg Smallwood, a été un exemple, puisque pour permettre à Smallwood de dessiner tranquillement les six derniers épisodes, un break de six mois dans la parution fut décidé et le lecteur était prévenu.


Mais il faut bien reconnaître que la plupart du temps, une telle anticipation n'est pas à l'oeuvre et régulièrement les mini-séries du DC Black Label commencent à sortir ponctuellement puis accumulent les retards. Du coup le lecteur se sent, légitimement, frustré, attendant chaque nouvel épisode sans trop savoir quand il sera disponible.

De ce point de vue, Dark Knights of Steel, c'est du grand n'importe quoi : songez que le n°1 est sortie en Novembre 2021, le 6 en Avril 2022, mais le 7 était dans le bacs en Novembre 2022, et depuis le rythme est devenu bimestriel. Quelqu'un chez DC a cru que Yasmine Putri (dont c'est la première grosse bande dessinée après s'être fait un nom comme cover artist) allait tenir un rythme mensuel sans problème alors qu'elle n'a jamais été capable de livrer plus de trois épisodes d'affilée. Du coup maintenant on a compris qu'il fallait lui laisser deux mois pour ne pas avoir recours à un fill-in artist...

Là où le bât blesse, c'est que le scénario de Tom Taylor comptait visiblement sur un rythme de parution régulier quand on voit le nombre de coups de théâtre qu'il contient, mais c'est devenu impossible à mesure que les épisodes prenaient du temps à être complétés. Aujourd'hui, on ne lit plus Dark Knights of Steel comme une série palpitante mais plutôt comme un tortillard qui se traîne, qui n'en finit plus de finir, avec des rebondissements qui surviennent comme si l'auteur les inventait pour alimenter une intrigue interminable.

Bien entendu, ce n'est pas le cas, Taylor avait sûrement prévu de raconter son histoire telle quelle, avec ces péripéties, mais force est d'avouer qu'une bonne partie du plaisir s'est évanouie avec les retards accumulés. C'est désolant.

Je ne veux pas donner le sentiment d'accabler Yasmine Putri car l'artiste a toujours produit des épisodes de haute volée, bien meilleurs que ceux de ses suppléants, et finalement si elle a besoin deux mois pour compléter chaque chapitre, c'est un moindre mal. Mais l'editor, dont c'est le métier, aurait dû le prendre en compte dès le début et organiser la parution à ce rythme d'un épisode tous les deux mois. Le lecteur s'y serait habitué et la série n'en aurait pas tant pâti.

Pour en revenir au contenu de cet antépénultième épisode, Taylor reprend donc sur la révélation de la véritable identité d'Alfred, qui dans son histoire, est donc J'onn J'onzz le martien. Une des particularités de ce "Elseworld" tient au fait que des personnages familiers ne sont pas/plus ce qu'ils sont dans la continuité. Ainsi le méchant Green Man est Lex Luthor devenu aussi dément que le Joker avec en sa possession un anneau de Green Lantern, ou Etrigan le démon est Ra's Al Ghul. Et donc Alfred Pennyworth, écuyer du seigneur Bruce Wayne, est donc le limier martien.

Une grosse partie de l'épisode revient sur ses origines et à son arrivée sur Terre, dans des circonstances légèrement différentes que celles qu'on connaît (plus dé téléportation par le Pr. Erdel, mais toujours le massacre des martiens verts par les martiens blancs). Taylor lie tout cela à la prophétie de John Constantine sur l'Homme Vert qui apportera le chaos entre les royaumes et c'est habile à défaut d'être fluide. Tout comme il agrège l'alliance entre la maison El, la maison Pierce et les amazones autour d'un ennemi commun. Sans oublier le renfort de Poison Ivy.

Tout est désormais en place pour les deux prochains et derniers épisodes qui promettent un conflit entre Protex et son commando de martiens blancs et cette coalition née sur les morts de Jor-El, Jefferson Pierce et Hippolyte. Yasmine Putri nous régalera, à n'en pas douter, avec des planches magnifiques et Tom Taylor a toutes les cartes en main pour un dénouement spectaculaire. Il ne reste plus qu'à prendre notre mal en patience...

mardi 28 mars 2023

THE MAGIC ORDER 4 #3, de Mark Millar et Dike Ruan


Avec ce troisième épisode du quatrième volume de The Magic Order, on atteint la moitié de l'arc en cours. Mark Millar en profite pour faire une sorte d'interlude, où il revient sur les origines d'un des personnages secondaires de la série mais déterminant pour la suite. Dike Ruan produit ses meilleures pages à cette occasion. Tout est là pour passer un bon moment. Mais alors pourquoi reste-t-on frustré ?


Cordelia Moonstone et Francis King sont faits prisonniers dans le royaume de Kolthur et durant le trajet qui les mène à la capitale, Skull City, un autre passager, qui les a reconnus, leur raconte ce qu'il sait d'eux et du maître des lieux, Perditus Moonstone, arrivé là bébé en échange de l'ancien monarque...


Et si le problème de ce quatrième volume de The Magic Order tenait dans le fait qu'il a été publié trop tôt, trop vite ? Je sais qu'il n'est pas commun de se plaindre qu'un comic-book paraisse vite parce qu'on se lamente plutôt quand une série connaît des retards. Mais cette impatience des lecteurs ne se retourne-t-elle parfois contre eux et ce qu'ils lisent ?


C'est mon sentiment en ce qui concerne cet avant-dernier acte de The Magic Order, qui a démarré dans la foulée du précédent. On n'a pas eu le temps de souffler, de digérer les événements du volume 3 que déjà Mark Millar nous servait sur un plateau la suite. Et je crois que c'est un problème.


Entre le volume 1 et le 2, il s'était écoulé deux années, de quoi faire. Quelques mois à peine ot en revanche séparé les volumes 2 et 3. Et un petit mois entre le volume 3 et ce 4. On peut y voir une volonté de la part de Millar, d'Image Comics (et de Netflix, puisque c'est désormais le propriétaire du Millarworld) de ne plus jouer la montre, de prouver que la saga su scénariste file tout droit vers sa conclusion. En même temps, à l'heure où j'écris ces lignes, Millar n'a toujours pas annoncé ni l'identité de l'artiste qui dessinera le cinquième volume ni quand celui-ci sera publié (on sait juste en vérité que l'auteur l'écrivait encore au mois de Décembre dernier).

Mais avec cette accélération de la parution des volumes est venue une envie croissante d'en savoir plus, plus vite, de voir plus grand, plus fort. Millar est contraint désormais de lâcher les chevaux, de ne plus se brider, il faut qu'il lève le voile sur des mystères, qu'il créé des rebondissements, des péripéties à un rythme plus soutenu, pour conserver l'attention des fans. Alors qu'auparavant, il se permettait de nous faire attendre, mais aussi nous permettait de fantasmer sur ce que The Magic Order réservait.

Ce fantasme a disparu et on doit à présent compter sur l'imagination de Millar pour nous épater sans tarder. Et l'artiste qu'il choisit pour dessiner chaque volume doit se montrer aussi impressionnant, sinon plus que ses devanciers. Après Olivier Coipel, Stuart Immonen nous avait rassurés, et après Immonen, Gigi Cavenago s'était surpassé. Mais Dike Ruan est-il à la hauteur ?

Ruan est encore un jeune artiste, prometteur, une star en puissance, mais certainement pas un dessinateur aguerri comme Coipel, Immonen et Cavenago. Ses planches sont séduisantes, mais un examen attentif laisse apparaître des carences absences chez ceux qui l'ont précédé, notamment dans le traitement des décors, souvent négligés (ce qui arrivait aussi à Coipel sur la fin de ses épisodes).

Je ne veux toutefois pas accabler Ruan, parce qu'il a dû quelquefois regarder derrière lui avec une pression certaine : on ne succède pas à Coipel, Immonen et Cavenago sans être intimidé, sauf à être suffisant. Et par ailleurs, même en étant fan de Coipel et Immonen, je dois dire que Cavenago est celui des quatre artistes ayant oeuvré sur ce titre qui m'a le plus soufflé.

Quoiqu'il en soit, The Magic Order me frustre avec ce volume 4. C'est difficile de dire ce qui coince, c'est une impression diffuse mais tenace, comme si la série avait du mal à trouver un nouveau souffle, que sa narration était plus hachée, que tout ne se mettait pas en place avec autant de fluidité, d'efficacité. Et à cet égard, ce troisième épisode résume bien le malaise.

Millar fait le choix, risqué, de mettre sur pause l'intrigue pour revenir sur le sort de deux personnages, l'un hors-champ, l'autre attendant encore d'apparaître. Cette espèce d'origin story liant Perditus Moonstone et l'oncle Edgar avec le royaume de Kolthur en arrière-plan n'est pas inintéressante, Millar est asse malin pour nous entraîner là où il le veut. Mais bon, on ne termine pas l'épisode bouche bée. Au contraire, tout ça retombe trop bien sur ses pattes. C'est bien fait, mais convenu.

Par ailleurs, on sait que ce volume 4 ne résoudra rien de crucial, puisque désormais toute la série fonctionne par étapes pour s'achever au volume 5. D'une certaine manière, là encore, c'est une conséquence de la parution plus rapide des arcs narratifs : Millar ne peut plus guère surprendre de façon décisive avant le grand final, sinon en brûlant des cartouches (par exemple en tuant Cordelia, ce qui serait énorme mais improbable et sûrement fatal à la série).

Dans son malheur, la série a quand même une opportunité : puisqu'on ignore qui dessinera le prochain volume et quand celui-ci sera publié, mais pas de manière aussi rapprochée que les deux derniers, cette fois on aura plus de temps pour digérer ce qui s'est passé sur les douze derniers numéros, plus de temps aussi pour phosphorer sur le bouquet final. Mais Millar a intérêt à convaincre un sacré artiste de conclure sa saga et à avoir encore de grosses cartouches à tirer pour ce dénouement, sinon la désillusion guette.

lundi 27 mars 2023

DAISY JONES & THE SIX sonne faux


Daisy Jones & The Six est l'adaptation du roman du même nom de Taylor Jenkins Reid par Scott Neudstader et Michael H. Weber. Les dix épisodes ont été diffusés sur Amazon Prime ce mois-ci et imaginent le destin du "plus grand groupe du monde" de la fin des années 1960 à la fin des années 70, à l'occasion d'un documentaire revenant sur sa dissolution. Hélas ! Le résultat ne convainc guère...


A ma droite : les Dunne brothers, un groupe de rock de Pittsburgh fondé par Billy et Grahma Dunne, avec leurs amis Eddie Roundtree et Warren Rojas, avant le recrutement de la claviériste Karen Sirko. Ambitieux mais sans relations dans le milieu musical, ils gagnent los Angeles sur le conseil de Rod Reyes, un tourneur professionnel, et s'aguerrissent en se produisant dans des clubs.


A ma gauche : Margaret "Daisy" Jones, fille unique et non désirée par ses parents, poétesse depuis l'adolescence, et guitariste folk. Elle aussi quitte Pittsburgh pour tenter sa chance à Los Angeles où elle co-loue un appartement avec Simone Jackson, une choriste. Elle tape dans l'oeil de Teddy price, un producteur reconnu, mais sans vouloir faire aucun compromis sur ses compositions, ce qui la prive de meilleurs opportunités.


Price, abordé un soir par Billy Dunne, auditionne les Dunne brothers mais, malgré leur potentiel, sent qu'il leur manque quelque chose pour décoller. Il a alors l'idée de leur présenter Daisy Jones pour qu'elle améliore les paroles de leurs chansons, puis pour devenir la chanteuse du groupe aux côtés de Billy.


La cohabitation est tendue car Daisy et Billy sont deux leaders nés mais aussi aprce qu'ils partagent des addictions à la drogue et à l'alcool. Billy se reprend en suivant une cure de désintoxication après son mariage avec la photographe Camila Alvarez, qui donne naissance à leur fille. Mais lorsqu'il veut réintégrer le groupe, il se heurte à ses partenaires qui conteste son autorité et surtout aux tourneurs qui ne font pas confiance à un ex-junkie.


Teddy engage Rod Reyes pour organiser des concerts pour Daisy Jones & the Six. La sortie d'un premier single à succès les remet en selle. Ils entrent en studio pour enregistrer leur premier album, mais à la fin des sessions, Daisy part en Grêce pour se sevrer à son tour. Rejointe par Simone, qui a percé à New York en se lançant dans le disco, elle se marie, résolue à abandonner sa carrière musicale, puis revenant sur sa décision, soutenue apr son époux, un oble irlandais.


L'album du groupe fait un carton, les salles dans lesquelles il joue sont remplies. Mais des tensions entre ses membres, notamment à cause des rapports toujours troubles entre Daisy et Billy, vont finir par faire éclater la formation lors d'un concert dans un stade à Chicago...


En matière de fiction sur un groupe de rock qui connaît la gloire, une référence s'impose : il s'agit de Presque Célèbre (Almost Famous) de Cameron Crowe, sorti en 2000, inspiré par la propre expérience du cinéaste, qui fut auparavant reporter pour "Rolling Stone magazine". Tout est parfait dans ce long métrage, le plus réussi de la filmographie de Crowe, depuis le récit épique et intime à la fois jusqu'à la bande-son extraordinaire en passant par le casting.


Daisy Jones & the Six a d'abord été un roman avant d'être adapté en série pour Amazon Prime. Paru en 2018, le livre de Taylor Jenkins Reid a été un best-seller et on comprend que cette histoire ait intéressé les showrunners Scott Neustader et Michael H. Weber, qui ont convaincu James Ponsoldt (The Spectacular Now) d'en réaliser la majorité des dix épisodes.


Située dans les fantasmatiques années 1970, quand les rock-bands comme Led Zeppelin triomphaient, juste avant l'éclosion du disco et du punk, l'histoire reprend les clichés d'une époque où, comme dans Presque Célèbre, tout était démesuré : la taille des salles de concert quand il ne s'agissait pas de stades, la durée des morceaux, la folie des groupies, le mode de vie sex, drugs & rock'n'roll des musiciens. Encore aujourd'hui, cela est vu comme une sorte d'âge d'or, même si le revers de la médaille était cruel avec les excès dus à la drogue et l'alcool, les morts prématurées liées à leur consommation.


Alors pourquoi, malgré la richesse du matériau source, Daisy Jones & the Six déçoit ? D'abord et avant tout parce que la série reproduit dans sa construction même les défauts qui minent la vie de ce groupe fictif. Il est déjà compliqué de réussir un biopic sur un chanteur solo, alors un groupe entier à faire exister de manière crédible et intense...

Le titre met en vérité déjà la puce à l'oreille en soulignant la position de Daisy Jones, tandis que les Six ont l'air de simples musiciens qui l'accompagnent. Or ce n'est pas le cas, et d'ailleurs dans un premier temps, l'accent est plutôt mis sur Billy Dunne et son propre band. Un personnage d'ailleurs plus charismatique et vibrant, qui guide d'abord son frère Graham avant de prendre la tête de la formation et d'imposer ses chansons, ignorant les compositions des autres membres (en particulier celle d'Eddie Roundtree, le guitariste relégué à la basse là encore parce que Billy le décide).

Anxieux, Billy sombre rapidement dans la drogue et va envoyer le groupe dans le mur, obligeant à annuler leur première tournée, et se mettant donc à dos leur maison de disques et les tourneurs. Il manque de peu de perdre sa femme et leur fille, en n'assistant pas à l'accouchement car il part en cure de désintox. Puis, guéri, il reconquiert sa place et mène le groupe à la gloire, sans toutefois revoir sa façon de diriger.

Si la série s'était contentée de raconter l'histoire des Dunne brothers rebaptisés the Six, ç'aurait été déjà un programme ambitieux et captivant. Mais donc il y a aussi Daisy Jones. Chanteuse de folk, écorchée vive, intransigeante quand il s'agit de son art, elle ne manque ni de personnalité ni de talent, et le récit trouve un moyen assez astucieux, quoique visible à des kilomètres, de réunir les Dunne brothers et Daisy, par l'entremise de Teddy Price, leur producteur commun.

Là aussi, Daisy Jones aurait suffi à alimenter une série, sans doute plus intimiste (du fait de la nature de sa musique), moins spectaculaire. Mais parfois, souvent, le trop est l'ennemi du bien et Daisy Jones & the Six devient alors surpeuplé, trop plein pour satisfaire tout le monde. Il y a des personnages qui restent sur le bas-côté, sous-développés, mal caractérisés, réduits à l'état de cliché ou de figurants, avec des arcs tronqués ou rebattus. Dommage.

Car, si je n'ai pas lu le roman original, le talon d'Achille de cette série, c'est son manque d'originalité. Tous les poncifs sur un rock-band y sont compilés, depuis le titre de chaque épisode qui reprend celui d'une chanson célèbre (comme Rock'n'roll suicide de David Bowie ou Whatever gets you thru the night de John Lennon) jusqu'aux péripéties qui émaillent la carrière fulgurante du groupe. Certes, ne pas parler de drogues, d'alcool, d'engueulades, de mégalomanie quand ion évoque la trajectoire météorique d'une formation de musiciens, a fortiori dans les années 70, ç'eut été fermer les yeux sur une réalité incontournable. Mais il y a la manière.

Dans Presque Célèbre, Cameron Crowe, plutôt que d'adopter le point de vue des musiciens, et donc de placer sa caméra directement dans l'oeil du cyclone, choisissait comme narrateur un ado journaliste, témoin de l'ascension du rock-band, une position en recul mais suffisamment proche malgré tout pour que le spectateur assiste à l'essentiel. Dans Daisy Jones & the Six, c'est ce point de vue qui manque, le scénario va-et-vient de Billy à Daisy, s'attarde quand il y pense sur les autres membres du groupe et leur entourage, leur vie privée, et finalement ne fait que survoler tout ce qui ne concerne pas les deux vedettes, des créateurs certes habités, investis, talentueux, mais aussi férocement rivaux, égocentriques, et pour tout dire fatigants.

Pour ne rien arranger, Daisy et Billy vivent une sorte de romance, sans jamais succomber à l'attirance qu'ils éprouvent l'un pour l'autre. A ce jeu, on a davantage d'indulgence pour Billy, qui aime d'un amour sincère Camila et ne veut pas abandonner leur fille, que pour Daisy, capricieuse, instable, aguicheuse et agressive. Mais bon, la vérité est que cette romance est une idée calamiteuse, qui ne fonctionne pas, qui n'est pas bien amenée, pas bien construite, qui n'est ni faite ni à faire. Il paraît (même si Taylor Jenkins Reid le nie du bout des lèvres) que cela s'inspire de ce que vivaient Lindsey Buckingham et Stevie Nicks au sein de Fleetwood Mac, mais la vie sera toujours plus forte que n'importe quelle fiction pour raconter ce genre d'amour tumultueuse.

C'est là aussi dommage car on aurait bien aimé que l'histoire nous en dise davantage par exemple sur l'autre couple du groupe, Karen Sirko (ouvertement inspirée de la claviériste Christine McVie, de Fleetwood Mac) et Graham Dunne (qui fait penser, physiquement et artistiquement, à Jimmy Page), ou à la place ingrate occupée par Eddie Roundtree (le bassiste, comparable à George Harrison chez les Beatles, occulté par le duo Lennon-McCartney). Quant au subplot concernant Simone Jackson (incarnée par l'épatante Nabiyah Be), il y avait matière à un spin-off, mais là, c'esst juste un personnage surnuméraire dans des intrigues déjà bondées.

Le casting était pourtant bon, et d'ailleurs une des chansons originales écrites pour la série a fait un vrai tabac dans les charts américains. Riley Keough et Sam Claflin chantent et jouent vraiment, et il y a une alchimie évidente entre eux à l'écran. Suki Waterhouse est également musicienne et chanteuse quand elle ne joue pas la comédie, mais son personnage est trop sous-exploité pour qu'on profite de ses talents. Quant à Sebastian Chacon (le batteur Warren Rojas), Will Harrison (Graham Dunne) et Josh Whitehouse (Eddie Roundtree), ils sont bien désoeuvrés tant leurs personnages sont peu écrits. De tous les seconds rôles, ceux qui s'imposent le plus et le mieux sont Camila Morrone (Camila Alvarez), trsè touchante ; Tom Wright (Teddy Price) et Timothy Olyphant (Rod Reyes).

La prochaine fois qu'une production sur le rock sera conduite, que les décideurs fassent appel à quelqu'un qui a connu ça plutôt que d'adapter un roman rédigé par quelqu'un qui en est resté à la légende et aux clichés.

samedi 25 mars 2023

NIGHTWING #102, de Tom Taylor et Travis Moore, C.S. Pacat et Eduardo Pansica


Suite directe du n°101, ce nouvel épisode de Nightwing continue de préparer le terrain pour le retour imminent de la série Titans, puisque les membres de l'équipe figurent aux côtés de Dick Grayson dans cette aventure. C''est ma foi fort plaisant à lire et on sent surtout que Tom Taylor affectionne ces personnages. Quant à Travis Moore, il fait plus que bien suppléer Bruno Redondo.


Un métamorphe a pris la place de Nightwing pour atteindre Olivia Desmond, la fille de feu Blockbuster, protégée par les Titans. L'équipe résout ce problème rapidement mais fait face à un autre. Raven tranche en affirmant qu'ils n'ont pas le choix : il va falloir obtenir des explications de Neron...
  

Jusqu'à la relance de la série Titans, Nightwing n'est plus vraiment la série de Dick Grayson puisque Tom Taylor a invité Raven, Beast Boy, Flash, Cyborg, Starfire et Donna Troy dans les pages du mensuel qui lui est consacré.


Ce faisant, il a aussi mis entre parenthèses ce qui derait occuper Nightwing à Blüdhaven même, en particulier avec Heartless et Tony Zucco en cavale. Mais, pour être tout à fait franc, je trouve que c'est un moindre mal et qu'on serait bien injuste d'adresser des reproches au scénariste.
 

En effet, le retour des Titans se fait déjà depuis un certain temps au sein du titre Nightwing, avec les apparitions de Flash (Wally West) et du reste du groupe. Et puis, il faut reconnaître à Tom Taylor une vraie affection et un vrai talent pour écrire cette équipe.

Cet arc narratif sera de toute façon bref (quatre épisodes, soit jusqu'au #104 en Mai). Et surtout il est plaisant à lire. L'intrigue n'est pas extraordinaire mais entraînante, même s'il faut s'assurer d'avoir lu Nightwing #98 avant (pour bien comprendre le rôle joué par Neron et Olivia Desmond).

A la fin de l'épisode précédent, Nightwing était piégé par un métamorphe à la solde du seigneur des enfers qui allait en profiter pour atteindre la fille de feu Blockbuster, sous la protection de Raven et Beast Boy. Taylor ne fait pas durer le suspense et règle son compte à cet usurpateur rapidement pour se concentrer sur son interrogatoire, ficelé grâce au lasso de vérité de Donna Troy. Puis sur les suites à donner à cette affaire.

Je ne sais pas ce que vaudra la série Titans par Taylor et Nicola Scott, mais il est évident que l'auteur sait comment animer cette équipe, qu'il a délesté de Roy Harper/Arsenal, pour revenir à la formation composée par Marv Wolfman et Geroge Pérez. Nightwing passe un peu au second plan, ce qui est normal, mais vu ce qu'ont programmé Taylor et Redondo pour le n°105, ce n'est que partie remise...

Travis Moore est bien plus qu'un joker pour suppléer l'absence de Redondo. On le savait déjà avant ça, mais c'est un excellent dessinateur, au style très élégant, avec un trait réaliste, qui parfois évoque celui de Mike McKone. Il est particulièrement doué pour représenter les femmes, et Starfire, Donna Troy et Raven sont superbes sous son crayon. Je suis moins fan de son Cyborg, mais à sa décharge il n'est pas responsable du design du personnage (vraiment moche). On peut se demander pourquoi, avec ses pouvoirs ou avec ceux de Raven, Beast Boy est toujours borgne (blessure infligée par Deathstroke dans Dark Crisis).

Le découpage est très sage, mais aussi très fluide. C'est une lecture facile, sur laquelle els couleurs acidulées de Adriano Lucas fonctionnent parfaitement bien. C'est du travail propre, et si Travis Moore devait devenir le remplaçant régulier de Redondo, je signe tout de suite pour.

La suite s'annonce prometteuse et spectaculaire. J'avais arrêté de lire Nightwing fâché par le surplace de la série et les prestations en pointillés de Redondo, avant de rattraper le train en marche pile pour le centième épisode. J'apprécie ce que je lis depuis et je croise les doigts pour que Tom Taylor garde son mojo - avant de tenter, peut-être, le coup sur la reprise de Titans.


Comme le mois dernier, ce numéro est agrémenté d'une back-up story mettant en scène une enquête menée par Nightwing et Jon Kent. C'est absolument dispensable, parce que l'histoire de C.S. Pacat échoue à captiver et que les dessins d'Eduardo Pansica imitent sans l'égaler Ivan Reis (guère aidés, il est vrai, par l'encrage affreux de Eiber Ferreira).

BATMAN - SUPERMAN : WORLD'S FINEST #13, de Mark Waid et Dan Mora


Mine de rien, Batman - Superman : World's Finest débute sa deuxième année de publication, et ça fait plaisir de voir qu'une série comme celle-ci a rencontré son public. Certes, Mark Waid n'est pas un néophyte et Dan Mora a conquis le coeur des fans, mais tout de même... Ce mois-ci donc, un nouvel arc narratif démarre et c'est immédiatement accrocheur.


Simon Stagg est mort, assassiné. Les soupçons se portent aussitôt sur Rex Mason alias Metamorpho, le compagnon de sa fille, Sapphire, qu'il a autrefois trahi de façon tragique. Mais pendant que Batman, Superman et Robin enquêtent, Jimmy Olsen, avec l'accord de Clark Kent, suit une autre piste, accablante pour un de nos héros...


Le procédé est désormais connu : les intrigues de World's Finest commencent souvent par l'introduction d'un personnage familier à Batman et Superman et qui va se trouver au coeur d'une affaire impliquant le tandem. Comme la série se déroule dans le passé, il convient de rappeler qu'à l'époque de cette histoire, Metamorpho n'est pas encore un membre des Outsiders, l'équipe que formera Batman plus tard (aux côtés de Black Lightning, Halo, Géo-Force et Katana - Urban Comics, ce serait vraiment chouette de traduire le run de Mike W. Barr et Alan Davis...).


Avec Metamorpho, il faut compter sur un groupe de personnages puisqu'il est l'amant de Sapphire Stagg, fille du richissime Simon Stagg, responsable du drame qui toucha Rex Mason. D'ailleurs, dans un souci de présenter l'homme élémental aux lecteurs qui ne le connaissent pas ou peu, Mark Waid va consacrer plusieurs pages pour détailler son origin story.


C'est alors l'occasion pour Dan Mora de représenter avec force détails les circonstances de la transformation atroce qui changea pour toujours Rex Mason, ce chasseur de reliques, en surhomme capable de modifier son corps en n'importe quel élément chimique. Trahi par son beau-père et son homme de main, le grotesque Java, il demeure un des super-héros les plus étranges de DC Comics.

Créé en 1965 par Bob Haney et Ramona Fradon dans les pages de The Brave and the Bold #57, Metamorpho aurait sa place au sein d'une équipe comme les X-Men chez Marvel, c'est l'archétype du freak, aux pouvoirs étranges et à l'apparence monstrueuse, comme plus tard les membres de la Doom Patrol.

L'épisode s'ouvre par l'annonce du meurtre de Simon Stagg avec lequel Bruce Wayne devait assister à une soirée (ce qui ne l'enchantait guère). Ce whodunnit dans une configuration proche du Mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux a tout pour plaire aux amateurs de roman policier et on devine que Batman va être à l'honneur.

Sauf que Mark Waid va déjouer nos attentes avec un cliffhanger dont il a le secret et qui nous cueille complètement à la toute dernière page.  Pour cela, après Metamorpho, il intrègre à son récit un autre personnage secondaire : Jimmy Olsen. Le jeune reporter-photographe du Daily Planet, qui accompagne régulièrement Clark Kent et fan de Superman, saisit l'opportunité que lui offre son collègue de le suivre sur cette affaire. Mais quand Clark le laisse travailler seul pour soutenir Batman et Robin, il ne se doute pas qu'il va faire basculer l'enquête...

En fin de compte, Waid rappelle à Clark Kent (et donc par conséquent à Superman, Batman, Robin) qu'un bon journalsite ne doit pas suivre ses impressions, mais se fier aux faits. Quand Jimmy Olsen désigne un coupable plus crédible que Metamorpho, Perry White suit son jeune reporter et fait imprimer une "une" explosive.

Certains reprocheront sûrement encore à la série son classicisme, la caractérisation basique de ses protagonistes et sa mécanique trop bien huilée. Pourtant, il me semble que l'imprévisibilité du coup de théâtre final et l'exécution impeccable de la narration devraient plutôt inciter à savourer ce comic-book, qui ne prétend certes pas réinventer la roue mais nous mène formidablement par le bout du nez.

Et puis Dan Mora, quoi ! Ce phénomène dont on ne peut nier le talent et la force de travail impressionnants : le voilà l'héritier des Sal Buscema, Mark Bagley et Jack Kirby, à la productivité affolante et à la qualité jamais prise en défaut. Voilà un dessinateur qui vous prend par la main et vous en met plein la vue en s'amusant visiblement beaucoup. Son plaisir est contagieux et complète l'efficacité aguerrie de Waid.

Je sais pas vous, mais moi, je sens que je vais encore me régaler.

vendredi 24 mars 2023

SUPERMAN #2, de Joshua Williamson et Jaml Campbell


J'avais adoré le premier épisode de ce relaunch de Superman et, confiant, j'attendais avec impatience de lire le suivant. Joshua Williamson ne déçoit pas : on retrouve toutes les qualités de son interprétation du man of steel dans une succession de scènes trépidantes, au milieu de laquelle il introduit un personnage inédit. Quant à Jamal Campbell, sa production est remarquable, aussi énergique que superbe.


Superman est entre les mains d'une bande de savants fous après avoir été maîtrisé par des clones de Parasite, et ses ennemis sont résolus à profiter de la détention de Lex Luthor pour mettre la main sur Metropolis.... Avant cela, Superman s'est échiné à contenir la prolifération des clones, a fait la connaissance de la mystérieuse Marilyn Moonlight et découvert le triste sort de son épouse, Lois Lane...


Alors qu'une réédition remastérisée du cartoon des studios Fleischer (1941-1942) va bientôt être à nouveau disponible (et croyez-moi quand je vous affirme que ça n'a pas pris une ride), le Superman de Joshua Williamson et Jamal Campbell semble renouer avec l'âge d'or de ces épisodes animés.
 

D'ailleurs, il y a dans le trait, dans la manière qu'a Jamal Campbell de représenter le kryptonien comme une ressemblance troublante avec Superman dans les cartoons (pas spécialement celui des Fleischer, qui a davantage inspiré Steve Rude, mais du character's designer Sean Galloway). Il est en tout en rondeur, plus massif que sculpturalement musclé, bonhomme.


A l'image de ce qu'ambitionne Joshua Williamson, il est évident que cette série donne (ou redonne) aux fans une image de Superman en rupture avec celui qu'a voulu imposer Zack Snyder et la majorité des auteurs qui l'ont animé depuis un bail.

Et vous savez quoi ? Hé bien, ça fait un bien fou. Williamson paraît d'ailleurs avoir, avec les autres auteurs phares de DC actuellement, convenu qu'après les Crisis successives, il était temps, dans cette époque troublée, de refaire lire des histoires où les héros incarnent quelque chose de positif, de sympathique, voire de léger. Ce qui ne signifie pas niais, mièvre ou naïf.

L'intrigue qui s'est mise en route le mois dernier résume ce parti-pris : Superman est de retour à Metropolis après un long séjour dans l'espace à jouer les gladiateurs-libérateurs (lors de la saga Warworld de Philip Kennedy Johnson dans Action Comics, et même avant lors du run de Brian Michael Bendis avec les United Planets et vilains comme Rogol Zaar). Il redevient le champion de cette ville-lumière, lui-même le surhomme bienveillant entre tous.

Mais il est confronté à une menace dont les instigateurs sont un groupe de savants fous qui souhaitent profiter que Lex Luthor est en prison pour prendre le contrôle de la cité. Pour cela, ils ont cloné Parasite, un des ennemis du man of steel, capable de siphonner l'énergie vitale, et les gnomes qu'ils ont créés envahissent désormais tout Metropolis, s'en prenant à tout le monde.

La Super-famille est présente dans l'épisode, ce qui signifie que Williamson coordonne son récit à celui de Kennedy Johnson dans Action Comics, mais le scénariste veille à ce que le kryptonien ne soit pas éclipsé, qu'il reste au coeur du dispositif. C'est sa série, elle porte son nom. Et elle est spectaculaire, avec la panne qui gagne toute la mégalopole, le sort réservé à la rédaction du Daily Planet : Superman est dépassé et on comprend mieux comment il a pu être maîtrisé au point d'être allongé sur une table d'opération, sans connaissance, aux mains du mystérieux Dr. Pharm.

Car le récit est inscrit dans un vaste flashback : la majorité de ce qu'on lit date de quelque heures, Superman est déjà vaincu. C'est subtilement mis en scène, au point que je ne m'en étais pas tout de suite rendu compte. Et le talent de Williamson est de réussir à nous captiver avec ça, comme quand il introduit un personnage inédit, Marilyn Moonlight, dont on ignore si elle est dans le camp des gentils ou des méchants, mais qui fait une apparition mémorable et suggère que ses origines sont très anciennes.

Visuellement, encore une fois, je ne peux que louer le travail de Jamal Campbell, qui a designé Marilyn Moonlight de manière remarquable, et livre des planches splendides, au dynamisme grisant. Le rythme est soutenu, mais c'est toujours lisible. L'usage de l'infographie, omniprésent, a un rendu très esthétique, l'artiste maîtrise ses outils et les utilise au profit de l'histoire, du coup on n'a pas cette impression, souvent désagréable, de lire quelque chose de trop froid, trop numérique. De toute façon, le problème n'est pas l'ordinateur, mais la manière dont on s'en sert, et Jamal Campbell a d'abord un vrai talent de conteur et de dessinateur, qui ne repose pas sur la machine.

J'adore ce Superman (tout comme Action Comics), son ton, son graphisme. Coup de coeur confirmé !

jeudi 23 mars 2023

DOCTOR STRANGE #1, de Jed MacKay et Pasqual Ferry, avec Andy MacDinald


Les comics ont horreur du vide et donc, après une série qui s'achève (hier : GCPD : The Blue Wall), aujourd'hui une autre qui démarre. Ou redémarre, plus exactement. Car Jed MacKay n'est pas seulement le scénariste qui monte chez Marvel, c'est aussi un homme qui a de la suite dans les idées. Et qui est en bonne compagnie puisqu'il peut se reposer sur un artiste né pour dessiner Doctor Strange : Pasqual Ferry.


Stephen Strange is back ! En son absence, sa femme, Clea, a endossé son rôle, fait me ménage dans la division magique du SHIELD, a permis à des réfugiés de dimensions magiques de venir sur Terre. A présent, après avoir été consulté par quelques amis, Doctor Strange et Clea vont devoir se mêler d'un accord passé entre la Grande-Bretagne et Aggamon, sorcier suprême de la dimension pourpre, pour récupérer des esclaves...
 

Retenez bien son nom : Jed MacKay. Dans les moins (les années ?) à venir, il va compter pour les fans des comics Marvel puisque c'est lui qui va succéder à Jason Aaron en Mai prochain sur le titre Avengers. Une promotion pour cet auteur pugnace qui s'est d'abord fait remarquer avec des héros délaissés.


En effet, depuis maintenant presque deux ans, il est aux commandes de Moon Knight et avant ce relaunch de Doctor Strange, c'est déjà lui qui avait signé la mini-série La Mort de Doctor Strange (2021) puis la série régulière Strange (2021-2023) avec Clea dans le rôle du sorcier suprême. On peut donc dire que Jed MacKay (qui a aussi oeuvré depuis plusieurs années sur plusieurs projets Black Cat) a de la suite dans les idées.


Toutefois ça n'a pas dû être si fréquent qu'un même auteur ait dû tuer un personnage et écrive son retour dans le monde de vivants comme c'est le cas avec Stephen Strange. Mais ça fait partie, finalement, de l'intérêt de cette nouvelle série car la question se pose de savoir comment il s'en sort.

Je n'ai pas lu La Mort de Doctor Strange ni Strange, n'ayant jamais cru que Marvel se passerait longtemps du personnage et aussi parce qu'il faut bien dire que si La Mort... était illustré par Lee Garbett (que j'apprécie), Strange était mis en images par le médiocre Marcello Ferreira. Par contre, la présence au générique de Pasqual Ferry pour Doctor Strange a positivement pesé dans mon envie d'investir sur cette relance.

Car, même si c'est une formule facile, Ferry est né pour dessiner le sorcier suprême. Ces derniers mois, l'artiste espagnol a fait un retour très concluant au premier plan dans l'excellente mini Namor the Sub-Mariner : Conquered Shores (écrite par Christopher Cantwell) et le voir enchaîner sur Doctor Strange m'a fait plaisir : ça montre, selon moi, qu'il est motivé et qu'il se sent inspiré par ce héros.

Le trait fin, délié, de Ferry convient à la perfection à cet univers mystique, avec des trolls, des gobelins et autres créatures bizarres, mais aussi des mages, des sorciers, et autres puissants occultistes. Sa manière de composer des plans impeccables et de bâtir des architectures subtilement baroques, soulignée par les couleurs nuancées de Matt Hollingsworth, est idéal pour un titre pareil.

Dès les premières pages, on sent que Ferry a le personnage bien en main : il représente Strange avec une classe et un soupçon de malice jubilatoires. Il rend d'ailleurs au sorcier son look original, avec cette fine moustache (et plus de barbe) comme l'avait créé Steve Ditko. Idem pour Clea qui est le feeu sous la glace, altière et volcanique à la fois. Tout ça vit dans le dessin de Ferry avant même qu'on lise le texte de MacKay. Et aussi parce que le dessinateur ne verse pas dans l'exubérance grâce à un découpage très maîtrisé où ce qui se passe à l'intérieur des cases n'a pas besoin de déborder pour émerveiller ou inquiéter (en ce sens, c'est l'exact opposé de ce qu'avait produit Chris Bachalo sur le run écrit par Jason Aaron, par ailleurs tout aussi recommandable).

Le regard séduit, on s'attache à ce que raconte le scénario. Ce premier épisode consacre une large part au retour aux affaires de Stephen Strange, sans s'attarder sur ce qui s'est passé dans les pages de Strange (une seule planche résume cela, très laconiquement). Ce qui faut savoir est rappelé en quelques lignes et ça suffit.

On peut y voir une certaine désinvolture de la part de MacKay, mais je crois plutôt qu'il a jugé inutile de s'appesantir sur des explications concernant le retour, la résurrection de Stephen Strange, qui de toute façon auraient échouer à convaincre. On meurt tellement fréquemment dans le Marvel-verse qu'il est désormais superflu de justifier qu'on peut revivre moins de deux ans après être passé.

Stephen Strange se montre donc étonnamment léger mais conscient de ses responsabilités. Et c'est là, la bonne idée de Jed MacKay : rappeler que Strange est un docteur, avec des consultations, des opérations à effectuer, et qu'en qualité de sorcier suprême, il a des devoirs. On le voit donc répondre aux appels de ses amis comme Spider-Man, Luke Cage, Black Cat, Daredevil et même rendre visite au Doctor Fatalis (pour, là, une mention explicite à la série Strange dans laquel le maître de la Latvérie avait réclamé le titre de sorcier suprême en apprenant que Clea en avait hérité).

En quelques pages, au ton amusé et amusant, MacKay adresse des clins d'oeil à ses propres séries (Black Cat, Moon Knight) et à celles de ses collègues (Spider-Man, Daredevil), histoire de situer dans la continuité sa propre production et le fait que Strange est à nouveau disponible. Puis tout bascule, très vite.

Un ennemi (Aggamon, sorcier suprême de la dimension pourpre) commerce avec le Royaume-Uni pour récupérer des esclaves provenant de royaumes mystiques. Clea et Stephen s'interposent. C'est là que démarre vraiment l'intrigue à venir avec un cliffhanger accrocheur. On notera qu'entre Doctor Strange et la franchise X, les anglais ne sont pas présentés sous un jour flatteur (anti-mutants, en rapport avec un sorcier esclavagiste)... Et aussi que Stephen et Clea ont une relation animée par leurs conceptions divergentes quant à la manière de régler une crise.

J'ignore si ce sera le cas dans les prochains n° mais celui-ci est agrémenté d'une back-up story mettant en scène Wong qui officie désormais pour une branche dédiée à la magie au sein du S.H.I.E.L.D., le W.A.N.D. (Wizardry Alchemy Necromancy Department), mais dont l'activité va l'amener à s'intéresser à l'affaire de Strange.


Hélas ! Visuellement, c'est beaucoup moins agréable que les planches de Ferry puisque c'est Andy MacDonald qui dessine. Mais bon, ce ne sont que 7 pages...

En tout cas, ce relaunch me plaît bien, beaucoup même. Tant que Ferry tient le rythme, j'en serai. Mais sans négliger la qualité d'écriture de McKay.