samedi 18 mars 2023

IMPOSSIBLE JONES, VOLUME 1 : GRIN & GRITTY, de Karl Kesel et David Hahn (+ BONUS)


Ce samedi, je vais vous parler d'un comic-book que j'ai participé, modestement, à financer : Impossible Jones. Créé par Karl Kesel (qui est également scénariste, encreur  et character's designer du projet) et David Hahn (qui en est le dessinateur), ce premier volume rassemble les quatre premiers épisodes de la série publiée par par Scout Comics après un crowdfunding sur Kickstarter. 


New Hope City. Isabelle Castillo dérobe avec sa bande (Fosca, Roman et Jimmy) les laboratoires de Tech Arcana, appartenant à la redoutable Madame Vobora, pour laquelle travaillait Fosca et qui veut récupérer son invention. Mais enfermée dans une chambre expérimentale, Isabelle est désintégrée. Elle parvient à se recomposer mais découvre qu'elle est dotée d'étranges pouvoirs et décide de s'en servir pour se venger.


Traquée par les gardes de Tech Arcana, elle découvre que Fosca est la maîtresse d'un super-vilain, Saint of Knives, dont elle réussit à se débarrasser avec l'aide de Polecat et Captain Lightning, deux super-héros locaux. Jimmy, lui, en manipulant l'invention de Fosca, se trouve lui aussi pourvu de pouvoirs et se fait capturer par Homewrecker, une mercenaire au service de Gila Monster, le caïd de la ville et partenaire de Mme Vobora.


Pour sauver Jimmy, Impossible Jones (telle que s'est rebaptisée Isabelle) va devoir vaincre Homewrecker et choisir entre se reconvertir en justicière ou reprendre ses activités illégales...


On voit de plus en plus d'auteurs recourir au financement participatif sur des plateformes pour concrétiser des projets dont ne veulent pas les grandes maisons d'édition américaines. Bien entendu, cette démarche est grandement facilité si celui qui y a recours jouit d'une forte popularité et d'une fanbase généreuse, comme c'est le cas de Sean Murphy (qui a ainsi réalisé The Plot Holes, traduit en France par Urban Comics). Mais même des artistes confirmés connaissent des échecs (comme Pasqual Ferry avec son AL1C3).

Karl Kesel a déjà derrière lui une carrière fournie comme encreur et scénariste (Superman, Harley Quinn - cette dernière ayant été une source d'inspiration majeure pour Impossible Jones), mais il a porté ce projet pendant dix ans avant de pouvoir le mettre en forme. Comme il l'explique dans les bonus (que j'ai reproduits ci-dessous), sa frustration de ne pas avoir pu écrire davantage Harley Quinn l'a poussé à tenter l'expérience d'un creator-owned en crowdfunding.

Mais la première tentative pour financer le projet a capoté. Ce n'est qu'en échangeant avec le dessinateur David Hahn (Spider-Man loves Mary-Jane, Fables) que Impossible Jones a pu redémarrer. L'artiste a peaufiné les designs de Kesel et mis son nez dans ses scripts. Ces deux-là se sont bien trouvés et c'est ensemble qu'ils se sont motivés pour que la série voit le jour. En 2018, la seconde campagne de financement fut un succès, avec au passage la participation d'amis fameux comme Aaron Lopresti, Elsa Charretier, Terry Dodson, qui offrirent en cadeau aux généreux donateurs des pin-ups originales.

Scout Comics a ensuite publié un premier TPB réunissant les quatre premiers épisodes et une suite est d'ores et déjà en cours. Kesel cite aussi Plastic Man comme autre influence pour son histoire et d'ailleurs l'origin story d'Isabelle Castillo est quasi-identiqueà celle de Patrick O'Brien, voleur victime d'un produit chimique qui en fait un homme capable de prendre n'importe quelle forme là où son équivalent féminine est désintégrée dans une chambre forte et réussit à se recomposer (un peu à la manière du Dr. Manhattan de Watchmen).


A la lecture de ces quatre épisodes, on a un sentiment d'abord mitigé : il est évident que Kesel et Hahn ont beaucoup d'idées pour leur héroïne et son univers, mais cela joue un peu contre eux car évidemment il manque de la place pour tout caser et tout bien développer. Les seconds rôles sont sommairement caractérisés et il faudra sans doute encore beaucoup de story arcs pour qu'ils aient droit au traitement qu'ils méritent.


Toutefois, le format court de cette première intrigue ne laisse pas le temps au lecteur de s'ennuyer. Il y a du rythme et Impossible Jones est un personnage sympathique et suffisamment ambivalent, dès sa première scène, pour susciter de l'intérêt et avoir envie de la suivre. Le scénario est classique, c'est un récit initiatique balisé comme peut l'être une origin story, avec l'acquisition de super-pouvoirs, le but que se fixe Isabelle castillo pour s'en servir, les étapes pour apprendre à les maîtriser, et une galerie de vilains assez pimentée.


New Hope City est une mégalopole imaginaire comme on en voit beaucoup, déjà peuplée de super-héros et méchants. Kesel rend hommage à des personnages qu'il aurait sans doute voulu écrire comme Green Lantern qui a servi de modèle à son Captain Lightning, sorte de super-shérif de la ville, ou Mr. A (création de Steve Ditko) pour Even Steven. On est à la fois excité par le potentiel de ces seconds rôles (auxquels il faut ajouter Gila Monster le caïd) et frustré (parce que, comme dit plus haut, l'espace manque cruellement pour les définir davantage).


Le motto de la série tient en une question : Impossible Jones est-elle une héroïne ou encore une délinquante ? Kesel ne tranche pas : il refuse de l'enfermer dans un stéréotype afin de conserver son ambiguïté. Disons qu'elle ne tient pas à se mettre les suepr-héros à dos mais veut continuer à vivre sans renoncer à ses talents de voleuse comme en témoigne la fin de ce premier arc narratif où elle restitue un bien pour toucher la récompense promise par l'assurance. La difficulté à tenir une telle position assure à Impossible Jones des lendemains agités.


David Hahn illustre cette histoire avec un dessin fortement inspiré par Alex Toth et les cartoons de Hanna-Barbera. Les personnages bénéficient de looks simples et très efficaces, et le trait évoque la ligne claire, mais sans oublier le jeu sur les ombres (celle de Impossible Jones semble d'ailleurs vivre sa propre vie). Les décors sont basiques mais soignés. Le découpage très fluide et sage, toujours au service du récit et de sa lisibilité, avec des compositions qui manquent toutefois de dynamisme pour un comic-book super-héroïque et les possibilités qu'offrent les pouvoirs de l'héroïne.

Toutefois il convient de rappeler le contexte de la réalisation d'une telle BD, produite dans des conditions très modestes, tenant à l'investissement personnel des auteurs et à l'aide de donateurs. Ce qu'on perd donc parfois en détail, on le gagne en générosité car Kesel et Hahn ont littéralement mis tout ce qu'ils avaient dans cette aventure pour d'abord convaincre des mécènes et ensuite un éditeur professionnel.

Bien entendu, il n'est pas possible d'aider tout le monde et sans doute y a-t-il des projets aussi, sinon plus intéressants que Impossible Jones qui ne seront jamais finalisés. Mais ici le jeu en valait la chandelle et j'attends avec gourmandise la suite promise.

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