jeudi 16 mars 2023

DANGER STREET #4, de Tom King et Jorge Fornes



Ce quatrième chapitre de Danger Street est exceptionnel (comme sa couverture, encore une merveille !). Si, pas plus tard que hier, j'étais très perplexe après avoir lu Justice Society of America #3, la nouvelle mini-série de Tom King et Jorge Fornes montre bien la différence entre l'oeuvre d'un auteur qui n'avance pas/plus et un autre qui sort de sa zone de confort et livre quelque chose d'atypique, d'audacieux, et qui plus est fabuleusement mis en images.



Les Dingbats identifient l'assassin de leur ami Good Looks. Le Manhunter tue un des membres de la Green Team. Codename Assassin riposte en supprimant le Grand Maître des Manhunters. LadyCop décide d'arrêter Starman seule sans savoir que Orion est également à ses trousses...


Le mois dernier, dans le précédent épisode de Danger Street, j'avais déjà écrit à quel point Tom King m'impressionnait par sa capacité à créer une intrigue rassemblant des personnages aussi variés que LadyCop, Starmann Orion, la Green Team, les Dingbats. Mais il réussit à élever encore le niveau de son jeu dans ce quatrième chapitre.
 

Comme on peut s'y attendre, la mini-série va atteindre son sixième numéro (au mois de Mai), donc la moitié de l'histoire, avec qui s'annonce comme un premier sommet. Le scénario a disposé des pions et les a rapprochés suffisamment pour qu'une confrontation spectaculaire ait lieu. Et ce quatrième épisode allume la mèche avant l'explosion.


Danger Street semble se découper en deux parties : d'un côté, et c'est pour l'heure le segment le plus dramatique, le plus intense, le plus proche de la déflagration, il y a tout ce qui a été déclenché par les morts successives de Atlas et de Good Looks par Warlord et Starman. De l'autre, il y a ce qui implique la Green Team et le Manhunter à leurs trousses.

Parlons d'abord de la seconde partie : les hostilités débutent vraiment dans cet épisode qui voit un des membres de la Green Team, ces quatre ados milliardiaires, qui emploie à la fois le Creeper/Jack Ryder et Codename Assassin, qui chasse à la fois les Outsiders (qu'on n'a toujours pas vu, et il devient clair que Tom King diffère le plus possible leur apparition afin qu'elle surprenne fortement le lecteur) et les Manhunters, dont Mark Shaw a été envoyé pour les éliminer.

Le meurtre de J.P. Houston, dès les premières pages, prouve qu'on n'est pas dans un affrontement classique. Tous les coups sont permis et même si la Green Team n'a rien de sympathique, voir le Manhunter tuer de sang froid un gosse montre à la fois sa détermination implacable et nous révulse. D'ailleurs, quand Codename Assassin riposte en éliminant le Grand Maître, on n'est pas aussi dégoûté, car d'une part la victime est le vieil homme qui a commandité le meurtre de Houston mais surtout parce que, d'autre part, Jorge Fornes met en scène cette exécution d'une toute autre manière.

Le Manhunter tue J.P. Houston dans un paysage enneigé en lui écrasant le coup sous sa botte et en répondant au téléphone à son rival, Codename Assassin. La froideur et du décor et de la répartie rendent ce moment à la limite du supportable. En revanche quand Codename Assassin tue le Grand Maître, il le fait dans une salle de cinéma déserte et rapidement, sans même qu'on s'en rende compte sur le coup. Jorge Fornes cadre la scène en plan fixe, avec des cases occupant toute la largeur de la bande, à bonne distance. C'est rapide (une page, six cases), alors que le meurtre de J.P. Houston dure plusieurs pages avec une multitude de cases de valeurs et d'angles différents, dilatant le temps, étirant le supplice.

Tout ça peut mettre mal à l'aise, mais c'est volontaire. Tom King montre des morts en s'assurant qu'elles ne soient pas "héroïsées". Ce sont deux tueurs professionnels à l'oeuvre, accomplissant leur sale besogne, sans sentiments. Il n'y a ni noblesse ni justice dans leurs gestes. Ils sont des exécuteurs, rien de ce qu'ils font ne les touche, ils obéissent aux ordres. Mais évidemment la question, philosophique, se pose : leurs actes sont-ils exempts de jugement ? Bien sûr que non. Ce n'est pas parce qu'on obéit aux ordres qu'on est plus innocents que les donneurs d'ordres. Le bourreau n'est pas moins coupable que le juge qui, le matin, a ordonné qu'on coupe la tête à un homme, comme le chantait Brassens (dans Le Gorille). 

La culpabilité est au centre de l'oeuvre de Tom King. Il y a celle qui est objective et il y a celle que les hommes traînent parce qu'ils ont failli. C'est la liaison narrative, philosophique entre les deux parties de Danger Street. 

Ainsi en suivant la trace de Starman et Warlord, qui ont tué, pour se défendre ou accidentellement, on suit deux hommes rongés par la culpabilité d'avoir failli. De même, cette culpabilité ronge les Dingbats qui ne se pardonnent pas d'avoir abandonné Good Looks et qui veulent le venger. Ou LadyCop qui veut absolument se racheter auprès des Dingbatss en coinçant Starman, sans même demander l'aide de super-héros.

Le seul à officier sans se poser de questions, dans cette partie du récit, est Orion, désigné à la fois par le Haut-Père de New Genesis et Darkseid d'Apokolips pour trouver et punir les assassins d'Atlas, dont la mort menace l'univers entier. Jorge Fornes là encore ne s'y trompe pas : il le représente sur son étrange monture comme une sorte de chevalier lancé dans une quête qu'il accomplira sans états d'âme, parce qu'il le faut, parce qu'il le doit. C'est un champion efficace, puissant, compétent.

Chose rare, assez pour être signalée, le découpage ose des pleines pages, des cases de dimensions généreuses, pour montrer Orion rejoignant la Terre. Cela souligne à quel point Fornes, suivant le script de King, veut montrer que Orion ne joue pas au même niveau que le reste du casting, il vient d'ailleurs, surpasse en puissance tous les autres, est missionné par des individus divins. Le voir filer dans le vide sidéral, approcher la Terre, traquer ses proies, en fait un chasseur redoutable, impressionnant, qui ne tremblera pas le moment venu.

Mais qu'il s'agisse d'Orion, de LadyCop, des Dingbats, on voit surtout que l'étau se resserre autour de Starman et Warlord, et prépare donc à une confrontation spectaculaire. Orion n'aura pas la tâche facile face à Starman, alors LadyCop ou les Dingbats...

Et il reste des éléments en suspens : le casque de Doctor Fate que trimballe Warlord augure-t-il de l'apparition dans la mini-série de son propriétaire (présent dans un épisode de 1st Issue Special, la série qui a inspiré Danger Street) ? Quand verra-t-on les Outsiders et comment ? Quid du Creeper (qui a une scène très courte dans cet épisode, aboutissant à l'humiliation de son double, Jack Ryder) ? Où est passé Metamorpho ? Etc.

Toutes ces questions, en plus de ce qui se profile imminemment, prouvent que Danger Street a encore du matériel à exploiter. Et c'est finalement là, la grande différence avec Justice Society of America : cette matière dense, épique, originale, a de quoi alimenter encore bien épisodes et captiver le lecteur.

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