mercredi 22 mars 2023

G.C.P.D. : THE BLUE WALL #6, de John Ridley et Stefano Raffaele


Débutons donc les nouveautés qui sortent cette semaine par la fin de la mini-série G.C.P.D. : The Blue Wall. John Ridley et Stefano Raffaele m'ont convaincu ces six derniers mois de la qualité de leur projet et ce dénouement ne m'a pas déçu : ça restera une des meilleurs productions publiées par DC durant cette période.


Comme je n'aime pas spoiler la fin d'une histoire, je vais me contenter du strict minimul pour le résumé de cet épisode en disant que Daniel Ortega, comme le montre cette planche ci-dessus est désormais activement recherché pour les meurtres de plusieurs personnes, dont des agents de police. Si Renee Montoya souhaite l'appréhender et le livrer à la justice pour qu'il réponde de ses actes, certains officiers du département préféreraient lui faire payer la mort de leurs collègues...


Au début de la publication de GCPD : The Blue Wall, je partais avec un a priori négatif vis-à-vis du travail de John Ridley, qui m'avait peu intéressé et encore moins impressionné jusque-là. Je craignais surtout que, comme certains auteurs afro-américains actuels, il ne s'empare de cette mini-série pour régler ses comptes en incriminant le "système", la société, les blancs, la police.


Je ne nie pas qu'il existe un gros problème avec la violence policière aux Etats-Unis et malheureusement les infos (quand elles ne sont pas entièrement occupés à couvrir des faits divers ou à planter des journées entières leurs caméras sur des ronds-points ou dans la salle des quatre colonnes de l'Assemblée Nationale avec leur fameuse "priorité au direct) nous rappellent fréquemment les bavures commises contre les citoyens de couleur.
 

Mais on ne peut pas non plus nier qu'il existe aussi un problème d'analyse de la part de certains auteurs pour traiter la question. Il est souvent avancé qu'il y a un racisme systémique, autrement dit que tout un corps de métier (celui de la police en l'occurrence) commettrait des exactions délibérément contre une partie de la population au nom du maintien de l'ordre. Autrement dit, encore : les flics, tous pourris.

Cette façon de voir s'étend dans un large élan populiste à toute la classe dirigeante, accusée de tous les maux de la Terre, par des gens qui jugent illégitimes les élus alors qu'ils sont en place démocratiquement, c'est-à-dire à l'issue d'élections libres. On ne s'en rend peut-être pas (plus) suffisamment compte mais nous vivons dans des démocraties, avec des partis politiques de différentes sensibilités, la liberté de la presse, d'opinion, d'expression.

Surtout, ce qui me dérange au plus haut point, c'est à quel point la réflexion sur la question du racisme est désormais importée des Etats-Unis en France, et à quel point certains intellectuels ou tout du moins certains commentateurs en sont devenus les porte-parole. Or, les deux pays ne connaissent pas du tout les mêmes problèmes sur cette question, donc l'analyse ne saurait être identique et les réponses non plus. Il y a des problèmes chez les américains comme chez nous, mais de même nature ni de même ampleur.

Pour ce qui est de l'Amérique du Nord, des auteurs, afro-américains pour la plupart, dénoncent le racisme de la police comme un fait avéré et surtout généralisé, appelant même à démanteler les forces de police (sans pour autant dire par quoi il faudrait les remplacer, car quand même il est aberrant de considérer un Etat de droit sans forces de l'ordre). L'Amérique du Nord est, historiquement, un pays fondé sur la violence, cela a débuté avec le massacre des indiens, s'est poursuivi avec l'esclavage, la ségrégation, etc.

Cela a abouti à un courant de pensée qui veut que ce racisme soit aujourd'hui encore présent comme une sorte de tradition historique. Mais en généralisant cette opinion à tout un corps de métier, en assimilant tous les flics à des individus violents, racistes, ceux qui dénoncent ces bavures tombent dans le même travers que ceux qu'ils combattent et qui voient dans tous les gens de couleur des délinquants en puissance, des suspects.

John Ridley, qui s'est fait connaître en signant le script de 12 years a slave, sur l'esclavage justement, m'a surpris par le sens de la nuance avec laquelle il a développé son scénario ici. Il montre de manière claire et évidente comment Danny Ortega, jeune recrue de la police de Gotham, est broyé par le racisme de ses collègues et pète un câble en voulant se faire justice lui-même, ciblant des innocents proches de ceux qu'il considère comme ses persécuteurs ou du moins de ceux qui n'ont pas su l'écouter, le protéger, l'aider.

Cela est décliné à travers ses deux amis les plus proches, également recrutés par la police en même temps que lui, Eric Wells et Samantha Park. Ces trois jeunes gens, issus chacun d'une communauté différente (afro-américaine pour Wells, asiatique pour Park, et latine pour Ortega), sont des archétypes commodes qui permettent au scénariste d'aller plus vite au coeur du sujet qu'il veut traiter, mais qui représentent quand même, avec nuance, d'autres points de vue sur l'intégration à un service de maintien de l'ordre.

Sorte d'arbitre, de témoin et de victime collatérale, Renee Montoya se situe au coeur du dispositif narratif de la mini-série. Elle s'interroge à la fois sur ses compétences à occuper le poste de commissaire, à réformer les institutions, et à tenir les promesses qu'elle avait faites aux recrues (les former et les protéger mais aussi veiller à ce qu'ils soient dignes de l'uniforme). Dans cet ultime chapitre, elle est encore confrontée à ses propres défaillances mais aussi elle assume de devoir arrêter, si possible sans le faire tuer, Ortega.

Grâce au dessin expressif et aux ambiances pesantes qu'il a su créer, Stefano Raffaele complète le propos de Ridley avec finesse et force. Il privilégie les gros plans sur les visages, souvent fatigués, des protagonistes, à juste titre puisque ce sont sur les traits de ces figures qu'on peut le mieux lire la tristesse, l'abattement, la colère, la frustration. De manière générale, l'artiste excelle à traduire l'impression de fin de course de l'histoire tout en entretenant le doute sur l'issue, tragique ou pas, de l'intrigue.

Les couleurs, à majorité de brun, de marron, de gris, de Brad Anderson m'ont longtemps déplu mais au final, ce choix chromatique s'avère payant. GCPD : The Blue Wall n'est pas une BD légère, ni même confortable ou aimable. On plonge en la commençant dans un bain de brutalité, de noirceur, qui vous laisse un goût amer. Comme le dit Montoya à la toute fin, elle est une survivante, et c'est ce qui définit le mieux tous les personnages, après avoir traversé les épreuves endurées pendant six épisodes, denses et intenses.

Je ne dévoilerai évidemment pas ce qu'il advient de Danny Ortega, s'il s'en sort ou pas. Mais il me semble que Ridley a réussi à conclure honnêtement, sans tomber dans la caricature, la facilité. L'épilogue ajoute à ce sentiment de justesse, avec ce qui reste finalement de tout ce qui s'est joué, à l'heure des réseaux sociaux, des chaînes d'info en continu, et dans une métropole aussi spéciale que Gotham.

J'espère vraiment que Urban traduira cette mini-série et que j'aurai participé, à mon humble niveau, à vous donner envie de la lire, car c'est vraiment très bon, puissant, intelligent et beau. Surveillez les plannings de l'éditeur français, et s'il n'affiche rien, faîtes du lobbying pour avoir une vf de GCPD : The Blue Wall !

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