samedi 21 décembre 2019

FOLKLORDS #2, de Matt Kindt et Matt Smith


Le premier épisode de Folklords a été un de mes coups de coeur du mois dernier et j'étais curieux de savoir si cette bonne impression se confirmerait avec ce nouveau numéro. Matt Kindt ne déçoit pas tout en livrant un récit de facture classique, une histoire initiatique dont la simplicité dissimule un mystère très intriguant. De son côté, Matt Smith opère de manière semblable, avec un dessin qui réussit à captiver sans verser dans le spectaculaire.


Ansel et Archer ont pris la route après avoir fui malgré l'interdiction des Bibliothécaires. Archer raconte ses origines : unique elfe du village, il n'a jamais connu ses vrais parents, recueilli par un couple très pauvre au destin cruel.


Les deux garçons doivent choisir entre poursuivre leur quête via une route toute tracée ou à travers une forêt enchantée. Ils empruntent cette seconde voie à l'initiative d'Ansel, qui ne se doute pas comme Archer que quelqu'un les surveille.


Ils ne mettent pas longtemps à croiser un obstacle en la personne d'une femme aussi forte que très laide, à l'air menaçant. Archer la blesse avec son lance-pierre puis prend la fuite. Elle attrape Ansel qu'elle embrasse avant de le relâcher, la mine dépitée.


Les deux garçons approchent ensuite d'une rivière où une jeune fille, Greta, pleure la disparition de son frère dans les bois. Devant un feu, à la nuit tombée, elle raconte qu'il aurait été enlevé par un tueur qui drogue les enfants puis les enterre de sorte que la forêt est peuplée d'arbres maudits.


Ansel fait un cauchemar et se réveille en sursaut au petit matin. Mais Archer et Greta ont disparu. Il part à leur recherche et aboutit à une maisonnette devant laquelle il perd connaissance. Lorsqu'il revient à lui, il est prisonnier et ligoté à la merci de ce qu'il croit être le tueur de la forêt...

Tout dans Folklords repose sur un subtil art du décalage, rien n'y est ce qu'il paraît être. Soit on accepte ce parti-pris et on se régale. Soit on y n'adhère pas et on s'ennuie. Mais pour qui suit les pas de Ansel et Archer, l'aventure vaut, à mon avis, le coup car Matt Kind intrigue efficacement.

Tout commence par la tenue de Ansel, vêtu comme un collégien d'un établissement privé normal, avec son pantalon, sa veste et sa cravate noirs et sa chemise blanche, alors que l'histoire se situe dans un monde de fantasy. Cela suffit à troubler constamment le lecteur qui voit cela comme un indice sur la nature réel du conte. Il est évident que Ansel ne vient pas d'ici, et le secret de ses origines est la clé de tout. Mais cela, évidemment, Kindt se garde bien de l'éventer.

Ensuite, au début de ce nouvel épisode, on apprend le passé de Archer et d'une manière semblable, on a droit à un écart entre ce que l'elfe dévoile et ce que les images de Matt Smith révèlent. D'un côté, il y a une sorte de fable triste mais commune sur un enfant perdu, recueilli ; de l'autre, une malédiction sinistre (même si la responsabilité de l'elfe reste sujette à caution). 

Ainsi, chaque étape du scénario joue avec le vrai et le faux, la réalité et les apparences, et c'est au lecteur d'apprécier, parfois sans que l'auteur tranche. Lorsque Ansel est embrassé de force par la femme des bois, sa réaction est d'abord dégoûtée (sans doute parce qu'il n'a jamais été embrassé de cette manière et qui plus est par une femme aussi laide) puis très vite il soupçonne qu'elle est peut-être une princesse qui désirait ce baiser pour récupérer une apparence plus flatteuse, mais ça n'a pas fonctionné - et cela justifie le dépit manifeste qu'elle exprime en libérant le garçon sans violence.

Juste après, Archer et son partenaire découvrent la jeune Greta et l'elfe craint un piège (comme nous). Pourtant, Kindt ne nous donne pas ce qu'on attendait et livre une nouvelle histoire dans son histoire, avec un tueur dans la forêt, un enlèvement, des bonbons drogués... Le duo se fait trio, et la quête initiale dévie pour se donner l'objectif de retrouver le frère de Greta. D'où vient alors ce malaise que la jeune fille a mené en bateau les deux amis ?

Cela se confirme quand au matin, Archer et Greta se sont volatilisés et que Ansel remonte rapidement leur piste avant de tomber dans un piège redoutable. Entretemps, il a fait un rêve très étrange, parcellaire, morcelé, qui suggère encore une fois qu'il ne vient pas de ce monde : il a repêché en songe un smartphone, a entendu des voix évoquant une autre réalité, remettant en question la logique même des contes...

Parce que tout cela est raconté de manière très fluide, on se laisse facilement hameçonner. Les éléments perturbants disséminés ici et là contribuent à nous accrocher. On veut savoir en même temps que le récit, ses péripéties nous emmènent ailleurs. C'est une route à deux voies, apparemment parallèles mais vouées à se rejoindre. Et l'attachement qu'on a pour Ansel, la curiosité que suscite Archer, la méfiance qu'engendre Greta, tout cela alpague.

Le dessin de Matt Smith est excellent. Il sait parfaitement représenter des enfants sans niaiserie, en les rendant expressifs malgré un trait économe. Le décor principal de la forêt est inquiétant sans sombrer dans dans quelque chose de trop convenu. La colorisation de Chris O'Halloran contribue à cela car il privilégie des tons agréable, rassurants, nuancés. Notre vigilance est en quelque sorte endormi de la même façon que le tueur des bois piège ses victimes avec des bonbons. Cette correspondance entre l'image et les motifs narratifs est très habile.

L'aventure ne fait que commencer mais elle est bigrement addictive et dépaysante. Bien qu'elle s'en distingue, cette série rappelle le plaisir qu'on avait à lire les Fables de Bill Willingham autrefois. 

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