jeudi 11 avril 2019

PRODIGY #5, de Mark Millar et Rafael Albuquerque


Prodigy aura bien mal porté son nom : Mark Millar livre un pénultième épisode en roue libre, s'auto-citant avec une rare complaisance et une paresse éhontée. Il semble même avoir contaminé Rafael Albuquerque, qui sauve ce qui peut l'être en ne forçant vraiment pas son talent.  


Edison Crane est donc pris au piège dans un temple à Palmyre aux mains de terroristes islamistes. Il doit les affronter tout en mémorisant les inscriptions sur les colonnes et les murs du bâtiment tout en s'échappant.


Blessé, il parvient in extremis à ses fins. Et alors que Rachel Straks le conduit à un hôpital, l'USAF bombarde le site et se débarrasse des terroristes du même coup. Admis en urgences, Crane est opéré sous anesthésie générale.


Alors que l'équipe médicale s'affaire, il a une révélation sur le sens des inscriptions mémorisées au temple et plus généralement sur le plan de l'invasion extra-terrestre qu'elles doivent lui permettre d'empêcher.


Lorsque Rachel Straks se rend à son chevet, elle découvre que Crane a racheté tout l'hôpital et fait déménager deux services pour privatiser une salle où travailler. Il a ainsi décrypté comment les envahisseurs vont débarquer sur Terre et pourquoi.


Mais, ce faisant, il a surtout permis à Lord Dashwood d'apprendre comment faciliter la venue des visiteurs. Et pour cela, il a pu compter sur la complicité de Rachel Straks qui blesse à nouveau par balles Crane.

Comme je le relevais le mois dernier à propos de l'épisode 4, Mark Millar a complètement failli avec Prodigy sur un point déterminant : l'importance du vilain. Meilleur il est, meilleur sera l'histoire, comme disait Hitchcock, et on le vérifie encore plus cruellement quand on anime un héros supérieurement intelligent. S'il n'a pas d'adversaire à sa mesure, le récit n'est qu'un one-man show guère palpitant.

Cette fois donc, la recette n'a pas fonctionné. Même en retrouvant son complice de Huck (autrement plus réussi), Rafael Albuquerque, Millar a échoué. Cet avant-dernier chapitre de Prodigy ne fait qu'enfoncer le clou.

On tourne les pages non pas blasé mais indifférent. Crane se sort encore de situations critiques invraisemblables, mais qu'importe : le problème n'est pas là. Depuis le début ce super-savant a toujours le dernier mot, on ne s'étonnera pas qu'il le conserve. Même quand cela sombre dans le ridicule, comme quand il veut s'opérer lui-même d'une blessure par balles... Au motif qu'il a deviné que le chirurgien était trop jeune pour cela !

Finalement anesthésié, on est presque soulagé qu'il se taise et arrête de fanfaronner. Mais comme cet homme ne se repose jamais, même avec une dose de calmants suffisante pour l'immobiliser sur une table, il a la révélation totale sur comment et pourquoi des extra-terrestres vont envahir la Terre. Millar n'y va pas avec le dos de la cuiller (on a l'habitude) et convoque la Tour de Babel puis un accélèrateur de particules entre la France et la Suisse pour en faire un portail dimensionnel. Mieux vaut en rire. C'est du grand n'importe quoi, mais assumé.

Ce qui est plus embarrassant, c'est quand Millar recycle carrément un rebondissement utilisé (et usé jusqu'à la corde) dans son récent (et très bon) The Magic Order avec la présence d'un traître aux côtés même du héros. Là, on rit jaune et on se demande même si le scénariste s'est rendu compte de sa propre escroquerie.

Pour illustrer tout cela, Albuquerque enchaîne les pages très dynamiques comme il sait le faire. Mais toutes manquent d'âme, d'implication. Souvent les décors sont grossièrement suggérés, quand ils ne sont pas absents (remplacés par des traits de vitesse). Au détour d'une scène, l'artiste prouve qu'il peut épater (les murs entièrement recouverts d'inscriptions de la salle privatisée de l'hôpital par Crane, avec des perspectives très marquées). Mais une fulgurance ne masque pas un graphisme trop expédié.

Le cliffhanger montre Edison Crane dépassé, vraiment, un petit suspense prometteur. Mais pas trop quand même. Il faudrait un sacré miracle pour que le dernier chapitre renverse la vapeur. En souhaitant que Millar ne songe pas à une suite...

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