lundi 12 octobre 2020

FIRE POWER #4, de Robert Kirkman et Chris Samnee

 

Et je finis les critiques de cette semaine avec la parution du n°4 de Fire Power. J'ai donc, en quelque sorte, gardé le meilleur pour la fin car c'est un vrai régal d'avoir désormais ce rendez-vous régulier avec ce titre et ses auteurs. Il ne faut pas chercher plus loin : c'est du plaisir que procurent Robert Kirkman et Chris Samnee, du plaisir pur produit par deux narrateurs accomplis.



Un malaise s'est installé entre Kellie et Owen Johnson depuis que le passé de ce dernier est revenu le hanter. Avec les récents événements, c'est surtout le fantôme de son premier amour, au temple du Poing Enflammé, qui s'est dressé entre Owen et son épouse.


Justement, pendant ce temps, au temple, Chou Feng a pris des dispostions radicales pour éliminer Owen, sans passer par la voie diplomatique désirée par Ma Guang. Celui-ci prend mal d'être ainsi écarté des opérations.


Déstabilisé, Owen cherche conseil auprès de son père adoptif qui lui recommande de parler franchement à sa femme et de bien réfléchir à qui vont ses sentiments. Owen pense toujours à Lin Zang mais jure qu'il aime Connie davantage.



Et c'est ce qu'il lui répéte lors d'un dîner au restaurant. Kellie doute qu'il puisse jamais oublier Lin car elle a été son premier amour. Mais Owen répond qu'il n'a jamais connu avec cette dernière l'existence qu'il a avec Connie, le fait d'être mariés, parents. Connie, bouleversée, rend les armes.


Owen s'absente pour aller aux toilettes et remarque que la porte de service du restaurant est entrouverte. Il est alors violemment attaqué et la soirée va connaître un tour imprévu et dramatique...

Une bonne série, c'est comme un ami : on la quitte et aussitôt on compte les jours avant de le retrouver. C'est aussi simple que ça. Comptez donc le nombre de séries qui vous inspire ce genre de sentiment, c'est un test rapide et très éloquent sur ce que vous prenez vraiment plaisir à lire.

Lire et non pas consommer. Car être un lecteur, et de comics en particulier, implique d'absorber souvent plusieurs centaines de pages par semaines et plus encore par moi sans même s'en rendre compte. Une vingtaine de pages en moyenne pour un épisode, c'est souvent vite lu, et le fan esst gourmand, il lui en faut beaucoup pour le rasassier. On enchaîne alors les épisodes, les séries, de manière quasi-boulimique, parfois avec un brin de masochisme parce qu'on lit aussi des séries par habitude alors qu'on n'y trouve pas/plus totalement son compte mais qu'on ne se résigne pas à les abandonner.

Que reste-t-il de tout ça à la fin du mois ? Souvent un amalgame de sensations indistinctes, parfois à la limite de l'indigestion. Là aussi, essayez de vous rappeler précisèment de tout ce que vous avez lu : à moins d'avoir une mémoire d'élephant, c'est vite compliqué. Pourquoi ? Parce que les événements s'entrechoquent;, s'entremêlent, les personnages deviennent interchangeables, les intrigues se répétent. C'est particulièrement troublant avec les comics de super-héros où les codes narratifs sont semblables de l'un à l'autre mensuel, avec les mêmes figures de héros et de vilains.

Malgré tout, cette littérature "pop" nous procure du plaisir, suffisamment pour triompher de nos doutes, de nos réserves, de notre lassitude. Il y a quelque chose de confortable dans cette répétition et on n'aime pas se séparer de ce qui nous procure cette évasion, cette familiarité.

Reste qu'on est parfois encore plus confortable dans son lit que dans son canapé (ou l'inverse, c'est selon vos goûts). Tout repose dans le talent des narrateurs et le plaisir qu'on a à les lire. Certains vous manipulent plus agréablement que d'autres, en employant des ficelles certes aussi voyantes que la moyenne, mais avec plus de savoir-faire, plus de complicité. Il s'agit de vous faire apprécier plus vite, plus durablement aussi, un personnage, un décor, une intrigue.

Avoir été privé de ce genre de plaisir renforce le fait de le retrouver; C'est mon cas avec Chris Samnee. Pendant de longs mois, cet artiste que j'adore n'a plus réalisé de série régulière, j'étais frustré, en manque. Le voir revenir avec Fire Power (même si, je l'avoue, je ne l'attendais pas forcément sur ce terrain) a été une des rares bonnes nouvelles de cette année si peu aimable. Est-ce que je me serai intéressé à ce titre sans lui ? J'en doute.

L'épisode de ce mois apporte tout ce que j'aime dans cette série. En premier lieu, sa faculté à varier les plaisirs. Ce numéro est intimiste, il laisse derrière lui les scènes d'action (sauf à la toute fin) et se concentre sur ses personnages, pour justement prendre le temps d'analyser les conséquences des événements mouvementés des précédents épisodes. En particulier le fait qu'il renvoie à Owen Johnson le souvenir de son amour perdu, Lin Zang.

Ce qui me manque parfois dans les comics traditionnels, c'est ce temps pris pour réfléchir aux pertes et profits dans la vie des héros. C'est plutôt une cascade de rebondissements qui prime et donne l'impression qu'une affaire en chasse une autre, et empêche finalement le héros de se poser pour penser au sens de son existence. Il ne s'agit pas de disserter pendant un épisode sur les tourments de la vie (super) héroïque, tout lecteur attend autre chose et d'abord que l'histoire progresse et que les personnages soient entraînés dans son flux. Mais il est aussi opportun parfois de savoir comment le héros assume tout ce qu'il traverse.

D'une certaine manière, en creux, c'est ce que traite ici Robert Kirkman via le personnage de Kellie qui dès la première scène avoue à son mari qu'elle ne peut rester à ses côtés quand le fantôme de son premier amour est si manifestement présent dans son esprit. Très simplement, le scénariste montre Owen s'interroger sur ce qu'il doit faire pour garder sa femme sans renier son passé amoureux. Tout cela culmine dans une longue scène finale au restaurant où, grâce à des dialogues très sobres mais très justes, Kirkman accouche son héros.

Samnee découpe cette scène avec la même simplicité et la même justesse. Dans le dilaogue entre le dessinateur et son partenaire publié comme d'habitude en postface du numéro, Samnee répond à Kirkman qui a remarqué que le dessinateur cadrait pour terminer les mains jointes du couple. Samnee plaisante en disant que quand on a assez dessiné les visages dans ce genre de scènes, il faut passer aux mains, qui traduisent aussi efficacement les émotions. Mais sous la blague, c'est une vérité élémentaire exprimée par l'artiste  et qui s'étend à tout l'art de bien découper une scène : pas la peine de faire le beau avec des cadrages et des compositions tape-à-l'oeil, il faut viser ce qui est le plus évident.

Je parlais du plaisir, et celui que procure Fire Power tient à ça : c'est une BD simple. Mais cette simplicité n'est pas... Simple à obtenir. Elle requiert de l'expérience, de la maîtrise, car il en faut pour que ça paraisse simple pour le lecteur. C'est de la danse entre le narrateur et le lecteur, l'effort ne doit jamais se voir, la mise en scène est invisible. Pourtant, à la lecture, on ressent la justesse dans le choix du découpage, des expressions, des lumières.

Cela s'applique aussi à l'action. Si cet épisode en réserve peu, elle est néanmoins là dans les dernières pages. A ce sujet encore, Samnee et Kirkman échangent dans la postface sur un détail a priori insignifiant. Owen remarque une porte entrouverte et se de demande si c'est normal. La réponse ne se fait pas attendre, il est attaqué (donc, ce n'était pas normal, cette porte entrouverte). Kirkman explique que son ami Erik Larsen (le créateur de Savage Dragon) est toujours opposé à ce genre d'avertissement dans le récit car il pense que la surprise doit être la même pour le héros que pour le lecteur, si le héros se demande si c'est normal, le lecteur saura instinctivement que non. Samnee n'est pas d'accord, objectant que tout dépend de la mise en place et de la suite de la scène. Il faut "juste" que scénariste et dessinateur aient les ressources pour produire une scène dans la continuité qui assure au lecteur un maximum de sensations, afin que l'avertissement ne suffise pas à le prévenir du danger réel.

Et c'est ce qui se passe ici, d'autant plus que, juste avant la scène du dîner, quand Owen et Kellie partent pour le restaurant, le lecteur a vu des tueurs ninjas perchés dans un arbre en face de la maison des Johnson. Il sait donc que la soirée ne va pas être que romantique. Et parce que nous savons cela, nous nous en remettons à Kirkman et Samnee pour ne pas nous décevoir. Le bref combat que mènera Owen à l'arrière du restaurant sera suffisamment intense pour nous convaincre et la dernière image installe un cliffhanger suffisamment accrocheur pour être sûr que le prochain épisode sera épique.

Cette confiance dans leur narration, Samnee et Kirkman l'ont assez pour que la couverture, qui spoile en vérité la fameuse scène d'action de l'épisode, ne nous en montre pas trop non plus, mais nous séduise par son dynamisme.

Pour tout cela, le plaisir est garanti. Pour la maîtrise du geste, pour la satisfaction qu'il engendre, pour l'excitation qu'il suscite quant à la suite.

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