vendredi 17 juin 2022

CAPTAIN AMERICA : SENTINEL OF LIBERTY #1, de Jackson Lanzing & Collin Kelly et Carmen Carnero


Un peu plus d'un mois après la parution du premier n° de Captain America : Symbol of Truth dont Sam Wilson est la vedette, voici le premier épisode de Captain America : Sentinel of Liberty où Steve Rogers est le héros. Pour orchestrer ce retour attendu, Marvel parie sur le duo de scénaristes Jackson Lanzing-Collin Kelly et la dessinatrice Carmen Carnero. Le résultat est très prometteur et ludique.


Estimant qu'il doit se rapprocher de gens plus ordinaires, Steve Rogers emménage dans l'appartement où il a grandi. Membre d'un groupe de radio amateurs, il découvre un complot visant la Fête Nationale.


Sevondé par Bucky, le soir du 4 Juillet, il surveille le défilé dans les rues de New York. Bucky repère sur le port un bateau suspect transportant du matériel dangereux. Il attaque le premier.


En difficulté, Bucky reçoit le renfort de Captain America qui identifie le maître su navire comme le Destructeur, ou plutôt un usurpateur de cette figure de son passé durant la seconde guerre mondiale.


Celui-ci maîtrisé, de haute lutte, Cap ne peut éviter qu'il meurt après lui avoir glissé à l'oreille un secret concernant son bouclier. Bucky rentre chez lui et barre le nom du Destructeur d'une liste de cibles...

Cela faisait un bail que je n'avais pas lu du Captain America avec un tel plaisir. C'est un personnage à part, qui m'a séduit sur le tard grâce au run de Ed Brubaker et via les films du MCU (et l'interprétation impeccable de Chris Evans). Je ne suis donc pas un spécialiste du héros mais je n'ai pas accroché aux runs de Rick Remender, de Nick Spencer, de Ta-Nehisi Coates. 

Pourquoi ? Parce qu'à chaque fois j'avais l'impression que ces auteurs, au talents divers, entraînaient le personnage dans des directions qui ne me donnaîent pas envie de m'investir. Remender se réclamait du Jack Kirby des années 70, Nick Spencer a construit son projet pour aboutir à l'event Secret Empire avec un Captain Hydra, et Ta-Nehisi Coates a voulu utiliser le héros pour répondre à la crise institutionnelle des Etats-Unis sous l'administration Trump.

Or, ce que j'appréciai chez Brubaker (comme chez Mark Waid à la fin des années 90, période Heroes Reborn), c'était la volonté de raconter une histoire où action et psychologie primaient, sans non plus occulter la dimension symbolique de Captain America. C'est un équilibre délicat à trouver.

De Jackson Lanzing et Collin Kelly, je n'ai pas lu grand-chose, mais je gardais une excellente impression de leurs quelques arcs sur Green Arrow avant l'annulation inexplicable de sa série au #50 en 2019. DC avait trouvé avec eux les remplaçants parfaits à Benjamin Percy mais, semble-t-il, les projets de Bendis pour l'archer vert (dans Leviathan et Checkmate) décidèrent l'éditeur à couper court. 

Toutefois, quand, enfin, l'annonce de la relance d'une série Captain America avec Steve Rogers dut officialisée avec Lanzing & Kelly aux commandes, j'étais immédiatement impatient de découvrir ce qu'ils allaient proposer, notamment avec une intrigue autour du bouclier du héros et d'un secret à son sujet. Ajoutez la dessinatrice Carmen Carnero, à laquelle j'avais trouvé un bon potentiel sur ses épisodes de Captain Marvel (au début du run de Kelly Thompson) et qui allait devenir la première femme à illustrer ce titre, et le compte était bon.

Ce qu'on remarque très vite, ici, c'est le plan consistant à refaire de Captain America le héros du peuple : il se réinstalle dans l'appartement de ses parents dans un quartier modeste. BIen entendu, tout le monde le reconnaît mais aussi respecte son intimité. Il y a un bon dosage dans les relations de Rogers et des gens qu'il côtoie, au cours de dessin, au bar, et au sein d'un groupe de radio amateurs - hé oui, avec une certaine malice, le passe-temps de Cap, c'est la cibi, quelque chose d'un peu désuet, de démodé, qu'il pratique avec des amis assez âgés pour la plupart.

Ecrire Captain America en traitant de son côté décalé, out of time, c'est toujours casse-gueule car on peut vite ringardiser le personnage, le faire passer pour une relique, un type campé sur des valeurs dépassées. Et, en même temps, c'est ce qu'il est : une sorte de gardien du temple, qui incarne le meilleur de son pays, une conception nostalgique et idéalisée de l'Amérique. Oublier ça, c'est perdre une partie de ce qui le personnifie.

Puis, soudain, tout s'accélère : un soir qu'il échange avec les cibistes, il intercepte des codes correspondant à des coordonnées, un lieu, une date, un motif - New York, le 4 Juillet, l'étoile sur son bouclier. Lanzing et Kelly jouent avec leur héros comme avec leur lecteur en lançant une énigme à résoudre. Ce procédé interactif, où le fan est sollicité pour deviner ce que cela cache avant le héros, est très original et amusant. L'exposition est terminée : place à l'action !

Entre en jeu Carmen Carnero. Non pas qu'elle se soit économisée jusque-là, mais paf ! elle envoie du bois et lâche une double page absolument sidérante (voir ci-dessus) du défilé de l'Independance Day dans les rues de la ville avec Cap et Bucky en vigies. Impossible de résister à l'ambition, à la beauté de ce plan, qui fait basculer tout l'épisode dans un second acte spectaculaire.

L'artiste avait montré des dispositions prometteuses sur Captain Marvel, même s'il y avait quelques maladresses, des baisses de régime. Mais enfin, on sentait qu'elle progressait vite (il suffisait de comparer ces épisodes avec ce qu'elle produisait chez DC, un coup sur un Annual de Green Arrow, un coup sur un fill-in pour Detective Comics).

Elle aussi a expliqué, lors de l'annonce de la relance de la série, qu'il s'agissait d'un énorme challenge car dessiner Captain America, c'est s'inscrire dans la lignée d'artistes mythiques, le premier d'entre eux étant le co-créateur du personnage, Jack Kirby. Il y a une vraie charge à s'occuper de ce héros. Et Carmen Carnero doit en plus composer avec le fait qu'elle est (sauf erreur de ma part) la première femme à être en charge de la série Captain America. Autant dire qu'elle devait se sentir surveillée.

Mais elle s'acquitte de cette lourde tâche avec brio. On notera qu'elle a procédé à de subtiles modifications du costume, dans le respect de son design. Un col pour protéger la nuque, des gants repliés, des bottes qui ne sont pas retournées. Mais sinon les ailettes sur le masque sont là, les rayures sur l'abdomen aussi, l'étoile sur le torse. Et le bouclier tel qu'en lui-même (avec tout juste un effet de relief sur l'étoile centrale).

Parlons de sa mise en scène : Captain America et Bucky vont devoir batailler avec un homme qui arbore le masque du Destructeur (masque revisité tout comme le costume néanmoins). Originellement le Destructeur est un super-soldat apparu dans un camp de concentration nazi et qui a affronté les allemands après son évasion. Robert Kirkman avait écrit une mini-série Destroyer bien saignante et iconoclaste, avec Cory Walker au dessin, imaginant que le héros, à 70 ans passés, était encore en service pour le compte de services spéciaux, avec un suspense bâti sur la possibilité qu'il claque à tout moment.

Cette fois, c'est un usurpateur et il est à la solde d'un ennemi dans la coulisse, dont on ne sait encore rien des motivations, des moyens, des desseins. Mais qui n'hésite pas à sacrifier son pion lorsqu'il est neutralisé par Cap et Bucky. Toutefois, avant de mourir, ce faux Destructeur murmure à Cap que son bouclier ne lui appartient pas, en écho à la toute première scène de l'épisode où on assiste à l'opération de fonderie du bouclier autrefois.

Carnero dispose du script nerveux de Lanzing & Kelly pour découper efficacement cette partie axée sur l'action et la baston, avec quelques acrobaties dynamiques. Elle s'en sort très bien, c'est énergique, lisible. Surtout elle s'applique à montrer les différences d'approche entre Bucky, fusil mitrailleur en main et prêt à tirer, tandis que Cap avec son bouclier veut des réponses et s'interpose au moment crucial. On est encore plus intrigué par une scène ensuite, où Bucky semble tenir à jour une liste de cibles à abattre - cela semble renvoyer à une image du one-shot Timeless de Jed MacKay de où on voyait subrepticement une image où Bucky venait de tirer sur Cap...

Tout ça forme un ensemble très appétissant et consistant. Autant de raisons d'aimer et de suivre Captain America : Sentinel of Liberty.

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