mercredi 8 juin 2022

THE BLUE FLAME #4, de Christopher Cantwell et Adam Gorham


Pour le quatrième épisode de The Blue Flame, Christopher Cantwell et Adam Gorham explorent la question du deuil et de la rédemption. La série creuse profond et émeut en sondant la psyché de son héros tiraillé entre deux mondes, deux temporalités. L'intrigue se fait à la fois plus noueuse et dense mais reste captivante.


Sam Brausam se réfugie dans le cimetière de Milwaukee. Assis par terre, adossé à une tombe, il se remémore les noms des victimes de la fusillade et pense à Zola Wallace de la Brigade de Nuit.


Sur Exilos, les Arbitres expliquent à Blue Flame et Yarix le déroulé du procès. Peu après, Blue Flame intervient pour sauver les passagers d'un avion sur le point de se crasher.


Sam accepte de parler à Reed Gordon de la Brigade de Nuit. Alors qu'il défend leurs actions, il l'embrasse. Ils s'apprêtent à faire l'amour mais Sam est impuissant à cause des médicaments qu'il prend.


Sur Exilos, les Arbitres reprochent à Blue Flame son intervention lors du crash. Il se défend en affirmant que c'est ce que tout humain aurait fait. Yarix le soutient.

L'épisode s'ouvre sur une longue séquence de plusieurs pages, très puissante. L'image (ci-dessus) de Sam Brausam dans le cimetière de Milwaukee adossé à une tombe est saisissante tout comme le texte en voix-off qui énumère les noms des victimes de la fusillade. On comprend tout de suite que cet épisode va explorer vraiment le deuil (impossible) du héros et ce qu'il est convenu d'appeler la culpabilité du survivant.

Car, c'est bien de cela qu'il s'agit, qui était non dit mais sensible déjà auparavant, pourquoi Sam a survécu ? Ce traumatisme est encore plus intense que le fait de vivre aujourd'hui avec de lourdes séquelles physiques. Il est littéralement hanté par ces vies perdues, massacrées, sans raison, et peut-être plus encore par l'absence d'explication concernant le fait que lui a échappé à ce drame.

Christopher Cantwell va, à partir de là, et pour quelques autres épisodes suivants, sonder ces interrogations, non pour tenter d'y apporter une réponse (il n'y en a pas), mais pour définir la personnalité de Sam Brausam désormais. Il n'est plus ce chauffagiste sympa du premier épisode, il n'est plus le vigilante Blue Flame qui était parti rejoindre ses acolytes de la Brigade de Nuit pour une exhibition. Au fond, même s'il ne le formule pas encore, a-t-il jamais été un héros, un vrai héros ?

On sent que cela le taraude puisque, quelques pages plus loin, il finira par accéder à la requête insistante de la journaliste Reed Gordon pour évoquer la Brigade de Nuit, leurs actions, leur importance (supposée ou réelle). Mais avant cela, Cantwell a encore une scène à montrer pour clore cette séquence inaugurale.

En effet, on suit Sam qui quitte le cimetière et voit une jeune femme victime d'un voleur à la tire sur le trottoir en face. Il tente d'intervenir, mais le malfrat a vite fait de le rétamer en le poussant. sam se casse misérablement la figure et prend un coup puis assiste à la fuite du voleur avec le sac de la jeune femme également tombée sur le bitume. Définitivement et cruellement, Blue Flame n'est plus qu'un souvenir, il vient de mordre la poussière en même temps que son alter ego qui croyait encore pouvoir faire la différence, oublier le fait qu'il n'est plus que la moitié de l'homme qu'il fut.

Cette image de la moitié d'homme parcourt tout l'épisode (et par extension une bonne partie de la série) puisque la narration parallèle reprend avec ces allers-retours entre le Terre et Exilos. Sur cette planète lointaine, Blue Flame est plus qu'il n'a jamais été avec son jet-pack, son costume customisé, et sa réactivité. 

Alors qu'il vient d'entendre les Arbitres du Tribunal du Consensus lui détailler le futur déroulement du procès de la Terre, un avion menace de s'écraser avec ses passagers à bord. Sans réfélchir, le héros humains s'envole à leur secours et les tire de l'engin. Tout s'est passé très vite, très efficacement. L'exact contraire de la scène précédente avec le voleur, la jeune femme et Sam.

Cet effet miroir est redoutable, d'autant qu'il renvoie le lecteur dans les codes du récit super-héroïque classique. Jusque-là, on avait en effet peu vu Blue Flame en action et là, on a droit à un moment extraordinaire qui met en valeur non seulement son équipement mais aussi sa bravoure.

Retour sur Terre. Sam accepte de parler à Reed Gordon qui souhaite écrire un article, pas forcément flatteur, au sujet de la Brigade de Nuit. Lors de leur précédente rencontre, Sam s'était montré très remonté contre ce projet, grommelant que la reporter ne connaissait rien aux activités réelles de l'équipe et donc qu'elle était incapable d'en parler correctement. 

A présent, Sam s'ouvre, non pas dans un esprit revanchard, mais avec la volonté de justifier les exploits de ses amis. Il se fait modeste, sans doute aussi parce qu'il vient de subir l'humiliation en échouant à secourir une femme contre un voleur minable. Modeste mais déterminé. Reed a un point de vue qui est intéressant sur la Brigade qu'elle considère comme des naïfs déguisés mais aussi des gens potentiellement inconscients et qui auraient eu besoin d'être encadrés, au lieu de vouloir se substituer aux forces de l'ordre. Le vigilantisme est trouble et c'est surtout cela qu'elle entend questionner, sinon dénoncer.

Pour Sam, l'affaire est d'abord personnelle et l'empêche d'être objectif. Il parle d'amis proches avec lesquels il a partagés des moments spéciaux, et qu'il a perdus dans des circonstances tragiquement absurdes, sans rapport avec leurs activités de justiciers urbains. La confrontation d'idées entre Reed et Sam aboutit à un dialogue subtil et intelligent. Et se prolonge là encore par un dénouement étonnant, imprévisible.

Entre Sam et Reed, tout est électrique, trop pour n'être résumé qu'à un échange entre un ex-héros et une journaliste. Sam embrasse Reed qui ne le repousse pas. Ils s'étreignent, commencent à se déshabiller. Mais la chute est rude, cruelle, peut-être encore plus qu'avec le voleur puisque Sam s'avère impuissant, assommé par le traitement médicamenteux qu'il prend pour apaiser ses douleurs. Dans un geste d'une grande tendresse, Reed l'enlace et entoure sa tête avec ses bras contre sa poitrine. C'est tout simplement beau et émouvant.

Adam Gorham capte ces moments avec une pudeur imparable. Son dessin est d'une sobriété exemplaire, il n'a jamais besoin d'en rajouter, il lui "suffit" d'illustrer. Son découpage est juste, précis, les expressions, les attitudes, les enchaînements sont d'une fluidité absolue.

Cela est remarquable quand on compare ces scènes intimistes et humiliantes avec la scène du sauvetage sur Exilos, avec des couleurs éclatantes de Kurt Michael Russell, et des cases aux dimensions plus généreuses, des angles de vue plus spectaculaires.

Toutefois, Gorham sait aussi prouver son inventivité dans la mise en scène des moments plus ordinaires comme lorsqu'il dispose ses vignettes en cascade lors de l'étreitne fièvreuse entre Reed et Sam, comme si les deux personnages tombaient dans une sorte de puits. L'effet est ingénieux.

L'épisode se conclut sur une note sèche. Alors que les Arbitres tentent de sermonner Blue Flame et que Yarix défend son geste héroïque, malgré les rires dans la salle lorsque le terrien affirme que ses semblables auraient tous agi comme lui en pareille occasion, un bref échange prouve qu'une bascule s'est opérée. Blue Flame remercie Yarix de son soutien mais nuance aussitôt en le prévenant qu'il n'a pas besoin d'être paterné et qu'il se tient prêt pour le procès. Toutefois, on aura l'opportunité de vérifier que Yarix est un personnage très ambigü et que sa relation avec Blue Flame s'en ressentira.

Décidément, voilà une série palpitante, équivoque, profonde. On ne s'ennuie pas, mais surtout on vibre, on est touché, ému. C'est tout de même fort et rare dans le cadre a priori balisé d'un comic-book super-héroïque même si The Blue Flame contourne magistralement les règles du jeu...

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