lundi 20 juin 2022

DEEP WATER (EAUX PROFONDES), de Adrian Lyne


Vingt ans après sa dernière réalisation, le vétéran Adrian Lyne revient faire parler de lui avec Deep Water, remake de Eaux Profondes de Michel Deville et adaptation du roman de Patricia Highsmith. D'abord prévu pour une sortie en salles, le film a été relégué sur la plateforme de streaming Hulu en raisons de son érotisme brûlant. Vraiment ?


Vic et Melinda Van Allen vivent dans la paisible ville de Little Wesley en Louisiane avec leur petite fille Trixie. Les infidélités de Melinda font les gorges chaudes de leurs amis mais Vic a passé un arrangement avec sa femme : il accepte ses écarts tant qu'elle ne le quitte pas. 


Pourtant lorsque Melinda ramène à une fête Joel Dash, Vic profite d'être seul avec lui pour lui faire peur en racontant qu'il a tué Martin McRae, le dernier amant de sa femme. L'histoire est prise comme une plaisanterie par l'entourage de ce brillant ingénieur qui a fait fortune en concevant un drone militaire révolutionnaire. Mais cela intrigue un des invités, l'écrivain Don Wilson, même si, depuis, le véritable assassin de McRae a été arrêté.


Dash parti, Melinda jette son dévolu sur Charlie de Lisle, un pianiste qu'elle présente comme son professeur lors d'une party donnée par un voisin, Jonas Fernandez. Elle provoque ouvertement Vic en draguant de Lisle dans la pisicine jusqu'à ce qu'un orage éclate et n'oblige les participants à se réfugier dans la maison de leur hôte. Vic rentre peu après. Puis Melinda, horrifiée, aperçoit le corps de de Lisle flottant dans la piscine. On l'en extrait et tente de le ranimer - en vain. 


La police arrive sur les lieux du drame et interroge en particulier Vic, dénoncé par Melinda et Wilson. Mais il fournit un alibi et on conclut à un accident. les jours suivants, Vic sent qu'on le suit et découvre qu'un détective privé est à ses trousses, engagé par Melinda et Wilson. Il se rend chez ce dernier pour se plaindre. Melinda, elle, retrouve en ville un ami du lycée, son premier flirt, Tony Cameron, agent immobilier en quête de terrain constructible dans le coin.
 

Vic l'emmène voir un endroit susceptible de l'intéresser dans la forêt voisine et le tue puis tente de noyer le cadavre dans la rivière. Wilson, qui les a suivis, le surprend et prend la fuite. Vic le poursuit. Melinda, pendant ce temps, découvre dans les affaires de Vic les papiers de Tony et décide de plier bagages. Wilson perd le contrôle de sa voiture qui va s'écraser au fond d'une carrière. Melinda est empêchée de partir par sa fille qui lui cache sa valise. Elle brûle les papiers de Tony et attend le retour de Vic, auprès de qui elle se résigne à rester.

Fut un temps, qui commence à devenir lointain, où le nom de Adrian Lyne était associé à un certain cinéma sulfureux, avec parfois des échappées iconoclastes du côté du fantastique (l'excellent L'Echelle de Jacob) ou de l'adaptation impossible (Lolita). C'était l'homme derrière la caméra de longs métrages tels que Neuf semaines et demie, Liaison Fatale, Proposition Indécente, jusqu'à Infidèle, son dernier opus en date, sorti il y a vingt ans pile.

Ce remake de La Femme Infidèle de Claude Chabrol fut un échec commercial qui précipita la retraite du vétéran. Rien ne présageait en 2002 qu'il reviendrait à 81 ans pour un (probable) ultime effort. Et pourtant, c'est à nouveau en revisitant un film français qu'il fait parler de lui, en adaptant Eaux Profondes, d'après le roman de Patricia Highsmith, une première fois filmé par Michel Deville (1981).

Qu'est-ce qui a pu faire croire à Adrian Lyne que ce serait une bonne idée ? Sans doute de voir l'actrice cubaine Ana de Armas, considérée par beaucoup comme la plus belle femme du monde actuellement, et auréolée du succès de sa prestation dans le dernier James Bond (Mourir peut attendre), avant le biopic Blonde sur Marilyn Monroe produit par Netflix et mis en scène par Andrew Dominik (sortie prévue à la rentrée).

Car si Lyne n'a jamais été un grand cinéaste, il a du goût en matière d'actrices et sait les filmer amoureusement, comme peuvent en témoigner Jennifer Beals (Flashdance), Kim Basinger (9 semaines et demie), Demi Moore (Proposition indécente). Quitte à les objetiser ?

Car c'est devenu une question. Lyne a fait partie, avec Alan Parker, Ridley et Tony Scott, de cette "nouvelle vague anglaise" des années 80, des metteurs en scène à l'esthétique rutilante qui ont influencé la pub de cette décennie. Mais quand Parker signait Midnight Express ou Birdy, Ridley Scott Alien ou Blade Runner, Lyne oeuvrait à un cinéma axé sur l'érotisme soft, où le corps féminin était au coeur d'histoires minimalistes.

En 2022, on ne peut plus traiter la femme et son corps de la même manière que dans les 80's, le mouvement #metoo est passé par là, avec la libération nécessaire de la parole et les excès des tribunaux médiatiques. Un peu comme pour l'écologie où il faut presque s'excuser d'exister pour se racheter du déréglement climatique, le féminisme interdit pratiquement tout regard érotique surtout jugé concupiscent et pervers.

C'est triste, mais c'est ainsi. Comme le chante si bien Orelsan, "vive la France, c'est devenu un hashtag raciste", et de la même manière, dire qu'une femme est belle et désirable est devenu quasiment une parole déplacée. Dans ces conditions, Lyne semble être d'un autre âge et devient une sorte de papy reluquant Ana de Armas à travers son objectif.

Mon avis est que Ana de Armas est filmée avec beaucoup d'élégance et ce film, même si objectivement pas bon, n'a rien d'obscène. C'est une ode à la beauté, à la séduction de cette actrice, mais aussi son talent d'interprète. Elle incarne ce rôle avec une sorte d'ingénuité diabolique, très différemmetn de Isavelle Huppert dans le film de Deville. C'est à la fois un ange et une garce, à qui on ne peut franchement en vouloir, même si Ben Affleck avale d'enormes couleuvres.

Le comédien est comme à son habitude minéral, impassible, indéchiffrable. On ne saurait dire s'il joue bien ou mal, c'est typique de lui. Mais il a une présence marmoréenne indéniable, une carrure impressionnante que Lyne saisit dans des plans en contre-plongée, parfois de dos, grimpant des escaliers d'un pas lourd, qui n'annonce rien de bon pour ceux qui tournent autour de sa femme. Lui aussi joue complètement différemment de Jean-Louis Trintignant (paix à son âme) chez Deville.

Le sel, le piment de cette affaire, c'est peut-être que Lyne a capté cette romance dégénérée entre cet homme et son épouse alors que de Armas et Affleck étaient eux-même en couple au moment du tournage. Chacun de leurs regards, de leurs dialogues deviennent chargés de sous-entendus, comme un témoignage plus trouble et troublant que le propos du film. Dans la vraie vie, Affleck a renoué avec son ex Jennifer Lopez et Ana de Armas est redevenue cette déesse qui fait briller les yeux de tous les garçons. Peut-être que leur seule victime est Adrian Lyne et son film, qui auraient gagné à être une sorte de "faucumentaire" sur leur liaison enregistrée par les caméras plutôt qu'un remake mou, jamais aussi retors et sensuel que le film de Deville.

Mais cela nous enseigne surtout que même un mauvais film peut cacher un sujet intéressant, plus voyeuriste que son intrigue romanesque. En vérité, nous nous fichons un peu des jeux dangereux des Van Allen pour leur préférer la captation d'un fragment amoureux de Ben Affleck et Ana de Armas.

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