vendredi 3 janvier 2020

X-MEN #4, de Jonathan Hickman et Leinil Yu


Après une pause à la fin de l'année 2019, X-Men revient pour son quatrième numéro et il est une fois de plus exceptionnel. La maîtrise de Jonathan Hickman et l'originalité de son propos font toujours la différence : les mutants sont vraiment entrés dans une nouvelle ère. Leinil Yu est dans son élément avec ce numéro centré sur les dialogues, encré pour la dernière fois par son complice Gerry Alanguilan.


Pour la première fois de l'Histoire, une délégation mutante est invitée à participer au forum économique de Davos en Suisse. Escortés par Gorgone et Cyclope, le Pr. X, Apocalypse et Magneto sont reçus par des responsables chinois, américain, suisse, indien, brésilien, italien et wakandai.


Alors que Xavier et ses partenaires dînent, Cyclope et Gorgone, à l'extérieur, sont prévenus télépathiquement que deux commandos se positionnent pour attaquer la délégation de Krakoa. Ils se séparent pour les neutraliser.


Pendant ce temps, les mutants clarifient leur position : ils ne vivent pas cachés sur leur île mais entendent bien faire respecter leur souveraineté. Pour cela, ils ont appris des échecs sociétaux des humains et ambitionnent de ne pas les répéter.


Pour cela, explique Magneto, le commerce de leurs drogues médicinales leur permettra progressivement d'acheter les banques, les écoles, les médias, les politiques et les citoyens. Il n'y aura pas de guerre car il n'y aura plus d'opposition à leur hégémonie.


L'assistance est médusée. Mais le Pr. X porte le coup de grâce : il a fallu un mois avant qu'on cherche à le supprimer. Cela ne se reproduira plus car, désormais, chaque agression contre la Nation X aura droit à une riposte en règle. 

Tout d'abord, il faut dire un mot de Gerry Alanguilan, à qui cet épisode aurait dû être dédié s'il n'était parti à l'impression avant son récent décès. L'encreur fidèle de Leinil Yu vient en effet de disparaître à 51 ans, dans des circonstances indéterminées. C'était aussi un scénariste et un dessinateur, mais plus encore un vrai mentor pour une génération d'expatriés philippins venus exercer leur métier aux Etats-Unis. Il était respecté et apprécié dans le milieu des comics, notamment pour sa collaboration avec Yu.

D'une manière assez troublante, il est justement question de respect dans cet épisode très original où Jonathan Hickman ouvre la porte du forum économique de Davos à une délégation mutante. Il s'agit de négocier le statut de Krakoa sur un plan international très concret et évidemment de compter avec les événements survenus dans X-Force #1-2, avec la tentative d'assassinat contre Charles Xavier.

Reçus par des ambassadeurs et des représentants de différents pays, qui ont ou non reconnu la souveraineté de l'île des mutants, Charles Xavier, Magneto et Apocalypse savent qu'ils sont attendus comme des intrus car ils sont craints, haïs ou considérés avec méfiance.

Hickman aborde méthodiquement les aspects les plus saillants de la diplomatie : il est question des drogues médicinales produites sur Krakoa, des intentions économiques et commerciales des mutants, de l'Histoire de l'humanité face au futur de la "mutanité"... Ce qui pourrait ressembler à une discussion austère s'avère passionnant parce que Hickman, précisément, traite les mutants, ces créatures de fiction, comme de vrais entités et Krakoa comme un véritable nouveau pays dans le concert international. Sauf que cette fois-ci, les dirigeants de ce nouveau pays échangent avec leurs homologues dans un endroit qui existe vraiment, à l'occasion d'un événement authentique.

Et alors on mesure le soin avec lequel le scénariste a posé les fondations de son projet. Les X-Men ne sont plus une série de super-héros étranges, à la marge, à la fois redoutés et persécutés. Il s'agit d'une série géo-politique où le folklore des comics est capable d'être relégué au second plan pendant tout un numéro pour faire place à un dialogue riche et profond sur la notion de nation, de territoire, de société, de bilatéralisme. Et Xavier, Magneto et Apocalypse sont des interlocuteurs prêts pour cela.

Pendant la majeure partie de l'épisode, la parole mutante est monopolisée par Magneto. Apocalypse intervient sporadiquement, avec une sorte de détachement lucide qui est assez drôle (même s'il est aussi volontiers cassant et glaçant). Le Pr. X ne parle qu'à la toute fin. Magneto, donc, s'exprime comme un ministre, qui a bossé son dossier. Il est aussi très sûr de son fait et ses conclusions sont terribles parce qu'incontestables : l'Humanité craint la guerre avec les mutants, du fait de leur puissance naturelle. Mais les mutants ne veulent pas la guerre. Pourtant ils la gagneraient sans mal (Magneto admet d'ailleurs que, par le passé, il aurait volontiers montrer ses muscles pour inspirer la terreur et Gorgone, après avoir mutilé tout un commando, reconnaît qu'il agit de façon certes violente mais éclairée).

Non, le nerf de la guerre, la vraie guerre, c'est l'argent et Davos est le lieu parfait pour l'affirmer. Grâce au commerce des drogues médicales, Krakoa sera en mesure, rapidement, de tout acheter - d'ailleurs, ce n'est pas une hypothèse, c'est un projet. Et ceci fait, il n'y aura plus d'opposition, donc pas de guerre. Mais pourquoi acheter le monde, acheter la paix ? Parce que, comme finit par le résumer Xavier, il n'aura fallu qu'un mois pour qu'on tente de le tuer et avec lui, le projet de la Nation X. Cela confirme ce que lui avait assuré Moira McTaggert sur l'illusion de son rêve de cohabitation pacifique entre humains et mutants. Le temps de la persécution, de la peur, est révolu pour les mutants : désormais, ils répondront, ils rendront coup pour coup à chaque agression. Cette promesse offensive couplée à leur projet de s'emparer des puissances (monétaires, éducatives, médiatiques, politiques, populaires) du monde devrait dissuader tout ennemi potentiel.

La démonstration est d'autant plus impressionnante que la forme de l'épisode est simple : Hickman et Yu ont opté pour un découpage en "gaufriers" de neuf cases, elles-mêmes composées majoritairement de gros plans sur les visages. Pas de fioritures, le strict minimum. On n'est pas distrait pas le décor (par ailleurs très sobre d'une salle de dîner blanche) tout en étant saisi par la diversité des interlocuteurs et le tranchant des échanges.

Yu, qui montre une nouvelle fois ses limites dans la représentation des scènes d'action, lorsque, en parallèle, on voit Cyclope neutraliser un commando (avec efficacité et rapidité, tandis qu'on ne verra que le résultat de l'action menée de son côté par Gorgone, beaucoup plus sanglant). Il est étonnant de constater à quel point ces moments-là, fugaces, paraissent figés, alors que l'intensité de la discussion est grisante.

Bien entendu, on aurait aimé que Yu se dépense davantage, et qu'ainsi Alanguilan puisse se mettre en valeur (tout comme le coloriste Sunny Gho), mais tout compte fait, la simplicité joue en faveur du script. Il est inutile d'en rajouter : Hickman, plus que jamais, fait le taf pour deux, l'intelligence de sa rédaction assure le spectacle que son dessinateur ne peut plus soutenir.

Avec cet épisode en tout cas, on a droit à une leçon de narration. Ceux qui reprochent aux comics de super-héros leur manque de densité et de profondeur devraient essayer de lire X-Men en ce moment : l'expérience prouve qu'on peut produire un divertissement tout en parlant de choses étonnamment aiguisées sur l'état du monde (c'est d'ailleurs le titre de ce numéro).  

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