dimanche 9 mai 2021

FIRE POWER #11, de Robert Kirkman eet Chris Samnee


Robert Kirkman avait prévenu, le mois dernier : la bataille au temple du Poing Enflammé était si spectaculaire qu'elle accaparerait deux numéros consécutifs, dont le #12 qui aura une pagination augmentée. Donc, le programme est clair : baston ! Chris Samnee ne s'économise pas pour rendre compte de l'affrontement. Malheureusement, l'épisode se distingue surtout pas ses longueurs et un énorme raté lors d'une scène pourtant cruciale...


Le dirigeable dans lequel il était ayant pris feu, Owen Johnson doit le quitter et plonge dans le vide. Mais Wei Lun le rattrape, équipé d'une aile volante. Le vieux maître dissident ordonne alors à son élève de lâcher ses boules de feu sur les assaillants du temple du Poing Enflammé.


Chou Feng remarque Wei Lun et Owen et déchire leur aile volante en lançant sa hâche dans leur direction. Wei Lun tombe aux pieds de son rival tandis qu'Owen atterrit devant les assassins à qui il a eu affaire en Amérique. La bataille bat son plein autour de lui.


Ma Guang grimpe sur un pilier du temple et interpèle les disciples en leur expliquant que Chou Feng leur a menti depuis toujours et que le clan de la Terre Ecorchée vient les libérer. Ce discours vibrant suffit à faire basculer la bataille car les disciples du temple se retournent contre leurs maîtres.


Cependant, Owen voit un des soldats du clan être frappé par un des assassins de Chou Feng. Le soldat se démasque : il s'agit de Ling Zan. Owen est si surpris qu'il ne voit pas Chen Zul et Wei Lun prendre un avantage décisif contre Chou Feng au pied de la statue de Maître Shaw...

Depuis le début, Fire Power n'a pas été avare en scènes de combat et Robert Kirkman a pu s'appuyer sur Chris Samnee pour les mettre en images de manière à la fois inventive et percutante, parfois en semblant s'éclipser derrière l'artiste. On était donc confiant au moment d'aborder le climax de cette première "saison" de la série avec l'affrontement entre le clan de la Terre Ecorchée et le temple du Poing Enflammé.

Et cet affrontement est effectivement dantesque : il ne se termine pas à l'issue de cet épisode puisqu'il se poursuivra et se concluera au n°12, qui sera un épisode double. Tout est fait pour que le lecteur en prenne plein la vue : le décor, le nombre (important) d'adversaires, le chaos du théâtre de guerre, l'usage d'armes extraordinaires, l'emploi du pouvoir dOwen Johnson, jusqu'à la dernière page où Chou Feng invoque le légendaire Maître Shaw (sans, évidemment, qu'on sache si la statue de celui-ci va prendre vie).

Mais alors pourquoi ai-je été, malgré tout, frustré ? Ce sentiment me tracasse depuis un petit moment car, en fait, Fire Power me paraît très prévisible, son histoire à la recherche d'un second souffle qui n'arrive jamais. Robert Kirkman a pris le parti, courageux, de développer sa série en réaction à Invincible (un de ses précédents hits, qui connaît une nouvelle vie avec le dessin animé diffusée sur Amazon Prime, plébiscité par tous ceux qui l'ont suivi), à savoir raconter l'histoire d'un héros qui ne veut pas en devenir un, qui a même fui son destin en quittant le temple où il a découvert son don.

Mais est-ce seulement possible, viable, captivant de raconter une telle histoire ? Le lecteur veut un héros, pas quelqu'un qui tourne le dos à ce qu'il est. Dans le Prologue de la série, Owen Johnson était parti sur les traces de ses parents biologiques et avait échoué dans un temple pour apprendre qu'il maîtrisait un pouvoir qu'on croyait perdu. Puis il avait refait sa vie, en se mariant, en devenant père de deux enfants, jusqu'à ce que son passé le rattrape (un poncif narratif).

Nous avons ensuite appris que son premier amour (Ling Zan) était morte dans des circonstances dramatiques et mystérieuses, que le temple où il avait été formé livrait une guerre contre un clan rival, qu'un dragon légendaire vivait peut-être dans le temple tout comme le maître fondateur de cette école n'était peut-être pas vraiment mort. Puis le mentor d'Owen a resurgi, en ayant changé de camp et en racontant que le temple, sous la coupe de son chef Chou Feng, était bâti sur un mensonge tragique, en lien avec les parents biologiques de Owen et la mort de Ling Zan.

Ainsi la série se déroulait-elle entre scènes d'action mémorables et intrigues dignes d'un soap opera, une recette éprouvée et efficace. Mais le héros de cette histoire demeurait très réticent à replonger dans l'aventure - légitimement puisqu'il avait d'autres priorités désormais, mais sans que le lecteur doute vraiment qu'il ait le choix puisque sa famille était en danger s'il n'intervenait pas de façon décisive pour règler la guerre entre le temple et son rival.

Le souci, donc, c'est qu'Owen Johnson a toujours, absolument, toujours réagi, jamais agi, jamais de son plein gré. Et les ficelles utilisées par Robert Kirkman pour nous faire croire qu'Owen prenait son destin en main étaient contredites par des révélations providentielles (Chou Feng a assassiné les parents du jeune homme, Ling Zan n'est pas morte). Pour ne rien arranger, le seconds rôles, censément les plus importants pour justifier les choix d'Owen, manquent singulièrement d'épaisseur, relégués à l'arrière-plan, comme des figurants trop passifs (Kellie, la femme d'Owen, qui paraissait dotée d'un tempérament solide se contente en fait de suivre son époux et même de s'extasier sur les installations du clan de la Terre Ecorchée comme si elle était en voyage d'agrément, les enfants Johnson sont fantomatiques).

Alors qu'on pénétre dans une séquence longue et cruciale, toutes ces insuffisances, toutes ces faiblesses, ces carences, sautent au visage, englouties dans une interminable baston, plutôt confuse, où la mise en scène du pouvoir d'Owen est réduite à la part congrue (alors qu'il était censé faire la différence). Le héros est étrangement absent dans cet épisode, dépassé par ce qui se joue, n'ayant pas droit à la moindre scène permettant de mettre en valeur ses talents de lutteur ou ses boules de feu. Un comble ! Mais il y a pire...

Alors que l'épisode donne la part belle au trio Wei Lun-Chou Feng-Chen Zul, que Ma Guang a droit à un grand moment (qui aurait dû revenir à Owen Johnson), le héros découvre que Ling Zan est bel et bien vivante. Et là, Kirkman comme Samnee s'y prennent comme des manches, transformant ce qui aurait dû être LA scène de l'épisode en un moment survolée où Owen reste figé comme un imbécile, plus sidéré que révolté ou heureux. Ling Zan elle-même ne prend pas le temps de s'arrêter devant celui qu'elle a aimé et repart se mêler à la bagarre. J'avoue avoir été stupéfait par le plantage de cette scène, son écriture, ses dessins : aucune émotion, sinon la consternation.

Samnee produit des pages et des doubles pages de belle facture, on ne peut qu'être admiratif de sa force de travail, de l'énergie qu'il met à illustrer le script - et d'ailleurs, dans le désormais habituel dialogue qu'il a avec Kirkman en fin d'épisode, il reçoit les compliments de son scénariste, conscient des efforts colossaux qu'il exige de son partenaire pour un épisode aussi riche en figuration, en action. Mais il y a comme un malaise insidieux qui s'installe au fil des épisodes : sans Samnee, sans un dessinateur aussi généreux et doué, que vaudrait vraiment Fire Power (autrement dit : est-ce que lirai cette série si elle n'était pas co-réalisée par Samnee) ? Kirkman se repose trop sur Samnee et Samnee ne peut pas sauver un scénario qui, derrière ce déploiement de grands moyens, ne réussit plus guère à dissimuler sa pauvreté, son aspect trop convenu, ses coups de théâtre téléphonés.

Je suis terriblement embêté car j'aimerai aimé davantage cette série, parce que je suis tellement fan de Samnee. Mais c'est bien un sentiment de gâchis, de frustration qui domine. Ce n'est pas ce que j'imaginai, ce n'est pas ce que j'aime lire. Je préférerai sincèrement Samnee dessinant autre chose. Je suis nostalgique de sa collaboration avec Mark Waid, scénariste tellement plus consistant et complémentaire. Je comprends que Samnee ait préféré la liberté du creator-owned aux contraintes du work for hire, des franchises. Mais après quasiment un an de parution, Fire Power est une déception que ne comblent pas les prouesses graphiques de son artiste.

Dans leur discussion en postface de l'épisode, Kirkman révèle à Samnee qu'un lecteur lui a fait remarqué que les couvertures du #10 et 11 semblaient avoir été interverties. C'est tout à fait vrai et cela trahit à l'évidence un manque de recul, et plus généralement de vision. Samnee a trop la tête dans le guidon (avec deux séries à dessiner) pour s'en être rendu compte, mais Kirkman n'a pas l'air non plus d'être assez vigilant et inspiré pour éviter une erreur aussi grossière. J'y vois comme le signe que l'entreprise manque de cette rigueur, de cette exigence, qui la transcenderaient. Et que son histoire souligne.

Le dénouement de la bataille ne fait guère de doute (même si on peut encore être surpris). En tout cas, cette prévisibilité au moment où Fire Power pourrait/devrait complètement faire chavirer le lecteur n'est pas encourageante. Et j'ignore si je poursuivrai l'aventure au-delà. 

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