samedi 8 mai 2021

BATMAN #108, de James Tynion IV et Jorge Jimenez


Ce 108ème numéro de Batman nous présente Molly Miracle, une création originale de James Tynion IV et Jorge Jimenez. Et nous permet surtout d'en savoir plus sur le Collectif Insensé dont elle est une des membres. Mais le scénario, comme d'habitude assez dense, continue de développer des intrigues parallèles et entraîne le dark knight dans une aventure qui explore de manière habile son nouveau statu quo et éclaire sur les événements relatés dans Future State : Dark Detective.


Le maire Nakano s'adresse, sur le perron de l'hôtel de ville, à des journalistes pour célèbrer Sean Mahoney, gardien à l'asile d'Arkham, ayant survécu à son attaque. Simon Saint l'aborde. Depuis son QG, Oracle observe la scène et remarque que l'Epouvantail fait de même.


Barbara Gordon appelle Bruce Wayne pour le prévenir mais celui-ci a été neutralisé par la sécurité du Collectif Insensé qu'il a infiltré sous l'alias de Match Malone. Molly Miracle se charge de lui et l'invite pour une visite guidée des installations de l'organisation, dans des immeubles abandonnés.


Sean Mahoney est conduit aux laboratoires de Simon Saint qui évoque son projet de Gardiens de la Paix pour le programma de la Magistrature. Mahoney se dit prêt à aider, même s'il faut en passer par une préparation très douloureuse.
 

Molly et Bruce traversent un atelier basé dans un bâtiment construit par les entreprises Wayne mais inachevé. Elle lui explique que le Collectif Insensé veut éveiller les consciences des classes populaires, avec l'aide de Simon Saint qui veut, via les médias, encourager la rebellion...

Ce qu'on retiendra sans doute le plus de cet épisode, c'est à quel point il éclaire sur la situation de Gotham avant les événements relatés dans Future State : Dark Detective. James Tynion IV a visiblement bien préparé son affaire et DC prouve que ces histoires futuristes du début de l'année n'étaient pas qu'un intermède-gadget mais bien un flash-forward.

On raille souvent l'éditeur pour ses events en carton et ses initiatives sorties de nulle part, mais il semble bien que DC ait planifié quelque chose de plus profond que prévu. A moins que ses auteurs n'aient pris conscience des opportunités qu'offrait Future State et se soient arrangés pour en faire le socle d'histoires en guise de prologues. Quoi qu'il en soit, le résultat est captivant car il s'inscrit dans une perspective.

Jusqu'à présent, Tynion disposait ses pions (et il ne les a pas tout expliqués) mais le lecteur devait être patient pour saisir l'imbrication de toutes les pièces. Dans ce numéro, on y voit nettement plus clair, les pièces du puzzle s'assemblent et dévoilent une machination minutieuse et haletante.

Tout, en vérité, est lié : le Collectif Insensé, Simon Saint, l'Epouvantail, le programme de la Magistrature, les Gardiens de la Paix, la nouvelle situation de Batman. Et c'est jubilatoire car c'est bien fait. Tynion tire pleinement profit de ce qu'il a mis en place fin 2020, avant Future State : Bruce Wayne/Batman est diminué, sa fortune a décru, le GCPD n'est plus son allié, la mairie a mis sa tête à prix (en fait tous les masqués sont dans le collimateur de l'administration). Affaibli, le héros n'a plus un couo d'avance, il n'est plus maître de la partie, au contraire il accuse un sérieux retard et doit composer avec des adversaires préparés et surtout ligués.

L'épisode est construit sur le principe de la visite guidée : d'un côté, Sean Mahoney est pris en charge par Simon Saint et on comprend enfin que ce gardien de l'asile d'Arkham, qui a miraculeusement survécu à l'attentat (décrit dans Infinite Frontier #0), est le fameux Gardien de la Paix 01 contre qui Batman s'est battu jusqu'à la mort dans Future State : Dark Detective. De l'autre, on suit Bruce Wayne (grimé en Match Malone, même si ce déguisement va être percé à jour) dans les pas de Molly Miracle, une des membres du Collectif Insensé, ce groupuscule qui veut profiter du climat anxiogène qui règne en ville pour pousser les gothamites les plus modestes à se rebeller contre la haute société. Lorsque Molly avoue que le Collectif est de mèche avec Simon Saint, tout fait sens, et surtout on devine à quoi rime cette scène récurrente qui ouvre chaque épisode de cet arc où l'Epouvantail torture un homme (dont je ne vous révèlerai pas l'identité).

Je dois avouer que, jusqu'à présent, les personnages créés par Tynion et intégrés dans Batman ne m'ont guère convaincu, que ce soit Punchline, Clownhunter, Ghost-Maker. Quand j'ai découvert le character's design de Molly Miracle par Jorge Jimenez, j'ai même cru à une mauvaise blague à cause de son look improbable et criard.

Je continue à être ahuri par l'aspect de cette jeune anti-héroïne, Jorge Jimenez s'est vraiment lâché, ce n'est pas du meilleur goût. Mais contre toute attente, le dessinateur et son scénariste produisent un personnage plus intéressant que prévu. Il ne s'agit pas d'une énième variation du Joker ou de Harley Quinn (comme l'est Punchline), et par ricochet le Collectif Insensé apparaît comme une organisation plus troublante qu'espérée. Il y a un discours social, politique assez malin derrière, qui rencontre un écho avec nos Gilets Jaunes et tous les mouvements contestataires, contre-culturels, collapsologues actuels. Molly Miracle est une sorte de figure emblématique, une pasionaria, qui croit vraiment en une révolution de la base, tout en étant déjà corrompue par une collaboration avec un riche affairiste "sécuritariste".

Jorge Jimenez contribue comme toujours formidablement à la dimension spectaculaire d'un épisode pourtant exclusivement centré sur les dialogues, sans scènes d'action. On survole Gotham sur un drone géant, et la ville est représentée de manière étonnante, surtout quand Bruce et Molly rejoignent un bâtiment abandonné, symbole de toute une population délaissée mais qui s'est réappropriée ces constructions.

Jimenez, qui a un trait flirtant avec l'exagération, parvient pourtant à camper Molly comme une jeune femme à la parole construite, avec un calme impresssionnant, qui n'est pas du tout dominée par Wayne. De même Simon Saint n'est pas non plus une caricature de riche savant fou, mais un type posé, ce qui le rend plus flippant. Dans l'ombre, la figure de l'Epouvantail incarne une menace plus familière, mais en le laissant pour l'instant en retrait, Tynion et Jimenez contribuent à le rendre lui aussi encore plus inquiétant car il ne fuit pas quand Oracle le surprend (au contraire, il lui adresse un signe de la main, comme s'il la défiait).

Rien à redire : c'est vraiment bien foutu, implacable. Je n'attendais pas James Tynion IV à ce niveau, lui qui m'a souvent agacé avec des débuts laborieux. Quant à Jorge Jimenez, sa contribution est bluffante. Si ça continue comme ça, on n'est pas à l'abri d'un classique. 

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