PLANETARY : CROSSING WORLDS rassemble trois épisodes spéciaux écrits par Warren Ellis et publiés en un seul volume en 2004 par DC Comics dans la collection Wildstorm.
Il s'agit de trois crossovers avec les séries The Authority (créée par Ellis), JLA et Batman, parus respectivement en 2001, 2002 et 2003.
Les dessins sont respectivement signés par Phil Jimenez, Jerry Ordway et John Cassaday.
Il est recommandé d'avoir lu le premier tome de Planetary (All over the world and other stories) auparavant.
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- Planetary / The Authority : Ruling The World (dessiné par Phil Jimenez). L'équipe de Planetary (Elijah Snow, Jakita Wagner, the Drummer) doivent contrecarrer une invasion extraterrestre en provenance d'une dimension parallèle. Mais l'équipe de super-héros de the Authority (Jenny Sparks, Jack Hawksmoor, le Docteur, L'ingénieur, Midnighter, Apollo, et Swift) s'y emploie également. Il s'agit alors pour le trio de ne pas se faire remarquer par l'autre groupe.
Elijah Snow a été averti de cette attaque par un écrivain qui a été témoin d'incursions similaires par le passé (une référence à Howard Philips Lovecraft).
En imaginant cette rencontre spectaculaire entre deux formations qu'il a inventées, Warren Ellis a surtout voulu montrer leurs méthodes radicalement opposées : d'un côté, Planetary s'efforce de rester une organisation discrète mais efficace, tandis que de l'autre the Authority n'hésite pas à employer les grands moyens sans se soucier des dégats qu'ils provoquent tant que la menace est éliminée. Que se passera-t-il si les surhommes au service de Jenny Sparks découvraient l'existence de la bande à Elijah Snow ?
Une scène, amusante, révèle que Jenny et Sparks ont couché ensemble et sont tous deux des "century babies", comprenez qu'ils sont tous deux nés en 1900, ce qui expliquerait à la fois leur longévité exceptionnelle (sans en faire des immortels, comme cela se vérifie à la fin du premier volume de the Authority, par Warren Ellis et Bryan Hitch) et leurs pouvoirs spéciaux (la maîtrise de l'électricité pour elle, du froid pour lui) - des pouvoirs qui, comme on l'apprend dans le dernier tome de Planetary (Spacetime Archaeology), font de leurs détenteurs des sortes de gardiens de la terre.
Malgré la belle promesse d'une confrontation entre ces deux groupes, aux objectifs communs mais aux modes opératoires contraires, cet épisode fait long feu et c'est une déception, Warren Ellis ne dépassant jamais des concepts qu'il manie pourtant fort bien (l'argument emprunte à la mythologie des monstres et aux invasions extraterrestres, mais a été bien mieux exploité dans le deuxième arc de the Authority, Albion).
Visuellement, c'est à Phil Jimenez, émule de George Perez, qu'est revenu la mission d'illustrer cette aventure. Son style très détaillé mais aussi assez figé fonctionne bien avec les aspects les plus spectaculaires de l'histoire mais manque donc cruellement de dynamisme.
On ne peut que regretter que Bryan Hitch (qui, à la même époque, était au sommet de son art, et qui anima avec force la série the Authority en compagnie d'Ellis) n'ait pas été sollicité ou disponible. Cela n'aurait pas sauvé l'épisode de sa faiblesse scénaristique mais lui aurait donné une saveur particulière en même temps qu'une mise en image plus flamboyante.
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- Planetary / JLA : Terra Occulta (dessiné par Jerry Ordway). La situation est totalement renversée ici puisque le trio de Planetary agit ici de manière hyper-répressive dans un monde parallèle contre toute manifestation paranormale. Trois justiciers se rebellent contre l'organisation : Bruce Wayne, Diana Prince, et Clark Kent.
Faire de Planetary une force maléfique, aux procédés comparables aux Quatre qu'elle combat dans sa série régulière, est un ressort original. L'opposer à la trinité de la ligue de justice augurait d'un affrontement au sommet.
Hélas ! Encore une fois, Warren Ellis ne se montre pas très inspiré pour organiser cette rencontre, même si la situation est bien mieux présentée que dans le crossover précédent avec the Authority. En peu de pages, il parvient à installer une ambiance oppressante, à poser un décor et des personnages en résistance, de façon efficace. Mais l'ensemble pêche par son manque de souffle et sa prévisibilité : comment penser une seconde que trois héros peuvent neutraliser trois adversaires aussi coriaces que des versions corrompues de Planetary ? On se trouve face à une sorte de baroud d'honneur par un commando suicide, dans un format peu adapté.
En soi, l'idée aurait pu fournir un arc entier très accrocheur, mais pour un seul épisode, c'est trop ramassé pour être excitant.
Le vétéran Jerry Ordway, dont la carrière est fortement associé aux productions DC des années 80 (même s'il a aussi oeuvré abondamment pour Marvel), livre des planches soignées mais sans éclat. Le résultat est appliqué mais souffre du même mal que le scénario : un défaut pour donner de l'ampleur à l'intrigue déjà étriquée.
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- Planetary / Batman : Night on Earth (dessiné par John Cassaday). L'équipe de Planetary est sollicité pour maîtriser un individu sujet à de terribles crises qui altèrent le tissu même de la réalité dans la ville de Gotham. Ces désordres s'accélèrent en se concentrant dans la rue de Crime Alley où surgit alors un justicier masqué désireux lui aussi de régler le problème, quitte à écarter Elijah Snow et Jakita Wagner : Batman.
C'est, et de loin, le meilleur épisode du lot et le fait qu'il soit dessiné par John Cassaday n'y est pas étranger. Il y livre une prestation remarquable, avec toujours un sens graphique très original, alternant des scènes d'affrontement atypiques et énergiques et d'autres moments où les dialogues priment avec une mise en scène plus sage (même si, cette fois, il abuse un peu des effets copier-coller et des "talking heads").
L'artiste a cependant pris un plaisir évident, et communicatif, à représenter une multitude de versions familières de Batman, convoquant aussi bien celle des origines de Bob Kane et Bill Finger que celle plus baroque de Frank Miller en passant par son incarnation télé des années 60 jouée par Adam West ou celle iconique de Neal Adams dans les années 70. Ludique et superbe.
Mais si cet épisode est tellement meilleur, c'est aussi parce qu'on comprend pourquoi Warren Ellis a écrit ces numéros spéciaux tout en parvenant cette fois à faire correspondre ses intentions et son propos.
Il s'agit de continuer à rendre hommage aux sources de la mythologie super-héroïque et à sa descendance tout en la confrontant au principe incarné par Planetary, qui est une série proposant un commentaire précis et critique sur cette forme de bande dessinée.
Dans cette rencontre avec Batman (ou plutôt plusieurs Batmen), on saisit parfaitement le sens de la leçon : celle d'un fan érudit du personnage qui a réfléchi à la raison pour laquelle un personnage comme celui-ci a survécu aux modes en se réinventant progressivement grâce à des auteurs inspirés.
Cette approche ressemble aux travaux fictionnels menés par des scénaristes dotés de la même ambition qu'Ellis, tels qu'Alan Moore, Neil Gaiman, Grant Morrison ou Kurt Busiek (tous de véritables encyclopédies vivantes des comics en même temps que des écrivains ayant un point de vue très personnel sur leur évolution, à laquelle ils ont d'ailleurs activement participé soit par le biais de productions mainstream, soit avec des récits indépendants).
Ce recueil n'apporte pas d'éléments décisifs sur les secrets d'Elijah Snow et de son entreprise, mais constituent un appendice qui pour inégal demeure divertissant à la série Planetary.
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