DAREDEVIL : LADY BULLSEYE ;
(vol.2, #111-115) ;
(Septembre 2008-Janvier 2009).
(Septembre 2008-Janvier 2009).
Avec ce 19 ème tome, c'est la dernière ligne droite du run d'Ed Brubaker et Michael Lark qui se profile : en effet, Lady Bullseye, qui réunit les épisodes 111 à 115, constitue la première partie d'une saga qui se poursuit et s'achève avec le tome 20, Return of the king. Et autant l'annoncer, c'est un final en forme d'apothéose que nous offre le tandem d'auteurs, de ceux qui marquent durablement une série et transforme le destin de son héros.
Qui est cette Lady Bullseye ? Elle observe plusieurs proches de Daredevil - et le diable rouge lui-même - et les attaque, avec l'aide des ninjas de la Main, avant de se retirer. Ces combats sont en vérité des tests afin de déterminer lequel d'entre ces justiciers masqués est digne de diriger l'organisation, ébranlée depuis la mort d'Elektra (ou plutôt du skrull qui a pris sa place).
Tour à tour sont mis à l'épreuve Black Tarantula, Iron Fist, White Tiger et DD, sans qu'aucun d'eux ne paraisse trouver grace aux yeux de Lord Hirochi, le commanditaire de Lady Bullseye.
Mais un électron libre vient se greffer à la partie en la personne de Maître Izo, identifié par Danny Rand (grâce au Livre de l'Iron Fist) comme le sensei de Stick... Soit le professeur du mentor de Daredevil et donc un ancien cadre de la Main. A l'évidence, Izo a déjà son idée du futur champion de l'organisation et son choix n'est pas celui d'Hirochi. Mais cela, DD n'en a encore qu'une vague idée...
Ed Brubaker, selon moi le plus talentueux des écrivains actuels de Marvel Comics, débuta son travail sur Daredevil avec un récit explosif (Le Diable dans le bloc D), qui vit le personnage échouer là où il envoya nombre de ses ennemis et au centre d'une controverse sur sa double identité d'avocat et de justicier. C'était la continuation du run de Brian Michael Bendis et l'occasion d'une histoire d'une admirable tension.
A la suite de l'évasion de son héros du pénitencier de Ryker's Island, Brubaker entama un périple aussi dépaysant que passionnant (Le Diable en cavale) où Daredevil devait découvrir en Europe qui (et pourquoi) avait transformé son existence en enfer : Vanessa Fisk obtint de Matt Murdock la libération de son ex-mari, le Caïd, contre la promesse de sa réhabilitation civile.
De retour à New York et débarrassé de Wilson Fisk, exilé, le "roi de Hell's kitchen" devait pourtant affronter un nouvel adversaire dans une lutte dont le terme serait une fois encore dévastateur : A chacun son dû et sa site directe Sans peur formaient un vaste ensemble publié sur une année entière, dont la lecture en recueil était à la fois plus agréable qu'en fascicules mensuels et dévoilait l'ambition feuilletonnesque de Brubaker (le propre d'un expert de la narration décompressée comme lui).
Enfin, avant Lady Bullseye, Brubaker et son partenaire de Gotham Central, Greg Rucka, proposèrent un arc recentré sur Matt Murdock, encore traumatisé par l'internement psychiâtrique de sa femme Milla Donovan, et Dakota North, sa collaboratrice détective privé, aux allures de pause avant cet ultime baroud d'honneur.
Lady Bullseye développe sur cinq chapitres deux intrigues parallèles.
- La première introduit donc ce nouveau personnage qui donne son nom au livre, Lady Bullseye. Cette redoutable tueuse perpétue une tradition vieille comme les comics, celle de l'héritage (du Bien comme du Mal). Brubaker est un maître en matière d'innovation et de revitalisation mêlées : c'est même devenu sa marque de fabrique depuis qu'il a ramené à la vie tout en créant un personnage singulier comme Bucky Barnes alias le Soldat de l'Hiver alias le nouveau Captain America.
Cette fois encore, il réussit son coup avec Lady Bullseye. Le scénariste a construit cette tueuse comme une inversion maléfique du traditionnel concept héroique : après avoir été "sauvée" par Bullseye, elle décide de devenir son double féminin, au point de l'égaler en sadisme et en brutalité.
A travers elle, c'est le thème des difficultés relationnelles récurrentes entre Daredevil et les femmes que Brubaker explore avec une cruauté qu'il est difficile de ne pas trouver jubilatoire tant elle est bien imaginée - cela juste après avoir rendu folle la femme du justicier aveugle à la fin de l'arc Without Fear.
Cet aspect est également exploité, après avoir été abordé dans Cruel and unusual, via les poursuites judiciaires entamées par les parents de Milla contre Matt pour en obtenir la tutelle.
Ces nouveaux tracas vont conduire Murdock dans les bras de Dakota. Brubaker dit bien que leur liaison les prend au dépourvu tout en suggèrant qu'elle était prévisible et même inévitable : au désespoir de Matt répond l'attirance de Dakota, et le fait qu'ils travaillent l'un à côté de l'autre, leurs forts caractères, semblaient sceller cette relation depuis longtemps. A bien des égards, ils étaient faits l'un pour l'autre et en couchant enfin ensemble, c'est comme une évidence malgré la confusion qui les étreint lorsqu'ils s'embrassent.
- La seconde intrigue est donc la quête du meilleur candidat au poste de chef de la Main. De facture plus classique et convenue par rapport aux codes du genre super-héroïque, elle fournit quand même de magnifiques séquences d'action et réserve quelques surprises, avec en particulier ce qui arrive à Black Tarantula et White Tiger.
Cette histoire-là permet aussi de montrer un Daredevil qui n'entend pas redevenir l'élève de qui que ce soit, fusse celui d'Izo qui était donc le professeur de son propre mentor, Stick. Le diable rouge affiche une méfiance permanente vis-à-vis de ce centenaire alcoolique, excentrique, qui lui cache des choses sur les agissements de la Main.
C'est aussi pour cela que DD est un personnage passionnant car vraiment adulte, indépendant, et pourtant faillible, vulnérable.
En incluant Black Tarantula (vu dans Le Diable dans le bloc D) et White Tiger (apparue durant le passage de Bendis), mais également Iron Fist (qu'il a réanimé dans la série Immortal Iron Fist, co-écrite avec Matt Fraction), Brubaker dispose aussi des "héros de la rue" en en faisant une sorte de famille à part dans le Marvelvese, un clan dont chaque membre se connaît et se partage la tâche de protéger sur les bas-quartiers de New York (il faut espérer qu'Andy Diggle, le successeur de Brubaker sur le titre, conservera cette idée et la développera).
La partie visuelle mérite enfin une mention spéciale. Daredevil s'affirme comme la série la plus intelligemment gérée sur ce plan-là, Michael Lark étant régulièrement suppléé le temps d'un épisode par un artiste d'une valeur égale à la sienne (qui est déjà élevée).
Cette fois, c'est à Clay Mann de s'illustrer lors de l'épisode d'ouverture : son trait élégant, son découpage remarquablement fluide, est un pur régal pour les yeux et son nom s'ajoute à la liste de ceux qui auraient fait un remplaçant de choix.
Cette fois, c'est à Clay Mann de s'illustrer lors de l'épisode d'ouverture : son trait élégant, son découpage remarquablement fluide, est un pur régal pour les yeux et son nom s'ajoute à la liste de ceux qui auraient fait un remplaçant de choix.
Puis Lark reprend les commandes et nous gratifie de planches somptueuses où éclate sa complicité avec Stefano Gaudiano : l'osmose est telle qu'on se fiche bien de savoir qui fait quoi exactement, c'est simplement la meilleure paire d'artistes en activité actuellement.
Les scènes intimistes sont aussi réussies que les séquences d'action dont la virtuosité est bluffante - et dire que Lark n'apprécie que modérèment de le dessiner, ne s'estimant pas excellent dans ce registre... Qu'est-ce que ça serait s'il aimait ça ?
Dans cette catégorie en tout cas, je n'en vois pas de meilleurs qu'eux deux : leur science de la lumière, leur art dans la manière d'enchaîner les vignettes afin de traduire au mieux les émotions et le rythme, le plaisir simple et pur qu'on ressent à lire ces pages en pouvant à la fois s'attarder sur chaque case et en tournant chaque page avec l'irrépressible envie de connaître la suite et voir comment elle va être illustrée, tout cela relève d'une grande maestria et inspire le respect comme la gratitude.
Avec son énigmatique cliffhanger final, Brubaker nous accroche irrésistiblement. Return of the king ne déçoit pas cette attente et atteste même du brio formidable avec lequel Brubaker va clôturer son run - d'ores et déjà un des meilleures qu'ait proposé l'industrie mainstream de ces dernières années.
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