vendredi 22 décembre 2017

MARVEL TWO-IN-ONE #1, de Chip Zdarsky et Jim Cheung


2017 aura été marqué par deux absences notables (et déplorables) chez Marvel : d'abord, l'éditeur a totalement oublié de célébrer le 100ème anniversaire de la naissance de Jack Kirby, un des géants qui a contribué à son existence, et ensuite, alors même que s'établissait (via un one-shot brouillon) le nouveau statu quo "Legacy", les premiers super-héros de la firme, les Fantastic Four, n'ont toujours pas fait leur retour dans les comics.

Pourtant, désormais, avec le rachat de la Fox par Disney, plus rien ne s'oppose à une publication mensuelle consacrée au groupe. Mais les choses vont peut-être bouger par le biais de la relance d'un ancien titre, Marvel Two-in-One, confié aux bons soins de Chip Zdarsky et Jim Cheung dont le succès sera décisif pour un retour de la first family de Marvel...


Ben Grimm/la Chose et Johnny Storm/la Torche humaine ne se voient plus depuis la disparition (au terme de la saga Secret Wars) de Reed et Sue Richards (et leurs deux enfants). Grimm s'est baladé dans l'espace avec les Gardiens de la galaxie avant d'être recruté par le SHIELD à son retour sur Terre. Storm a rejoint un temps les Inhumains avant d'intégrer les Uncanny Avengers. Mais les deux amis s'évitent surtout parce que la présence de l'un leur rappelle l'absence des autres.
   

Ben assiste à une cérémonie de remise d'un prix, le "Fantastic award", sans Johnny qui avait pourtant promis d'être là. Après un bref et émouvant discours sur les origines du groupe, il croise Spider-Man, invité à la soirée et qui lui rend les clés du Baxter building où, en temps que Peter Parker, il avait installé le siège de sa société, aujourd'hui dissoute (à la suite des événements de la saga Secret Empire). Il estime également que Ben devrait s'inquiéter du comportement de plus en plus limite de Johnny.
  

Dans un entrepôt où reposent les souvenirs des FF, Ben est surpris par le Dr Doom qui lui remet une orbe trouvée dans les affaires de Reed et que seule la Chose peut activer. Une fois son ennemi parti, il allume le dispositif et un hologramme de Richards apparaît, message posthume lui expliquant l'accès aux différents plans du multivers et l'invitant à l'explorer pour peut-être l'y retrouver.


Ben retrouve Johnny qui, après avoir voulu le chasser, lui révèle l'autre cause de sa dépression : il croit que ses pouvoirs le quittent. Après la fin des FF, que va-t-il lui rester s'il perd aussi cela ? 

La Chose évoque alors sa récente découverte, leur laissant un espoir de retrouver Reed, Sue et leurs enfants vivants. Et une mission : tenter de les retrouver... Ce qu'ils ignorent tous les deux, à ce moment-là, c'est que Doom les espionne et entend vérifier cette hypothèse de son côté. 


Il est toujours bon de se rappeler deux choses quand on est fan de comics et qu'on espère retrouver une série dédiée à des héros qu'on apprécie. La première, c'est qu'en tant que lecteur, nous avons une responsabilité dans l'existence de ladite série puisque si nous ne sommes pas assez nombreux à l'acheter mensuellement, le titre sera annulé et ses personnages seront condamnés, au mieux, à être dispersés dans d'autres périodiques, au pire, à être oubliés au profit d'autres, parfois (même si rarement) par de nouvelles créations. La seconde, c'est qu'il ne faut jamais surestimer l'affection d'un éditeur pour ses personnages, en particulier dans l'industrie des comics : qu'importe qu'on ait affaire à des héros fondateurs d'un univers, ce qui prévaut c'est qu'ils soient rentables, bankables. Le sentimentalisme n'embarrasse pas des décideurs gérant des dizaines de mensuels soumis à une concurrence féroce.

Maintenant parlez des Fantastic Four sur un forum, où, par définition, se concentrent des mordus de comics, ne jurant que par la continuité et pensant d'abord en termes affectifs, même s'ils n'oublient pas d'évaluer la partie commerciale du problème. Actuellement, il s'en trouvera beaucoup pour déplorer l'absence d'une série consacrée aux premiers super-héros de Marvel, une anomalie au moment où l'éditeur a déclaré, en instaurant un nouveau statu quo avec "Legacy", vouloir renouer avec un certain classicisme, une certaine tradition écrite, en rétablissant leurs personnages emblématiques dans leurs publications. Et ceci, l'année même du centenaire de la naissance de Jack Kirby, co-créateur d'une écrasante somme de ces personnages, dont les Fantastic Four.

L'absence des FF dans les comics shops n'est pas qu'une question de chiffres de vente pourtant : elle est l'expression d'une volonté, celle de Ike Perlmuter, cadre de Marvel, qui refusait de produire un comic-book avec des personnages dont l'entreprise ne possédait pas les droits d'exploitation cinématographique (puisque que, comme les X-Men ou Spider-Man notamment, ils avaient été cédés à des studios avant la création de Marvel studios).

Comme série, Fantastic Four n'est plus depuis belle lurette un blockbuster (et ce ne sont pas les pitoyables films qui en ont été tirés qui ont arrangé les choses), même si des auteurs prestigieux se sont penchés sur le chevet du malade avec des fortunes diverses (la paire Millar-Hitch a fait pschitt !, Hickman a pu produire un run conséquent, James Robinson a dû procéder à la fin avant la saga Secret Wars). Pourtant Marvel a persévéré à positionner le titre comme un un titre porteur, alors que traité différemment, de façon plus "indé" (comme le Hawkeye de Fraction-Aja), il aurait pu toucher un public moindre mais fidèle, sans être obligé de "performer" mais en continuant d'exister.

Aujourd'hui, le staff éditorial de Marvel semble plus résolu à relancer les FF, peut-être à cause de "Legacy", d'autant plus parce que la compagnie vient de racheter la Fox et donc de récupérer les droits pour le cinéma de ces héros. Mais l'opération est faite avec une prudence qui confine à la préciosité, sans apaiser la frustration des fans (en colère de manière générale si on se fie aux chiffres de vente en chute libre, même dans un marché en crise - heureusement que Marvel exploite désormais les comics Star Wars, sinon ce serait une vraie déroute).

Preuve en est avec la relance d'un vieux titre, Marvel Two-in-One, chargé désormais de tâter le terrain et dont l'objectif évident est d'être suffisamment convaincant, artistiquement et commercialement, pour ramener les FF au complet dans une série à leur nom. Chip Zdarsky (le dessinateur de Sex Criminals écrit par Matt Fraction chez Image Comics, et qui fait petit à petit son trou chez Marvel comme scénariste) joue malicieusement sur ce manque ressenti par les fans et l'esprit timoré de son éditeur pour articuler le titre.

En ce sens, l'auteur peut remercier Brian Michael Bendis, Charles Soule et Gerry Duggan qui ont su conserver une visibilité à Ben Grimm (dans Guardians of the Galaxy puis Infamous Iron Man) et Johnny Storm (dans Uncanny Inhumans et Uncanny Avengers), mais aussi Jonathan Hickman pour n'avoir pas tué Reed, Sue, Franklin et Valeria Richards au terme de Secret Wars (même si ressusciter les personnages n'a jamais été un gros souci chez les super-héros). Zdarsky s'appuie sur le fait aussi que la Chose et la Torche s'évitent car se voir leur fait penser à leurs chers disparus : leurs retrouvailles sont ici parfaitement orchestrées, sans effusion, avec une émotion pudique mais réelle, et leur avenir est présenté de façon accrocheuse en les invitant à une quête classique mais en conformité avec l'ADN des FF (qui sont en définitive plus des aventuriers explorateurs que des redresseurs de torts).

Pour assurer au projet une attractivité esthétique, Marvel a associé à Zdarsky un dessinateur rare mais apprécié en la personne de Jim Cheung. Si l'examen des sorties prévues dans les premiers mois de 2018 indique qu'il ne s'occupera que des deux premiers épisodes (avant d'être remplacé par Valerio Schiti, davantage capable d'assurer un rythme mensuel), l'artiste produit de superbes planches, encrées par John Dell et Walden Wong, qui rendent justice aux détails abondants de l'aspect rocailleux de la Chose mais aussi à l'enveloppe enflammée de la Torche.

La raideur du trait de Cheung est astucieusement exploitée dans ce premier épisode où chacun des deux personnages est comme engourdi, écrasé, par le deuil de leur équipe, l'éloignement qu'ils se sont infligés, et la stupeur qui les saisit avec la possibilité de retrouver Reed et Sue. Idem quand le Dr Doom intervient (avec la promesse à la fin de le revoir vite), dont le charisme est bien rendu en quelques pages.

Progressivement, sans qu'on s'en aperçoive, Marvel Two-in-One est hanté, habité par l'esprit, à défaut de la présence effective, des FF en convoquant l'essence de ce qui les distingue : plus qu'un groupe, il s'agit d'une histoire de famille - et celle-ci s'étend, communique directement avec les lecteurs. Ce traitement sensible est très accrocheur. Souhaitons qu'il le soit pour le plus grand nombre car la suite dépend vraiment cette fois des lecteurs : si vous voulez des Quatre Fantastiques, à vous de jouer - et, pour le coup, Marvel, Chip Zdarsky et Jim Cheung vous proposent un comic-book appétissant !         

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