mercredi 21 février 2018

THE NIGHT OF (HBO)


J'avais prévu de consacrer l'entrée du jour à un programme plus léger, après les critiques de quelques comics dramatiques, mais reporter indéfiniment cet article sur la série limitée de HBO, The Night Of, aurait été injuste. Elle mérite bien mieux, même si elle n'est pas légère et vous laisse K.O.. Je sais que je donne l'impression d'être très louangeur avec certains shows télés, mais s'il y a une part de chance là-dedans, il faut aussi admettre que les chaînes proposent des productions d'une qualité extraordinaire et nous procurent des émotions puissantes. C'est, donc, encore le cas ici.

 John Stone et Nasir Kahn (John Turturro et Riz Ahmed)

Octobre 2014. Brillant étudiant dans le Queens, Nasir Kahn emprunte, sans lui demander sa permission, un soir, le taxi de son père pour se rendre à une fête. A un feu rouge, une belle jeune femme, Andre Cornish, monte à bord et le convainc de la véhiculer puis d'annuler sa sortie pour passer la soirée ensemble. Après avoir consommé de l'alcool et de la drogue et fait l'amour chez elle, Nasir se réveille et découvre le corps de la jeune femme morte, tailladée de plusieurs coups de couteau. Paniqué, il prend la fuite mais se fait arrêter peu après par deux agents en patrouille pour une légère infraction au code de la route. Le Central envoie les deux flics à l'adresse d'Andrea où un voisin a signalé un cambriolage. Nasir est conduit au poste par une autre voiture de police. Fouillé, on trouve sur lui l'arme présumée du crime. Il est interrogé par l'inspecteur en charge de l'affaire, Dennis Box, puis placé en cellule où un avocat de passage, John Stone, le remarque et lui offre de le représenter.

L'inspecteur Dennis Box (Bill Camp)

Stone conseille d'abord à Nasir de ne plus parler à personne, l'avocat se fiche d'ailleurs de savoir s'il est innocent. Box retourne sur la scène de crime et appelle Don Taylor, le beau-père d'Andrea, pour qu'il vienne identifier le corps à la morgue. Revenant auprès de Nasir, l'inspecteur lui rend son inhalateur (pour l'asthme dont il souffre) et tente de le pousser aux aveux - en vain. Nasir est inculpé pour meurtre devant un juge et envoyé à la prison de Rykers Island en attendant son procès.

Nasir et Freddy (Riz Ahmed et Michael K. Williams)

Stone rencontre les parents de Nasir et négocie avec eux un forfait pour le défendre mais ils sont trop pauvres pour s'acquitter des frais de justice. Grâce au JT, une avocate célèbre, Alison Crowe, s'intéresse à l'affaire et propose aux Kahn de représenter leur fils gratuitement. Son plan consiste en vérité à convaincre Nasir de plaider coupable afin qu'il écope d'une réduction de peine et qu'elle profite de la publicité acquise pour cette "victoire". Stone apprend par Nasir qu'il n'est plus son défendeur et, à l'intérieur de la prison, menacé par d'autres détenus, il accepte la protection que lui offre Freddy, un ancien champion de boxe, condamné pour le meurtre de sa femme.

Les parents de Nasir, Salim et Safan (Peyman Moaadi et Poorna Jagannathan)

Stone assiste, à distance, aux funérailles d'Andrea et remarque, après l'inhumation du cercueil, une dispute entre Don Taylor, le beau-père, et un jeune homme - il s'agit de Don, le conseiller financier des Cornish. Par ailleurs, il est établi que la victime était une toxicomane ayant hérité de la fortune de sa mère, morte l'an passé d'un cancer. En s'entretenant avec Chandra Kapoor, l'assistante de Crowe, Nasir décide de ne pas plaider coupable car il est certain de ne pas l'être. Lorsqu'il le répète devant la procureur Helen Weiss et le juge, il est lâché par Crowe - mais Chandra décide de reprendre le dossier.  

John Stone

Pendant que la défense et le ministère public aiguisent leurs arguments, Nasir doit s'endurcir en prison : il se rase la tête, se fait tatouer, brutalise des détenus qui l'avaient menacé ou blessé. Il sert aussi de "mule" à Freddy pour l'approvisionner en drogue, fournie par la mère d'un autre jeune nouveau prisonnier. Box, lui, sur ordre du procureur Weiss, reconstitue la nuit du crime : Nasir a consommé des amphétamines, croisé un certain Trevor Williams avec qui il a failli se battre et qui était accompagné d'un dénommé Duane Read, malfrat récidiviste qui a agressé plusieurs personnes au couteau. Les parents de Nasir doivent trouver de nouveaux jobs, peu rémunérateurs, pour subsister, alors que la communauté pakistanaise les rejette.

La procureur Helen Weiss (Jeannie Berlin)

Stone et Chandra fouillent aussi le passé, éloigné et récent, de Nasir et découvrent qu'il a dû changer d'école pour des violences commises par lui à la suite des attentats du 11-Septembre et de harcèlements contre lui. Il a aussi vendu des médicaments à d'autres élèves. La nuit du crime, une caméra de vidéo-surveillance révèle que le chauffeur d'un corbillard, à une station-service, où s'était arrêté avec Andrea dans le taxi a réprimandé verbalement la jeune femme. Et enfin une conversation "off" avec Don, le conseiller financier des Cornish, révèle que la fortune d'Andrea reviendra désormais à son beau-père qu'elle détestait - il a accumulé les liaisons avec des femmes plus âgées et riches auparavant.  

Chandra Kapoor, Nasir Kahn et John Stone (Amara Kahn, Riz Ahmed et John Turturro)

Le procès débute. Un expert médical pour la défense, le Dr. Katz, démonte le rapport du légiste de la police, accablant Nasir, et Chandra révèle que Box a commis une faute procédurale en rendant à Nasir son inhalateur laissé sur la scène de crime et par conséquent jamais mis sous scellés. Les antécédents de Duane Reade, arrêté à nouveau pour agression, et ceux du beau-père plus les menaces proférées par le conducteur du corbillard constituent autant de nouvelles pistes négligées/ignorées par la police et l'accusation mais introduisant un doute raisonnable en faveur de Nasir. Pourtant, Helen Weiss renverse la situation en contre-interrogeant le jeune homme, appelé à donner sa version des faits par Chandra, quand il avoue piteusement ne pas se souvenir de ce qu'il a fait entre son étreinte avec Andrea et le moment où il s'est réveillé à côté de son cadavre. 

Nasir Kahn

Box, tourmenté par les zones d'ombre de l'affaire, reprend le dossier de A à Z et y détecte des failles, notamment sur des appels téléphoniques reçus par Andrea et envoyés par son amant qui n'est autre que son conseiller financier. Grâce à des vidéos-surveillance, ce dernier est visible la nuit du meurtre en train de la suivre jusqu'à ce qu'elle monte dans le taxi de Nasir. Mais Weiss, à qui Box présente ces nouveaux éléments, préfère les ignorer car elle a son coupable. Surprise en train d'embrasser Nasir, Chandra est suspendue par le juge (et, ensuite, renvoyée par Crowe) : Stone doit prononcer la plaidoirie malgré son anxiété (qui réveille son eczéma) après le réquisitoire terrible de la procureur. Le jury, après des heures de délibération, est incapable de trancher, Weiss préfère cesser les poursuites plutôt que tenter un nouveau procès.
Nasir est libre mais hanté par cette nuit. Weiss charge Box d'arrêter Don, le conseiller financier. Chandra débarrasse son bureau. Stone adopte le chat d'Andrea (malgré son allergie) et reprend sa tournée des commissariats en quête de nouveaux clients.

The Night Of, c'est d'abord une leçon de narration compressée, même s'il s'agit d'une série, donc par définition d'un format plus élastique qu'un film. Mais c'est une mini-série, qui n'aura pas de saison 2 (vu son histoire auto-contenue, avec une fin bouclée), de seulement huit épisodes. Vous, qui l'avez vu ou qui la verrez, me rétorquerez que le premier chapitre dure quand même une heure et quart et le dernier presque une heure trente, et que les six autres font une heure. Mais quand même : le contenu de chaque volet est d'une telle densité qu'on n'a jamais l'impression que ce temps est perdu, que les auteurs tirent sur la ligne.

Ce sentiment de compression narrative tient aussi beaucoup à l'ambiance étouffante qui règne durant tout le récit : l'affaire traitée est d'emblée si accrocheuse et ses enjeux se resserrent si vite et bien et fort qu'on en suit le déroulement comme en apnée parfois, suspendu aux révélations qui tombent, à l'évolution de son héros, aux passes d'armes entre l'accusation et la défense, à l'attitude de la police et de l'administration carcérale. Car The Night Of donne à voir le système judiciaire américain comme un effrayant étau, une machine qui broie l'individu.

Les scénaristes, prestigieux, que sont le romancier Richard Price et Steve Zaillian (ce dernier ayant également assuré la réalisation) insistent soigneusement sur ces rouages qui s'enclenchent dès que le crime est découvert et le suspect arrêté. Les scènes au poste de police montrent des fonctionnaires se succédant en reproduisant des gestes identiques, presque comme des robots, on assiste à des interrogatoires menées avec une fausse bienveillance par un flic proche de la retraite mais plus soucieux de partir sur une victoire que de confondre le vrai coupable, à l'examen de preuves contradictoires par une procureur qui préfère les ignorer car elle a assez d'éléments à charge contre l'accusé (et qui n'a aucune envie de subir la honte de s'être trompée de cible, et donc de s'engager dans un nouveau procès). 

La description pointilleuse de l'enquête, de l'instruction, du procès, et à côté, en parallèle, du séjour en prison de Nasir, renvoie la série New York Police Judiciaire de Dick Wolf, si elle était quasiment amputée de sa partie investigatrice pour se focaliser sur le labeur du ministère public et de la défense, avec ces accords négociés, cette partie de poker menteur, ces pièces au dossier dissimulées à la partie adverse. Tout est décortiqué ici et, ce qui, chez Dick Wolf, est réglé en 45 minutes (et pas toujours par la victoire des procureurs), est développé sur huit épisodes.

Cela permet donc de définir la caractérisation des protagonistes, tous admirablement campés, par des acteurs sensationnels : Riz Ahmed, récompensé il y a quelques semaines aux Golden Globes pour son interprétation intense et poignante de ce garçon fracassé ; et John Turturro, exceptionnel en avocat mal fagoté, moqué par ses pairs, les flics, dévisagé par tout le monde (à cause de son eczéma : "Regarde, ils n'osent même pas m'approcher car il croit que j'ai la lèpre." lance-t-il), dominent les débats dans des rôles en or. Mais le reste de la distribution est également magnifique : Amara Kahn en avocate idéaliste, Jeannie Berlin en attorney general glaçante, Bill Camp en flic pugnace mais finalement juste, Michael K. Williams en caïd du pénitencier pathétique, et bien entendu Peyman Moaadi et Poorna Jaggannathan impeccablement dignes en parents dépassés, écrasés.

La mise en scène les saisit dans ce cauchemar semblable aux sables mouvants où plus on s'agite, plus on s'enfonce. Elle souligne aussi l'absurdité de ce cas où la culpabilité devient presque accessoire pour interroger les conséquences d'une telle affaire sur l'accusé dont le passage derrière les barreaux fait un junkie, à jamais hanté par cette épreuve et le souvenir d'une jeune femme aimée sans l'avoir connue.

C'est dans le creuset de cette absence que se dessine aussi la spécificité de cette fiction si réaliste car, initialement, le projet était celui de l'acteur James Gandolfini : il devait interpréter John Stone avant de mourir subitement. HBO avait alors annulé la série puis relancé en sa mémoire (le chaîne rendant ainsi hommage à celui qui incarna le chef de famille des Soprano, un de leurs grands succès), avec Robert de Niro puis, donc, finalement Turturro, remplaçant son camarade surbooké. 

On ne saura jamais ce que The Night Of aurait donné avec son comédien (crédité comme producteur associé) original, mais son suppléant est aussi fantastique que différent. Et la série est aussi fascinante que terrible. Pas plus qu'on ne peut oublier Gandolfini, on ne peut oublier cette nuit-là...     

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