samedi 17 février 2018

THE MARVELOUS MRS. MAISEL (Saison 1)


L'année est encore longue mais gageons que The Marvelous Mrs. Maisel figurera dans les premières places des meilleurs séries télé à la fin 2018 car le show créé par Amy Sherman-Palladino et produit-diffusé par Amazon Studios s'affirme comme un "instant classic", un chef d'oeuvre qui s'impose avec la force de l'évidence. Fastueux, drôle, intelligent, tonique, la série s'inscrit qui plus est dans le registre délicat de la comédie rétro et se permet de ressusciter un genre qu'on croyait disparu. Vraiment merveilleux !

 Joel et Miriam Maisel (Michael Zegen et Rachel Brosnahan)

Manhattan, 1958. Miriam "Midge" Maisel est mariée depuis quatre ans à Joel avec lequel elle eu deux enfants et elle encourage son époux lorsqu'il se produit sur la scène du "Gaslight Cafe" pour des numéros de stand-up comedy. Mais la situation bascule un soir où, après un bide, il lui annonce la quitter pour sa secrétaire, Penny. Après s'être soûlée, Midge quitte le domicile conjugal (les enfants étant gardés par ses parents, habitant l'appartement au-dessus du leur) et retourne au "Gaslight Cafe" pour livrer une performance impromptue et provocante qui provoque l'hilarité du public puis son arrestation par la police pour outrage.

Susie Myerson (Alex Borstein)

Après cette première, Midge se résout à annoncer la nouvelle du départ de Joel à ses parents, Abe Weissman, professeur de mathématiques à l'université, et Rose, femme au foyer superstitieuse. Ceux-ci sont plus dévastés qu'elle, en particulier sa mère qui se réfugie dans le déni, croyant que cela n'est qu'une passade. Midge revient au "Gaslight" pour savoir ce qu'elle y a vraiment fait et Susie Myerson, la programmatrice, le lui explique en lui proposant de devenir son agent.

Miriam "Midge" Maisel

Bien que réticente, Midge accepte de remonter sur scène en improvisant à partir de ses déboires sentimentaux et judiciaires : c'est un nouveau succès... Et une nouvelle arrestation ! Lenny Bruce, l'humoriste en vogue, placé en cellule avec elle la première fois, paie sa caution et l'encourage. Cité à comparaître devant un juge, Midge trouve un avocat grâce à Susie et plaide coupable, mais devant la cour, elle s'emporte face au comportement paternaliste du magistrat et doit présenter des excuses et s'acquitter d'une amende. Cependant, Abe tente de négocier le retour de Joel au domicile conjugal avec le père de celui, Moishe, malgré l'envie de ce dernier de punir le jeune couple en les expulsant de l'appartement qu'il leur a offerts. 

Rose Weissman, la mère de "Midge" (Marin Hinkle)

Midge, ignorant ses manoeuvres, sait qu'elle doit trouver un travail pour subsister sans vivre aux crochets de ses parents ou de Joel et décroche une place de vendeuse en cosmétiques dans un grand magasin. Mais elle n'abandonne pas le cabaret et ses sketches, profitant que sa mère accepte, sans savoir où sa fille se produit, de jouer la baby-sitter. Pour se perfectionner, elle profite aussi de soirées entre collègues où elle exerce ses talents d'oratrice comique tandis que Susie s'échine à la placer pour des numéros dans d'autres clubs.

"Midge"

Sermonné par son père, Joel s'ennuie avec Penny car leur vie de couple reproduit celle qu'il menait avec Midge et son travail l'ennuie d'autant plus qu'il ne peut plus se consacrer au stand-up. Toujours pour se perfectionner, Midge comprend qu'elle ne peut pas tout miser sur sa pétulance naturelle et cherche conseil auprès d'un gagman, Herb Smith, qui va lui écrire des sketches à partir des notes qu'elle prend sur sa vie de femme, de fille et de vendeuse. Mais cette initiative aboutit à son premier échec sur scène, car ce qu'elle joue ne lui ressemble plus. Résultat : Susie, furieuse, se fâche et Midge refuse qu'elle continue de la représenter.

Abe Weissman, le père de "Midge" (Tony Shalhoub)

Abe est approché par le programme spatial américain pour intégrer une équipe scientifique et, pour cela, une enquête de moralité est entamée, lui révélant les arrestations de Midge - sans toutefois que cela ne le compromette. Désormais, Miriam n'a plus que les soirées mondaines pour briller par son humour et elle y rencontre un partenaire qui la présente à son agent pour monter un numéro de duettistes dans la publicité et des émissions télé. Abe invite un soir à dîner un avocat pour inciter Midge à officialiser son divorce avec Joel, ce qui les choque, elle et sa mère. Pourtant, Joel s'éloigne au même moment, lentement mais sûrement, de Penny et envisage son come-back sur scène, fort en revanche d'avoir convaincu ses patrons de diversifier leurs activités.

"Midge"

Ses parents ne se parlant plus, Midge se réconcilie avec Susie à qui elle promet de suivre ses conseils si en retour son agent devient sa confidente (et plus seulement son chien de garde). Ensemble, elles assistent à des spectacles comiques, comme celui de la vedette du rire, Sophie Lennon, dont le manager accepte que Midge fasse la première partie. Mais après que la jeune femme ait rendu visite à son aînée chez elle, elle se moque d'elle sur la scène du "Gaslight Cafe". La presse le relate et provoque l'ire du manager de Sophie, qui promet à Susie que sa protégée est grillée dans le milieu.

Lenny Bruce et Susie Myerson (Luke Kirby et Alex Borstein)

Sa carrière apparemment terminée, Midge retombe dans les bras de Joel lors de l'anniversaire organisé pour leur fils. Il est prêt à tous les sacrifices pour donner une seconde chance à leur couple et elle en informe ses parents. Mais Susie est occupée par la réhabilitation artistique de Midge et demande une faveur à Lenny Bruce en ce sens. Rappelée au "Gaslight Cafe", Midge est l'invitée de son prestigieux confrère et se déchaîne sur scène tandis que Joel, dans la salle, venu solliciter un passage, assiste au numéro où sa femme fait rire à ses dépens. Doublement humilié (par le sketch et le talent de sa femme), il s'éclipse tandis que Midge conclut en se présentant comme "Mrs. Maisel".

"Ah, et moi, c'est Mrs. Maisel !"

Il y a dans cette série une grâce étourdissante et une modernité confondante qui impressionnent d'entrée puisque la toute première scène du premier épisode montre, lors du mariage de Midge et Joel, la jeune femme prononçant un discours désopilant à une assemblée médusée et hilare mais dont la chute choque le rabbin au point de le faire fuir (et de refuser de fréquenter les familles pendant quatre ans !).

Le mensuel "Première" interroge dans son dernier numéro (de Février) si un pareil show avait besoin d'une critique pour l'analyser et d'une défense pour attirer des téléspectateurs car sa virtuosité souffle ceux qui le découvrent et emballera ceux qui le suivront. On ne va quand même pas se priver de dire du bien de The Marvelous Mrs. Marvel qui porte si bien son adjectif.

D'abord, il y a le plaisir, simple, immédiat, du faste de la production pour nous entraîner dans la fin des années 50 avec un luxe vertigineux dans les décors, les costumes, toute l'esthétique follement élégante, l'ambiance électrique de l'époque. Cela renvoie aux classiques du cinéma qu'on adore tous pour leurs couleurs flamboyantes, leur bonne humeur euphorisante, ces remèdes imparables à la morosité dans notre quotidien grisâtre. Visuellement, c'est splendide.

Mais jamais étouffant ou écoeurant car la série évite brillamment d'en faire trop dans la nostalgie et rappelle au passage quelques vérités sur la condition féminine, la cellule familiale et l'atmosphère encore oppressante dictée par la censure : en 1958, des flics surgissaient dans des cabarets pour passer les menottes à des humoristes au verbe trop cru, les mariages étaient arrangés, la femme cantonnée au foyer (pour y élever les enfants, préparer le repas, accomplir les tâches domestiques quand la bonne ne s'en occupait pas).

C'est qu'en vérité, sous atours vintage ensorceleurs, The Marvelous Mrs. Maisel est une création féminine et surtout féministe, mais qui se révèle dans un discours moins attendu qu'on pourrait le croire. Evidemment le parcours de Midge pour s'émanciper, s'affirmer et s'imposer ne manque pas de piquant et s'inscrit dans un cadre intriguant - la scène du stand-up comedy - mais résonne d'un éclat singulier dans le contexte récent.

Nul n'ignore plus que désormais, depuis "l'affaire Wenstein" et les hashtags #Balancetonporc et #Metoo, à Hollywood et ailleurs, la parole, selon la formule répandue, s'est libérée. Et c'est très bien car il est nécessaire que les victimes n'en soient plus et que les harceleurs, agresseurs, soient jugés. Mais encore faut-il qu'ils le soient... Car victoire il n'y aura vraiment, progrès effectif sera réalisé si ces affaires crapoteuses sont portées devant la justice des tribunaux et jetées en pâture sur les réseaux sociaux, cour de justice aussi expéditive qu'inappropriée et non qualifiée. Enfin, cette révolution ne se fera pas sans les hommes qui ne sont pas tous des prédateurs sexuels (comme le sous-entendent certaines féministes aux propos plus revanchards que légalistes) mais aussi des soutiens pour les victimes effectives ou potentielles : bref, il faudra opérer en étant unis et non opposés à cause de paroles aigries, discriminantes, partiales, partielles.

De ce point de vue, Amy Sherman-Palladino (dont le titre de gloire remontait à la série Gilmore Girls, sympathique mais plus inoffensive) détone par sa modération mais aussi son acuité. L'auteur préfère à la diatribe, au pamphlet, au doigt pointé, la finesse et le rire pour à la fois montrer ce qui ne va pas (et ce, depuis longtemps donc) mais aussi comment ça pourrait aller mieux. Dénoncer sans oublier de fournir des solutions, c'est mieux.

Et la "libération de la parole", Midge l'éprouve littéralement et son histoire la développe admirablement. Mariée à un séducteur pourtant falot mais suffisant, qui vole le sketch d'un humoriste connu pour briller sur scène (en prétendant que c'est la coutume dans le métier), c'est elle qui possède l'essentiel : l'esprit, la présence, le talent. Elle s'appuie d'abord sur son sens de l'improvisation, vraiment hallucinant, mais ne s'en contente pas (elle ne s'en contentait pas pour son époux en prenant pour lui des notes sur les blagues qui fonctionnaient le mieux auprès du public) : son ardent désir de pratiquer en se produisant régulièrement, en recourant (inutilement) à un gagman dépassé, à jouer un temps avec un partenaire, à écouter et retenir les conseils avisés (jusqu'au cynisme) de Lenny Bruce (formidablement incarné par Luke Kirby - alors qu'il passe quand même après la composition inoubliable du comique par Dustin Hoffman), à refuser toutes concessions (quitte à se "suicider" artistiquement en descendant une vedette, dont l'hypocrisie est pourtant justement révélée), tout chez cette héroïne relève de la libération de la parole.

Midge ne veut/ne peut se contenter d'être une housewife docile, une bonne fille de bonne famille, une honnête artiste. Pour cela, l'expression est son salut, sa méthode, son aboutissement. Elle cherche moins la célébrité (comme en témoigne son tempérament incontrôlable) que la reconnaissance, et paradoxalement elle fait son chemin en doutant constamment (elle cherche l'approbation de Susie - extraordinaire Alex Borstein - , l'avis de Herb Smith - malicieux Wallace Shawn). Il y a Miriam, l'élève studieuse, la vendeuse professionnelle, la mère attentionnée, l'amie fidèle. Et il y a Midge, "Mrs Maisel", qui se cache longtemps derrière un pseudonyme idiot, sur le point de se résigner à ne plus qu'amuser la galerie dans des fêtes mondaines, puis dénonce la mascarade de Sophie Lennon, triomphe grâce à son seul mérite.

La réussite de Midge ne s'accomplit pas sans casse (Joel en sort humilié mais admettant la supériorité de sa femme, ses parents manquent de sombrer dans la tornade, son lien avec Susie évite de peu la cassure, sans compter deux arrestations qui manquent de compromettre la promotion de son père). Mais on est avec elle, malgré tout, envers et contre tous, car elle nous fait rire, nous charme, nous épate, sans une once de méchanceté, de rancoeur, d'esprit de revanche/vengeance. Avec dignité, pugnacité, et génie.

Pour supporter pareil personnage et assumer pareille partition, Amy Sherman-Palladino a été bien inspirée de faire confiance à une inconnue (bien qu'elle ait participé à quelques séries mais au second ou troisième rang) : l'extraordinaire Rachel Brosnahan. A la dernière cérémonie des Golden Globes, la série a fait sensation en raflant les récompenses dans la catégorie "comédie" mais surtout en valant à la comédienne le prix de la meilleure interprétation dans ce genre : surprise totale mais totalement justifiée. Avec sa voix flûtée, son débit de mitraillette, sa beauté d'un autre temps, son élégance naturelle, c'est une révélation comme a rarement l'occasion d'en profiter. Le rôle pourrait être écrasant, mais je veux bien miser que Rachel Brosnahan n'en restera pas là comme son personnage et qu'une yellow brick road s'ouvre devant elle.

Tout est à sa (dé)mesure : réalisation admirable, production design irréel, swing diabolique, on a presque envie de mettre en garde les curieux en les prévenant que ce show va leur donner le tournis. Mais être grisée avec une telle maestria est ce qui distingue un divertissement ponctuel d'un spectacle inoubliable. Alors, abandonnez-vous, vous ne le regretterez pas !       

Fan-art par Robbie Thompson, approuvée sur Twitter par Rachel Brosnahan herself.

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