jeudi 31 décembre 2020

X-MEN #16, de Jonathan Hickman et Phil Noto


X-Men #16 est la seule nouveauté que je critiquerai cette semaine. Les sorties du 30 Décembre sont rares, et même Marvel propose peu de titres avant la Saint-Sylvestre. Mais il y a de quoi faire avec ce numéro, qui est passionnant et très riche. Jonathan Hickman y aborde en effet deux sujets qui vont durablement impacter la franchise et sa série-phare et c'est très excitant de voir ce qu'il met en place. Le scénariste est accompagné par Phil Noto au dessin, qui s'avère un choix judicieux pour cet épisode où le dialogue est en avant.


Cyclope, Cable et Prestige assistent depuis une colline de Krakoa à l'apparition de Arakko et sa capitale via le portail externe. Puisque Apocalypse a quitté l'île avec femme et enfants, l'autre moitié de nation mutante est désormais vouée à se relier avec Krakoa. Mais les choses ne se passent pas comme prévu.


Après être intervenu, avec Krakoa, Cypher fait son rapport au Conseil. Il s'avère que les deux îles ne s'aiment plus, trop longtemps séparées. Elles refusent de ne faire qu'une à nouveau. Sachant que Arakko a une population vingt fois plus nombreuse, le Conseil doit réagir.
 

Charles Xavier et Magneto se rendent sur Okkara et s'entretiennent avec Isca l'imbattable. Elle met en évidence les différences entre leurs deux nations et s'étonne de la cohabitation actuelle entre mutants et humains. Mais elle va en parler au gouvernement d'Okkara pour tenter de trouver un arrangement.


Puis Magneto et Xavier discutent avec Cyclope et Jean Grey des sièges laissés vacants au Conseil. Toutefois, le couple refuse de s'y asseoir, préférant se consacrer à la reformation des X-Men, comme un groupe qui défendra les mutants. Et pour choisir ses membres, il veut que les krakoans votent.

L'épisode, on le voit dans ce résumé, se découpe en deux parties. Mais toutes deux découlent de faits survenus à la fin de X of Swords. Ainsi, Jonathan Hickman fait de cet épisode un chapitre programmatique, dans lequel il annonce la couleur de ce que sera certainement la nouvelle ère de la franchise mutante, Reign of X.

Hickman, en interview, avait déclaré que le nouvel acte de la franchise serait celui de "l'expansion". Si cela pouvait paraître énigmatique, on y voit plus clair après la lecture de cet épisode. X of Swords n'aura pas été qu'un grand crossover, souvent délirant, mais bien un événement avec des répercussions et le scénariste ne  tarde pas pour les dévoiler. Au premier rang : le sort de Akkaro et ses conséquences sur Krakoa.

Pour entériner la paix entre les deux nations mutantes, Saturnyne avait imposé qu'un mutant de chaque camp rejoigne la partie adverse. Genesis avait choisi son mari, Apocalypse. Apocalypse, décidant à la place du Conseil de Krakoa, avait décidé que le peuple arakki rejoindrait celui de Krakoa - un geste saluée par Saturnyne pour son audace. On assiste donc, dès les premières pages, à l'arrivée des gens d'Arakko via le portail externe avec l'Outremonde. Les deux îles doivent logiquement se retrouver et se relier pour ne faire à nouveau qu'une (Okkara). Mais ce n'est pas ce qui se produit.

Cypher assiste avec Krakoa, qui se matérialise alors sous une forme humanoïde géante, à une discussion avec Arakko, qui s'incarne identiquement, et fait son rapport auprès du Conseil de Krakoa. Le temps passé loin de l'autre a éteint la flamme entre les deux îles vivantes. Elles ne veulent/peuvent plus se lier. Reste qu'il y a désormais une seconde île pleine de mutants et ce n'est pas rien car la population d'Arakko est estimée à vingt fois supérieure à celle de Krakoa.

Hickman donne déjà le vertige avec ces données. La notion d'expansion qu'il a mentionnée prend tout son sens. Vingt fois plus de mutants d'un coup viennent de débarquer, sans qu'on sache qui ils sont, quelle est leur puissance, leurs intentions, etc. Et les deux îles qui devaient se réunir ne le font pas. Voilà un dossier bigrement épineux à gérer. Apocalypse n'avait certainement pas prévu cela en laissant ce "cadeau" à ses pairs.

Depuis qu'il est devenu le showrunner de la franchise "X", Hickman n'a pas manqué d'ambitions. Mais c'est une chose de voir les choses en grand et une autre de les convertir en des histoires captivantes, à la hauteur des questions que cela soulève. Il a d'abord joué avec le temps (dans House of X-Powers of X) et, à la faveur d'un twist énorme, rediriger toute la problématique mutante pour aboutir à un statu quo inédit et radical (l'Etat de Krakoa). Il a ensuite joué avec les ressorts politiques, invitant les mutants à la table des puissants de ce monde et de l'univers (l'épisode à Davos, le diptyque avec les Broods et les Shi'ar). Puis il a orchestré un crossover pour rebattre les cartes, sacrifiant des pions, imposant des bouleversements profonds. Il était acquis qu'avec Hickman la relance de la franchise ne serait pas un long fleuve tranquille mais bien une pièce en plusieurs actes.

La discussion entre Magneto, Xavier et Isca met tout cela en perspective et donne aussi le tournis. On comprend très bien que Okkara n'est pas qu'une île avec beaucoup de nouveaux mutants dont l'intégration s'avère délicate. C'est l'arrivée (ou plutôt le retour) de mutants originaux, dont les origines sont bien antérieures à celles des habitants de Krakoa, à la mentalité très distincte (conquérants, guerriers, n'ayant jamais connu la paix, sidérés de la tolérance des krakoans envers les humains - considérés comme des anomalies dériosires). Et doté d'un gouvernement de douze membres comme sur Krakoa (The Great Ring, qu'on pourrait traduire par le Grand Cercle), mais dont chaque membres est un mutant de niveau Oméga !

Isca s'engage à jouer les intermédiaires, mais on devine que rien n'est règlé. Tout cela va être passionnant à suivre, à observer. Je crois, sans me tromper, que c'est la première fois qu'une telle situation se produit, chez les mutants, mais aussi dans la communauté super-héroïque (même le Multivers de DC, tel qu'établi par Grant Morrison dans The Multiversity, et réutilisé dans la saga Doom War de Justice League par Scott Snyder et James Tynion IV, suggère que face à une menace commune, toutes les terres parallèles sont d'accord pour s'unir afin de survivre à une menace comme Perpétua). Dans son event Infinity aussi, Hickman montrait que des planètes parfois rivales ou ennemies s'unissaient finalement pour combattre les Bâtisseurs et Thanos. Là, c'est beaucoup moins évident avec les arakki, qui ont vraiment de quoi renverser la table, pour les mutants et le reste des super-héros.

Mais c'est pas tout ! Dans le dernier quart de l'épisode, Hickman revient sur un autre cas soulevé dans les derniers temps de X of Swords, quand Cyclope avait défié le Conseil qui refusait d'envoyer une équipe au secours des champions de Krakoa dans l'Outremonde. Pour Scott Summers et Jean Grey, il s'agissait au début de secourir leur fils, Nathan (alias Cable ou "Kid Cable"). Mais en vérité, cette scène-clé révèlait un quiproquo étonnant : depuis la relance de la série X-Men, on n'entendait plus parler des X-Men comme équipe. Il existait les Marauders, la X-Force, X-Factor, mais plus de X-Men. Et on apprenait d'ailleurs ensuite que Charles Xavier ne voulait plus que ce terme soit utilisé, car il le considérait révolu, désormais obsolète du fait de la situation nouvelle de la nation mutante. Cyclope ne l'entendait pas ainsi : les X-Men devaient renaître, d'abord pour sauver donc les champions de Krakoa mais aussi, dans le futur, pour incarner l'équipe qui défendrait les mutants dans le monde, les représenterait.

Concrètement, on a vu ce que cela a produit : une armée de mutants krakoans s'est abattue sur l'Outremonde en pleine bataille et a contribué non seulement à sauver les champions de Krakoa mais aussi à forcer la décision de Saturnyne de mettre un terme au projet de Annihilation/Genesis. Aujourd'hui, Charles Xavier et Magneto, soucieux de remettre de l'ordre dans ce qu'ils estimaient sans doute être un couo d'éclat, proposent à Jean Grey de réintègrer le Conseil (une formalité puiqu'il y aura plus de membres favorables à ce retour que le contraire) mais aussi à Cyclope de remplacer Apocalypse. Scott Summers et sa compagne refusent : ils veulent toujours reformer les X-Men.

Et là, Hickman sort une idée de son chapeau, une idée géniale, imparable, inattendue : qui seront ceux qui formeront cette équipe ? Hé bien, ce sont les krakoans qui en décideront en les élisant ! C'est génial parce que, là encore, ça me semble inédit (les équipes de super-héros se forment toujours un peu miraculeusement, tout le monde reste ensuite ensemble comme si c'était évident, que chacun avait du temps pour ça, etc.). Mais imaginer une équipe élue par le peuple, ça, c'est vraiment pas banal. Appliquée à la Justice League, aux Avengers, que donnerait cette méthode ? Sûrement pas des compositions ordinaires, avec les indéboulonnables de chaque groupe. Je suis impatient de voir qui seront ces X-Men élus et je fais confiance à Hickman pour surprendre (tout en sachant qu'il a tenu à l'écart des stars mutantes jusqu'ici et nommé quelques mutants qu'il adorait), d'autant que, de son côté, l'editor Jordan White a garanti que Reign of X allait faire bouger les lignes et que pas mal de personnages évolueraient (on sait par exemple que Tornade sera au centre d'une grande histoire en 2021, tout comme Diablo).

En outre, on a pu reprocher à Hickman, depuis un an et demi, de ne pas écrire X-Men comme une série répondant aux codes, c'est-à-dire manquant d'action, de combats, avec des ennemis en retrait. La renaissance des X-Men comme équipe de super-héros, c'est, me semble-t-il, la promesse de relire des histoires plus traditionnelles où ils seront écrits comme des héros accomplissant des actes héroïques, donc avec de la baston, donc avec des adversaires plus définis. Voilà qui devrait réconcilier certains fans avec ce run atypique.

Il ne manque plus qu'à féliciter Phil Noto pour sa contribution. Le voir sur la série est une surprise puisqu'il dessine d'habitude Cable, mais c'est un artiste très rapide, capable de produire deux épisodes par mois sans difficulté. Il esr venu dépanner avant le retour de Mahmud Asrar. Marvel a récemment débauché Brett Booth, qui dessinera le #17 : pour moi, ce n'est pas une bonne nouvelle car je considère que c'est un dessinateur épouvantable, ayant hérité du pire du style graphique des débuts d'Image Comics (il est d'ailleurs souvent somparé à Jim Lee, dont je ne suis pas fan). J'ose espérer qu'il ne va pas devenir la doublure de Asrar car ça m'embêterait beaucoup. Tant que Leinil Yu se reposera, la question du second artiste régulier pour la série se posera (à moins que Marvel ne fasse preuve de sagesse et arrête de publier X-Men quasi-bimensuellement).

Mais donc Noto. Il fait un excellent travail pour l'occasion. Il est là pour dépanner en attendant le retour de Asrar, alors qu'il dessine d'habitude Cable. Mais c'est un artiste très rapide, capable d'abattre deux épisodes par mois, sans difficulté. Et surtout il correspond à ce qu'exige ce genre d'épisode, où l'essentiel se joue entre quatre yeux, avec des dialogues denses, un effort particulier sur les expressions et la valeur de chaque plan. Pas besoin d'en faire des caisses, Noto le sait : il est totalement au service du script. Si vous êtes allergique aux "talking heads" et aux "gaufriers", passez votre chemin. Mais en même temps, sachez que c'est ce qu'il faut pour ces scènes. Les traiter différemment ne les rendrait pas plus attractives, au contraire elles desserviraient le propos en détournant notre attention. Cela est presque minimaliste, austère même. Mais cette sobriété a du bon, elle repose après les grand spectacle du crossover et elle souligne les idées, les échanges riches, denses, qui sont inscrits dans le scénario.

2021 ne sera peut-être pas une année facile (en tout cas pas une remise à zéro, comme si 2020 n'avait pas existé ou que la crise allait disparaître comme par enchantement). Mais ce ne sera certainement une nouvelle année passionnante pour les fans des mutants (du moins ceux qui ne sont pas encroûtés dans une espèce de tradition immobile, pétrifiée). 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Encore merci pour cet article captivant.

Juste une remarque. Concernant le procédé électoral chez les super-héros, le avengers l'utilisaient par le passé (je crois que ce n'est plus le cas aujourd'hui). Je ne peux pas citer de mémoire les numéros en questions mais je me souviens de plusieurs n° de West coast avengers au début des années 90's où les personnages votaient et ou nous avions au final des membres dits "permanents" et des réservistes... avec tous les conflits d'égos que ça pouvait engendrer^^
Hickman, c'est sûr, amène cela à un niveau jamais vu.
Reste le roster trés attendu du coup. Pour le moment, celui des différents titres me laissent froid (à part sword qui est assez inattendu et audacieux). J'ai peur qu'il y ait peu ou pas de surprises: on aura sûrement droit à Wolverine, Jean, scott, Diablo...
D'autre part, je regrette que des "morts" marquants ne fassent pas leur retour en grande pompe: Thunderbird, Caliban, Rusty Collins, etc...

J'ai fait une digression de ouf! désolé!

Bonne continuation, bonnes fêtes et longue vie à mystery comics!