samedi 22 août 2009

Critique 96 : LEAVE IT TO CHANCE 1 - LA DANSE DE LA PLUIE, de James Robinson et Paul Smith

Leave it to Chance est une série écrite par James Robinson et illustrée par Paul Smith : c'est la deuxième collaboration du tandem créatif de JSA : The Golden Age. L'héroïne est Chance Falconer, une adolescente de 14 ans, fille d'un détective renommé du paranormal, Lucas Falconer, et qui a pour partenaire un dragon baptisé St. George.
La publication par Image Comics a été très irrégulière : les douze épisodes sont sortis entre 1996 et 1999, et un treizième volet a été édité en 2002.
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Leave it to Chance a lieu dans un monde où des faits surnaturels sont convenus, et donc l'existence de monstres, de fantômes, de démons et de magiciens va de soi. L'action se déroule dans une ville fictive, Devil's Echo, à une époque indéterminée mais plutôt contemporaine avec des éléments rétros.
Les membres de la famille perpétuent un héritage, celui qui consiste à combattre des menaces surnaturelles et ce, dès l'âge de 14 ans. Mais le père de Chance refuse de l'entraîner pour qu'elle lui succède, prétextant que la tradition veut que la fonction se transmette de père en fils. Cette décision est, pour la jeune fille, motivée par une attitude paternaliste et mysogine, mais en vérité il est encore affecté par la mort de sa femme et sa défiguration à la suite d'un combat contre les forces du Mal. Il ne souhaite donc pas que Chance connaisse le même sort. Il préfère que la tradition saute une génération et que sa fille rencontre un homme, se marie et donne naissance à un fils qu'il pourra alors former le moment venu.
Mais Chance n'accepte pas ce programme et désobéit à son père pour mener de son côté une enquête sur la disparition d'un shaman indien, John Corbeau, et de sa fille, Mina. Pour l'assister dans ses investigations, en l'absence de Lucas Falconer, Chance libère le dragon St. George et bénéficie de la complicité tacite du majordome Hobbs. Elle recevra aussi le soutien du journaliste Will Bendix que lui a présenté l'agent de police Margo Vela.
L'intrigue se concentre donc sur les aventures de Chance Falconer et la découverte d'un complot politique sur fond d'occultisme dont l'instigateur est le frère d'un ennemi de Lucas Falconer. C'est donc à la fois le récit d'une émancipation (celle de Chance) et d'une vengeance (celle de Belloc).
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Ce titre tranche singulièrement avec ce qu'on a l'habitude de lire sous la plume de son scénariste. James Robinson a la réputation d'être un auteur de récits sombres et ambitieux, comme en témoignent ses chefs-d'oeuvre JSA : The Golden Age et Starman. Mais Leave it to Chance est d'une toute autre inspiration : les seules ténèbres de cette série sont celles des scènes nocturnes et des motivations de ses méchants.
Son héroïne en particulier est une innocente jeune fille qui vit dans un monde féérique peuplé de dragons et d'elfes : elle a pour père le protecteur respecté d'une cité, Lucas Falconer, un homme charismatique mais hanté par une tragédie personnelle (il est veuf et la magie l'a transformé physiquement). C'est aussi un père attaché aux traditions familiales et qui refuse que son enfant souffre à cause de lui et de la pratique de la magie.
Le charme de l'histoire tient d'abord dans la résolution de Chance à assumer un rôle qu'on lui refuse : à sa manière, c'est une féministe qui désire prouver à son géniteur et au monde qu'elle est aussi capable qu'un garçon, et cela la rapproche des figures classiques des comics comme Lois Lane ou Wonder Woman. Avec un mélange de naïveté enfantine et de sensibilité matûre, elle entend écrire son histoire et donc défier l'autorité paternelle. Cette détermination sera payante puisqu'elle lui permettra de gagner la considération de son père - même si la perspective de la voir lui succèder le terrifie.
Mais si Chance est la vedette incontestable du livre, Robinson a pris soin de l'entourer de seconds rôles intéressants et divertissants. Son père est donc très protecteur mais il est surtout dévoué à sa mission et à sa ville. Le majordome Hobbs est un évident clin d'oeil à Alfred Pennyworth, le valet de Bruce Wayne/Batman, auquel il est clairement fait référence lors d'un dialogue entre lui et Chance.
La jeune fille se fait aussi des amis d'autres adultes au cours de son enquête, comme la "fliquette" Margo Vela, qui apparaît comme un modèle pour elle, peut-être comme une mère de substitution.
Cette galerie de personnages hauts en couleurs, parmi lesquels il y a aussi le candidat véreux à la mairie (Abbott) ou le revanchard Belloc, donne beaucoup de charme à l'ensemble, un aspect "old-fashioned" irrésistible, très frais et dynamique.
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Ceux qui seront aussi déconcertés sont ceux qui attendent de retrouver chez Paul Smith un graphisme comparable à celui qu'il avait appliqué à sa précédente collaboration avec Robinson (JSA : The Golden Age).
Ici, le style de ce grand mais trop rare artiste est en effet encore plus épuré que lors de ses épisodes des X-Men dans les années 80, plus simple et plus "cartoony" aussi - mais cela correspond bien au ton du sujet. Néanmoins, il n'applique pas le même traitement à tous les personnages : par exemple, Chance est traitée d'une manière assez réaliste, mais Hobbs est dessiné avec un nez rond et une physionomie tout droits sortis des dessins animés humoristiques. Smith pousse cette stylisation jusqu'à réduire le dessin des yeux à de simples points, comme dans les classiques de l'école de la "ligne claire" (d'Hergé à Yves Chaland).
C'est toujours un bonheur de contempler ses planches d'un élégance formelle à nulle autre pareil, avec cet art du découpage si sobre, si fluide. Les couleurs pastellisées de Jeremy Cox soulignent chaque effet sans jamais surcharger le dessin : il faut apprécier cet apport si humble quand tant de coloristes vampirisent les planches et les encrages.
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D'aucuns pourraient réduire cette série à un produit ciblée pour des jeunes filles fleur bleue, une BD un peu désuéte. Pourtant, sa lecture atteste qu'elle peut également toucher des fans plus âgés, féminins comme masculins. Donc, même si vous croyez que vous n'allez pas apprécier... Donnez sa chance à Chance : vous serez fort agréablement surpris !

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